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15/09/2022 | FRANCE | N°21/03932

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 15 septembre 2022, 21/03932


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 15/09/2022



****





N° de MINUTE : 22/311

N° RG 21/03932 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TX35



Jugement (N° 19/00032) rendu le 08 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer







APPELANTS



Madame [V], [G], [O] [T] épouse [J]

née le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 10]

de nationalité française

[Adresse

9]

[Localité 4]



(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 591780022021007827 du 21/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai)



Monsieur [L], [H] [J]

né le [Date naissance ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 15/09/2022

****

N° de MINUTE : 22/311

N° RG 21/03932 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TX35

Jugement (N° 19/00032) rendu le 08 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer

APPELANTS

Madame [V], [G], [O] [T] épouse [J]

née le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 10]

de nationalité française

[Adresse 9]

[Localité 4]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 591780022021007827 du 21/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai)

Monsieur [L], [H] [J]

né le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 6] (59)

de nationalité française

[Adresse 9]

[Localité 4]

Représentés par Me Elodie Altazin, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 591780022021007828 du 21/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai)

INTIMÉE

SA BNP Paribas prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Séverine Surmont, avocat au barreau de Douai

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 05 mai 2022 après rapport oral de l'affaire par Danielle Thébaud

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2022 après prorogation du délibéré en date du 08 septembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 avril 2022

****

Exposé du litige

1. Les faits et la procédure antérieure :

La SA BNP Paribas (la BNP) a accordé à M. [L] [J] et Mme [V] [T], en qualité de co-emprunteurs :

- selon offre du 4 août 2007, un prêt immobilier pour financer l'acquisition d'une résidence secondaire au [Localité 4], d'un montant de 101 560 euros, remboursable en 240 mensualités de 681,51 euros. La SA Crédit logement s'est portée caution pour ce prêt.

- selon offre du 14 juin 2008, un prêt immobilier d'un montant de 172 820 euros, remboursable en 240 mensualités de 1169,26 euros pour le financement de leur résidence principale situé à [Localité 8]. La SA Crédit logement s'est portée caution de ce prêt.

Par jugement rendu le 30 septembre 2016, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-mer a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. [J].

La BNP a prononcé la déchéance du terme pour les deux contrats et a déclaré ses créances entre les mains de Me [M], administrateur judiciaire, le 11 octobre 2016 pour des montants de 72 055,60 euros au titre du crédit du 4 août 2007 et de 122 681,02 euros au titre du crédit du 14 juin 2008.

La SA Crédit logement, en sa qualité de caution, a payé à la BNP les sommes de

72 515,63 euros et 124 521,17 euros.

La SA Crédit logement a assigné M. et Mme [J] devant le tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer aux fins d'obtenir leur condamnation à lui payer les sommes de 76 390,97 euros et 131 536,73 euros (procédures enrôlées sous le numéro RG 17/02135).

Par acte du 28 novembre 2018, M. et Mme [J] ont fait assigner la BNP en intervention forcée devant ce tribunal, aux fins d'obtenir la jonction de l'instance avec celle enrôlée sous le numéro 17/2135 et le rejet des demandes formulées par la SA Crédit logement, reconventionnellement, et de dire que la SA Crédit logement, subrogée dans les droits de la BNP, a manqué à son devoir de mise en garde lors de la souscription des contrats litigieux, de constater que le non respect de l'obligation de mise en garde cause un préjudice à Mme [J] que la SA Crédit logement, subrogée dans les droits de la BNP, doit réparer, de condamner la SA Crédit logement in solidum avec la BNP à lui payer la somme de 207 927,70 euros à titre de dommages et intérêts, de les condamner aux dépens et à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 4 février 2019, le juge de la mise en état a dit n'y avoir lieu à jonction.

Par ordonnance du 28 février 2020, le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer dans l'attente du jugement à intervenir dans l'instance 17/02135 et dit que l'instance sera reprise à la demande de la partie la plus diligente après cet événement.

Par jugement rendu le 29 mai 2020, le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer a condamné solidairement M. et Mme [J] à payer à la SA Crédit logement les sommes de :

- 72 515,63 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2016,

- 124 521,17 euros avec intérêts au taux légal à compter du 7 février 2017.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement du 8 juin 2021, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer a :

1- constaté que M. [L] [J] ne formule aucune demande dans le cadre de son instance et que la demande tendant à le voir déclarer irrecevable est sans objet ;

2- rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription invoquée par la BNP ;

3- débouté Mme [V] [T] épouse [J] de ses demandes de dommages et intérêts ;

4- condamné Mme [V] [T] épouse [J] aux dépens ;

5- autorisé, si elle en a fait l'avance sans en avoir reçu provision, le SELARL Opal'Juris à recouvrer directement les dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

6- condamné Mme [V] [T] épouse [J] à payer à la BNP la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration au greffe du 15 juillet 2021, Mme [V] [T] épouse [J] et M. [L] [J] ont interjeté appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 3, 4 et 6 ci-dessus.

4. Les prétentions et moyens des parties :

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 20 février 2022, les époux [J], appelants, demandent à la cour de :

- annuler et réformer le jugement querellé en ce qu'il a débouté Mme [J] de ses demandes de dommages et intérêts, et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens et à verser la somme de 1 200 euros à la BNP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- le confirmer pour le surplus,

- débouter la BNP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- statuer comme aurait dû le faire le premier juge :

- dire et juger que la BNP a manqué à son devoir de mise en garde lors de la souscription des contrats litigieux,

- constater que le non-respect de l'obligation de mise en garde cause un préjudice à Mme [J] que la BNP doit réparer,

- la condamner à verser à Mme [J] à titre de dommages-intérêts les sommes suivantes :

=$gt; pour le prêt de 172 820 euros portant la référence 60198162 taux 4,680 % :

* 7 015,56 euros avec intérêt au taux légal à compter du 18 octobre 2016,

* 124 521,17 euros avec intérêt au taux légal à compter du 7 février 2017,

=$gt; pour le prêt de 101 560 euros portant la référence 60183127 taux 4.580 % :

* 3 875,34 euros avec intérêt au taux légal à compter du 18 octobre 2016,

* 72 515,63 euros avec intérêt au taux légal à compter du 7 février 2017,

- la condamner au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 2° du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir que :

- l'action de Mme [J] n'est pas prescrite, dès lors que le dommage est la demande de paiement formulée par la société de cautionnement Crédit Logement à l'encontre exclusif de Mme [J] ; le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un préjudice découlant d'un manquement à une obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif court non de la date de conclusion du contrat de prêt mais de la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles elle n'est pas en mesure de faire face ; ce délai a donc couru a minima à la date de déchéance du terme soit le 28 décembre 2016 ou à la date de placement en liquidation judiciaire de son époux, soit le 5 avril 2017, et au plus tard à la date de délivrance de l'assignation par la société Crédit logement, soit le 12 avril 2017 ; en tout état de cause, l'intervention forcée ayant été formulée le 28 novembre 2018, dans un délai de cinq ans de ces événements, qu'aucune prescription n'est encourue,

- la responsabilité de la banque est engagée au titre d'un défaut de mise en garde : elle a la qualité de co-emprunteur solidaire dans le cadre des deux crédits immobiliers ; la banque devait l'alerter, en sa qualité d'emprunteur profane, des risques du crédit eu égard à ses capacités financières ; elle devait se renseigner sur ses capacités afin de lui consentir un prêt adapté à ses revenus et l'alerter sur les risques d'endettement nés de l'octroi du prêt ; la banque ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait été un emprunteur averti alors qu'elle n'a aucune expérience professionnelle ; elle n'a été appelée au contrat qu'en sa qualité d'épouse en raison du jeu de la solidarité de la communauté légale ; elle est consommatrice et sa qualité doit s'apprécier indépendamment de celle de son époux ;

- elle s'est engagée bien au-delà de ses capacités financières : au moment de la souscription des prêts, elle était sans emploi et dépourvue de toute ressource ; seul M. [J] justifiait de revenus et subvenait aux besoins du couple ;

- la banque ne prouve pas l'avoir alertée sur son incapacité à rembourser les emprunts si son époux était défaillant ; aucune information ne lui a été donnée sur le risque encouru en cas de placement de son époux en redressement ou en liquidation judiciaire alors que le compte d'exploitation de ce dernier était déficitaire ;

- lors de la souscription des prêts litigieux, le couple justifiait des seuls revenus annuels imposables de M. [J] d'environ 50 000 euros pour un endettement immobilier (prêt + assurance + taxe foncière) de 30 000 euros ; le reste à vivre était trop faible au regard notamment d'autres charges de prêts ; avant l'octroi des prêts litigieux, leur endettement bancaire s'élevait à 1 562,87 euros pour un revenu mensuel moyen sur les 2 dernières années de 2 452 euros ; après remboursement de leurs prêts privés, il ne leur restait que 365,23 euros de revenu disponible pour subvenir au besoin du couple ayant, à l'époque, à charge un jeune majeur ;

- l'argument tiré de la composition du patrimoine est inopérant puisque ce patrimoine est né postérieurement à l'octroi des prêts litigieux ; les deux biens immobiliers objets des prêts ont été vendus compte tenu des difficultés financières rencontrées par M. [J] dans l'exercice de son activité professionnelle sans que le capital n'ait été remboursé ;

- par jugement du 19 mai 2020, elle a été condamnée à payer au Crédit Logement la somme de 207 927,70 euros avec intérêt au taux légal, au titre des prêts litigieux ; cette condamnation constitue le préjudice économique qu'elle subit et résultant de la perte de chance de ne pas contracter les prêts litigieux dont l'indemnisation incombe à la BNP.

Dans ses conclusions notifiées le 7 janvier 2022, la BNP demande à la cour de :

- déclarer M. [J] dépourvu de tout intérêt à former appel du jugement querellé, n'élevant aucune prétention à son encontre ;

- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté Mme [J] de ses demandes de dommages et intérêts et l'a condamnée aux dépens et à lui payer la somme de 1200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ainsi,

- déclarer prescrites les prétentions formées par Mme [J] à l'encontre de la BNP ;

En tout état de cause,

- débouter les époux [J] de 1'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- à titre subsidiaire, réduire dans de très larges proportions la somme réclamée par Mme [J] au titre de sa perte de chance de ne pas contracter ;

En tout état de cause,

- la condamner in solidum avec M. [J] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens d'appel.

Au soutien de ses prétentions, la BNP fait valoir que :

=$gt; la demande présentée par Mme [J] est prescrite au regard des dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce et de l'article 2224 du code civil prévoyant une prescription de cinq ans dès lors que les contrats ont été régularisés les 7 août 2007 et 14 juin 2008 ; le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde consistant en une perte de chance de ne pas contracter, se manifeste dès l'octroi des crédits, de sorte que le préjudice est né depuis les dates des contrats, et que l'action est prescrite,

=$gt; sur le fond, elle indique que l'assujettissement au devoir de mise en garde suppose d'une part un risque d'endettement excessif et d'autre part que le client soit non averti,

- Mme [J] ne justifie pas de l'existence d'un risque d'endettement excessif du fait de la souscription des deux prêts immobiliers,

- il n'appartient pas à l'établissement dispensateur de crédit de s'immiscer dans la vie personnelle de ses clients, de sorte qu'il ne lui incombait pas d'alerter Mme [J] sur le risque encouru en cas de séparation du couple ou de faillite de son mari,

- elle s'est renseignée sur les capacités financières des emprunteurs, alors qu'il ne lui appartenait pas de procéder à une vérification des renseignements fournis par ses clients ; à cet égard, M. et Mme [J] ont déclaré lors de la souscription de l'emprunt du 4 août 2007, des revenus de l'ordre de 45 760 euros, augmentés d'autres revenus locatifs à hauteur de 4 800 euros ; ils étaient propriétaires chacun pour moitié de leur résidence principale située à [Localité 11], revendue pour la somme de 85 000 euros en 2013,

- les mensualités étaient compatibles avec leur capacité de remboursement, le remboursement des prêts ayant d'ailleurs été honoré de 2007 à 2008,

- en outre, le couple était propriétaire d'un autre immeuble d'habitation financé par un emprunt pour lequel le capital restant dû était limité à 15 000 euros, et Mme [J] était propriétaire d'un appartement situé au [Localité 4] qu'elle a revendu en 2010 pour un prix de 102 000 euros, sans toutefois se préoccuper du remboursement de sa créance ; elle est propriétaire d'un autre immeuble situé au [Localité 4] acquis en 2010 pour 490 000 euros et est associée dans une SCI dont l'actif immobilier n'est pas précisé ; il n'est pas établi que les emprunteurs ne pouvaient pas faire face au paiement des sommes exigibles au titre des prêts au regard de leur patrimoine immobilier,

- Mme [J] ne peut être considérée comme un emprunteur profane dépourvu de compétences et de connaissances dans la mesure où elle avait souscrit un précédent prêt immobilier avec son époux,

- Mme [J] ne justifie aucunement de l'existence avérée d'une perte de chance de ne pas souscrire les deux emprunts immobiliers auprès de la BNP ; postérieurement, les époux [J] ont encore fait l'acquisition de biens immobiliers par prêts consentis en 2010 auprès de la BNP et du Crédit du Nord,

- en tout état de cause, l'indemnisation de la perte de chance ne saurait égaler le montant des crédits.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 avril 2022.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'appel formé par M. [J] :

D'une part, la déclaration d'appel ne porte pas sur le chef du jugement ayant expressément constaté que M. [L] [J] ne formule aucune demande dans le cadre de son instance et que la demande tendant à le voir déclarer irrecevable est sans objet.

D'autre part, M. [J] figure toutefois parmi les appelants principaux.

Alors que M. [J] ne formule aucune demande à l'encontre de la BNP devant la cour et n'offre pas de démontrer un quelconque intérêt à agir, son appel est irrecevable.

Sur la prescription de l'action indemnitaire

Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le dommage résultant du manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt consiste en la perte d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, ce risque étant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt, de sorte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.

En l'espèce, les impayés des époux [J] à l'égard de la BNP interviennent à compter de fin 2015, début 2016. A la suite de deux courriers de mise en demeure de payer en date du 20 mai 2016, le Crédit Logement a été appelé par la BNP en règlement des sommes dues en vertu de son engagement de caution au titre d'échéances impayées pour les deux emprunts immobiliers. Enfin, la déchéance du terme des deux emprunts a été prononcée le 28 décembre 2916.

En conséquence, le point de départ du délai de prescription sera fixé au 28 décembre 2016, date de la déchéance du terme pour les deux emprunts immobiliers, de sorte que l'action en responsabilité introduite le 28 novembre 2018 par Mme [J], n'est pas prescrite.

Le jugement dont appel est confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée d'une prescription.

Sur le manquement allégué du banquier à son devoir de mise en garde

Il résulte de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu'un établissement de crédit est tenu, lors de la conclusion d'un contrat de prêt, à un devoir de mise en garde à l'égard d'un emprunteur non averti, au regard des capacités financières de celui-ci et des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt.

L'assujettissement au'devoir'de'mise'en'garde'de la'banque'dispensatrice de crédit suppose ainsi la réunion de deux conditions cumulatives : d'une part le caractère non averti de l'emprunteur, et d'autre part, le risque d'endettement excessif.

En cas de pluralité d'emprunts souscrits, l'appréciation de ces critères doit s'effectuer à leur date respective de signature.

Dès lors que la banque a mentionné, dans l'offre de prêt, les revenus des emprunteurs ainsi que leurs charges totales, et que ceux-ci ont validé l'exactitude des renseignements donnés par l'apposition de leurs paraphes et la signature de la 'synthèse déclarative et informative des emprunteurs' tant en 2007 qu'en 2008, la banque n'a pas à se livrer à un quelconque contrôle de la véracité des informations transmises par les emprunteurs, lesquels sont tenus d'un devoir de loyauté envers le prêteur.

$gt;$gt; Sur le caractère non averti de Mme [J] :

L'appréciation du caractère averti ou non d'un emprunteur s'appréciant individuellement, il appartient de rechercher si Mme [J] était un emprunteur profane ou au contraire averti au jour où elle a contracté les différents concours bancaires auprès de la BNP.

Dès lors que Mme [J] n'exerce aucune activité professionnelle et que la BNP n'établit pas qu'elle disposait de compétences particulières en matière de crédit immobilier lui permettent d'appréhender les risques de l'opération de financement souscrite, sa qualité d'emprunteur non averti est valablement établie. A cet égard, la circonstance qu'elle avait déjà antérieurement contracté un emprunt immobilier ne suffit pas à caractériser la compétence ou l'expérience susceptibles de lui conférer la qualité d'emprunteur averti.

$gt;$gt; Sur le caractère excessif du crédit :

L'obligation de mise en garde incombant à la'banque'implique celle de se renseigner sur la situation de l'emprunteur, pour apprécier le caractère excessif ou non du crédit consenti par rapport à la capacité financière de son cocontractant.

S'il appartient à la BNP de prouver qu'elle a bien satisfait à son obligation de'mise'en'garde, il incombe en revanche à l'emprunteur de démontrer le caractère inadapté de l'engagement financier souscrit au regard de sa capacité financière, mais également de son patrimoine, au moment de la conclusion du prêt.

Par ailleurs, lorsqu'un emprunt est souscrit par les époux, l'existence d'un risque d'endettement excessif résultant de celui-ci doit s'apprécier au regard des capacités financières globales des co-emprunteurs, contrairement à ce que soutient Mme [J]. En outre, alors que la mention des contrats de prêts litigieux selon laquelle les époux [J] étaient mariés sous le régime de la communauté légale n'est pas contestée par Mme [J], les revenus de son époux comme le patrimoine commun du couple, et notamment immobilier, doivent être pris en compte pour apprécier l'inadaptation du crédit à sa situation financière, et ce d'autant plus que son époux était également co-emprunteur. C'est la situation globale des époux [J] qui doit par conséquent être envisagée, tant en ce qui concerne leurs revenus que leur patrimoine et leurs charges.

S'agissant de l'appréciation du patrimoine immobilier des emprunteurs, Mme [J] fait valoir que la BNP a entretenu une confusion, en incluant dans son patrimoine à la date de conclusion des contrats litigieux, des immeubles qu'elle n'a toutefois acquis qu'ultérieurement. Sur ce point, il n'y a par conséquent pas lieu de prendre en compte l'immeuble, que la BNP admet n'avoir été acquis au [Localité 4] par Mme [J] qu'en 2010.

Si Mme [J] était en outre associée d'une SCI dont l'actif immobilier a été ultérieurement vendu, cet immeuble était toutefois la propriété de la seule SCI, de sorte que sa valeur nette ne doit pas être intégrée dans le patrimoine immobilier des emprunteurs, alors que seule la valeur des parts sociales de la SCI a vocation à être prise en compte dans l'appréciation de l'adéquation des deux prêts litigieux à ses capacités de remboursement.

Enfin, alors que l'objet de l'obligation de mise en garde concerne exclusivement la question de l'adéquation du prêt aux capacités de remboursement de son cocontractant, il n'incombe en revanche pas à cet établissement prêteur d'alerter le co-emprunteur qui ne travaille pas, en l'espèce Mme [J], des risques inhérents à l'activité de son époux, et à une possible déconfiture commerciale de ce dernier, ou des risques de séparation dans le couple.

*sur le prêt de 101 560 euros octroyé le 4 août 2007 :

En août 2007, les époux [J] ont emprunté auprès de la BNP la somme de 101 560 euros pour l'acquisition d'un appartement au [Localité 4], situé [Adresse 7] dans une résidence en copropriété Mayvillage, moyennant le remboursement de mensualités s'élevant à 681,51 euros.

La banque démontre qu'elle s'est valablement renseignée sur la situation pécuniaire des époux [J] lors de l'octroi du prêt litigieux, en produisant une 'synthèse déclarative et informatives des emprunteurs' signée par les époux [J] le 10 juillet 2007, dont il résulte que :

- M. [J] est artisan ; Mme [J] ne travaille pas ; ils ont un enfant de 19 ans à charge ; ils sont mariés sous le régime de la communauté légale ;

- ils indiquent avoir perçu un revenu annuel de 45 760 euros, outre 4 800 euros de "loyers à percevoir" en 2007, soit un montant total de 50 560 euros, Mme [J] n'ayant aucun revenu propre, représentant un revenu mensuel moyen de 4 213 euros ;

Sur ce point, si Mme [J] fait grief à la banque d'avoir omis de prendre en considération le caractère irrégulier des revenus de son époux, et affirme que les revenus de son époux étaient inférieurs aux sommes mentionnées, il n'en demeure pas moins que ces montants ont été déclarés par le couple lui-même et que leurs signatures figurent sur le document reprenant les éléments ci-dessus rappelés. Rien ne démontre que la banque pouvait prévoir ou avoir connaissance de revenus moindres ou d'une variation importante des revenus de M. [J] sur la durée de l'emprunt et dirigée à la baisse des résultats. Par ailleurs, dans ses conclusions en page 12, Mme [J] admet elle-même que le couple disposait des revenus imposables de M. [J] pour un montant annuel d'environ 50 000 euros. Si Mme [J] affirme que les résultats de son mari étaient déficitaires, elle n'en rapporte pas la preuve. Ainsi, le compte de résultats produit aux débats laisse apparaître pour l'exercice clos au 30 juin 2006, un résultat fiscal de 30 840 euros et un bénéfice de 26 574 euros (pièce 12 ; en progression par rapport à 2004 et 2005 : pièce 11), étant observé que la comptabilité au titre des exercices 2007 et 2008 n'est pas produite aux débats.

- ils ne fournissent pas, au titre de la déclaration de leur patrimoine, la valorisation de leurs parts sociales dans la SCI dont ils sont les associés, seuls les revenus locatifs étant déclarés ;

- ils sont propriétaires d'un immeuble à [Localité 11] depuis 1998 évalué à 100 000 euros et pour lequel le capital restant dû au titre du prêt souscrit pour son acquisition s'élève à 15 142,55 euros en 2007, soit une valeur nette d'environ 84 000 euros ;

- cet emprunt immobilier souscrit en 1998 représente une charge mensuelle de remboursement de 340 euros,

- outre ce prêt, ils doivent également rembourser trois crédits à la consommation (dont un revolving), à raison de :

* 5 211,36 euros par an crédit SOFEMO (montant du capital restant dû 15 300 euros au 10 juillet 2007), soit une charge mensuelle de 434 euros ;

* 5 125,80 euros par an crédit BNP (montant du capital restant dû 8 031,61 euros au 10 juillet 2007), soit une charge mensuelle de 427 euros ;

* 2 736 euros par an crédit revolving BNP (montant du capital restant dû 6 097,96 euros au 10 juillet 2007), soit une charge mensuelle de 228 euros ;

Soit une charge mensuelle totale déclarée de l'ordre de 1 429 euros, avant d'y intégrer le remboursement du prêt litigieux pour un montant de 681 euros.

Il résulte ainsi de la comparaison entre les charges et les revenus du couple que Mme [J] ne démontre pas l'inadéquation de ce prêt à ses capacités de remboursement et le risque corrélatif d'endettement excessif qui en résulterait, dès lors que les seuls revenus déclarés de 4 213 euros permettent à eux-seuls de faire face chaque mois à un remboursement de 2 110 euros, même sans prendre en compte leur patrimoine immobilier propre.

La BNP n'étant tenue d'aucune obligation de mise en garde à son profit, le jugement ayant estimé que la responsabilité de la banque n'était pas engagée à ce titre est confirmé.

* Sur le prêt de 172 820 euros

Les époux [J] ont emprunté en juin 2008 la somme de 172 820 euros pour l'acquisition d'une nouvelle résidence principale à [Localité 8]. Les échéances mensuelles de ce prêt ont été réaménagées selon plan de remboursement du 12 août 2008, pour être fixées à 1 169,26 euros.

A nouveau, la BNP produit une synthèse déclarative, que les époux [J] ont signé le 14 juin 2008, dont il résulte pour l'essentiel une actualisation des charges et ressources du couple s'agissant :

- d'un revenu annuel de 75 940 euros, outre 6 360 euros de "loyers à percevoir" en 2008, soit un revenu mensuel moyen de 82 300 / 12 mois = 6 858 euros,

Si Mme [J] indique dans sa pièce 22, un revenu imposable de 6 597 euros mensuel en 2008 (79 888 euros de revenus annuels par an), il convient de rappeler à nouveau l'obligation de loyauté des emprunteurs et le caractère opposable aux emprunteurs des informations qu'ils ont eux-mêmes fournis à la BNP ;

- d'une absence de revenu pour Mme [J],

- de la propriété de deux immeubles, dont la valeur nette après déduction des capitaux restant à payer au titre des deux emprunts s'élève à 130 000 euros environ ;

- outre le nouveau prêt, ils doivent également rembourser plusieurs crédits pour une charge mensuelle globale de : (7 750 + 5 125 + 2 736) / 12 mois = 1 300 euros;

Il en résulte qu'au regard d'un revenu mensuel déclaré de 6 858 euros, Mme [J] était en capacité financière, avant même de prendre en compte le patrimoine immobilier à hauteur de sa valeur nette, de payer des mensualités de 2 469 euros.

La BNP n'ayant aucune obligation de mise en garde au profit de Mme [J] à l'occasion du prêt souscrit en 2008, le jugement l'ayant débouté de son action indemnitaire de ce chef est par conséquent confirmé.

Sur les demandes accessoires

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner Mme [J] aux entiers dépens d'appel, et à payer à la BNP la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déclare irrecevable l'appel formé par M. [L] [J] ;

Confirme le jugement rendu le 8 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer, en toutes ses dispositions critiquées ;

Condamne Mme [V] [T] épouse [J] aux entiers dépens d'appel ;

Condamne Mme [V] [T] épouse [J] à payer la SA BNP Paribas la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétible d'appel.

Le GreffierLe Président

F. DufosséG. Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/03932
Date de la décision : 15/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-15;21.03932 ?
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