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06/10/2022 | FRANCE | N°21/03292

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 06 octobre 2022, 21/03292


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 06/10/2022





****





N° de MINUTE : 22/345

N° RG 21/03292 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWAK



Jugement (N° 19/03043) rendu le 17 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Béthune







APPELANTE



Madame [K] [T]

née le [Date naissance 3] 1980 à [Localité 9]

de nationalité française

[Adresse 2]

[LocalitÃ

© 5]



Représentée par Me Navarro, avocat au barreau de Lille





INTIMÉS



Etablissement AHNAC

[Adresse 8]

[Localité 6]



Représenté par Me Segard, avocat au barreau de Lille substitué par Me Vermeesch-Bocquet Sandra...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 06/10/2022

****

N° de MINUTE : 22/345

N° RG 21/03292 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWAK

Jugement (N° 19/03043) rendu le 17 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Béthune

APPELANTE

Madame [K] [T]

née le [Date naissance 3] 1980 à [Localité 9]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Navarro, avocat au barreau de Lille

INTIMÉS

Etablissement AHNAC

[Adresse 8]

[Localité 6]

Représenté par Me Segard, avocat au barreau de Lille substitué par Me Vermeesch-Bocquet Sandra, avocat au barreau de Lille

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Artois

[Adresse 1]

[Localité 4]

A laquelle la déclaration d'appel a été signifiée le 13/08/2021 à personne habilitée

DÉBATS à l'audience publique du 01 juin 2022 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 octobre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 9 mai 2022

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

Le 11 juin 2014, Mme [K] [T] a subi une césarienne au sein de la clinique de la Clarence à [Localité 7] (62), établissement appartenant à l'association hospitalière Nord Artois clinique (AHNAC).

Des complications sont survenues à la suite de l'intervention chirurgicale.

Par décision du 4 septembre 2015, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) a ordonné une mesure d'expertise médicale.

Dans leur rapport déposé le 4 novembre 2015, les experts ont conclu à l'existence d'une fistule vésico-utérine après césarienne, compliquée d'un abcès pelvien, due à une maladresse fautive de l'obstétricien par incision du dôme de la vessie.

Par ordonnance de référé du 10 janvier 2018, le président du tribunal de grande instance de Béthune a confié à M. [Y] [J] une mesure d'expertise médicale judiciaire, et condamné l'AHNAC à payer à Mme [T] la somme de 3'000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice.

Dans son rapport du 26 décembre 2018, l'expert [J] a fixé la date de consolidation de Mme [T] au 31 janvier 2018, et retenu un déficit fonctionnel permanent de 3%.

Par actes du 22 août 2019, Mme [T] a fait assigner l'AHNAC, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Artois devant le tribunal de grande instance de Béthune afin d'obtenir réparation de son entier préjudice à hauteur de 95'216,71 euros.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 17 novembre 2020, le tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire de Béthune a :

1. dit que Mme [T] avait été victime d'une faute médicale commise par M. [S] engageant la responsabilité de l'AHNAC';

2. condamné l'AHNAC à payer à Mme [T] les sommes suivantes, outre les intérêts au taux légal à compter du jugement, et dont il y a lieu de déduire les provisions éventuellement versées':

2.1.1'935 euros au titre des frais divers liés à la tierce personne temporaire';

2.2.17'000 euros au titre de l'incidence professionnelle';

2.3.3'765,96 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire';

2.4.13'000 euros au titre des souffrances endurées';

2.5.3 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

2.6.4'830 euros au titre du déficit fonctionnel permanent';

2.7. 3'500 euros au titre du préjudice esthétique permanent';

2.8.10'000 euros au titre du préjudice sexuel';

3. condamné l'AHNAC à payer à la CPAM de l'Artois la somme de 22'939,85 euros au titre des dépenses de santé actuelles, et celle de 1'080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion en application de l'article L.'376-1 du code de la sécurité sociale, outre les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter du jugement';

4. condamné l'AHNAC à payer à Mme [T] la somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

5. condamné l'AHNAC à payer à la CPAM de l'Artois la somme de 1'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

6. débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires';

7. condamné l'AHNAC aux dépens de l'instance, en ce compris ceux de la procédure de référé, les droits de plaidoirie pour les deux instances, outre les frais de l'expertise judiciaire.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 18 juin 2021, Mme [T] a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en limitant sa contestation au seul chef du dispositif numéroté 6 ci-dessus,'notamment en ce que «'la cour d'appel'» a débouté Mme [T] de sa demande d'indemnisation du préjudice d'établissement.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1. Aux termes de ses conclusions notifiées le 14 septembre 2021,

Mme [T] demande à la cour, au visa de l'article 1142 du code de la santé publique, de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice d'établissement';

- condamner l'AHNAC à l'indemniser à hauteur de 100'000 euros en réparation de son préjudice d'établissement';

- confirmer le jugement querellé en toutes ses autres dispositions';

- condamner l'AHNAC à lui verser la somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

- condamner l'AHNAC aux entiers frais et dépens ainsi qu'aux émoluments de l'article L.'444-1 du code de commerce.

A l'appui de ses prétentions, Mme [T] fait valoir que :

- la complication médicale subie la prive de la possibilité de mener à bien un projet de vie familiale normale, notamment d'élargir sa famille en raison des séquelles psychologiques liées à l'accouchement traumatique subi ;

- du fait de l'accident médical fautif, elle a connu des bouleversements dans ses projets de vie, lesquels l'ont contrainte à certains renoncements sur le plan familial ;

- les séquelles physiques et contraintes thérapeutiques ont entraîné une altération du mode de vie familiale ;

- le seul fait d'être mère d'un enfant ne suffit pas à justifier l'absence de préjudice d'établissement ;

- marquée sur le plan psychologique et physiologique par l'accident médical subi, elle ne pourra envisager de mener à bien une nouvelle grossesse ni agrandir sa famille.

4.2. Aux termes de ses conclusions en réponse notifiées le 6

décembre 2021, l'AHNAC, intimée, demande à la cour de':

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Mme [T] de sa demande au titre du préjudice d'établissement';

- condamner Mme [T] à lui verser une somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

- à titre subsidiaire, limiter la demande présentée au titre du préjudice d'établissement à la somme de 10'000 euros';

- limiter à une somme de 1'000 euros la demande présentée par Mme [T] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, l'AHNAC fait valoir que :

- les rapports d'expertise n'évoquent aucune contre-indication à une nouvelle grossesse pour laquelle une césarienne serait probablement recommandée';

- Mme [T] est entourée d'une famille composée d'un époux et d'un fils ;

- l'appelante présente un utérus malformatif très hypoplasique, et a subi cinq fausses couches nécessitant des curetages, avant la grossesse de 2014 obtenue par fécondation in vitro ;

- l'accouchement traumatique subi est davantage lié à l'urgence de l'extraction dans un contexte de souffrance f'tale avec risque d'anoxie en raison d'un cordon ombilical enroulé autour du cou ;

- rien ne vient établir que, sans la complication médicale survenue en 2014, Mme [T] aurait pu dans le futur accoucher par voie basse ;

- la patiente a présenté un syndrome dépressif réactionnel à la suite de ses curetages utérins, et le rapport de la CCI note que le retentissement psychologique qu'elle présente n'est pas en relation directe et certaine avec la césarienne critiquée et ses complications ;

- l'âge de Mme [T] n'est pas un obstacle dirimant à la survenue d'une nouvelle grossesse ;

- l'existence d'un préjudice d'établissement en lien direct, certain et exclusif avec la plaie vésicale et ses suites n'est pas établie.

4.3. Régulièrement intimée, la CPAM de l'Artois n'a pas constitué

avocat en cause d'appel.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 9 mai 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application de l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour les chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. [']

L'appel fixe l'étendue de la dévolution à l'égard des parties intimées, et cette saisine initiale ne peut être élargie en l'absence d'appel incident ou d'appel provoqué formulé par celles-ci.

En l'espèce, Mme [T] a, d'une part, entendu limiter son appel au seul chef du dispositif la déboutant de sa demande d'indemnisation du préjudice d'établissement, et l'AHNAC et la CPAM de l'Artois n'ont, d'autre part, pas formé appel incident ni provoqué.

Par conséquent, la demande de Mme [T] tendant à voir «'confirmer le jugement querellé en toutes ses autres dispositions'» est parfaitement irrecevable comme contraire à l'effet dévolutif de l'appel.

Sur le préjudice d'établissement

Le préjudice d'établissement répare la perte d'espoir et de chance de réaliser normalement un projet de vie familiale en raison de la gravité d'un handicap.

Il peut recouvrir, en cas de séparation ou de dissolution d'une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un nouveau projet de vie familiale.

En l'espèce, Mme [T], âgée de 42 ans pour être née le [Date naissance 3] 1980, est mariée depuis 2006 et mère d'un garçon de huit ans, dont elle assume l'entretien et l'éducation avec son époux. Son déficit fonctionnel permanent est fixé par l'expert judiciaire à 3% en raison de la survenue de douleur à l'effort, d'une fatigabilité entraînant une gêne permanente dans la vie réduisant la durée de la position verticale et imposant régulièrement des phases de repos.

Dans son rapport du 26 décembre 2018, l'expert judiciaire [J] a exclu chez Mme [T] tout préjudice d'établissement, retenant qu'une plaie vésicale au cours d'une césarienne ne constituait pas une contre-indication à une nouvelle grossesse, une césarienne étant simplement recommandée lors d'un nouvel accouchement.

Dans un certificat médical du 24 mars 2021, Mme [M], médecin psychiatre, a expliqué le parcours de soins de Mme [T] qui, après avoir subi cinq fausses couches spontanées, a eu recours en 2013 à la procréation médicale assistée pour donner naissance le 11 juin 2014 à son fils. Alors que le couple souhaitait plusieurs enfants, le psychiatre a ajouté que les complications graves survenues lors de l'accouchement et la césarienne effectuée en urgence avaient contrarié leur désir de grossesse ultérieure, et que leur projet de famille «'nombreuse'» se trouvait compromis à la suite de l'expérience douloureuse et traumatique vécue lors de la naissance de leur premier enfant.

Les proches de l'appelante ont témoigné dans des attestations versées au débat de ce que le traumatisme vécu lors du premier accouchement avait conduit celle-ci à renoncer à concevoir d'autres enfants.

Si Mme [T] a été incontestablement marquée sur le plan psychologique et physiologique par l'accouchement vécu en 2014, c'est davantage en raison de l'urgence, des difficultés d'extraction de l'enfant et des complications obstétricales qu'en raison de la plaie vésicale et de ses suites, qu'elle a pu choisir pour des motifs purement personnels de renoncer à agrandir sa famille.

Alors que le préjudice d'établissement répare la perte de la faculté de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap, et qu'aucune contre-indication médicale n'existe à la survenue d'une nouvelle grossesse, Mme [T] échoue à démontrer qu'elle présente des séquelles corporelles graves à la suite de l'accident médical fautif survenu le 11 juin 2014, lesquelles l'empêchent de mener une vie familiale accomplie, de sorte qu'elle n'a subi aucun préjudice d'établissement distinct de celui compensé au titre des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent.

Mme [T] ne démontre pas qu'elle se trouve dans l'impossibilité absolue de réaliser un projet de vie familiale et affective consécutive aux lésions présentées.

Le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [T] de sa demande de réparation d'un préjudice d'établissement.

Sur les autres demandes

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement dont appel sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.

Mme [T] qui succombe sera condamnée aux entiers dépens d'appel.

L'équité commande de débouter en cause d'appel l'AHNAC de sa demande d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [T] qui succombe sera déboutée de sa demande de frais irrépétibles en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelante n'explicite pas dans ses écritures la demande qu'elle forme visant à condamner l'AHNAC«'aux émoluments de l'article L.'444-1 du code de commerce'», ce texte ne visant pas une telle prétention. Elle sera déboutée de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par mise à disposition au greffe, publiquement,

Déclare irrecevable la demande de Mme [K] [T] tendant à voir «'confirmer le jugement querellé en toutes ses autres dispositions'» ;

Confirme le jugement rendu le 17 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Béthune en ce qu'il a débouté Mme [K] [T] de sa demande d'indemnisation du préjudice d'établissement';

Y ajoutant,

Condamne Mme [K] [T] aux dépens d'appel ;

Rejette la demande de Mme [K] [T] sur le fondement de l'article L.'444-1 du code de commerce';

Déboute l'association hospitalière Nord Artois clinique (AHNAC) et Mme [K] [T] de leur demande d'indemnité de procédure en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER

Harmony POYTEAU

LE PRESIDENT

Guillaume SALOMON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/03292
Date de la décision : 06/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-06;21.03292 ?
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