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15/09/2022 | FRANCE | N°21/03786

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 15 septembre 2022, 21/03786


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 15/09/2022



****





N° de MINUTE : 22/312

N° RG 21/03786 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TXOW



Jugement (N° 19/00056) rendu le 02 juin 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras





APPELANTE



Madame [A] [P] agissant en qualité de tutrice de Monsieur [Z] [N] [K], né le [Date naissance 4] 1976 à [Localité 7] (Algérie), de nationalité française, san

s emploi,

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 6]



Représentée par Me Manon Leuliet, avocat au barreau de Douai

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 5917800...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 15/09/2022

****

N° de MINUTE : 22/312

N° RG 21/03786 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TXOW

Jugement (N° 19/00056) rendu le 02 juin 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras

APPELANTE

Madame [A] [P] agissant en qualité de tutrice de Monsieur [Z] [N] [K], né le [Date naissance 4] 1976 à [Localité 7] (Algérie), de nationalité française, sans emploi,

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Manon Leuliet, avocat au barreau de Douai

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 591780022021007060 du 01/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai)

INTIMÉS

Monsieur [I] [C] décédé le [Date décès 2]/2019

Compagnie d'Assurance Mma Iard Assurances Mutuelles agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

S.A. MMA IARD agissant poursuites et diligences de son représentant légal

domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentés par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai et Me Franck Derbise, avocat au barreau d'Amiens

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 05 mai 2022 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le15 septembre 2022 après prorogation du délibéré en date du 08 septembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 avril 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

M. [Z] [K] a été suivi à compter de 2002 par le docteur [U], psychiatre au sein d'un centre hospitalier spécialisé, à la suite de l'apparition d'une pathologie schizophrénique en 1998.

Le 23 décembre 2006, M. [K] a tenté de se suicider.

M. [K] a mandaté M. [I] [C], avocat au barreau d'Amiens, pour rechercher la responsabilité du centre hospitalier au titre de soins inadaptés.

Par requête du 7 septembre 2010, M. [C] a saisi le tribunal administratif en référé-expertise. L'expert [Y] [O] désigné à ce titre a conclu à l'absence de faute du centre hospitalier dans son rapport déposé le 18 avril 2012.

Par jugement du 23 mars 2015, le juge d'instance a placé M. [K] sous tutelle et a désigné sa mère, Mme [A] [P], pour exercer la mesure de protection.

Par requête du 26 août 2015, M. [C] a sollicité une contre-expertise auprès du tribunal administratif, sans que le tuteur de M. [K] ne soit partie à l'instance.

Par ordonnance du 12 mai 2017, le président de chambre du tribunal administratif a déclaré irrecevable l'action engagée, en l'absence d'une présentation par M. [K] de conclusions soumises au juge du fond dans le délai de recours contentieux.

Par acte du 7 décembre 2018, Mme [P], en sa qualité de tutrice de M. [K], a assigné M. [C] devant le tribunal de grande instance d'Arras pour rechercher sa responsabilité civile professionnelle.

M. [C] étant décédé en cours d'instance, MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles (les MMA) sont intervenues volontairement à l'instance en qualité d'assureurs de son activité professionnelle.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 2 juin 2021, le tribunal judiciaire d'Arras a :

-débouté M. [Z] [K], représenté par sa tutrice, de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné M. [K], représenté par sa tutrice, aux dépens et à payer aux MMA la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 8 juillet 2021, M. [K], représenté par sa tutrice, a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1.Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 4 février 2022, M. [K], représenté par Mme [P], demande à la cour de réformer le jugement critiqué, sauf en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute tirée du défaut de mise en cause de la responsabilité de l'hôpital et du défaut d'information du délai d'appel, et de :

- constater que M. [C], en sa qualité d'avocat, a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité civile professionnelle à l'égard de M. [K] : faute tirée du défaut de mise en cause de la responsabilité de l'hôpital, faute tirée du défaut d'information du délai d'appel ; faute tirée de l'introduction d'une procédure au nom d'un requérant n'ayant pas la capacité à agir ;

- condamner les MMA à lui payer la somme de 417 146,125 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance de voir examiner son litige par un tribunal et d'obtenir réparation de son préjudice ;

- les condamner aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros, au titre des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.

A l'appui de ses prétentions, il fait valoir que :

- M. [C] a commis une faute en ne s'assurant pas de la capacité d'exercice d'une personne ayant été diagnostiquée schizophréne et ayant tenté à plusieurs reprises de se suicider, même si le tribunal administratif n'a pas relevé une telle irrégularité de la requête présentée sans l'intervention de son tuteur ; pour le surplus, il adopte la motivation des premiers juges ayant caractérisé deux autres fautes imputables à ce professionnel du droit ;

- il subit une perte de chance réelle et sérieuse d'obtenir l'indemnisation des fautes commises dans le cadre de sa prise en charge par le centre hospitalier, qu'il évalue à 25%  : à cet égard, il dispose d'une part d'éléments de nature à établir l'existence de ces fautes, notamment caractérisées par l'arrêt brutal d'un traitement par Risperdal et par l'absence d'hospitalisation d'office en dépit des alertes familiales sur le risque suicidaire ; - il produit d'autre part des éléments nouveaux qui devaient permettre de remettre en cause les conclusions de la première expertise et de convaincre ainsi le tribunal administratif d'ordonner une contre-expertise, contrairement à l'appréciation des premiers juges : sur ce point, il invoque des avis médicaux retenant l'existence d'un «'trouble bipolaire avec caractère psychotique'» qu'a pourtant nié l'expert [O] et la consultation du professeur [B] ayant notamment relevé qu'au regard d'un tel diagnostic, l'indication des sels de lithium pouvait être considérée, outre la nécessité d'une hospitalisation en psychiatrie à compter du 20 décembre 2006. L'examen mené par le professeur [B] a été complet et documenté. En dépit de son caractère non contradictoire, le rapport établi par ce praticien était soumis à la libre discussion des parties devant le tribunal administratif, qui pouvait en tenir compte pour ordonner une contre-expertise. En outre, la nécessité de recourir à des sels de lithium est confirmée par le docteur [S], qui a assuré son suivi à [Localité 7] pendant quelques mois. En contradiction avec la conclusion par l'expert [O] d'une absence de faute commise dans sa prise en charge, le défaut d'introduction du Leoponex par le docteur [U] dans la thérapie était fautive, s'agissant d'un traitement pourtant adapté à son hypothèse de schizophrénie résistante à deux antipsychotiques, selon les indications fournies par le docteur [J]. Enfin, lors de l'expertise, le docteur [U] a indiqué ne pouvoir certifier avoir proposé une hospitalisation, alors qu'il avait lui-même informé par courrier du 22 décembre 2006 le docteur [W] que la famille et le patient sollicitaient une telle hospitalisation. L'expert a toutefois retenu qu'une telle offre avait été faite, mais que les délais d'accueil dans les cliniques étaient très longs.

- il sollicite son indemnisation sur la base d'un rapport établi par le docteur [L] ayant procédé à l'évaluation des différents postes de préjudice corporel qu'il a subis en lien avec sa tentative de suicide, estimant toutefois que ce rapport a omis de statuer sur certains postes (préjudice d'agrément, préjudice d'établissement et préjudice sexuel), pour retenir une assiette globale de 1 668 584,50 euros, sur laquelle s'applique le taux de perte de chance de 25 %.

4.2.Aux termes de leurs conclusions notifiées le 21 décembre 2021, les MMA, intimées et appelantes incidentes, demandent à la cour de confirmer le jugement critiqué, sauf en ce qu'il a retenu l'existence de deux fautes imputables à M. [C] et, statuant à nouveau, de :

=$gt; à titre principal : juger que M. [C] n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité civile professionnelle et débouter en conséquence Mme [P], ès qualités, de l'ensemble de ses demandes ;

=$gt; à titre subsidiaire : juger que Mme [P], ès qualités, ne justifie pas l'existence d'un préjudice qui en serait directement résulté et la débouter de ses demandes à leur encontre ;

=$gt; en tout état de cause : condamner Mme [P], ès qualités, aux dépens et à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de leurs prétentions, les MMA font valoir, au visa de l'article 1240 du code civil, que :

- les fautes reprochées ne sont pas constituées :

'd'une part, l'absence de mise en cause de la responsabilité du centre hospitalier dans le délai de recours contentieux ne fait pas obstacle à l'introduction d'une telle action, dès lors qu'elle n'est pas prescrite, en l'absence de fixation d'une date de consolidation à compter de laquelle court le délai décennal de prescription en application de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique ; aucun lien de causalité entre la faute invoquée et le préjudice subi n'est établi ; l'éventuelle prescription de l'action postérieure à l'intervention de M. [C] ne lui est pas imputable ;

'd'autre part, M. [K] a été valablement informé par le tribunal administratif des voies de recours selon courrier du 16 mai 2017 ; aucun manquement n'est pas conséquent établi à l'égard de M. [C] ;

* enfin, l'existence d'une information concernant une mise sous tutelle de M. [K] à destination de M. [C] n'est pas démontrée ; en outre, le tribunal administratif n'a pas soulevé une telle irrégularité ;

- aucun préjudice en lien de causalité avec les fautes alléguées n'est établi.

L'indemnisation d'un préjudice hypothétique n'est pas admise. À cet égard, aucune perte de chance réelle et sérieuse n'est démontrée par M. [K], alors que la charge d'une telle preuve lui incombe. A l'inverse, la demande de contre-expertise n'avait aucune chance d'aboutir, alors que le rapport du professeur [B] n'est pas contradictoire, ne repose pas sur une analyse de l'ensemble des éléments du dossier médical et conclut de façon conditionnelle. L'expert [O] a valablement répondu à l'ensemble des points de sa mission.

- les prétentions indemnitaires reposent sur un rapport non contradictoire, établi 12 ans après les faits sur la seule base des éléments fournis par la mère de M. [K] ; elles présentent un caractère forfaitaire, étant précisé que les juridictions administratives adoptent le barême indicatif de l'Oniam pour liquider un préjudice corporel dans des conditions moins favorables que celles adoptées par les juridictions judiciaires.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Par message adressé le 2 septembre 2022 aux parties, la cour a observé que l'article 1240 du code civil est visé tant par les parties que par le jugement critiqué comme fondement à l'action diligentée à l'encontre des assureurs de M. [C].

Sans qu'une telle démarche engage l'orientation de l'arrêt à intervenir, la cour a soumis à la discussion contradictoire des parties le fondement alternatif d'une responsabilité contractuelle, au titre d'une éventuelle faute dans la représentation du client par son avocat et a invité par conséquent les parties à adresser au greffe, par message RPVA avant le 7 septembre 2022, leurs éventuelles observations dans une note en délibéré sur l'applicabilité à l'espèce de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Dans une note du 6 septembre 2022, les MMA estiment, au visa de l'article 12 du code de procédure civile, que l'appelante a choisi le fondement délictuel et que le débat n'a eu lieu que sur ce fondement. Elles indiquent en outre que le cumul de responsabilités délictuelle et contractuelle n'est pas admis.

Dans une note du 6 septembre 2022, Mme [P] indique qu'il appartient à la juridiction de restituer son exacte qualification aux faits et actes litigieux et présente en outre un dispositif modifiant celui de ses conclusions du 4 février 2022 et visant tant l'article 1147 du code civil que les articles 1240 et 1241 du même code, estimant qu'un fondement subsidiaire est recevable.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le fondement de l'action en responsabilité :

Dans les rapports avec son client, l'avocat est susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle lorsqu'il commet une faute ayant causé un préjudice à celui-ci dans l'exercice de son mandat de représentation en justice, en application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'espèce. Le visa de l'article 1240 du code civil tant par les parties que par le jugement critiqué, impliquant une responsabilité délictuelle, est par conséquent erroné.

Lorsqu'un ou plusieurs fondements juridiques sont invoqués au soutien d'une prétention, la cour tranche le litige selon les règles de droit qui lui sont applicables, conformément à l'article 12 alinéa 1 du code de procédure civile. Il lui appartient par conséquent de vérifier si toutes les conditions d'application de la règle de droit ou des règles de droit invoquées par la partie sont ou non réunies.

Dans une telle hypothèse, la cour dispose toutefois de la faculté de soulever d'office un nouveau fondement qui n'a été invoqué par aucune des parties, sans qu'il s'agisse d'une obligation, après examen des différents fondements invoqués expressément par les parties.

La cour ayant relevé d'office le fondement contractuel de l'action exercée à l'encontre d'un avocat par son client, il lui appartient de faire respecter le principe de la contradiction et ne peut ainsi fonder sa décision sur des moyens de droit qu'elle a relevés d'office, sans avoir, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations.

À cet égard, les parties ont été autorisées, en application de l'article 445 du code de procédure civile, à adresser à la cour une note en délibéré pour présenter leurs observations sur l'applicabilité à l'espèce de l'article 1147 du code civil. Les parties ont communiqué contradictoirement leurs observations sur ce point dans le délai fixé par la juridiction.

Pour autant, une note en délibéré se distingue d'une réouverture des débats avec renvoi de l'affaire à la mise en état. Elle n'a ainsi vocation qu'à recueillir les observations des parties sur la seule question posée par la juridiction, et non à leur permettre de modifier les conclusions récapitulatives qu'elles ont déposées avant la clôture de la mise en état.

Dans ces circonstances, la cour reste exclusivement saisie des conclusions notifiées le 4 février 2022 par Mme [P], même si elle dispose pour sa part de la faculté de statuer sur un régime de responsabilité que ces conclusions ne visent pas dans les conditions précédemment rappelées.

Enfin, le principe du « non-cumul » des régimes de responsabilité interdit exclusivement au créancier d'une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle. Ce principe qui vise à préserver le particularisme de l'action en responsabilité contractuelle ne s'oppose pas à la substitution d'une responsabilité contractuelle à une responsablité délictuelle au titre de l'office du juge dans la détermination de la règle de droit applicable à l'espèce.

Le contradictoire ayant été respecté, le jugement critiqué est par conséquent infirmé dans son intégralité, en ce qu'il a fondé son dispositif sur la consécration d'une responsabilité délictuelle, et non contractuelle.

Sur les fautes :

Sur le défaut de mise en cause de la responsabilité du centre hospitalier :

D'une part, le tribunal administratif a rejeté, par ordonnance présidentielle du 12 mai 2017, la requête de M. [K] formée à l'encontre de la décision ayant rejeté sa demande indemnitaire préalable, notamment au visa de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, en relevant d'office son caractère manifestement irrecevable en l'absence de conclusions présentées par son avocat au juge du fond pour mettre en cause la responsabilité du centre hospitalier dans le délai de recours contentieux de deux mois ouvert par l'article R. 421-1 du même code.

Le rejet de la requête est directement imputable à un manquement par M. [C] à son devoir de diligence dans le cadre de la représentation de son client devant le tribunal administratif, dès lors qu'il a fautivement présenté pour le compte de ce dernier une requête irrégulièrement rédigée.

D'autre part, une telle faute a causé la forclusion de M. [K], qui ne pouvait présenter une nouvelle requête pour contester le rejet de sa demande indemnitaire préalable, à l'expiration du délai de deux mois ouvert pour former son recours contentieux. La circonstance que la prescription de l'action indemnitaire ne soit pas expirée à l'issue du mandat confié à M. [C] par M. [K] est par conséquent indifférente. En l'absence d'une possibilité de régulariser une telle erreur commise par l'avocat, M. [K] a été définitivement privé de la possibilité de soumettre à la juridiction administrative son action en responsabilité à l'encontre du centre hospitalier.

Une faute contractuelle est ainsi établie à l'encontre de M. [C].

Sur le défaut d'information et de conseil sur le délai d'appel :

Le 16 mai 2017, le greffe du tribunal administratif a notifié à M. [K] l'ordonnance précitée et lui a indiqué que cette notification faisait courir le délai d'appel de deux mois. Cette notification rappelle en outre qu'à peine d'irrecevabilité, la requête en appel doit être présentée par un avocat.

Parallèlement, le greffe a adressé le même jour à M. [C] une copie de l'ordonnance du 12 mai 2017, rappelant également les mentions précédemment énoncées sur les modalités d'appel.

L'appel devait par conséquent être formé avant le 12 juillet 2017.

Pour autant, M. [C] n'a pas respecté son obligation de conseil à l'égard de son client, en ne lui apportant aucune indication sur l'opportunité de former appel de l'ordonnance ayant rejeté la requête qu'il avait lui-même présentée irrégulièrement. Il n'a d'ailleurs pas rendu compte à M. [K] des diligences qu'il avait réalisées.

Par courrier daté du 23 juin 2017, M. [K] a invité M. [C] à procéder à une déclaration de sinistre auprès de son assureur, en rappelant les carences imputables à cet avocat.

Pour autant, M. [C] s'est borné à lui indiquer, par courrier du 19 juillet 2017, que sa responsabilité en qualité d'avocat était de moyens, et non de résultat, avant d'ajouter 'vous disposez d'une voie de recours contre cette décision que vous pouvez exercer. Je vous invite à saisir un avocat pour le faire'.

Ainsi, M. [C] a non seulement manifesté qu'il n'entendait pas poursuivre le mandat qui lui avait pourtant été confié, mais s'est également limité, en méconnaissance de son devoir de conseil, à 'inviter' M. [K] à y procéder, sans lui apporter aucune forme d'explication ou d'appréciation sur une telle possibilité de nature à éclairer son client sur la décision à prendre, alors que le délai de deux mois à compter de la notification réalisée par la greffe pour former appel était par ailleurs expiré depuis plusieurs jours.

Il en résulte qu'une faute contractuelle a été commise par M. [C] de ce chef.

Sur l'introduction d'une requête au nom d'un requérant n'ayant pas la capacité à agir :

Le 26 août 2015, M. [C] a présenté une requête aux fins de contre-expertise, pour le compte de M. [K], alors que ce dernier avait été placé sous tutelle par le juge d'instance par jugement du 23 mars 2015.

Alors que le placement sous tutelle n'est opposable de plein droit aux tiers qu'à l'issue d'un délai de deux mois à compter de sa mention en marge de l'acte de naissance de la personne protégée, l'avocat est par ailleurs le mandataire de son client, de sorte qu'il lui appartient de procéder d'office auprès de ce dernier à la vérification de sa capacité à agir en justice lorsque cette dernière est douteuse.

Pour autant, la cour observe :

- d'une part, l'absence de production d'un acte de naissance sur lequel figurerait la date à laquelle la mention de la tutelle a été inscrite, de sorte qu'il n'est pas établi qu'au 26 août 2015, le délai de deux mois précité était expiré ;

- d'autre part, la préexistence ancienne d'une relation contractuelle entre M. [C] et M. [K], pour le compte duquel cet avocat avait déjà introduit valablement en 2010 une requête devant le tribunal administratif alors qu'aucune mesure de protection n'avait été prononcée au profit de son client. Alors que la demande de contre-expertise formulée en 2015 s'inscrivait dans la même instance, il n'est invoqué aucune aggravation de l'état physique ou psychique de M. [K] depuis les opérations d'expertise clôturée en 2012 qui aurait pu conduire l'avocat à s'interroger sur le maintien de la capacité d'exercice de son client au regard d'une évolution perceptible de ses capacités. Mme [P] n'établit ainsi pas que M. [C] a fautivement ignoré l'existence d'une mesure de tutelle, alors qu'aucun élément ne prouve qu'elle aurait informé cet avocat de l'intervention récente d'un jugement l'ayant désigné en qualité de tutrice de son fils.

Il en résulte qu'aucune faute n'est établie de ce chef. Au surplus, aucune perte de chance n'est valablement invoquée par M. [K] au titre de la faute ainsi alléguée, dès lors que la requête aux fins de contre-expertise n'a pas été invalidée au titre d'un défaut de capacité à agir du client de M. [C].

Sur le préjudice :

Lorsqu'il ne peut être tenu pour certain qu'un dommage ne serait pas advenu ou n'aurait pas présenté la même gravité en l'absence de la faute commise, une réparation ne peut être envisagée que sur le fondement de la perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé.

En l'espèce, il convient de rechercher l'existence d'une perte de chance d'obtenir l'indemnisation par la juridiction administrative des conséquences dommageables de la faute médicale que M. [K] impute au centre hospitalier, qui résulterait :

- du rejet de sa requête en indemnisation des conséquences dommageables de la faute médicale qu'il impute au centre hospitalier et de l'absence corrélative de contre-expertise ordonnée par le juge administratif ;

- de l'absence d'appel à l'encontre de la décision ayant rejeté sa requête.

=$gt; Sur la certitude et l'actualité de la disparition de la probabilité de réalisation de l'évènement favorable en raison du fait générateur de responsabilité : la perte de chance n'est réparable que si la victime ne dispose pas de la faculté de pouvoir à nouveau bénéficier de l'éventualité favorable espérée. En l'espèce, alors que la forclusion s'oppose à la présentation d'une nouvelle requête devant le tribunal administratif et que le délai d'appel pour contester l'ordonnance ayant rejeté sa requête initiale est expiré, M. [K] est définitivement privé par les fautes commises de la faculté de contester le refus par le centre hospitalier d'indemniser les préjudices qu'il impute à la faute du docteur [U].

=$gt; Sur le caractère sérieux de la chance d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices corporels : la perte de chance n'est réparable que si la chance perdue est réelle et sérieuse, même si elle est faible. Le caractère sérieux s'apprécie au regard de la probabilité de succès de l'action engagée.

Il convient dès lors de reconstituer la situation contrefactuelle dans laquelle l'avocat n'aurait pas commis les fautes précédemment retenues, pour déterminer si la chance perdue présente ou non un caractère intégralement hypothétique.

$gt; Sur la perte de chance d'obtenir une contre-expertise :

Le recours à une contre-expertise est justifié s'il est démontré que le rapport établi par l'expert initialement commis présente des lacunes, des erreurs manifestes ou des incohérences, étant précisé que le seul désaccord d'une partie avec ses conclusions ne constitue pas une cause suffisante pour y recourir.

Dans la reconstitution fictive de la situation dans laquelle se serait trouvée la victime en l'absence de commission des fautes imputables à M. [C], il convient de se replacer dans les conditions réellement remplies à l'époque d'une telle faute. Il en résulte que, pour apprécier l'existence d'une perte de chance d'obtenir la désignation d'un nouvel expert, il convient de ne pas prendre en compte les certificats médicaux que produit Mme [P] devant la cour, mais qui sont postérieurs à la requête présentée au juge des référés aux fins d'ordonner une contre-expertise, d'une part, et de se référer exclusivement aux moyens présentés dans le cadre de cette instance, d'autre part.

À cet égard, pour étayer sa demande de contre-expertise et contester le rapport de l'expert [O], M. [C] invoquait exclusivement dans sa requête (pièce 25):

- une erreur de diagnostic commise par cet expert, ayant évincé le diagnostic d'une schizophrénie avec trouble de l'humeur bipolaire en dépit de son adoption par les autres psychiatres ayant suivi M. [K] ; sur ce point, le rapport d'expertise critiqué indique que «'à la lecture du dossier, nous sommes partisans de penser que les éléments dépressifs ne s'intègrent pas dans des éléments thymiques autonomes justifiant de l'appelation de troubles schizo-affectifs. De plus, il est extrêmement fréquent qu'un tableau psychopathologique prenant l'allure d'une dépression soit le mode d'entrée dans une schizophrénie classique, à l'adolescence'».

- une absence de reconnaissance du lien entre la suppression fautive du Risperdal et le raptus anxieux ayant conduit à la tentative de suicide,

- une occultation du caractère fautif de l'absence de prescription d'anti-dépresseurs en dépit d'un diagnostic indiquant une telle thérapie.

A l'appui de cette constestation, cet avocat visait une série d'avis médicaux. Pour autant, Mme [P] ne produit pas devant la cour certaines des consultations médicales visées par la requête adressée au juge des référés, notamment celles émanant des docteurs [T] ou [R], étant précisé que certains compte-rendus sont toutefois visés par le rapport de l'expert [O] (page 16 de son rapport).

Pour l'essentiel, Mme [P] invoquait devant le juge des référés un avis privé émanant du professeur [B] daté du 19 juillet 2012, outre un certificat établi le 3 décembre 2018 par le docteur [E] [S], psychiatre à [Localité 7] et l'avis du docteur [F].

En premier lieu, le document élaboré par le professeur [B] et intitulé «'rapport'd'expertise» rapporte exclusivement les déclarations de M. [K], dès qu'il indique d'une part que le traitement par Leponex «'aurait été refusé par le docteur [U]'» et d'autre part qu'une « demande de nouvelle hospitalisation aurait été refusée par le docteur [U]'». Alors que l'emploi du conditionnel confirme que le professeur [B] n'a pas eu accès au dossier médical, qui comporte pourtant des indications non conformes à de telles déclarations, il indique également que l'expert sollicité ne se prononce pas lui-même sur la réalité de telles déclarations.

En deuxième lieu, ce rapport repose sur un «'examen clinique'» réalisé en juillet 2012, et non sur l'examen du dossier médical de M. [K], de sorte que le diagnostic porté par le professeur [B] d'un «'trouble bipolaire avec caractéristiques psychotiques'» n'est pas contemporain du passage à l'acte suicidaire survenu en décembre 2006.

En troisième lieu, le professeur [B] conclut péremptoirement à l'indication de sels de lithium et à la nécessité d'une hospitalisation dès le 20 décembre 2006, sans connaître le détail de la prise en charge apportée par le docteur [U].

De même, le certificat établi le 3 décembre 2018 par le docteur [E] [S], psychiatre à [Localité 7], indique que ce dernier a pu suggérer à la mère de M. [K] un traitement médicamenteux à base de sels de lithium. A nouveau, aucun élément ne révèle que ce psychiatre a eu accès au dossier médical de M. [K], alors qu'il n'était pas son médecin à l'époque de sa tentative de suicide.

Dans la réponse à un dire présenté par M. [K] et sa mère, l'expert mentionne que le diagnostic d'une schizophrénie dysthymique a été porté en Algérie. Il indique toutefois que le certificat du 21 juin 2000 établi par le docteur [R] n'est corroboré par aucune analyse sur le long terme, alors qu'il souligne qu'un diagnostic de bipolarité «'se fait dans le temps'».

Le certificat du docteur [F] datant du 30 mars 2012 évoque également un trouble de la personnalité associée à une maladie bipolaire et un traitement permanent semblant stabiliser la maladie depuis 2008. Pour autant, ce certificat est également commenté dans la réponse au dire précité, dans laquelle l'expert [O] indique qu'il ne résulte pas d'un tel certificat que le docteur [F] aurait lui-même diagnostiqué des épisodes maniaques et dépressifs.

Dans ces conditions, le dossier médical de M. [K] doit constituer l'élément essentiel auquel il convient de se référer pour apprécier la situation et la pathologie du patient, dès lors que les avis disséminés d'autres praticiens n'émanent pas de psychiatres ayant assuré le suivi médical du malade à l'époque des faits reprochés au docteur [U].

En définitive, l'expert a apporté des réponses complètes et précises aux termes de sa mission, a répondu aux observations de M. [K] et a argumenté sérieusement sur la question du traitement apporté par le docteur [U] dans le cadre de la prise en charge thérapeutique de son patient.

Les éléments produits par Mme [P] au soutien de sa requête ne démontraient ainsi pas les erreurs ou insuffisances du rapport établi par l'expert [O]. Il en résulte qu'elle n'établit pas l'existence d'une perte de chance d'obtenir une contre-expertise, que la faute commise par M. [C] lui aurait causée.

$gt; Sur la perte de chance d'obtenir l'indemnisation par le tribunal administratif des conséquences dommageables de la tentative de suicide :

L'indemnisation d'une telle perte de chance implique que soit démontrée la probabilité, même faible, que la responsabilité du centre hospitalier aurait pu être retenue par le tribunal administratif, dans l'hypothèse où les fautes commises par M. [C] n'étaient pas intervenues pour entraîner successivement le rejet de la requête en indemnisation présentée à cette juridiction, puis la privation du droit de former un appel à l'encontre de cette décision.

La responsabilité médicale n'est, en principe, engagée qu'en cas de faute, sur le fondement de l'article L. 1142-1, I, alinéa 1 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002 et applicable aux faits dont aurait eu à connaître la juridiction administrative, dont la preuve incombe aux demandeurs en réparation, dès lors que les établissements, services ou organismes et les professionnels de santé ne sont soumis qu'à une obligation de moyens et non de résultat, à l'égard de leurs patients.

L'indemnisation de ses préjudices corporels par la juridiction administrative qu'invoque M. [K] supposait par conséquent que soit démontrée devant la juridiction administrative une faute commise par le docteur [U] en violation à une obligation de moyens, au regard de l'état des données acquises de la science antérieurement au 23 décembre 2006, date de la tentative de suicide ayant entraîné les lésions invoquées.

En l'espèce, Mme [P] reproche essentiellement au docteur [U] une erreur de diagnostic et un traitement médical inadapté à la situation du patient.

Si elle estime dans un dire que le dossier médical adressé à l'expert comporte de fausses indications et considère que le docteur [U] a en réalité refusé tant l'hospitalisation du patient que la mise en 'uvre du Leponex (page 23 du rapport d'expertise), Mme [P] ne rapporte toutefois pas la preuve qui lui incombe de telles allégations.

Pour apprécier le comportement professionnel du docteur [U], il convient par conséquent de se référer essentiellement au dossier médical de M. [K], ayant été discuté contradictoirement et soumis à l'expert [O].

- S'agissant d'une faute résultant d'une erreur ou d'un retard de diagnostic :

** D'une part, la question du diagnostic réel reste en l'espèce discutée. Pour l'essentiel, elle porte sur l'existence ou non d'une schizophrénie psycho-affective ou dysthymique, laquelle désigne un trouble mental associant des symptômes d'un trouble bipolaire, caractérisé par plusieurs épisodes dépressifs ou la présence simultanée d'épisodes dépressifs et de manie, et des symptômes d'une schizophrénie (hallucinations et idées délirantes), selon la définition du DSM IV rappelée par l'expert dans son rapport (page 20).

Sur ce point, un nouveau certificat du docteur [F] datant du 12 février 2018, contemporain est notamment produit devant la cour, qui indique que ce psychiatre assure le traitement de M. [K] «'pour une psychose associée à un trouble bipolaire sévère s'exprimant par des accès d'exaltation de l'humeur suivi d'épisodes dépressifs sévères nécessitant un traitement préventif de stabilisation de l'humeur qui semble l'avoir bien équilibré depuis 2007'».

Pour autant, l'expert expose que la fluctuation de la thymie qui s'observe au cours de sa prise en charge par le docteur [U], antérieure aux soins prodigués par le docteur [F], ne suffit pas à établir un tel diagnostic. Il note à cet égard une absence de cycles repérables dans des alternances de phases maniaques et dépressives (page 6 de son rapport). Il souligne que le dossier médical permet de constater que «'les éléments de dépression secondaires ont été recherchés dans les moments de morosité. Mais il y a une morosité pendant une ou deux semaines sans tristesse'». Il réfute par conséquent le diagnostic de schizophréne psychoaffective au visa des constatations cliniques et des observations formulées antérieurement au 23 décembre 2006.

Dans ces conditions, le diagnostic d'une bipolarité affectant M. [K] n'est pas établie avec certitude par Mme [P], alors qu'une telle preuve lui incombe pour prouver la faute de diagnostic qu'elle impute au docteur [U].

** D'autre part et au surplus, même en présence d'une erreur de diagnostic, sa seule existence n'établit pas son caractère fautif.

À cet égard, l'article R. 4127-33 du code de la santé dispose que «'le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés'».

En contrepartie, le patient doit loyalement révéler au praticien toutes les informations utiles, et même collaborer aux choix thérapeutiques en application de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique.

Le médecin ne commet par conséquent une faute qu'en cas de diagnostic établi à la légère en négligeant de s'entourer de tous les renseignements nécessaires ou même simplement utiles et en n'ayant pas eu recours au procédé de contrôle et d'investigation exigé par la science.

Le diagnostic suppose que le médecin s'informe de la pathologie particulière, des antécédents médicaux de son client ou des incidents qui surgissent ; le devoir du médecin de se renseigner avec précision sur l'état de santé du patient afin d'évaluer les risques encourus. La persistance dans l'erreur malgré des signes impliquant une révision du diagnostic constitue une faute.

L'erreur de diagnostic ne saurait en revanche constituer une faute lorsqu'elle s'explique par la complexité des symptômes et la difficulté de leur constatation ou interprétation, dès lors que le médecin a déployé les moyens nécessaires à son établissement. Dans ce contexte, lorsque les symptômes peuvent être confondus avec ceux d'une autre affection ou lorsque la pathologie est évolutive, l'erreur de diagnostic est dépourvue de caractère fautif.

Le médecin, tenu, par l'article R. 4127-5 du code de la santé publique, d'exercer sa profession en toute indépendance ne saurait être lié par le diagnostic établi antérieurement par un confrère, mais doit apprécier, personnellement et sous sa responsabilité, le résultat des examens et investigations pratiqués et, le cas échéant, en faire pratiquer de nouveaux conformément aux données acquises de la science.

S'agissant des soins psychiatriques, l'objectivation de la pathologie n'est pour l'essentiel pas possible, alors que le diagnostic renvoie à une série complexe de symptômes. En outre, ces soins impliquent l'intervention d'un médecin spécialiste, de sorte que la nécessité de recourir à l'avis éclairé d'autres médecins de la même spécialité peut être moins prégnante qu'en cas de soins apportés par un médecin généraliste en cas de doute diagnostique.

En l'espèce, l'expert [O] relève que le docteur [U] a constamment interrogé au fil de la prise en charge thérapeutique de M. [K] «'la discussion diagnostique entre un état dépressif psychotique, une dépression en relation avec la prise de conscience des conséquences de sa maladie, enfin d'éléments de ralentissements en rapport avec le processus psychotique sur un mode déficitaire'».

A l'examen du dossier médical de M. [K], l'expert [O] relève ainsi que :

- le docteur [U] s'est interrogé sur «'la question ['] d'une dépression authentique ou d'un fond thymique sur une schizophrénie associant l'inertie et la souffrance'».

- lors d'une consultation du 23 juin 2005, le docteur [U] mentionne à cet égard que «'les composantes thymiques sont importantes dans le tableau clinique, qu'il est difficile de distinguer nettement ce qui relève de l'évolution pseudo déficitaire de ce qui relève de mouvements dépressifs'».

- le 21 décembre 2006, soit 2 jours avant la tentative de suicide, le docteur [U] relève un épisode de renforcement des troubles psychotiques et la présence d'un état dépressif réactionnel aux troubles psychotiques primaires.

- dans le courrier adressé le 22 décembre 2006 par le docteur [U] à la clinique du [W], il indique que «'le syndrôme dépressif apparaît sous la forme d'une prise de conscience douloureuse des conséquences des troubles psychotiques sur la vie professionnelle'».

Il en résulte que les symptômes présentés par le patient n'étaient pas nets, mais étaient au contraire susceptibles d'interprétations, alors que les troubles de l'humeur font partie des symptômes dissociatifs propres à la schizophrénie.

Outre que l'erreur de diagnostic alléguée n'est pas établie par Mme [P], le comportement du docteur [U] dans la recherche d'un diagnostic n'est ainsi pas fautif, en l'absence de manquement dans son établissement.

Au surplus, indépendemment du diagnostic lui-même, le traitement apporté par M. [U] à son patient répondait à la prise en charge des troubles présentés par M. [K] : sur ce point, l'expert [O] conclut son rapport en indiquant qu'en tout état de cause, «'le Risperdal peut être prescrit, hormis son utilisation dans les schizophrénies et l'aggressivité, dans le «'traitement des épisodes maniaques modérés à sévères associés aux troubles bipolaires'» selon le dictionnaire Vidal Online'». Une telle conclusion d'une indication de ce médicament à la pathologie de M. [K] est d'ailleurs indirectement confirmée par Mme [P] elle-même, qui invoque parallèlement la faute qu'elle impute au docteur [U] au titre de l'interruption de ce traitement par Risperdal et son lien de causalité avec la tentative de suicide du patient.

- s'agissant d'une faute résultant de l'absence de prescription de soins adaptés :

Sur ce point, Mme [P] invoque une faute résultant à la fois du traitement prescrit par le docteur [U] et de la prise en charge du patient au cours des jours ayant précédé sa tentative de suicide face à une recrudecence des symptômes.

A titre liminaire, il convient de souligner que les «'transmissions ciblées'» (pièces 12 et 13), dont Mme [P] invoque le contenu à l'appui de ses prétentions, constituent des compte-rendus de l'équipe médicale de l'hôpital de jour, étant précisé qu'une cible n'est jamais un diagnostic.

Le traitement prescrit dépend d'abord du diagnostic établi : à cet égard, Mme [P] estime qu'à défaut d'avoir diagnostiqué une bipolarité, le docteur [U] n'a pas mis en 'uvre des soins à base de sels de lithium.

Pour autant, concomittament à sa recherche d'un diagnostic, le docteur [U] indique s'être interrogé sur l'utilisation des thymorégulateurs pour traiter la dépression (page 7 du rapport), précisant que M. [K] aurait pris du Tégrétol en France jusqu'en octobre 2000, étant observé que l'amélioration de son état n'en est pas résulté selon l'exposé de son évolution clinique, et qu'il aurait cessé la Dépamide en raison d'anomalies biologiques hépatiques significatives.

D'une façon générale, l'expert [O] relève que le traitement a été à la fois discuté avec le patient et son entourage, et a été réévalué en fonction de l'évolution des symptômes observés, notamment à l'initiative de Mme [P].

Cette dernière justifie avoir notamment consulté un psychiatre dans le Pas de Calais en septembre 2005 qui lui avait conseillé le Risperdal. Dans un certificat du 22 mai 2018, le docteur [G], psychiatre au Centre hospitalier de [Localité 8], confirme qu'en septembre 2005, il a prescrit un traitement de Risperdal qui a permis une amélioration favorable des troubles de M. [K] (pièce 10).

Dès le mois d'octobre 2005, le docteur [U] a prescrit ce traitement à M. [K], manifestant ainsi son intérêt pour l'avis d'un confrère psychiatre et pour la recherche concertée avec la famille d'une thérapeutique adaptée à l'état du patient.

De la même façon, le dossier médical établit que le docteur [U] a proposé un changement thérapeutique, antérieurement à la tentative de suicide, en reprenant la proposition faite par le docteur [J] de recourir au Leponex, mais qu'il s'est heurté au refus de M. [K].

A ce titre, le docteur [U] justifie également s'être entouré d'avis extérieurs (page 7 du rapport) : il évoque ainsi des «'staffs cliniques avec des confrères praticiens hospitaliers et psychologues cliniciens'», dont l'existence est confirmée par M. [K] lui-même, même s'il a interprété ces réunions comme ayant un autre objet (examen de titularisation pour le psychiatre).

Il résulte du propre courrier adressé le 20 mai 2005 par le docteur [J] au docteur [U] qu'il ne propose d'envisager le Leponex qu'en cas d'échec des traitements actuels en cours, précisant que ce recours n'est pas systématique («'souvent'»), alors qu'il précise que les traitements que prescrivait le docteur [U] en première intention était alors «'tout à fait adaptés'» (page 9 expertise).

Plus généralement, le docteur [U] a mis en 'uvre un dispositif associant une hospitalisation de jour avec ses propres consultations au sein du centre médico-psychologique. Le dossier médical atteste qu'il a reçu parfois en urgence M. [K] lors de la dégradation de son état de santé, et qu'il a veillé à apporter une réponse rapide aux troubles de son patient, autorisant un infirmier à le chercher à domicile, puis à le raccompagner dans des périodes où le sentiment de persécution de ce patient le conduisait à redouter pour sa sécurité physique, y compris au sein de l'hôpital de jour.

S'agissant du traitement par Risperdal, Mme [P] fait valoir devant l'expert que le docteur [U] a cessé sa prescription à compter de mars 2006, dans des conditions ayant conduit à l'acte suicidaire de son fils.

Sur ce point, le dossier médical fait toutefois ressortir que :

- la prescription de Risperdal débute en octobre 2005 ;

- une telle prescription est établie le 23 mars 2006 par le docteur [U] (sa pièce 11) ;

- courant mai 2006, le docteur [U] «'ne prescrit pas d'antidépresseur en mai 2006 compte tenu de l'importance d'assumer un traitement antipsychotique et de réduire les effets secondaires par association'» ; il ajoute qu'un «'traitement d'épreuve a été effectué par le passé et n'a montré aucun résultat significatif à l'époque'» ; à cet égard, la recherche d'une thérapie efficace s'inspire notamment des expériences antérieures ;

- lors d'une consultation à l'UAO (unité d'accueil et d'orientation) du centre hospitalier, M. [K] sollicite le 3 juin 2006 une adaptation du traitement par Risperdal à laquelle le docteur [U] répond positivement (page 12 du rapport) ;

- la dégradation de l'état de M. [K] est par ailleurs attestée par les «'transmissions ciblées'» établie par l'équipe de l'hôpital de jour : lors de la consultation du 20 juillet 2006 (page 11), l'équipe médicale observe une recrudescence des troubles depuis plusieurs semaines, lié à la confrontation avec la réalité et avec un questionnement sur ses projets de vie, notamment par confrontation de sa propre absence d'insertion familiale ou professionnelle avec la situation de ses amis rencontrés lors de ce séjour.

Face à une telle situation, le docteur [U] n'est pas resté inactif, mais a modifié la prise en charge, par «'une adaptation de la prise en charge à l'hôpital de jour, de son traitement avec l'arrêt du Risperdal, et mise en route du Nozinan avec surveillances des constantes'».

- l'interruption du Risperdal n'est en réalité intervenue qu'à compter du 17 juillet 2006, le docteur [U] indiquant la nécessité d'une «'fenêtre thérapeutique'» qui durera jusqu'au 21 septembre 2006 (page 7 du rapport) ; elle intervient dans un contexte de rupture des soins avec des absences répétées à l'hôpital de jour au cours du mois de juillet (page 11 du rapport). Les motifs d'une telle interruption sont discutés par le praticien, qui indique qu'il trouvait M. [K] «'sédaté'», alors qu'il existait une association avec le Nozinan et qu'il voulait traiter l'angoisse et le risque de raptus anxieux.

- la difficulté de maintenir M. [K] en hôpital de jour conduit à la réintroduction du Risperdal, en bithérapie avec le Nozinan. L'équipe de l'hôpital de jour note ainsi la remise sous Risperdal 4 mg le 21 septembre 2006 par le docteur [U], après que ce dernier a été avisé que M. [K] quitte la structure de l'hôpital de jour où il est admis en hospitalisation libre, dans laquelle il déclare se sentir en danger (P13) ;

- observation médicale du 9 novembre 2006, qui note une amélioration nette de la morosité. Le docteur [U] «' souhaite revenir à une monothérapie'» (page 12 du rapport), mais M. [K] préfère le maintien d'un bithérapie.

- observation médicale du 16 novembre 2006 : la bithérapie Risperdal / Nozinan est maintenue, à la demande de M. [K], alors qu'une absence d'effets secondaires est notée ;

- observation médicale du 30 novembre 2006 : qui note une dégradation et reprise des troubles constitués par des automatismes mentaux : Le docteur [U] indique : «'je constate le maintien des troubles sous bithérapie Riperdal-Nozinan. Je propose le recours en seconde intention au Leponex, il refuse'» ; face à la résistance au traitement, le docteur [U] envisage ainsi une modification thérapeutique, telle que proposée dans une telle circonstance par son confrère [J] ;

- dans un courrier adressé le 22 décembre 2006 au médecin d'une clinique, figure une prescription de Risperdal.

Au total, le docteur [U] a manifesté la volonté constante de maintenir un équilibre dans les prescriptions et a mesuré le bénéfice du traitement Risperdal en fonction de l'évolution de son patient.

Outre qu'aucune faute n'est ainsi établie au titre de l'interruption de ce traitement, il n'est enfin pas établi que cette dernière a causé le passage à l'acte suicidaire de M. [K] à la fin décembre 2016 : à l'inverse, l'expert [O] souligne qu'«'il faut noter que le Risperdal a été réintroduit bien avant l'acte suicidaire sous l'impulsion de Mme [K] ' en septembre 2016'» (page 21 du rapport).

La prise en charge immédiatement préalable à la tentative de suicide est également exempte de toute faute démontrée à l'encontre du docteur [U].

D'une part, l'absence de prescription d'antidépresseurs est justifiée à ce moment, même si la résistance aux anti-psychotiques est par ailleurs observée : outre qu'ils n'ont une efficacité qu'après un mois de traitement environ, ils présentent également des effets secondaires, parmi lesquels figurent précisément un risque majeur de passage à l'acte suicidiaire, ainsi que l'indique l'expert [O] dans ses conclusions et dans sa réponse au dire présenté par M. [K]. Une telle appréciation valide le choix du docteur [U], lors d'une consultation du 21 décembre 2006, de ne pas mettre en place un antidépresseur «'car une détresse est nette mais il n'y a pas de syndrôme dépressif structuré'».

D'autre part, l'absence d'hospitalisation, y compris sous la contrainte, a résulté d'un échange argumenté entre le docteur [U] et son patient, associant également son entourage familial. Le dossier médical permet ainsi de retenir que :

- à l'occasion d'une consultation du 20 décembre 2006 avec la mère de M. [K], cette dernière «'demande un séjour en clinique privée je suis d'accord pour l'aider dans cette démarche d'orientation même si l'indication ne relève pas j'en fais la demande et en avertirait [Z] demain'».

- le 21 décembre 2006, la dépression est nette, ainsi que la perte de l'élan vital : pour autant, au regard des observations cliniques, «'la dysthymie est en rapport avec les symptômes psychotiques avec la perception très douloureuse du caractère dévalorisant de la psychose, absence de ruptus moteur de troubles des conduites'». Face à de telles observations, le dossier porte la mention que M. [K] «'refuse l'hospitalisation, sa mère refuse l'hospitalisation sous contrainte à [9]. Comme convenu avec la mère, orientation sur la clinique est mise en place (il est d'accord, il refuse d'aller à [9], accepte de se rendre en clinique) courrier fait ;

Si l'expert [O] n'exclut pas que M. [K] ait vécu comme une injonction au suicide le discours du docteur [U] lui proposant une hospitalisation, il souligne que les psychiatres utilisent l'argumentaire propre à convaincre le patient et que «'l'imminence d'un acte suicidaire est un des arguments lorsque le médecin ressent cette imminence'». La demande de contre-expertise indique que cet entretien s'est prolongé pendant deux heures, de sorte qu'il est établi que le psychiatre a réalisé une consultation dont la durée était adaptée à l'état de son patient et à son orientation.

En définitive, alors qu'une orientation vers un établissement alternatif à un hôpital public était en cours et avait fait l'objet d'un courrier daté de la veille (page 17 du rapport), l'expert [O] indique que la tentative de suicide survenue le 23 décembre 2006 s'est inscrite dans le cadre d'un raptus anxieux et délirant, qui ne pouvait être prévisible en tous cas d'une façon aussi violente et immédiate.

L'ensemble de ces constatations et énonciations conduit à retenir qu'en l'absence de toute faute médicale démontrée, la probabilité pour M. [K] d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices corporels par la juridiction administrative était nulle, quel que soit le degré de juridiction.

Il convient par conséquent de le débouter de sa demande indemnitaire à l'encontre des assureurs de M. [C], dont la responsabilité contractuelle n'est ainsi pas engagée, en l'absence de toute perte de chance d'obtenir la condamnation du centre hospitalier à l'indemniser en relation causale avec les fautes qu'il a commises.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit à condamner M. [K], outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à payer aux MMA la somme de 2'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Réforme le jugement rendu le 2 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Arras en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau :

Dit que M. [I] [C] a commis une faute contractuelle à l'encontre de M. [Z] [K] au titre d'un défaut de mise en cause de la responsabilité du centre hospitalier au fond devant le tribunal administratif dans le délai de recours contentieux et au titre d'un défaut d'information et de conseil sur le délai d'appel ;

Dit que M. [I] [C] n'a pas commis de faute contractuelle à l'encontre de M. [Z] [K] au titre de la présentation d'une requête en contre-expertise sans représentation de ce dernier par sa tutrice ;

Dit que les fautes commises par M. [I] [C] n'ont causé aucune perte de chance pour M. [Z] [K] d'obtenir par la juridiction administrative la condamnation du centre hospitalier à l'indemniser des conséquences dommageables de sa tentative de suicide survenue le 23 décembre 2006 ;

Déboute par conséquent M. [Z] [K], représenté par Mme [A] [P], sa tutrice, de l'ensemble de ses demandes indemnitaires à l'encontre de la société MMA Iard et de la société MMA Iard Assurances mutuelles, en leurs qualités d'assureur de responsabilité civile professionnelle de M. [I] [C] ;

Condamne M. [Z] [K], représenté par Mme [A] [P], sa tutrice, aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne M. [Z] [K], représenté par Mme [A] [P], sa tutrice, à payer à la société MMA Iard et de la société MMA Iard Assurances mutuelles la somme globale de 2'500 euros au titre des frais irrépétibles qu'elles ont exposés tant en première instance qu'en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GreffierLe Président

F. DufosséG. Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/03786
Date de la décision : 15/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-15;21.03786 ?
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