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30/09/2022 | FRANCE | N°20/01502

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 30 septembre 2022, 20/01502


ARRÊT DU

30 septembre 2022







N° 1272/22



N° RG 20/01502 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TCVP



MD / CK*PB





























Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAMBRAI

en date du

13 Mars 2020

(RG 17/00228 -section I)



































GROSSE :


>Aux avocats



le 30 septembre 2022



République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [I] [T]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Hélène AVELINE, avocat au barreau de PARIS



INTIMÉS :



S.E.L.A.R.L. PERIN-BORKOWIAK

ès-qualités de liquidateur...

ARRÊT DU

30 septembre 2022

N° 1272/22

N° RG 20/01502 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TCVP

MD / CK*PB

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAMBRAI

en date du

13 Mars 2020

(RG 17/00228 -section I)

GROSSE :

Aux avocats

le 30 septembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [I] [T]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Hélène AVELINE, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

S.E.L.A.R.L. PERIN-BORKOWIAK

ès-qualités de liquidateur de STOELZLE [Localité 7]

[Adresse 5]

représentée par Me Patricia POUILLART, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Julie REMOLEUX, avocat au barreau de LILLE

Me [V] [G]

ès-qualités de mandataire liquidateur de la société STOELZLE [Localité 7]

[Adresse 1]

représenté par Me Patricia POUILLART, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Julie REMOLEUX, avocat au barreau de LILLE

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 6]

[Adresse 3]

représentée par Me Thibaut CRASNAULT, avocat au barreau de VALENCIENNES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Monique DOUXAMI

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Valérie DOIZE

DÉBATS : à l'audience publique du 28 juin 2022

ARRÊT : contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 septembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Alain MOUYSSET conseiller et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 07 juin 2022

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Monsieur [I] [T] a été employé en qualité de conditionneur puis choisisseur sur le site de la SAS Verreries de [Localité 7], aux droits de laquelle vient désormais la SAS Stoelzle [Localité 7], du 22 juillet 1996 au 10 août 1996 puis à compter du 30 juin 2006.

Les verreries de [Localité 7] ont été inscrites sur la liste des établissements de matériaux à base d'amiante, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ci-après l'Acaata) pour la période de 1962 à 1996 par arrêté du 1er décembre 2014 paru au journal officiel le 13 décembre suivant.

Par jugements rendus les 15 octobre 2014 et 4 mars 2015, le tribunal de commerce de Douai a prononcé le redressement judiciaire puis la liquidation judiciaire de la SAS Stoelzle [Localité 7] en désignant en dernier lieu la Selarl Perin Borkowiak et Maître [G], en qualité de liquidateurs judiciaires.

Entre temps, par requête du 14 juin 2013, Monsieur [I] [T], à l'instar de nombreux autres salariés, a saisi le conseil de prud'hommes de Cambrai qui, par jugement rendu le 13 mars 2020, a':

-dit la péremption d'instance non acquise';

-mis hors de cause les sociétés Danone, [Localité 7] Holding Gmbh et Stoelzle Parfumerie';

-fixé sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Stoelzle [Localité 7] aux sommes suivantes':

*4500 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice d'anxiété,

*500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

-dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire';

-dit que les conditions de la garantie du CGEA n'étaient pas remplies et que le jugement était inopposable à ce dernier';

-débouté les défendeurs et le CGEA de leurs demandes reconventionnelles';

-dit que les dépens seraient supportés par la Selarl Perin Borkowiak et Maître [G], ès-qualités.

Monsieur [I] [T] a relevé appel de ce jugement.

Par ses dernières conclusions transmises au greffe par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 8 décembre 2020, il demande à la cour de':

-confirmer le jugement déféré sauf en ses dispositions sur le quantum des dommages-intérêts pour le préjudice d'anxiété, la garantie de l'Unedic délégation AGS-CGEA de [Localité 6] et l'opposabilité du jugement à cette dernière';

-fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Stoelzle [Localité 7] à la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice d'anxiété';

-déclarer la décision opposable à l'Unedic délégation AGS-CGEA de [Localité 6] dans les conditions prévues à l'article L3253-6 du code du travail';

-dire que l'Unedic délégation AGS-CGEA de [Localité 6] garantira les créances dans les conditions de l'article L3253-15 du code du travail et qu'elle devra avancer «'les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire'»';

-dire qu'à défaut de fonds disponibles, le liquidateur devra présenter à l'Unedic délégation AGS-CGEA de [Localité 6] un relevé de créance et un justificatif de l'absence de fonds dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard';

-condamner la SAS Stoelzle [Localité 7] au paiement de la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et aux dépens.

Il soutient en substance que':

-l'instance devant le conseil de prud'hommes n'est pas périmée': les dispositions de l'article R1452-8 du code du travail sont applicables et aucune diligence n'a été mise à sa charge par la juridiction de sorte que le délai de péremption de 2 ans n'a pas commencé à courir';

-son action n'est pas prescrite': à la date de la saisine du conseil de prud'hommes, le délai de prescription en matière civile était de 30 ans. La loi du 17 juin 2008 a ramené ce délai à 5 ans mais les dispositions transitoires prévoient que le nouveau délai court à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure';

-il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la SAS Stoelzle [Localité 7] qui constitue avec la SAS Verreries de [Localité 7] une seule et même entité juridique';

-le préjudice d'anxiété est né au plus tard le 14 juin 2013, date de saisine du conseil de prud'hommes. À cette date, la SAS Stoelzle [Localité 7] ne figurait pas sur la liste des établissements ouvrant droit à l'Acaata et ne faisait pas l'objet d'une procédure collective si bien que l'inscription sur la liste des établissements ouvrant droit à l'Acaata ne saurait constituer le point de départ de la prescription et sa créance liée au préjudice d'anxiété étant antérieure au jugement d'ouverture, elle doit être garantie par l'Unedic délégation AGS-CGEA de [Localité 6] conformément aux dispositions de l'article L3253-8 du code du travail';

-les anciens salariés ont tous travaillé au contact de l'amiante. Alors que le danger que constituait ce matériau était connu, l'employeur n'a pas appliqué la réglementation pour en protéger les salariés, manquant à son obligation de sécurité. Son admission sur la liste des établissements ouvrant droit à l'Acaata constitue une reconnaissance des conditions de travail désastreuses des salariés du site. L'exposition fautive des salariés à l'inhalation de poussières d'amiante et la reconnaissance qui en est résultée par arrêté est la cause directe de préjudices certains, dont le préjudice d'anxiété, et justifient réparation sur le fondement de l'article 1147 du code civil. Pour les salariés exposés à l'amiante dans un établissement inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l'Acaata, la Cour de cassation considère l'automaticité de la reconnaissance du préjudice d'anxiété sans que le demandeur ait à rapporter la preuve de la faute de son employeur, de son préjudice personnel et du lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Lors de l'audience, son avocat a confirmé qu'il sollicitait l'application du régime d'indemnisation du préjudice d'anxiété des salariés éligibles à l'Acaata.

Par leurs dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 3 décembre 2020, la Selarl Perin Borkowiak et Maître [G], ès-qualités, demandent à la cour de':

-infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a mis hors de cause les sociétés Danone, [Localité 7] Holding Gmbh et la SAS Stoelzle Parfumerie';

-constater la péremption d'instance et débouter Monsieur [I] [T] de ses demandes';

-débouter Monsieur [I] [T] de sa demande au titre du préjudice d'anxiété et à titre subsidiaire en réduire le montant à 500 euros et déclarer la créance opposable à l'Unedic délégation AGS-CGEA de [Localité 6]';

-condamner Monsieur [I] [T] au paiement de la somme de 150 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Ils font valoir pour l'essentiel que':

-la péremption d'instance est acquise car Monsieur [I] [T] n'a pas accompli dans le délai de 2 ans les diligences mises à sa charge par le conseil de prud'hommes lors de l'audience de conciliation du 27 septembre 2013, étant précisé que la radiation intervenue est sans incidence sur ce délai';

-Monsieur [I] [T] a saisi le conseil de prud'hommes avant l'inscription de la SAS Verreries de [Localité 7] sur la liste Acaata de sorte que le fondement de sa demande doit être examiné à l'aune de l'obligation de sécurité de l'employeur et il doit rapporter la preuve de la réalité d'une exposition à l'amiante, de la durée et de l'intensité de cette exposition et en quoi il en résulte un risque important pour sa santé, de la réalité d'un préjudice personnel et de la réalité d'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité, ce qu'il ne fait pas. A titre subsidiaire, le montant de la demande est exorbitant.

Par ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 30 décembre 2020, l'Unedic délégation AGS-CGEA de [Localité 6] demande à la cour de':

-infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit non remplies les conditions de sa garantie et dit qu'il ne lui était pas opposable';

-dire que l'instance est périmée';

-déclarer irrecevable la demande de Monsieur [I] [T] comme étant prescrite';

-mettre hors de cause la SAS Stoelzle [Localité 7] et elle-même';

-débouter Monsieur [I] [T] de ses demandes et à titre subsidiaire ramener le montant de dommages-intérêts à de plus justes proportions';

-dire que les créances relatives au préjudice d'anxiété sont insusceptibles de garantie';

-s'il y a lieu à fixation, dire que celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale (exclusion des astreintes et des sommes allouées au titre de l'article 700, arrêt du cours des intérêts au jour de l'ouverture de la procédure collective sans avoir pu courir avant mise en demeure régulière et garantie plafonnée)';

-statuer ce que de droit sur les frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à sa charge.

Elle expose notamment que':

-le conseil de prud'hommes a mis à la charge de Monsieur [I] [T] des diligences à accomplir pour le 20 décembre 2013 au plus tard. Ne les ayant réalisées que le 11 septembre 2017, la prescription est acquise, peu important la radiation administrative intervenue le 11 septembre 2015, non interruptive du délai de péremption';

-la demande de Monsieur [I] [T] est prescrite car il a saisi le conseil de prud'hommes le 11 septembre 2017 alors qu'il avait jusqu'au 19 juin 2013 pour le faire au regard du point de départ du délai de prescription de 5 ans prévu par l'article 2224 du code civil issu de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 et des dispositions transitoires de cette loi. Si le point de départ est, non pas la date de la publication de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, mais la date d'inscription de la SAS Verreries de [Localité 7] sur la liste des établissements ouvrant droit à l'Acaata (arrêté du 1er décembre 2014), la prescription est acquise au 1er décembre 2016 au regard du délai de 2 ans fixé par les dispositions de l'article L1471-1 du code du travail issu de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013';

-la SAS Stoelzle [Localité 7] n'est pas nominativement visée par l'arrêté Acaata et Monsieur [I] [T] ne justifie pas d'un lien juridique avec la SAS Verreries de [Localité 7]';

-le préjudice d'anxiété peut s'analyser comme un complément Acaata et est désormais soumis aux mêmes conditions d'attribution que l'allocation de retraite anticipée des travailleurs de l'amiante. Or, la SAS Stoelzle [Localité 7] n'est pas nominativement visée par l'arrêté Acaata, lequel mentionne la SAS Verreries de [Localité 7] avec laquelle aucun lien juridique n'est démontré. De surcroît, la majorité des salariés ne justifie pas de la notification de l'ouverture de son droit à l'Acaata. A titre subsidiaire, Monsieur [I] [T] n'apporte aucun élément de preuve permettant d'évaluer le préjudice subi';

-la garantie de l'AGS n'est pas due pour les sommes sollicitées au titre du préjudice d'anxiété car la publication de l'arrêté Acaata est postérieure à l'ouverture de la procédure collective de la société.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la péremption d'instance devant le conseil de prud'hommes

Selon l'article R1452-8 du code du travail, dans sa version applicable, en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir pendant le délai de 2 ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.

En l'espèce, le 27 septembre 2013, le bureau de conciliation a renvoyé l'affaire à l'audience du bureau de jugement du 28 mars 2014 et fixé aux parties un délai pour communiquer leurs pièces et notes, commençant le 20 décembre 2013 pour le demandeur et le 14 mars 2014 pour le défendeur. Le même jour, le greffe a adressé aux parties un bulletin de renvoi, leur rappelant ces indications. Ces délais n'ayant pas été respectés, le conseil de prud'hommes a prononcé la radiation de l'affaire le 11 septembre 2015.

Dès lors que les indications relatives à la fixation de délais données aux parties par le bureau de conciliation en application des dispositions de l'article R1454-18 du code du travail alors applicable et reprises dans le bulletin de renvoi transmis par le greffe ne constituent pas des diligences expressément mises à leur charge par la juridiction au sens de l'article R1452-8, elles n'ont pas fait partir le délai de péremption.

En conséquence, l'instance devant le conseil de prud'hommes n'est pas périmée et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur la mise hors de cause des sociétés Danone, [Localité 7] Holding Gmbh, Stoelzle [Localité 7] Parfumerie et la SAS Stoelzle [Localité 7]

Le jugement déféré sera confirmé en sa disposition non contestée sur la mise hors de cause des sociétés Danone, [Localité 7] Holding Gmbh, Stoelzle [Localité 7] Parfumerie.

Il le sera également en sa disposition sur le rejet de la mise hors de cause de la SAS Stoelzle [Localité 7].

En effet, les liquidateurs de cette société ne contestent pas qu'elle vient aux droits de la SAS Verreries de [Localité 7], ce qui est confirmé par l'identité de leur numéro RCS (319'658'076) tel que mentionné dans le jugement déféré pour la SAS Verreries de [Localité 7] et figurant sur l'extrait Kbis et les jugements du tribunal de commerce pour la SAS Stoelzle [Localité 7].

Par ailleurs, comme indiqué plus haut, les verreries de [Localité 7] ont été inscrites sur la liste des établissements de matériaux à base d'amiante, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'Acaata pour la période de 1962 à 1996 par arrêté du 1er décembre 2014 paru au journal officiel le 13 décembre suivant.

Il ressort des articles 1 et 2 de ce même arrêté que cet établissement est réputé figurer sur la liste lorsqu'il a «'sous une dénomination différente exercé la même activité'».

La SAS Stoelzle [Localité 7] a exercé sur le site de [Localité 7] la même activité que la SAS Verreries de [Localité 7], aux droits de laquelle elle est venue. Dès lors, l'Unedic délégation AGS-CGEA de [Localité 6] ne peut sérieusement soutenir qu'elle n'est pas nominativement visée par l'arrêté du 1er décembre 2014.

Sur le préjudice d'anxiété

Sur la prescription

Selon l'article L1471-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

L'action par laquelle un salarié, ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, demande réparation du préjudice d'anxiété, au motif qu'il se trouve, du fait de l'employeur, dans un état d'inquiétude permanente généré par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, se rattache à l'exécution du contrat de travail.

Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés. Il naît à la date à laquelle les salariés ont connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'activité de l'employeur sur la liste des établissements permettant la mise en 'uvre de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs.

Il en résulte que le préjudice d'anxiété se prescrit, pour les salariés susceptibles de bénéficier de la préretraite amiante, par 2 ans à compter de la publication de l'arrêté ministériel ayant inscrit l'établissement employeur sur la liste permettant la mise en 'uvre du régime légal pré retraite.

En l'espèce, compte tenu du fondement de la demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété résidant dans le régime spécifique applicable aux salariés éligibles à l'Acaata, l'action de Monsieur [I] [T] se prescrit par 2 ans à compter du 13 décembre 2014, date de publication de l'arrêté du 1er décembre 2014 qui a inscrit les verreries de [Localité 7], aux droits desquelles la SAS Stoelzle [Localité 7] vient, sur la liste des établissements de matériaux à base d'amiante, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'Acaata.

Dès lors qu'il a introduit son action avant le 13 décembre 2016, celle-ci n'est pas prescrite.

En conséquence, elle est recevable et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur l'indemnisation

L'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée a créé un régime particulier de préretraite permettant notamment aux salariés ou anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel de percevoir sous certaines conditions, une allocation de cessation anticipée d'activité (Acaata), sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle.

Par un arrêt du 11 mai 2010 (Soc.,11 mai 2010, n° 09-42.241, Bull n°106), adopté en formation plénière de chambre et publié au Rapport annuel, la chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu aux salariés ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi précitée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, le droit d'obtenir réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété tenant à l'inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.

La chambre sociale a instauré au bénéfice des salariés éligibles à l'Acaata un régime de preuve dérogatoire, les dispensant de justifier à la fois de leur exposition à l'amiante, de la faute de l'employeur et de leur préjudice, tout en précisant que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété réparait l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence.

En l'espèce, il ressort des éléments produits aux débats que Monsieur [I] [T] a travaillé sur le site de la SAS Stoelzle [Localité 7], pendant la période de 1962 à 1996, pour laquelle elle a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'Acaata par arrêté du 1er décembre 2014.

Dès lors, il peut obtenir réparation de son préjudice d'anxiété d'une part, qu'il ait ou non adhéré au dispositif légal et rempli ou non les autres conditions posées pour l'attribution de l'Acaata et d'autre part, sans avoir à démontrer le manquement de son employeur à son obligation de sécurité, la réalité ou l'étendue de son anxiété et le lien de causalité entre ceux-ci.

Compte tenu des éléments de la cause et en particulier':

-de la date à laquelle le préjudice est né, correspondant à la date à laquelle Monsieur [I] [T] a eu connaissance de l'arrêté d'inscription des verreries de [Localité 7] sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'Acaata, à savoir, comme indiqué plus haut, le 13 décembre 2014, date de publication de l'arrêté du 1er décembre 2014,

-de l'absence de preuve que le risque de développer une maladie liée à l'amiante est proportionnel à la durée d'exposition aux poussières de ce produit,

le préjudice d'anxiété sera exactement réparé par l'attribution de dommages-intérêts à hauteur de 8000 euros.

En conséquence, la créance de Monsieur [I] [T] à ce titre sera fixée à cette somme au passif de la procédure collective de la SAS Stoelzle [Localité 7] et le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Sur la garantie de l'Unedic délégation AGS-CGEA de [Localité 6]

Selon l'article L3253-8 1° du code du travail, l'AGS garantit les sommes dues aux salariés à la date d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

Le préjudice d'anxiété est né à la date à laquelle le salarié a eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'activité sur la liste permettant la mise en 'uvre du dispositif de l'Acaata.

En l'espèce, comme indiqué plus haut, Monsieur [I] [T] a eu connaissance de l'arrêté du 1er décembre 2014 lors de sa publication le 13 décembre suivant, c'est-à-dire après le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire le 15 octobre 2014 de sorte que l'Unedic délégation AGS-CGEA n'est pas tenue de garantir les sommes qui lui sont allouées.

En conséquence, il sera débouté de sa demande et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

Monsieur [I] [T] et la Selarl Perin Borkowiak et Maître [G], ès-qualités, seront déboutés de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Le jugement déféré sera infirmé et complété en ce sens.

La Selarl Perin Borkowiak et Maître [G], ès-qualités, seront condamnés aux dépens d'appel, leur condamnation aux dépens de première instance étant confirmée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire mis à disposition par les soins du greffe,

Confirme le jugement rendu le 13 mars 2020 par le conseil de prud'hommes de Cambrai sauf sur le quantum de dommages-intérêts pour le préjudice d'anxiété et les frais irrépétibles de première instance';

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Fixe la créance de Monsieur [I] [T] au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Stoelzle [Localité 7] à la somme de 8000 euros au titre de dommages-intérêts pour le préjudice d'anxiété';

Déboute Monsieur [I] [T] et la Selarl Perin Borkowiak et Maître [G], ès-qualités, de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel';

Condamne la Selarl Perin Borkowiak et Maître [G], ès-qualités, aux dépens d'appel.

le greffier

Cindy LEPERRE

pour le président empêché

Alain MOUYSSET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 20/01502
Date de la décision : 30/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-30;20.01502 ?
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