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06/10/2022 | FRANCE | N°21/04106

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 06 octobre 2022, 21/04106


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 06/10/2022



****





N° de MINUTE : 22/360

N° RG 21/04106 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TYLI



Jugement (N° 19/08629) rendu le 17 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Lille







APPELANT



Monsieur [I] [M]

né le [Date naissance 3] 1996 à [Localité 8]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 6]

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Représenté par Me Charlotte Bargibant, avocat au barreau de Lille substitué par Me Laurène Tastet, avocat au barreau de Lille



INTIMÉ



Monsieur [F] [N]

né le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 7]

de nationalité franç...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 06/10/2022

****

N° de MINUTE : 22/360

N° RG 21/04106 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TYLI

Jugement (N° 19/08629) rendu le 17 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANT

Monsieur [I] [M]

né le [Date naissance 3] 1996 à [Localité 8]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Charlotte Bargibant, avocat au barreau de Lille substitué par Me Laurène Tastet, avocat au barreau de Lille

INTIMÉ

Monsieur [F] [N]

né le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 7]

de nationalité française

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représenté par Me Patrick Ferot, avocat au barreau de Lille, et Me Jean-Pierre Congos, avocat au barreau de Douai

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 02 juin 2022 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 octobre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, Président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 mai 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

La SAS Vivement photo était dirigée par la SAS Sebenko, ayant elle-même comme président M. [F] [N].

M. [I] [M] a été embauché par la société Vivement photo à compter du 17 octobre 2016, par contrat d'apprentissage pour une durée déterminée, le terme du contrat du contrat étant fixé au 30 septembre 2018.

La société Vivement photo a été placée en redressement judiciaire par jugement du 8 août 2016, puis en liquidation judiciaire par conversion du redressement selon jugement du 10 mai 2017.

Par courrier du 2 juin 2017, le liquidateur judiciaire a notifié à M. [M] la rupture anticipée de son contrat d'apprentissage pour motif économique.

Le CGEA AGS a refusé de payer les indemnités à M. [M], ainsi que son solde de tout compte, estimant que le contrat d'apprentissage de ce dernier était inopposable à la procédure collective pour avoir été conclu au cours de la période d'observation.

M. [M] a assigné le liquidateur judiciaire devant le conseil des prud'hommes en paiement d'une somme de 15 066,67 euros au titre des indemnités de rupture et des salaires impayés.

Par jugement définitif du 27 septembre 2018, le conseil des prud'hommes a débouté M. [M] de l'ensemble de ses demandes, estimant que le refus opposé par le CGEA AGS de garantir ce paiement était fondé.

La société Sebenko est elle-même en liquidation judiciaire selon jugement du 8 août 2017.

Invoquant une faute de gestion personnelle de M. [N], M. [M] a assigné ce dernier devant le tribunal de grande instance de Lille principalement en paiement de la somme précitée.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 17 juin 2021 , le tribunal judiciaire de Lille a :

- débouté M. [M] de sa demande en responsabilité personnelle de M. [N], en qualité de gérant ;

- condamné M. [M] à payer à M. [N] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [M] aux dépens,

- rejeté les autres demandes des parties.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 22 juillet 2021, M. [M] a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1.Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 22 octobre

2021, M. [M] demande à la cour, au visa des articles L. 227-1, -6 à -8, 631-1, L. 622-1, -3 et -7, et L. 225-251 du code de commerce et 1240 du code civil, de réformer le jugement, et statuant à nouveau, de :

- dire que M. [N] a personnellement commis une faute de gestion engageant sa responsabilité à son encontre ;

- juger que M. [M] en a subi un préjudice en lien avec cette faute ;

- en conséquence, condamner M. [N] à lui payer la somme de 15 066,67 euros au titre des indemnités de rupture anticipée et du salaire restant à payer, en règlement du solde de tout compte ;

- condamner M. [N] à lui payer 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [N] aux dépens ;

- débouter M. [N] de ses demandes.

A l'appui de ses prétentions, M. [M] fait valoir que :

- la responsabilité personnelle de M. [N] en sa qualité de président de la société dirigeant la société Vivement photo, est engagée : le dirigeant d'une SAS est responsable, par application combinée des articles L. 227-8 et L. 225-251 du code de commerce, de ses fautes de gestion personnelle à l'égard des tiers ; à la suite d'un revirement de jurisprudence, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé depuis 2018 que la démonstration d'une faute séparable des fonctions sociales n'est pas une condition pour engager la responsabilité personnelle du dirigeant ; le caractère intentionnel de la faute d'une particulière gravité établit en outre l'existence d'une telle faute séparable des fonctions sociales : à cet égard, M. [N] avait conscience que la société Vivement photo était en difficulté économique ayant conduit à son placement en redressement judiciaire, alors qu'à l'occasion de l'entretien d'embauche, ce dirigeant lui a dissimulé l'existence d'une procédure collective ;

- à défaut pour M. [N] d'avoir sollicité l'autorisation du juge commissaire, pour procéder à la signature du contrat d'apprentissage, ce contrat a été déclaré inopposable à la procédure collective et les AGS n'ont pas garanti les sommes qui lui étaient dues ; à l'inverse, son préjudice ne résulte pas de l'absence de boni de liquidation ; M. [N] a procédé à son recrutement alors qu'il avait conscience de l'incapacité de l'entreprise de mener à bien sa formation professionnelle et de procéder au paiement de sa rémunération, en considération de la procédure collective dont l'existence a été dissimulée au cours de l'entretien d'embauche.

- M. [N] est solvable, dès lors qu'il dirige actuellement six entreprises.

4.2.Les conclusions notifiées le 25 avril 2022 par M. [N] ont été

déclarées irrecevables par ordonnance du 12 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application de l'article 954 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs. En fonction de l'irrecevabilité des seules conclusions notifiées par M. [N] en qualité d'intimé, il convient de considérer que ce dernier s'est approprié les motifs du jugement critiqué.

Sur la responsabilité personnelle du président d'une SAS à l'égard d'un tiers :

Si les conclusions de M. [M] manquent de structuration dans l'exposé de ses prétentions, la cour relève toutefois que ce dernier invoque en définitive une double faute à l'encontre de M. [N] :

- d'une part, avoir procédé à son embauche alors que ce dirigeant avait conscience des difficultés économiques de son entreprise ayant par la suite mené à la liquidation judiciaire de la société ;

- d'autre part, ne pas avoir sollicité l'autorisation du juge-commissaire pour autoriser la signature du contrat d'apprentissage.

Dans ses rapports avec les tiers, le dirigeant d'une société engage sa responsabilité personnelle au titre d'une faute séparable de ses fonctions, dès lors qu'une faute est en lien de causalité avec le préjudice subi, conformément aux règles de la responsabilité civile délictuelle en application des articles 1240 et 1241 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et entrée en vigueur le 1er octobre 2016.

La jurisprudence civiliste maintient toutefois qu'en considération de l'écran constitué par la personne morale et du principe selon lequel le dirigeant agit en principe au nom et pour le compte de cette dernière, l'engagement de la responsabilité du dirigeant en son nom propre est subordonnée à la preuve par le tiers d'une faute personnelle étrangère à son activité de représentation.

Une telle faute séparable des fonctions est constituée lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions, même s'il agit dans les limites de ses attributions.

Sur ce dernier point, la motivation des premiers juges est d'une part erronée, en ce qu'elle exclut notamment la responsabilité du dirigeant en retenant qu'il a agi dans le cadre de ses fonctions, «'l'embauche d'un apprenti pouvant être une solution pour redynamiser une structure en difficulté financière'», alors qu'une telle circonstance est indifférente pour caractériser l'existence ou non d'une faute séparable des fonctions.

D'autre part, alors que l'un des faits générateurs de responsabilité qu'invoque M. [M] est constitué par l'absence d'autorisation sollicitée par M. [N] auprès du juge-commissaire aux fins de conclure le contrat d'apprentissage au cours de la période d'observation, son dommage constitué par une absence de garantie de sa rémunération par les AGS résulte directement d'une telle faute commise par le dirigeant, ainsi qu'il résulte d'ailleurs du jugement définitif du conseil des prud'hommes ayant déclaré inopposable le contrat litigieux à la procédure collective pour un tel défaut d'autorisation, et non de l'absence de boni de liquidation.

Sur la signature du contrat d'apprentissage en dépit d'une procédure collective :

Sur ce point, la motivation des premiers juges est adoptée par la cour, dès lors que :

- la qualité de dirigeant social de M. [N] n'est pas contestée, en l'absence de toute délégation de pouvoirs alléguée ou d'un dessaisissement résultant de la désignation d'un administrateur judiciaire dans le cadre de l'ouverture du redressement judiciaire au bénéfice de la société Vivement photo.

- le caractère intentionnel d'une faute commise lors du recrutement de M. [M] par M. [N], qui résulterait de sa conscience que les salaires de cet apprenti ne pourront être payés et que la rupture anticipée du contrat interviendra à court terme, n'est pas établi : sur ce point, outre qu'aucune infraction pénale n'est susceptible d'être qualifiée au titre de la faute invoquée, M. [M] ne démontre pas que la perspective d'une liquidation judiciaire de la société Vivement photo était inéluctable au 17 octobre 2016 et qu'au-delà d'un optimisme excessif du dirigeant dans les capacités de redressement de l'entreprise, exclusivement constitutif d'une faute d'imprudence, M. [N] a délibérément procédé à son recrutement en sachant qu'il privait cet apprenti de toute possibilité d'être rémunéré et de poursuivre sa formation. Il se déduit notamment de la capacité de la société Vivement photo à payer le salaire de M. [M] jusqu'à la fin du deuxième trimestre 2017 qu'à la date de signature du contrat litigieux, M. [N] n'a pas agi avec une telle conscience.

Aucune faute séparable n'est par conséquent établi par M. [M] à ce titre, ainsi que les premier juges l'ont valablement estimé.

Sur la signature du contrat d'apprentissage sans solliciter l'autorisation du juge-commissaire :

Alors que la société Vivement photo était déjà placée en redressement judiciaire à la date de la conclusion de ce contrat, selon jugement du 8 août 2016, il appartenait à M. [N] de soumettre un tel contrat d'apprentissage d'une durée de deux ans à l'approbation du juge-commissaire en application de l'article L. 622-7 II du code de commerce, dès lors qu'il s'agit d'un acte étranger à la gestion courante de la société qu'il dirigeait.

Alors qu'il s'agit d'une obligation légale dont M. [N] ne pouvait invoquer l'ignorance en sa qualité de dirigeant professionnel, une telle absence délibérée de demande présentée au juge-commissaire constitue une faute d'une particulière gravité, dès lors qu'à défaut d'une telle autorisation, la signature du contrat n'est pas opposable à la procédure collective et à l'AGS (Cass. soc., 29'mai'2013, no 11-22.834). Alors que l'embauche est intervenue dans un contexte de redressement judiciaire, cette faute commise personnellement par M. [N] présente un caractère particulièrement grossier et est incompatible avec l'exercice normal des fonctions d'un président d'une société anonyme simplifiée, auquel incombe une telle obligation d'obtenir une autorisation judiciaire préalablement à la signature du contrat.

La faute reprochée de ce chef est ainsi séparable des fonctions dirigeantes de M. [N], de sorte que la responsabilité délictuelle de ce dernier est engagée à l'égard de M. [M].

Le jugement critiqué est par conséquent infirmé en toutes ses dispositions.

L'absence de prise en charge par le liquidateur judiciaire et par les AGS de la créance salariale de M. [M] et de ses indemnités résultant de la rupture anticipée de son contrat a été directement causée par la faute retenue à son encontre.

Alors qu'il résulte du jugement critiqué que M. [N] n'a pas contesté le montant de l'indemnisation sollicitée, M. [M] établit valablement que son préjudice s'établit à une somme de 15 066,67 euros, correspondant aux indemnités de rupture anticipée (13 921,66 euros), à l'indemnité de congés payés (308,16 euros) et au salaire restant dû pour les mois de mai et juin 2017 (836,85 euros).

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner M. [N], outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à payer à M. [M] la somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Réforme le jugement rendu le 17 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Lille en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Dit que M. [F] [N] a commis une faute séparable de ses fonctions de dirigeant de la SAS Vivement photo au préjudice de M. [I] [M], en s'abtenant intentionnellement de solliciter l'autorisation du juge-commissaire préalablement à la signature du contrat d'apprentissage conclu par M. [M] avec ladite société ;

Condamne en conséquence M. [F] [N] à payer à M. [I] [M] la somme de 15 066,67 euros ;

Condamne M. [F] [N] aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne M. [F] [N] à payer à M. [I] [M] la somme de 2'000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés tant en première instance qu'en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier Le Président

Fabienne Dufossé Guillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/04106
Date de la décision : 06/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-06;21.04106 ?
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