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29/09/2022 | FRANCE | N°21/02397

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 29 septembre 2022, 21/02397


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 29/09/2022



****





N° de MINUTE : 22/340

N° RG 21/02397 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TSY6



Jugement (N° 18/02122) rendu le 25 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Douai





APPELANTES



Madame [I] [X]

de nationalité française

domiciliée Clinique [16], [Adresse 15]

[Localité 7]



Compagnie d'Assurance Sham (S

ociété Hospitaliere d'Assurance Mutuelle)

[Adresse 4]

[Localité 10]



Représentées par Me Jean-François Segard, avocat au barreau de Lille substitué par Me Lydie Bavay, avocat au barreau de Lille



INTIMÉS



Mo...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 29/09/2022

****

N° de MINUTE : 22/340

N° RG 21/02397 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TSY6

Jugement (N° 18/02122) rendu le 25 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Douai

APPELANTES

Madame [I] [X]

de nationalité française

domiciliée Clinique [16], [Adresse 15]

[Localité 7]

Compagnie d'Assurance Sham (Société Hospitaliere d'Assurance Mutuelle)

[Adresse 4]

[Localité 10]

Représentées par Me Jean-François Segard, avocat au barreau de Lille substitué par Me Lydie Bavay, avocat au barreau de Lille

INTIMÉS

Monsieur [T] [J]

né le [Date naissance 2] 1985 à [Localité 13]

de nationalité française

[Adresse 8]

[Localité 9]

Madame [P] [B] épouse [J]

née le [Date naissance 1] 1988 à [Localité 17]

de nationalité péruvienne

[Adresse 8]

[Localité 9]

Représentés par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai assistés de Me François Lampin, avocat plaidant au barreau de Lille,

Compagnie d'Assurance Axa France Iard

[Adresse 5]

[Localité 12]

SA Clinique [16]

ayant son siège [Adresse 15]

[Localité 7]

Représentées par Me Pierre Vandenbussche, avocat au barreau de Lille

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 14] [Localité 7]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Défaillant, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 8 juillet 2021 à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 05 mai 2022 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 septembre 2022 après prorogation du délibéré en date du 08 septembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 avril 2022

****

EXPOSE DU LITIGE

Le 1er octobre 2015, Mme [I] [X], médecin obstétricien exerçant à titre libéral au sein de la Clinique [16] (la clinique), a procédé à l'accouchement, réalisé par voie basse et avec recours à une ventouse, de Mme [P] [B], épouse [J], primo-parturiente née le [Date naissance 11] 1985.

Une sage-femme et une auxiliaire de puériculture, salariée de la clinique, ont participé à l'accouchement.

En considération de douleurs abdominales et pelviennes persistantes qu'elle imputait au déroulement de son accouchement, le juge des référés du tribunal de grande instance de Douai a ordonné une expertise médicale de Mme [J]. L'expert [M] a déposé son rapport le 9 janvier 2018.

Mme [J] et son époux, M. [T] [J] (les époux [J]), ont assigné devant le tribunal de grande instance de Douai, outre la caisse primaire d'assurance-maladie, Mme [X] et la clinique, aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.

La SA Axa France Iard (la société Axa) et la SHAM sont intervenues volontairement à l'instance, en leur qualité respective d'assureur de la clinique et de Mme [X].

Par jugement du 25 mars 2021, le tribunal judiciaire de Douai a :

1- condamné in solidum Mme [X] et la SHAM à payer à Mme [J] les sommes de :

'2 000 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire ;

'6 700 euros au titre de la tierce personne temporaire ;

'9 000 euros au titre des souffrances endurées ;

'9 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

'20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

'10 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

2- condamné in solidum Mme [X] et la SHAM à payer à M. [T] [J] la somme de 8 000 euros au titre de son préjudice moral ;

3- débouté Mme [J] de sa demande au titre du préjudice d'agrément ;

4- débouté Mme [X] et la SHAM de leurs demandes formulées à l'encontre de la clinique et de la société Axa ;

5- ordonné la capitalisation annuelle des intérêts ;

6- condamné in solidum Mme [X] et la SHAM aux dépens incluant le coût de l'expertise judiciaire ;

7- condamné in solidum Mme [X] et la SHAM à payer aux époux [J] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

8- débouté la clinique et la société Axa de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

9- ordonné l'exécution provisoire de son jugement ;

10- déclaré le jugement commun et opposable à la caisse primaire d'assurance-maladie de [Localité 14]-[Localité 7].

Par déclaration du 26 avril 2021, Mme [X] et la SHAM ont formé appel de ce jugement, en ce qu'il a :

- jugé que Mme [X] avait engagé sa responsabilité tant en raison de sa faute personnelle qu'en qualité de commettant occasionnel de Mme [L], employée de la clinique [16],

- a écarté toute responsabilité de la clinique [16], et débouté le docteur [X] et SHAM de leur demande à l'égard de la clinique [16],

- a retenu l'existence d'un lien de causalité directe, certain et exclusif entre le manquement reproché et le préjudice subi par Mme [J];

- a condamné Mme [X] et la SHAM à verser à Mme [J] une somme de

47 700 euros au titre de son préjudice, une somme de 8 000 euros à M. [J] au titre de son préjudice moral, une somme de 3 000 euros aux époux [J] au titre de l'article 700 et aux entiers dépens.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 24 février 2022, Mme [X] et la SHAM demandent à la cour de :

=$gt; confirmer le jugement rendu en ce qu'il a retenu que le docteur [X] n'avait pas donné instruction à Mme [L] de réaliser une expression utérine, en ce qu'il a débouté Mme [J] de sa demande au titre du préjudice d'agrément ; en ce qu'il a débouté M. [J] de sa demande au titre du préjudice sexuel, et des troubles dans les conditions d'existence, en ce qu'il a retenu comme base indemnitaire une somme de 9 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

=$gt; réformer le jugement rendu pour le surplus, et statuant à nouveau :

** à titre principal ;

- juger qu'aucune faute personnelle n'est susceptible d'être reprochée à Mme [X] ;

- juger qu'aucune faute, es qualité de commettant occasionnel, ne peut être reprochée à Mme [X] ;

- juger que la responsabilité de Mme [X] n'est pas engagée en l'absence de la démonstration d'une pathologie identifiée de manière certaine et d'un l' ien de causalité direct, certain et exclusif avec la faute reprochée ;

En conséquence, écarter toute responsabilité du docteur [X] ;

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions de Mme et M. [J] à leur encontre ;

- condamner Mme et M. [J] à leur verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les frais et dépens de la première instance et d'appel ;

** à titre subsidiaire,

- juger que la responsabilité de Mme [X] n'est en tout état de cause que partiellement engagée et ce dans une limite de 20 % de l'évaluation des postes de préjudice évoqués ;

- dès lors, allouer à Mme [J] les sommes suivantes, qui tiennent compte de ce principe de causalité partielle :

ATPT : 1 206,78 euros

DFTP : 330 euros

SE : 1 400 euros

DFP : 1 800 euros

IP : 1 000 euros

PS : 1 000 euros

PA : REJET, et à titre très subsidiaire : 2 000 euros ;

- allouer à M. [J] une somme de 400 euros au titre du préjudice moral compte tenu de la causalité partielle ;

- dire que la clinique [16] devra relever indemne Mme [X] de toute condamnation qui serait mise à sa charge ;

- condamner M. et Mme [J] d'une part et la clinique [16] d'autre part, à leur verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens et frais de première instance et d'appel.

- rejeter toutes demandes des parties au même titre en ce qu'elles les viseraient.

A l'appui de leurs prétentions, elles font valoir que :

- Mme [X] n'a commis aucune faute personnelle. Alors qu'elle avait donné pour instruction à l'aide puéricultrice de procéder à un maintien du fond utérin, cette dernière a pris une initiative qu'elle a progressivement admise devant l'expert, en exerçant une pression excessive. Pour autant, aucune man'uvre d'expression utérine, geste prohibé par la Haute autorité de santé (HAS), n'a été réalisée, ni par le médecin, ni par la salariée de la clinique. Contrairement à l'appréciation du premier juge, Mme [L] n'a pas admis avoir pratiqué un tel geste. Les hématomes sur le côté droit du ventre qu'invoque Mme [J] n'ont pas été constatés au cours de l'hospitalisation post-accouchement. N'ayant pas procédé ou fait procéder à une telle man'uvre prohibée, le reproche d'une absence d'interruption d'une telle expression utérine en considération des douleurs exprimées par la parturiente est sans objet.

- même si l'existence d'une expression utérine est admise, Mme [X] n'est pas responsable du fait de l'auxiliaire puéricultrice. La salle d'accouchement ne s'assimile pas à un bloc opératoire, de sorte que la jurisprudence citée n'est pas applicable. En matière de prise en charge d'un accouchement, la Cour de cassation s'attache au contraire à identifier les fautes personnelles imputables à chaque participant. L'obstétricienne n'étant pas commettante occassionnelle de Mme [L], la responsabilité de la clinique est seule engagée tant au titre d'une faute commise par sa salariée (que le médecin ne pouvait contrôler, étant occupé à l'extraction du foetus par ventouse) qu'au titre d'un défaut d'organisation de ses services. A ce dernier titre, alors que la première sage-femme se consacrait à d'autres tâches, l'absence de mise à disposition par la clinique d'une seconde sage-femme, qui dispose de compétences propres en application de l'article L. 4151-1 du code de la santé publique et qui aurait dû intervenir pour procéder à un tel soutien du fond utérin, est fautive. La réalisation d'un soutien de fond utérin n'entre à l'inverse pas dans les compétences techniques d'une auxiliaire puéricultrice. La circonstance que Mme [X] ait eu recours à la seule personne disponible, même si elle n'était pas sage-femme, résulte de l'urgence à intervenir, alors qu'elle exerçait en outre en qualité de médecin remplaçant.

- l'existence des séquelles invoquées n'est d'une part pas établie, alors qu'aucune lésion anatomique n'a été objectivée : si l'expert a indiqué qu'un syndrome de Master et Allen ne peut exister sans lésions associées, il a toutefois retenu un tel syndrome en fontion d'un «'faisceau d'arguments'» : l'absence de lésion conduit pourtant à écarter un tel diagnostic, alors que Mme [J] n'a pas réalisé une coelioscopie, qui permettrait seule d'objectiver une déchirure des ligaments postérieurs ou latéraux de l'utérus ; d'autre part, le lien de causalité entre l'acte litigieux et les douleurs pelviennes invoquées par Mme [J] n'est pas prouvé de façon certaine : selon leur médecin-conseil, ces douleurs peuvent ainsi résulter d'une cinquantaine de causes possibles, et notamment des varices pelviennes dont souffre Mme [J], alors que le syndrome de congestion pelvienne n'est pas une pathologie d'origine traumatique.

- la liquidation des préjudices corporels doit être partiellement réformée.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 21 décembre 2021, les époux [J], intimés et appelants incidents, demandent à la cour de :

=$gt; à titre principal : confirmer le jugement en ce qu'il a condamné in solidum Mme [X] et la SHAM à leurs payer l'intégralité des sommes qui leur seront allouées en réparation de leur préjudice ;

si la cour retient une responsabilité de la clinique, notamment quant aux modalités d'organisation de la salle d'accouchement, condamner in solidum Mme [X], la clinique, la SHAM et la société Axa, en ce que leur responsabilité et garantie sont engagées compte tenu des séquelles liées à l'accouchement de Mme [J] le 1er novembre 2015 ;

si par exceptionnel, la cour considère que Mme [X] n'a pas commis une faute : condamner in solidum la clinique et la société Axa aux mêmes fins ;

en tout état de cause : confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit y avoir lieu à une indemnisation intégrale du préjudice qu'ils ont subis ;

- évalué les souffrances endurées de Mme [J] à 9 000 euros ;

- évalué le préjudice sexuel de Mme [J] à 10 000 euros ;

=$gt; infirmer le jugement en ce qu'il a :

** liquidé le préjudice subi par Mme [J] à :

déficit fonctionnel temporaire 2 000 euros ;

tierce personne temporaire : 6 700 euros ;

déficit fonctionnel permanent :9 000 euros ;

incidence professionnelle :20 000 euros ;

** débouté Mme [J] de sa demande au titre d'un préjudice d'agrément ;

** liquidé le préjudice moral de M. [J] à 8 000 euros ;

et statuant à nouveau :

- liquider le préjudice de Mme [J] comme suit : déficit fonctionnel temporaire : 3 960 euros ; l'assistance par tierce-personne temporaire : 9 778,32 euros ; déficit fonctionnel permanent : 10 000 euros ; préjudice d'agrément : 5 000 euros ; incidence professionnelle : 69 030,35 euros ;

- liquider le préjudice de M. [J] comme suit : préjudice d'affection : 8 000 euros ; préjudice sexuel par ricochet : 5 000 euros ; préjudice moral propre : 5 000 euros ;

par conséquent :

- condamner in solidum Mme [X], la clinique, la SHAM et la société Axa, ou l'un à défaut de l'autre, à verser à Mme [J] la somme de 116 768,67 euros, détaillée comme suit : déficit fonctionnel temporaire : 3 960 euros ; l'assistance par tierce-personne temporaire : 9 778,32 euros ; souffrances endurées : 9 000 euros ; déficit fonctionnel permanent : 10 000 euros ; préjudice d'agrément : 5 000 euros ; incidence professionnelle : 69 030,35 euros ; préjudice sexuel : 10 000 euros ;

- condamner in solidum Mme [X], la clinique, la SHAM et la société Axa, ou l'un à défaut de l'autre, à verser à M. [J] la somme de 18 000 euros, détaillée comme suit : préjudice d'affection : 8 000 euros ; préjudice sexuel par ricochet : 5 000 euros ; préjudice moral propre : 5 000 euros ;

avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, et capitalisation annuelle des intérêts ;

- condamner in solidum Mme [X], la clinique, la SHAM et la société Axa, ou l'un à défaut de l'autre, aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à leur payer 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

- confirmer le jugement pour le surplus et débouter les autres parties de leurs demandes contraires ;

- dire l'arrêt commun et opposable à la caisse primaire d'assurance-maladie de [Localité 14]-[Localité 7].

A l'appui de leurs prétentions, ils font valoir que :

- Mme [J] a subi à deux reprises au cours de l'accouchement une expression utérine par l'auxiliaire de puériculture, dont elle a indiqué immédiatement et très clairement le caractère très douloureux ; l'auxiliaire de puériculture a reconnu une telle poussée du fond utérin devant l'expert judiciaire ; de même, tant la clinique et son assureur que Mme [X] admettaient une telle circonstance dans leurs conclusions de première instance, alors que seule l'imputabilité d'une telle man'uvre prohibée par la HAS depuis 2007 était discutée ; la nouvelle version produite par Mme [X] devant la cour décrédibilise son argumentaire ;

- l'expression utérine subie a causé un syndrome de Master et Allen, qui correspond à la déchirure des ligaments de soutien de l'utérus lors de l'accouchement, ainsi que l'expert judiciaire l'a retenu ; un tel diagnostic est confirmé par les certificats médicaux qui relèvent l'existence de lésions post-traumatiques entrant dans le cadre d'un tel syndrome et par le résultat du test au pessaire, valablement communiqué lors d'un dire adressé à l'expert ; l'absence de lésions observées sur l'IRM effectué en 2007 est compatible avec l'écoulement d'un délai de deux ans depuis le traumatisme ;

- les salariés d'une clinique placés sous le contrôle direct d'un praticien libéral n'engagent pas la responsabilité de la clinique, mais celle du praticine libéral dont ils deviennent les préposés au cours de l'intervention chirurgicale ; lors de l'expertise, l'auxiliaire de puériculture [L] a toujours affirmé av oir agi sur l'ordre de l'obstétricienne ; Mme [X] n'a pu ignorer l'existence d'une telle expression utérine, alors que Mme [J] a sollicité à deux reprises la préposée de stopper cette man'uvre ; Mme [X] ayant admis que Mme [L] n'avait pas les compétences techniques pour procéder à un soutien du fond utérin, elle engage sa responsabilité pour avoir recouru à cette dernière, dans des conditions caractérisant l'existence d'une faute personnelle de ce praticien ; la faute invoquée par Mme [X] à l'encontre de la clinique au titre d'un défaut d'organisation justifie que la responsabilité de cet établissement soit cumulativement retenue, ou, à défaut, alternativement si la cour retenait que Mme [X] n'était pas la commettante de la salariée ou ne lui avait donné aucune instruction ;

- plusieurs postes de préjudice ont été sous-évalués par le premier juge, alors qu'elle justifie l'existence d'un préjudice d'agrément.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 8 juillet 2021, la clinique et la société Axa demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner Mme [X] et la SHAM à leur payer 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de leurs prétentions, elles font valoir que :

- une expression utérine ayant entraîné un syndrome de Master et Allen a été pratiquée par Mme [L], sur instruction de Mme [X] lui ayant demandé de tenir le fond utérin pour éviter la remontée du foetus entre les poussées ; aucune désobéissance ou initiative malheureuse n'est imputée à Mme [L], alors que le médecin lui a demandé de maintenir «'un peu plus que le fond utérin'» face aux difficultés d'extraction de l'enfant ;

- une telle sollicitation par Mme [X] est fautive, alors qu'elle aurait dû solliciter le concours d'une seconde sage-femme ;

- Mme [L] était la préposée occasionnelle de Mme [X] et a agi dans le cadre des instructions et directives données par le gynécologue obstétricien ; cette dernière ayant seule exercé un pouvoir de direction sur l'auxiliaire de puériculture, est exclusivement responsable des actes effectués par cette dernière ;

- aucune faute d'organisation ayant concouru à la survenance du dommage n'est prouvée à l'encontre de la clinique.

La caisse primaire d'assurance-maladie, à laquelle la déclaration d'appel a été régulièrement signifiée, n'a pas constitué avocat.

Selon courrier du 23 novembre 2018, la caisse primaire d'assurance-maladie indique qu'elle n'a pas remboursé de soins strictement imputables à l'acte fautif, en l'absence de préjudice subi au titre des dépenses de santé actuelles. Elle ajoute que «'la pathologie contractée par Mme [J] pourrait entraîner une intervention chirurgicale dans le futur. Toutefois, cette opération ne présentant pas de nécessité absolue, nous ne pouvons pas non plus faire valoir de créance imputable sur le poste dépenses de santé futures. Ainsi, sous réserve de soins imputables à l'accident médical dans le futur, je vous informe que la caisse primaire d'assurance-maladie n'aura pas de préjudice à faire valoir, si bien que nous n'interviendrons pas à l'instance'».

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer à leurs dernières conclusions sus-visées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION':

1. Sur la responsabilité de l'établissement de santé :

La motivation adoptée par le premier juge est intégralement adoptée par la cour, en ce qu'elle a exclu la responsabilité de la clinique, que ce soit en qualité de commettant de Mme [L] ou au titre d'un défaut d'organisation de ses services. Plus spécifiquement, en dépit de l'observation déjà formulée dans le jugement critiqué, Mme [X] ne produit aucune disposition législative ou réglementaire imposant la constitution d'un binôme de sages-femmes au sein de l'équipe obstétricale. En l'absence de toute norme établissant une composition irrégulière de l'équipe ayant pris en charge Mme [J], le jugement critiqué est par conséquent confirmé en ce qu'il a exclu la responsabilité civile de la clinique et a débouté les parties de leurs demandes formulées à son encontre et à l'encontre de la société Axa.

2. Sur la responsabilité du professionnel de santé :

Si l'accouchement constitue un processus naturel et non un acte médical au sens propre, les soins prodigués au cours de son déroulement, notamment pour assurer la sauvegarde de l'intégrité physique tant du foetus que de la parturiente en cas de complications, s'inscrivent dans une démarche médicale de l'équipe constituée autour du médecin obstétricien. Acte médicalisé, l'accouchement fait à cet égard l'objet de recommandations techniques, parmi lesquelles figure notamment le principe de prohibition des manoeuvres d'expression utérine formulé en 2007 par la HAS.

En l'espèce, le dossier médical fait ressortir qu'alors que les efforts expulsifs avaient débuté à 8 h 25, les ralentissements prolongés pendant l'expulsion ont conduit à appeler Mme [X], médecin de permanence, à 8 h 30, de sorte que cet obstétricien a décidé à 8 h 32 d'utiliser la ventouse en présence d'une présentation du foetus engagée partie moyenne en OIGA, avant que l'enfant ne naisse sans séquelles à 8 h 39. Le dossier médical ne mentionne en revanche pas l'expression utérine et les douleurs associées, que Mme [J] a indiqué avoir subi à deux reprises au cours de cet accouchement.

=$gt; Sur l'existence d'un geste technique fautif :

Au cours de l'expertise, le médecin-conseil de la SHAM a adressé à l'expert judiciaire un dire dans lequel il estime que :

- d'une part, le geste réalisé par Mme [L] ne répond pas à la définition de l'expression utérine, telle que proposée par les recommandations de la HAS comme étant «'l'application d'une pression sur le fond de l'utérus, avec l'intention spécifique de raccourcir la deuxième phase de l'accouchement'», pour considérer que seul un soutien du fond utérin a été pratiqué.

- d'autre part, l'exécution d'un tel geste a été en réalité niée par Mme [L] lors de l'expertise, et non «'timidement reconnue» comme l'indique le pré-rapport de l'expert [M].

Pour autant, l'expert judiciaire maintient dans son rapport définitif avoir retranscrit intégralement les termes de la reconnaissance par Mme [L] d'une telle pression, même si cette dernière en avait initialement nié l'existence. Il retient ainsi que l'auxiliaire de puériculture a admis avoir «'appliqué un peu plus que le maintien du fond utérin et qu'elle a poussé le fond utérin, mais toujours sur l'ordre de l'obstétricienne'». La fausseté d'une telle déclaration n'étant pas établie par Mme [X] et son assureur, la force probante qui s'attache au recueil par l'expert des déclarations des parties n'est ainsi pas remise en cause, de sorte que le recours à une man'uvre d'expression utérine est valablement établie.

=$gt; Sur l'existence d'un syndrome de Master et Allen :

La cour adopte la motivation du premier juge, ayant retenu l'existence d'un tel syndrome, notamment lorsqu'il note que l'analyse de l'expert judiciaire ayant relevé une symptomatolgie conforme est confirmée à la fois :

- par des avis médicaux extérieurs, ayant notamment relevé le 2 décembre 2016 un «'relachement étirement du système ligamentaire latéral'», outre une même symptomatologie révélant l'existence d'un syndrome Master et Allen,

- et par les résultats positifs d'un test au pessaire, dont le caractère discriminant a été relevé par l'expert judiciaire : sur ce point, Mme [J] a porté un tel dispositif à compter de novembre 2017 ; si l'expert judiciaire ne disposait pas du résultat positif de ce test lors de la rédaction de son rapport (page 19), le docteur [C] atteste dans un certificat du 16 avril 2018 un tel résultat.

Si l'expert judiciaire indique que seule une coelioscopie permet d'apporter une preuve anatomique d'un syndrome de Master et Allen, il conclut toutefois sans ambiguïté à son existence chez Mme [J].

Il en résulte qu'en dépit d'une absence d'objectivation de lésions affectant les ligaments situés autour de l'utérus lors d'un IRM pratiqué en novembre 2017, qui n'est toutefois pas incompatible avec leur existence deux ans auparavant selon l'expert judiciaire, et de l'absence de constatation des hématomes qu'invoque Mme [J], l'existence d'une expression utérine par l'auxiliaire de puériculture est valablement établie, alors qu'il ressort enfin d'une série concordante d'attestations que Mme [J] a évoqué l'existence d'une telle pression exercée violemment sur son abdomen lors de l'accouchement auprès de plusieurs proches et qu'une telle circonstance a également été rapportée de façon constante auprès des différents médecins qu'elle a ultérieurement consultés.

=$gt; Sur l'imputabilité des gestes techniques fautifs :

** au titre d'une responsabilité du fait d'un préposé :

La cour ayant retenu que les manoeuvres fautives sont intervenues au cours de la phase d'expulsion, il en résulte que leur survenance est matériellement imputable à une auxiliaire de puériculture qui agissait alors sous le contrôle et les ordres de l'obstétricien, lui-même occupé à utiliser les ventouses. Le recours à une telle technique de pression utérine pour favoriser l'expulsion du foetus dans la dernière phase de l'accouchement, situation précisément prohibée par la HAS en l'absence de complications, s'inscrit ainsi dans le prolongement immédiat de l'action de l'obstétricienne et intervient sous son autorité.

Il est ainsi établi que Mme [L] était la préposée occasionnelle de Mme [X] au moment où ont été réalisés les gestes fautifs, de sorte que ce médecin est seul responsable des conséquences dommageables ayant été causées par la faute technique de l'auxiliaire de puériculture.

Alors qu'aucun abus de fonction n'est par ailleurs allégué ou démontré à titre de cause d'exonération de sa responsabilité, notamment s'agissant d'un acte commis par la préposée à des fins étrangères à ses attributions, ces seules conditions suffisent en définitive à engager la responsabilité du commettant, dont le comportement personnel dans l'exercice de son autorité n'a en revanche pas vocation à être pris en compte comme condition d'application de l'article 1384 alinéa 1 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

** au titre d'une responsabilité pour faute personnelle :

En l'absence d'incompatibilité entre des fondements délictuels renvoyant à des conditions distinctes, Mme [J] peut valablement invoquer une faute directement commise par Mme [X] ayant causé les préjudices qu'elle invoque, parallèlement à une responsabilité du fait d'autrui.

Hors de l'hypothèse d'un lien de préposition occasionnelle, la responsabilité du praticien n'est, en principe, engagée qu'en cas de faute, sur le fondement de l'article L. 1142-1, I, alinéa 1 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002, dont la preuve incombe aux demandeurs en réparation, dès lors que les établissements, services ou organismes et les professionnels de santé ne sont soumis qu'à une obligation de moyens et non de résultat, à l'égard de leurs patients. Cette preuve peut être apportée par tous moyens, y compris par des présomptions graves, précises et concordantes et il incombe aux juges du fond d'apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve soumis, y compris des rapports d'expertise.

À cet égard, Mme [J] ne confirme aucune des versions opposées du médecin et de l'auxiliaire de puériculture : elle n'indique ainsi pas avoir été témoin d'une instruction donnée par le médecin, mais fait toutefois valoir qu'en dépit de ses plaintes, les gestes fautifs ont été poursuivis.

Si Mme [X] prétend qu'elle n'a donné aucune instruction de pratiquer une expression utérine, estimant que sa présence et l'utilisation des ventouses excluaient le recours à une telle pression abdominale, elle admet en revanche avoir donné comme instruction à Mme [L] de pratiquer exclusivement un maintien du fond utérin.

Alors qu'aucun élément n'établit ainsi que la responsabilité personnelle de Mme [X] soit engagée au titre d'une instruction directement donnée à Mme [L] de pratiquer un acte contraire aux recommandations de la HAS, sa responsabilité pour faute est en revanche engagée :

- d'une part, au titre d'une absence de contrôle des gestes adoptés, même d'initiative, par l'auxiliaire de puériculture ou au titre d'une absence de réaction destinée à les faire cesser, alors que les manifestations de douleur qui s'attachent immédiatement à une expression utérine répétée s'inscrivaient dans un court laps de temps et étaient directement accessibles aux sens du médecin accoucheur dont la présence à proximité immédiate impliquait qu'il ait connaissance de leur survenance en lien avec une telle pression ;

- d'autre part, au titre du recours à une auxiliaire de puériculture pour procéder à un soutien utérin, en soi conforme aux données acquises de la science, mais dont la réalisation excède les compétences techniques d'une telle auxiliaire, de sorte qu'en en confiant l'exécution à Mme [L], l'obstétricienne a exercé fautivement sa propre autorité au sein de l'équipe médicale.

Au surplus, outre que l'existence d'un défaut d'organisation par la clinique n'est pas prouvée, Mme [X] ne rapporte pas davantage la preuve qu'une telle faute d'un tiers aurait présenté un caractère de force majeure l'exonérant de sa propre responsabilité. En effet, alors que la présence d'une sage-femme est établie lors de la phase d'expulsion, l'allégation selon laquelle elle était indisponible pour exécuter l'instruction du médecin de pratiquer un maintien utérin ne résulte d'aucune pièce. En outre, alors qu'aucune urgence n'est alléguée ou démontrée par Mme [X] à compter de son intervention et qu'elle indique elle-même que la seule utilisation des ventouses constituait une technique suffisante pour garantir l'expulsion du foetus, ainsi que le confirme d'ailleurs l'expert judiciaire, les caractères d'irrésistibilité et d'imprévisibilité de la faute alléguée ne sont pas constitués, la composition de l'équipe médicale n'ayant pu échapper au médecin de garde préalablement aux faits dommageables.

=$gt; sur le lien de causalité entre les préjudices invoqués et les faits générateurs de responsabilité :

Le lien de causalité critiqué par Mme [X] et son assureur résulte d'un faisceau d'indices concordants :

- d'une part, parmi les causes susceptibles de générer les douleurs pelviennes dont justifie Mme [J], figure notamment la réalisation de gestes d'expression utérine ; la circonstance non contestée qu'elle présente par ailleurs des varices pelviennes et péri-utérines, elles-mêmes non imputables à Mme [X], est exclusivement de nature à majorer les douleurs permanentes résultant d'un tel fait générateur initial, selon les observations de l'expert judiciaire ;

- d'autre part, la concordance temporelle entre l'accouchement litigieux et l'apparition des douleurs invoquées par Mme [J] résulte des attestations de proches qu'elle produit aux débats ;

- enfin, les symptômes du syndrome de Master et Allen rapportés par l'expert judiciaire sont précisément ceux décrits par Mme [J] au titre de ses doléances.

Les manoeuvres d'expression utérine dont doit répondre Mme [X] ont ainsi causé, au moins partiellement, les séquelles subies par Mme [J].

Le jugement critiqué est par conséquent confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de Mme [X], entrainant par conséquent la garantie non contestée de son assureur de responsabilité civile professionnelle et sa condamnation in solidum avec son assurée à indemniser les préjudices subis par la victime.

3. Sur la réparation du préjudice

L'expert judiciaire a notamment conclu, concernant le préjudice de Mme [J], à :

'un déficit fonctionnel de classe I du 3 janvier 2016, date de la fin du congé post-natal, au 23 octobre 2017', soit 660 jours';

'une consolidation fixée à la date du 23 octobre 2017';

'un déficit fonctionnel permanent de 5 %';

'des souffrances endurées à hauteur de 3/7';

'un préjudice d'agrément à hauteur de 2/7 ;

'un préjudice sexuel à hauteur de 2/7.

Mme [X] et son assureur estiment que la part causale de la faute technique reprochée dans les douleurs ressenties par Mme [J] ne peut excéder 20 %, en raison de leur caractère multifactoriel.

À cet égard, l'expert judiciaire a indiqué qu' «'il est possible que les lésions des fascias ne soient pas la seule cause des douleurs'» (page 25 de son rapport). L'échographie réalisée permet notamment de retrouver «'au niveau du ligament large côté gauche une hyper-vascularisation pouvant correspondre à des varices pelviennes'» (page 9). En réponse à un dire du médecin-conseil de la SHAM, l'expert précise «'qu'il est possible que la congestion pelvienne soit majorée par d'autres causes surajoutées difficiles à mettre en évidence'» (page 19), alors qu'il n'a par ailleurs pas retenu l'existence d'un état antérieur. Pour autant, l'expert en a exclusivement conclu que le taux de déficit fonctionnel temporaire devait être fixé à 10 % pour prendre en compte la participation non exclusive des lésions imputables à Mme [X] aux douleurs subies par Mme [J].

Alors que les douleurs sont précisément le symptome essentiel qu'invoque Mme [J] au soutien de l'ensemble de ses demandes indemnitaires, il convient par conséquent de tenir compte d'une imputabilité partielle des séquelles à d'autres causes que les seules manoeuvres d'expression utérine, au-delà de la seule évaluation du déficit fonctionnel temporaire.

Pour fixer la part imputable au seul geste fautif, la cour retient que l'intensité des douleurs a été signalée dès l'accouchement et qu'elles sont devenues chroniques, sans qu'une aggravation sensible ait pu être relevée dans des conditions manifestant l'intervention de causes supplémentaires de souffrances dans d'importantes proportions. Il en résulte que l'essentiel des séquelles subies par Mme [J] est imputable à la faute technique survenue au cours de l'accouchement, dans une proportion qu'il convient dès lors de fixer à 90 %.

En revanche, la circonstance qu'une intervention chirurgicale ultérieure soit de nature à soulager les douleurs subies par Mme [J] est indifférente, dès lors qu'il n'appartient pas à la victime de minimiser les conséquences de son propre dommage.

3.1. Sur les préjudices corporels patrimoniaux

3.1.1. Sur les préjudices corporels patrimoniaux temporaires

L'indemnisation au titre de l'assistance temporaire par tierce personne correspond aux dépenses liées à la réduction d'autonomie ; elle doit se faire en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée, de sorte que l'indemnité allouée au titre de ce poste de préjudice ne doit pas être réduite en cas d'assistance bénévole par un proche de la victime. Il n'est en outre pas besoin de rapporter la preuve du paiement, ni de la tierce personne, ni des charges sociales y afférentes pour obtenir le règlement de la prestation.

En l'espèce, si l'expert [M] a indiqué qu'aucun frais divers n'était applicable à la situation de Mme [J], il a pourtant retenu, en page 22 de son rapport, que cette dernière a eu recours à l'aide temporaire de son mari pour les activités domestiques. Alors qu'il évalue une telle assistance à 4 heures par semaine, il ne précise pas expréssement la période sur laquelle elle a été nécessaire pour répondre aux besoins de la victime.

Pour autant, la perte d'autonomie de Mme [J] étant constante au cours de la période antérieure à sa consolidation, il en résulte que le besoin en assistance temporaire par tierce personne doit couvrir l'intégralité de la période visée par le déficit fonctionnel temporaire qu'a retenu l'expert judiciaire.

La circonstance que le besoin d'assistance résulte des douleurs subies par Mme [J] exclut qu'une telle aide relève du devoir de secours entre époux, dont l'exécution n'a pas vocation à prendre en charge les conséquences dommageables imputables à Mme [X].

Si Mme [X] invoque valablement le lien entre le taux de déficit fonctionnel temporaire et l'importance du besoin d'assistance par une tierce-personne, une aide maritale à hauteur de 4 heures par semaine est parfaitement compatible avec un déficit fonctionnel temporaire de 10 %.

Il en résulte que, sur une base horaire de 20 euros, ce poste de préjudice s'évalue à 660 jours/7 jours x 20 euros x 4 heures + 10 % (congés payés) = 8 297,15 euros.

Après application du taux de causalité partielle, Mme [X] et son assureur sont condamnés in solidum à payer à Mme [J] la somme de 8 297,15 euros x 90% = 7 467,43 euros.

Le jugement ayant fixé ce poste à 6 700 euros est infirmé de ce chef.

3.1.2. Sur les préjudices corporels patrimoniaux permanents

3.1.2.1. Sur l'incidence professionnelle

Ce poste n'a pas pour objectif d'indemniser la perte de revenu liée à l'invalidité permanente, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, de l'augmentation de la pénibilité du travail qu'elle occupe ou de la nécessité de changer de profession. Ce poste comprend également les frais de reclassement professionnel, de formation, ou de changement de poste, et plus largement tous les frais nécessaires à un retour de la victime dans la sphère professionnelle. Enfin, ce poste de préjudice comprend également la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c'est-à-dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l'accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa mise en retraite.

En l'espèce, la cour adopte intégralement les motifs pertinents et circonstanciés du premier juge, et condamne Mme [X] et son assureur à indemniser Mme [J] à hauteur de 20 000 euros x 90%, soit 18 000 euros.

3.2. Sur les préjudices corporels extra-patrimoniaux

3.2.1. Sur les préjudices corporels extra-patrimoniaux temporaires

3.2.1.1. Sur le déficit fonctionnel temporaire

Il s'agit d'indemniser l'aspect non économique de l'incapacité temporaire jusqu'à la consolidation de la victime. Le déficit fonctionnel temporaire regroupe non seulement le déficit de la fonction qui est à l'origine de la gêne mais également les troubles dans les conditions d'existence, les gênes dans les actes de la vie courante, le préjudice d'agrément temporaire et le préjudice sexuel temporaire.

Mme [J] sollicite son indemnisation moyennant un taux de déficit de 20 % et un montant journalier de 30 euros, qu'elle justifie par l'intensité de ses préjudices sexuel et d'agrément temporaires.

Pour autant, elle ne démontre pas que l'expert aurait ignoré l'intégration de ces préjudices dans ce poste ou qu'il aurait procédé à une évaluation erronée de ce taux.

Par conséquent, une indemnité égale de 25 euros par jour est de nature à réparer la gêne dans les actes de la vie courante, lorsque ce déficit fonctionnel temporaire est total. Cette indemnisation est proportionnellement diminuée lorsque le déficit fonctionnel temporaire est partiel.

Dans ces conditions, ce poste est évalué à : 660 jours X 25 euros X 10'% = 1'650,00 euros

Mme [X] et son assureur sont par conséquent condamnés à payer à Mme [J] la somme de 1 650 x 90 %, soit 1 485 euros.

Le jugement attaqué sera infirmé de ce chef.

3.2.1.2. Sur les souffrances endurées

Ce poste de préjudice a pour but d'indemniser toutes les souffrances tant physiques que morales subies par la victime entre la naissance du dommage et la date de la consolidation, du fait des blessures subies et des traitements institués.

En l'espèce, la cour adopte la motivation détaillée et pertinente du premier juge, par laquelle il a caractérisé tant l'existence que l'intensité des souffrances physiques et psychologiques de Mme [J].

S'agissant de leur indemnisation, il convient en revanche de la fixer à hauteur de : 9 000 euros x 90 % = 8 100 euros.

Le jugement attaqué sera infirmé de ce chef.

3.2.2. Sur les préjudices corporels extra-patrimoniaux permanents

3.2.2.1. Sur le déficit fonctionnel permanent

Il s'agit du préjudice résultant de la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours. Il s'agit de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime que ce soient les atteintes à ses fonctions physiologiques ou la douleur permanente qu'elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans ses conditions d'existence quotidiennes. Ce poste de préjudice répare la perte d'autonomie personnelle que vit la victime dans ses activités journalières, ainsi que tous les déficits fonctionnels spécifiques qui demeurent même après la consolidation.

L'expert a fixé un taux de 5 %.

Au regard du taux fixé par l'expert et de l'âge de la victime à la date de consolidation (31 ans), une indemnisation à hauteur de 1.800,00 euros du point sera retenue en sorte que le préjudice subi par sur ce poste sera évalué à la somme de 9.000,00 euros.

Mme [X] et son assureur sont condamnés in solidum à payer à Mme [J] la somme de 9 000 x 90%, soit 8 100 euros.

Le jugement attaqué sera infirmé de ce chef.

3.2.2.2. Sur le préjudice d'agrément

Ce poste de préjudice concerne les activités sportives, ludiques ou culturelles dont la pratique par la victime est devenue impossible ou limitée en raison des séquelles de l'accident et présentant un caractère suffisamment spécifique pour ne pas avoir été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent, lequel répare déjà les atteintes aux joies usuelles de la vie quotidienne incluant les loisirs communs.

Il appartient à la victime de justifier de la pratique de ces activités, notamment par la production de licences sportives, de bulletin d'adhésion à des associations, ou d'attestations, mais également par tout autre mode de preuve licite (témoignages, clichés photographiques ...), l'administration de la preuve d'un tel fait étant libre. L'appréciation du préjudice s'effectue concrètement, en fonction de l'âge et du niveau d'activité antérieur.

En l'espèce, le premier juge a débouté Mme [J] de sa demande, au motif qu'elle ne produisait aucune pièce justificative d'un tel préjudice.

Pour autant, la pratique sportive antérieure de Mme [J] résulte à la fois :

- des doléances recueillies par l'expert judiciaire auprès de la victime et de sa validation des douleurs évoquées à l'occasion de la course à pied comme relevant du symptome Master et Allen (page 22 de son rapport) ;

- du dire adressé à l'expert par le médecin-conseil de Mme [J], indiquant la cessation des activités de randonnées, fitness ou musculation en lien avec les douleurs subies ;

- des attestations fournies devant la cour, qui indiquent d'une part que Mme [J] pratiquait régulièrement la marche sportive à raison d'une ou deux heures par semaine (pièce 37), et d'autre part qu'elle se livrait à des séances de tapis de course, levée de poids et vélo éliptique 3 à 4 fois par semaine (pièce 38), ces activités ayant été interrompues depuis la naissance de son fils.

Compte tenu de l'âge de la victime et des doléances exprimées, le préjudice subi par Mme [J] sur ce poste sera évalué à la somme de 4 000 euros, de sorte que Mme [X] et son assureur sont condamnés à lui payer la somme de 4 000 x 90 % = 3 600 euros.

Le jugement attaqué sera infirmé de ce chef.

3.2.2.3. Sur le préjudice sexuel

Ce préjudice s'apprécie, en fonction de l'âge et de la situation de la victime, eu égard à l'atteinte à la morphologie des organes sexuels, à la libido et à la fonction procréatrice.

Le caractère douloureux de l'acte sexuel résultant du syndrome Master et Allen affecte la libido de Mme [J], dans des conditions ayant conduit l'expert judiciaire à l'évaluer à 2/7.

Mme [X] et son assureur sont condamnés à payer à Mme [J] la somme de 10 000 euros x 90%, soit 9 000 euros.

Le jugement attaqué sera infirmé de ce chef.

4. Sur les demandes de M. [J] :

4.1. sur le préjudice d'affection :

Il s'agit du préjudice moral subi par certains proches, parents ou non, mais justifiant d'un lien affectif réel, au contact de la souffrance de la victime directe. Il convient d'inclure à ce titre le retentissement pathologique objectivé que la perception des séquelles de la victime a pu entraîner chez certains proches.

À cet égard, M. [J] établit avoir été témoin des souffrances psychologiques et physiques de son épouse, de sorte qu'il a été conduit à bénéficier lui-même d'une prise en charge psycho-thérapeutique, ainsi qu'en atteste le professionnel en charge de ce suivi.

Alors que ce poste de préjudice est évalué à 3 000 euros, Mme [X] et son assureur sont condamnés à lui payer à ce titre la somme de 3 000 x 90% = 2 700 euros.

4.2. sur le préjudice moral :

Le premier juge a valablement considéré que le préjudice moral invoquée par M. [J] inclut le préjudice sexuel par ricochet qu'il subit au titre des dyspareunies dont souffre son épouse et qui altère la qualité de sa relation sexuelle du couple lui-même.

A ce titre, alors que ce poste est évalué à 5 000 euros, Mme [X] et son assureur sont condamnés à lui payer la somme de 5 000 euros x 90% = 4 500 euros.

Le jugement critiqué est infirmé de ce chef.

5. Sur les demandes accessoires :

5.1. Sur l'opposabilité de l'arrêt à la caisse primaire d'assurance-maladie :

Il n'y a pas lieu de déclarer le présent arrêt opposable à la Caisse primaire d'assurance-maladie, l'appel en déclaration de jugement commun rendant la décision opposable à l'appelé, même s'il n'est pas intervenu à l'instance.

5.2. sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile (dont la confirmation est sollicitée par la clinique et la société Axa), et à condamner in solidum Mme [X] et son assureur, aux entiers dépens d'appel, et à payer à :

- M. et Mme [J], la somme de 2 500 euros,

- la clinique et la société Axa, la somme de 1 500 euros,

sur le fondement de l'article 700 du code de procédure au titre de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS':

La cour,

Infirme le jugement rendu le 25 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Douai en ce qu'il a

1- condamné in solidum Mme [X] et la SHAM à payer à Mme [J] les sommes de :

'2 000 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire ;

'6 700 euros au titre de la tierce personne temporaire ;

'9 000 euros au titre des souffrances endurées ;

'9 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

'20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

'10 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

2- condamné in solidum Mme [X] et la SHAM à payer à M. [T] [J] la somme de 8 000 euros au titre de son préjudice moral ;

3- débouté Mme [J] de sa demande au titre du préjudice d'agrément ;

Le confirme pour le surplus de ses chefs soumis à la cour ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

Condamne in solidum Mme [I] [X] et la SHAM à payer à Mme [P] [B] épouse [J] les sommes de :

'1 485 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire ;

'7 467,43 euros au titre de la tierce personne temporaire ;

'8 100 euros au titre des souffrances endurées ;

'8 100 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

'18 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

'9 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

'3 600 euros au titre du préjudice d'agrément ;

Condamne in solidum Mme [I] [X] et la SHAM à payer à M. [T] [J] les sommes de :

'4 500 euros au titre du préjudice moral ;

'2 700 euros au titre du préjudice d'affection ;

Déboute Mme [P] [B] épouse [J] et M. [T] [J] du surplus de leurs demandes;

Y ajoutant,

Condamne in solidum Mme [I] [X] et la SHAM aux dépens d'appel ;

Condamne in solidum Mme [I] [X] et la SHAM à payer :

- la somme de 2 500 euros à Mme [P] [B] épouse [J] et M. [T] [J] ;

- la somme de 1 500 euros à la SA Clinique Saint Amé et à la société Axa France Iard,

au titre des frais irrépétibles qu'ils ont respectivement exposés en cause d'appel.

Le Greffier Le Président

F. Dufossé G. Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/02397
Date de la décision : 29/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-29;21.02397 ?
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