République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 29/09/2022
****
DEFERE
N° de MINUTE : 22/
N° RG 20/02408 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TB4Q
Ordonnance rendue le 08 juin 2020 par le tribunal de commerce d'Arras
Ordonnance (21/284) rendue le 4 novembre 2021 par le conseiller de la mise en état de la 2ème chambre section 1 de la cour d'appel de Douai
DEMANDEUR AU DÉFÉRÉ - INTIMÉE -
SAS Sun Chemical, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai
assistée de Me Camille Percheron,substitué à l'audience par Me Sylvaine Cheval, avocats au barreau du Havre
DÉFENDEUR AU DÉFÉRÉ - APPELANTES -
SAS Imprimerie Léonce Deprez - en liquidation judiciaire -
SELARL AJC représentée par Maître [G] [X], ès qualités d'administrateur judiciaire de la Société Imprimerie Léonce Deprez
ayant son siège social [Adresse 2]
INTERVENANT VOLONTAIRE
SELURL [W] [C], représentée par Me [C] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la Société Imprimerie Léonce Deprez
ayant son siège social [Adresse 3]
assistées et représentées par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Laurent Bedouet, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
---------------------
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
DÉBATS à l'audience publique du 24 mai 2022 après rapport oral de l'affaire par Nadia Cordier.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 septembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Nadia Cordier, conseiller, en remplacement de Laurent Bedouet, président empêché, et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
Par ordonnance en date du 8 juin 2020, le juge-commissaire à la procédure collective ouverte au bénéfice de la société Imprimerie Léonce Deprez par le tribunal de commerce d'Arras a admis la créance de la société Sun chemical à hauteur de 139 061,62 euros à titre chirographaire.
Par déclaration en date du 2 juillet 2020, la société SAS Imprimerie Léonce Deprez, la SELARL AJC prise en la personne de Me [X], en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société, la SELURL [W] [C], prise en la personne de Me [W] en sa qualité de mandataire judiciaire de la société précitée, ont interjeté appel de l'ordonnance, intimant la société Sun chemical.
Le tribunal de commerce d'Arras, par jugement en date du 10 mars 2021, a prononcé la liquidation judiciaire de la société Imprimerie Léonce Déprez, la société [C] [W], prise en la personne de Me [W], ayant été nommée en qualité de liquidateur judiciaire.
Faisant suite à des conclusions de la société Sun chemical, laquelle demandait de dire irrecevables en leur appel les appelants et de dire l'intervention volontaire de la SELURL [W] en qualité de liquidateur irrecevable, le conseiller de la mise en état a, par ordonnance du 4 novembre 2021 :
- dit irrecevable l'appel de l'administrateur,
- pour le surplus
- débouté la société Sun chemical de son incident en irrecevabilité d'appel ;
- laissé les frais de l'instance d'incident à la charge de la partie qui les aura exposés ;
- dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par requête en date du 18 novembre 2021, la société Sun chemical a déféré la présente ordonnance du conseiller de la mise en état à la cour.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par conclusions remises au greffe et notifiées entre parties par voie électronique en date du 17 mai 2022, la SAS Sun chemical demande à la cour, de :
« Déclarer la société Sun chemical recevable et bien fondée en son déféré ;
y faisant droit :
- confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 4 novembre 2021 en ce qu'elle a «di[t] irrecevable l'appel de l'administrateur» ;
- infirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 4 novembre 2021 en ce qu'elle a, «Pour le surplus, débout[é] la société Sun chemical de son incident en irrecevabilité d'appel» ;
- dire la société Léonce Deprez et la SELARL [C] [W] ès qualités de mandataire judiciaire irrecevables en leur appel ;
- dire la SELARL [C] [W] ès qualités de liquidateur irrecevable en son intervention volontaire ;
- condamner la société Léonce Deprez, la SELARL AJC ès qualités d'administrateur judiciaire, la SELARL [C] [W] ès qualités de mandataire judiciaire et la SELARL [C] [W] ès qualités de liquidateur in solidum à payer à la société Sun chemical la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner les mêmes aux entiers dépens ».
Elle fait valoir qu'aucun des appelants n'avait qualité et intérêt pour interjeter appel, aux motifs que :
' s'agissant de l'administrateur, ce dernier n'est pas visé par l'article L 624-3 alinéa 1er du code de commerce, l'article L 631-18 du même code ne réservant le recours en matière de redressement judiciaire qu'à l'administrateur assurant une mission de représentation, et non comme en l'espèce, une mission d'assistance ;
' s'agissant du mandataire, en l'espèce, il avait été fait droit tant à la demande d'admission qu'à la demande de rejet formulées par le mandataire, lequel était intégralement rempli de ses droits par une décision lui donnant entière satisfaction, ses conclusions se bornant d'ailleurs uniquement à vouloir faire rectifier le quantum de l'admission pour prendre en compte une compensation dont il n'avait pas fait état ;
' s'agissant de l'appel du débiteur, ce dernier a été convoqué devant le juge-commissaire et n'a formulé aucune observation, démontrant son accord avec les propositions du mandataire, ce qui rend son appel irrecevable pour défaut de succombance, le conseiller de la mise en état confondant irrecevabilité de l'appel et irrecevabilité des prétentions nouvelles.
A titre subsidiaire, elle demande la justification par les appelants de la contestation formée par le débiteur, lequel doit avoir, dans les 30 jours de la lettre recommandée, énoncé ses contestations, le débiteur étant en outre appelé à l'audience de vérification et pouvant y faire état de ses observations.
Elle conclut à une application erronée de l'indivisibilité par le conseiller de la mise en état, estimant que les effets de l'indivisibilité dans le cadre d'une procédure d'appel sont exclusivement ceux prévus par les articles 552 et 553 du code de procédure civile, le constat de la recevabilité de l'appel de l'un n'ayant pas pour conséquence la recevabilité des appels des autres.
Elle souligne que le liquidateur judiciaire poursuivant les actions relevant de la compétence du mandataire judiciaire, il n'a pas davantage intérêt à agir dans le cadre de la présente instance que le mandataire judiciaire.
Elle invoque l'impossibilité de se prévaloir d'une prétendue compensation, laquelle serait une prétention nouvelle, qui nécessiterait que l'appel lui-même soit recevable. Elle ajoute à titre subsidiaire que l'exception de compensation serait en l'espèce irrecevable, s'agissant d'un moyen de défense au fond qui ne peut être invoqué que par le défendeur.
Elle estime que la jurisprudence sur la recevabilité d'une partie remplie de ses droits en première instance suite à la révélation d'un fait nouveau n'est pas applicable en l'espèce, les remises de fin d'année, dont les appelants prétendent demander compensation avec la créance, existant bien avant l'audience tenue le 8 juin 2020.
Par conclusions remises au greffe et notifiées entre parties par voie électronique en date du 19 mai 2022, la société Imprimerie Léonce Deprez et la SELURL [W] Sébastier, prise en la personne de Me [W], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Imprimerie Léonce Deprez, demandent à la cour :
« Vu le jugement de liquidation judiciaire du 10 mars 2021,
Vu l'intervention volontaire de la SELURL [W] és qualités de liquidateur de la société Imprimerie Léonce Deprez
Vu les articles 31, 72, 546 al1 du code de procédure civile,
Vu les articles L622-27 et L624-3 du ode de commerce,
- confirmer l'ordonnance rendue le 4 novembre 2021 ;
- rejeter la demande la société Sun Chemical tendant à ce que l'appel soit déclaré irrecevable ;
- juger recevable l'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance du juge commissaire par la société Léonce Deprez et son mandataire judiciaire devenu depuis lors liquidateur ;
- condamner la société Sun chemical au paiement d'une somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ».
Elles estiment que la société Sun chemical fait complètement fi des règles spécifiques prévues par le code de commerce en procédure collective, lesquelles doivent se combiner avec les règles du code de procédure civile ;
Elles soulignent qu'« il y a, pour une partie, deux façons de succomber devant un premier juge, soit elle émet une prétention, que le juge rejette, et c'est l'hypothèse envisagée par l'intimé auteur de l'incident, soit au contraire le juge fait droit en tout ou partie à la demande du demandeur d'origine et cela constitue tout aussi bien, pour le défendeur, une « succombance » que s'il avait vu l'une de ses prétentions rejetées, puisque celles de son adversaire sont admises ».
Elles précisent que la décision n'a pas été rendue conformément au positionnement de la société débitrice et que le débiteur absent au cours de l'audience ne peut se voir opposer le principe de prétendue succombance, alors même qu'il n'a nullement acquiescé au montant de la créance dont la société Sun Chemical a sollicité l'admission.
Elles rappellent que le simple fait, d'une part que ce soit le mandataire judiciaire qui ait envoyé la lettre de contestation au créancier, d'autre part que le débiteur ait été absent lors de l'audience, ne saurait démontrer l'absence de contestation du débiteur. La lettre de contestation du mandataire ne doit pas indiquer l'auteur intellectuel de la contestation, la société Léonce Deprez ayant sollicité le mandataire pour qu'il conteste.
L'ordonnance du 8 juin 2020 permet de constater que le débiteur a été convoqué et démonte qu'il a contesté la créance.
Elles font remarquer que le débiteur dispose de la possibilité d'invoquer un moyen nouveau de contestation en cause d'appel.
Elles ajoutent qu'à raison de l'indivisibilité de la matière, l'appel du débiteur étant recevable, l'appel du mandataire l'est par voie de conséquence.
La recevabilité de l'intervention du liquidateur ne peut être utilement discutée, cette dernière n'étant intervenue que dans l'unique but de régulariser la procédure afin d'éviter toute interruption d'instance.
***
À l'audience du 24 mai 2022, le dossier a été mis en délibéré au 29 septembre 2022.
MOTIVATION
- sur l'appel de l'administrateur judiciaire
Aux termes de l'article L 624-3 alinéa 1 du code de commerce, le recours contre les décisions du juge commissaire prise en application de la présente section (vérification et admission des créances) est ouvert au créancier, au débiteur, au mandataire judiciaire, l'article L 631-8 du même code précisant qu'en matière de redressement judiciaire, ce recours est également ouvert à l'administrateur lorsque celui-ci a pour mission d'assurer l'administration de l'entreprise.
La décision déférée, constatant que l'administrateur ne disposait que d'une mission d'assistance, ce que nul ne conteste, se doit d'être confirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'appel formé par ce dernier.
-:sur l'appel du mandataire judiciaire
En vertu des dispositions de l'article 546 du code de procédure civile, le droit d'appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n'y a pas renoncé.
L'intérêt est à la mesure de la succombance. Qui a obtenu satisfaction en première instance est irrecevable, faute d'intérêt, à faire appel. Cette présomption n'est toutefois pas irréfragable.
Ayant vu ses propositions accueillies et l'admission de la créance, proposée par ses soins, acceptée par le juge-commissaire conformément aux termes développés dans sa lettre adressée au créancier, le mandataire judiciaire ne succombe à aucune de ses prétentions, ce qui rend son appel irrecevable.
Le fait que l'appel soit indivisible ne donne pas pour autant intérêt à agir à une partie qui en est dépourvue.
La décision déférée doit en conséquence être infirmée en ce qu'elle a débouté la société Sun Chemical de sa demande d'irrecevabilité de l'appel du mandataire judiciaire.
- sur l'appel du débiteur
En vertu des dispositions de l'article L. 622-27 du code de commerce, rendu applicable en cas de liquidation judiciaire par l'article L 641-3 alinéa 4 du même code, s'il y a discussion sur tout ou partie d'une créance autre que celles mentionnées à l'article L 625-1, le mandataire judiciaire en avise le créancier intéressé en l'invitant à faire connaître ses explications.
Il s'induit de ces textes que la créance déclarée peut faire l'objet d'une contestation et que la contestation, qui doit être élevée auprès du mandataire judiciaire, n'est soumise à aucune forme.
Intellectuellement elle peut émaner soit de l'administrateur, qui s'est vu confier une mission d'administration, soit du mandataire judiciaire, alors même que le débiteur n'aurait soulevé aucune contestation, soit du débiteur, mais quel que soit l'auteur intellectuel de la contestation, c'est au mandataire judiciaire d'adresser la contestation au créancier concerné (art. R. 624-1 code de commerce).
Le débiteur peut donc, au titre de ses droits propres, exercer un recours contre la décision rendue par le juge-commissaire statuant en matière d'admission de créances, mais doit, pour être recevable à contester une décision d'admission devant la cour, avoir préalablement émis une contestation lors des opérations de vérification des créances, le débiteur pouvant parfaitement alors exciper d'un motif de contestation nouveau, non invoqué à l'origine.
La société Sun chemical, après avoir rappelé la position des appelants exposant que le débiteur a contesté la créance, souligne l'absence de contestation formulée au-delà de ce qui avait été contesté et proposé par le mandataire judiciaire et l'absence du débiteur devant le juge commissaire, en déduisant l'adoption d'une position commune, qui ayant reçu entière satisfaction devant le juge-commissaire, prive le débiteur de tout recours.
En se référant à la notion de succombance et en exigeant une contestation au-delà de la proposition faite par le mandataire, la société Sun chemical ajoute une condition aux dispositions ci-dessus rappelées qui exigent uniquement que le débiteur ait formulé une contestation.
L'affirmation des appelants selon laquelle une contestation a été initialement effectuée par la société Imprimerie Léonce Deprez, et adressée au mandataire judiciaire, n'est pas contestée, peu important l'objet de la contestation effectuée alors.
Aucune disposition n'impose que le débiteur ait maintenu et soutenu ses contestations devant le juge-commissaire lors de l'audience pour rendre recevable son appel.
La décision déférée, en ce qu'elle a déclaré recevable l'appel du débiteur, doit être confirmée, sans même qu'il soit nécessaire de prouver un fait nouveau comme l'invoque l'intimée.
Par ailleurs, les moyens consacrés à l'impossibilité d'évoquer une compensation sont totalement inopérants, la société Sun chemical omettant d'une part, que la déclaration de créance formée par ses soins constitue une demande, à laquelle il est loisible pour le débiteur d'opposer une exception de compensation, d'autre part, que l'article 564 du Code de procédure civile rend recevables les demandes de compensation formées en cause d'appel.
- sur la régularité de la procédure et l'intervention du liquidateur
En matière de contestation de créance et à raison de l'indivisibilité de la matière, l'appel contre une décision d'admission de créance nécessite la présence à la procédure du créancier, du débiteur mais également de l'organe en charge de la procédure collective.
Le jugement d'ouverture de liquidation judiciaire a mis fin à la mission du mandataire judiciaire et la procédure ne peut se poursuivre régulièrement qu'après mise en cause ou intervention volontaire du liquidateur judiciaire.
L'intervention volontaire du liquidateur judiciaire aux fins de régularisation de la procédure est donc parfaitement recevable.
Cette mention n'ayant pas été reprise dans le dispositif de la décision déférée, il sera statué en y ajoutant.
- sur les dépens et accessoires
En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la société Sun chemical succombant principalement en ses prétentions, il convient de la condamner aux dépens de la procédure de déféré.
Les chefs de la décision déférée relatifs aux dépens et à l'indemnité procédurale sont confirmés.
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, les demandes respectives d'indemnité procédurale étant rejetées.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle a débouté la société Sun chemical de sa demande d'irrecevabilité de l'appel du mandataire judiciaire ;
Statuant à nouveau,
DÉCLARE l'appel du mandataire judiciaire irrecevable ;
CONFIRME l'ordonnance pour le surplus ;
y ajoutant,
DÉCLARE recevable l'intervention volontaire du liquidateur judiciaire ;
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Sun chemical aux dépens de la procédure de déféré.
Le greffierP/ Le président
Marlène ToccoNadia Cordier