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15/09/2022 | FRANCE | N°21/02996

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 15 septembre 2022, 21/02996


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 15/09/2022





****





N° de MINUTE : 22/306

N° RG 21/02996 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TU2L



Jugement (N° 11-20-0480) rendu le 30 mars 2021 par le tribunal de proximité de Lens





APPELANTE



SA SNCF Voyageurs venant aux droits de SNCF Mobilités

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Vincent Domnesque, avo

cat au barreau de Lille constitué aux lieu et place de Me Robert Lepoutre, avocat au barreau de Lille





INTIMÉE



SA ACM IARD

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Marc-Antoine Zimmermann, avocat au ba...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 15/09/2022

****

N° de MINUTE : 22/306

N° RG 21/02996 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TU2L

Jugement (N° 11-20-0480) rendu le 30 mars 2021 par le tribunal de proximité de Lens

APPELANTE

SA SNCF Voyageurs venant aux droits de SNCF Mobilités

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Vincent Domnesque, avocat au barreau de Lille constitué aux lieu et place de Me Robert Lepoutre, avocat au barreau de Lille

INTIMÉE

SA ACM IARD

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Marc-Antoine Zimmermann, avocat au barreau de Lille et Me Elisabeth Fleury-Rebert, avocat au barreau de Strasbourg

DÉBATS à l'audience publique du 11 mai 2022 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 9 mai 2022

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

Le 3 juin 2012, [K] [H], assurée auprès du Cic Assurances, puis par la société Assurances du Crédit mutuel IARD (les ACM), a mis fin à ses jours en se jetant sous un train exploité par l'Epic Sncf mobilités aux droits duquel vient la SA Sncf voyageurs (la Sncf) depuis le 1er janvier 2020.

Estimant avoir subi un préjudice du fait de ce suicide, Sncf Mobilités et Sncf Réseau ont, par acte d'huissier du 24 mai 2017, fait assigner les ACM devant le tribunal d'instance de Lens aux fins de la voir condamner à les indemniser.

Le 16 mai 2018, le tribunal d'instance de Lens a prononcé la radiation de l'affaire.

Le 14 mai 2020, la Sncf a sollicité la remise au rôle de l'affaire devant le tribunal de proximité de Lens.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement du 30 mars 2021, le tribunal de proximité de Lens a :

- pris acte de l'intervention de la SA Sncf voyageurs venant aux droits de l'EPIC Sncf mobilités ;

- débouté les SA Sncf voyageurs et SA Sncf réseau de l'ensemble de leurs demandes ;

- condamné in solidum les SA Sncf voyageurs et SA Sncf réseau à payer aux ACM la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum les SA Sncf voyageurs et SA Sncf réseau aux dépens de l'instance ;

- rappelé que la décision est exécutoire de droit.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 28 mai 2021, la Sncf a interjeté appel de ce jugement uniquement en ce qu'il a débouté les SA Sncf voyageurs et Sncf réseau de leurs demandes et les a condamnées aux dépens et à payer aux ACM la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1 Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 6 mai 2022, la Sncf

demande, au visa des articles 1382 anciens et suivants, 1240 nouveaux et suivants, 1231-7 et du nouvel article 1343-2 du code civil et des articles L. 124-3 et L. 113-1 du code des assurances, d'infirmer le jugement sur ses dispositions relatives à la société Sncf voyageurs et, statuant à nouveau de :

- la recevoir en son appel ;

- dire que les dommages en cause entrent dans le champ de la garantie souscrite et ne sont concernés par aucune exclusion de garantie légale ou conventionnelle des ACM ;

subsidiairement, déclarer nulle et ne pouvant recevoir application la clause d'exclusion de garantie stipulant que sont exclus de toute prise en charge les dommages «'intentionnellement causés ou provoqués directement'» par l'assuré, une telle clause ne pouvant être considérée ni comme formelle ni comme limitée et ne permettant pas à l'assuré de connaître exactement l'étendue de sa garantie ;

- très subsidiairement, déclarer nulle et ne pouvant recevoir application la clause précitée en ce qu'elle vide la police d'assurance de toute substance ;

- débouter par voie de conséquence les ACM de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- condamner en toute hypothèse les ACM à lui payer la somme en principal de 3 290,20 euros avec intérêts au taux légal à dater du 9 novembre 2012, date de la première mise en demeure ;

- ordonner la capitalisation des intérêts échus pour plus d'une année entière dans les termes de l'article 1343-2 nouveau du code civil ;

- condamner les ACM à lui payer la somme de 1 500 euros pour résistance abusive ;

- condamner les ACM à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel ;

- la condamner aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel ;

autoriser, s'il en a fait l'avance sans en avoir reçu provision, Maître Vincent Domnesque, avocat constitué, à recouvrer les dépens d'appel conformément à l'article 699 du code de procédure civile qui comprendront de plein droit la contribution au fonds d'indemnisation de la profession d'avoués près les cours d'appel prévue par l'article 1635 bis P du code général des impôts.

Elle soutient que :

- le tribunal de proximité de Lens a été saisi d'une demande dont le montant total s'élevait à 4 790,20 euros ;

- le taux de ressort applicable à ce litige est de 4 000 euros puisque les dispositions fixant le taux de ressort à 5 000 euros sont entrés en vigueur à compter du 1er janvier 2020, soit postérieurement à l'introduction de l'instance en 2017, et ce malgré la radiation de l'affaire en 2018 et sa réinscription au rôle le 14 mai 2020 ;

- son appel est donc recevable ;

- en mettant fin à ses jours, [K] [H] a causé un préjudice aux sociétés Sncf voyageurs et Sncf réseau, lesquelles ont droit à la réparation intégrale de leurs préjudices ;

- concernant l'exclusion légale de garantie invoquée par les ACM au visa de l'article L. 113-1 alinéa 2 du code des assurances, la Cour de cassation, dans une affaire en tous points identiques, a jugé que ne constituait pas une faute dolosive le fait pour un assuré de mettre fin à ses jours en se jetant sous un train dans la mesure où en agissant ainsi, la volonté de l'assuré était uniquement d'attenter à ses jours et non de causer un dommage à autrui, de sorte que l'aléa n'avait pas été supprimé (arrêt n°19-14-306 du 20 mai 2020) ;

- l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 7 novembre 2019 qu'invoquent les ACM a été frappé d'un pourvoi et la Cour de cassation, par arrêt du 20 janvier 2022 (n°20-13.245), a confirmé l'autonomie de la faute dolosive par rapport à la faute intentionnelle, et a rappelé que la faute dolosive correspond à un acte délibéré de l'assuré, commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, laquelle conscience devant être prouvée par l'assureur se prévalant de la faute dolosive ;

-cet arrêt concerne de plus des circonstances et des garanties identiques à celles de la présente affaire puisqu'il s'agissait déjà d'un recours dirigé contre les ACM pour la même garantie que celle dont bénéficiait [K] [H] ;

- or, en l'espèce, s'il est bien démontré qu'[K] [H] a souhaité mettre fin à ses jours, il n'est nullement démontré qu'elle aurait eu conscience que son geste allait nécessairement causer un dommage ;

- il est primordial de différencier la volonté de l'acte et la volonté du dommage, conséquence de l'acte ;

- s'agissant de l'exclusion contractuelle de garantie, cette garantie pour des faits similaires a déjà fait l'objet d'un arrêt de la Cour de cassation comme expliqué ci-dessus ;

- la Cour de cassation a sanctionné l'arrêt de la cour d'appel de Douai qui a dû interpréter la clause d'exclusion des ACM au motif que cette clause n'était ni formelle ni limitée au sens de l'article L.113-1 du code des assurances ;

- il convient ainsi d'infirmer le jugement de ce chef également, cette exclusion contractuelle ne pouvant s'appliquer ;

- au sujet de la nature des dommages, elle justifie avoir subi des dommages matériels et des dommages immatériels consécutifs aux dommages matériels subis du fait de ce suicide pour un montant total s'élevant à 3 290,20 euros ;

- le contrat des ACM stipule qu'elles prennent en charge «'les conséquences financières de la Responsabilité Civile que vous, ou les autres personnes assurées, pouvez encourir au cours de la vie privée en raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés à autrui et résultant d'un accident'» ;

- ce même contrat définit les dommages matériels comme étant «'La destruction, détérioration d'un bien et/ou l'atteinte à l'intégrité physique des animaux'» ;

- au regard de cette définition, il apparaît qu'elle a bien subi un dommage matériel ;

- en effet, lors du freinage d'urgence, le conducteur doit actionner le frein et émettre l'alerte radio via la perforation d'un coupon numéroté et l'enclenchement d'un bouton poussoir, lesquels doivent nécessairement être remplacés par la suite ;

- il s'agit bien là de la destruction de deux composants ;

- de plus, le corps d'une personne s'étant jetée sous un train ne reste pas intact mais se trouve disloqué sur les voies ferrées et le matériel roulant ce qui cause un dommage matériel puisqu'il est nécessaire de nettoyer les infrastructures ferroviaires et le matériel roulant ;

- des dommages immatériels consécutifs à ces dommages matériels ont également - été subis ;

- les ACM ont fait preuve d'une grande mauvaise foi ce qui justifie leur condamnation pour résistance abusive.

4.2 Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 6 mai 2022, les ACM,

partie intimée, demandent à la cour, au visa des articles 1134 et 1315 dans leur version antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 et les articles L. 112-6 et L. 113-1 du code des assurances, de':

à titre principal,

- dire l'appel recevable mais mal fondé ;

- dire et juger qu'elles sont fondées à opposer l'absence de toute garantie due au vu de :

-l'absence de dommages matériels subis par la Sncf ;

l'absence de prise en charge, aux termes de la police, de dommages immatériels non consécutifs à un dommage matériel garanti ;

- l'exclusion légale des pertes et dommages provenant d'une faute dolosive de l'assuré ;

- l'exclusion, en application de l'article 3 des conditions générales de la police, de toute prise en charge de dommages directement provoqués par un fait volontaire de l'assuré ;

- confirmer en conséquence le jugement de première instance en toutes ses dispositions ;

à titre subsidiaire,

dire et juger qu'elles sont fondées à opposer sa franchise contractuelle de 75 euros ;

- dire et juger qu'elles n'ont commis aucune faute ;

en tout état de cause,

- condamner la Sncf à leur verser une indemnité identique à celle sollicitée pour elle-même en application de l'article 700 du code de procédure civile, soit 3 000 euros ;

- la condamner à supporter les entiers frais et dépens de l'instance.

Elles soutiennent que :

=$gt; il convient d'une part d'appliquer la cause légale d'exclusion tirée de la faute dolosive commise par Mme [H], à cet égard, elles font valoir que :

- la faute dolosive commise par [K] [H] est opposable à la Sncf sur le fondement de l'article L. 113-1 alinéa 2 du code des assurances ;

- la Cour de cassation considère que la faute dolosive consiste à faire disparaître tout aléa de la seule volonté de l'assuré, peu importe que les dommages provoqués aient pu ou non être appréhendés dans leur globalité par l'assuré ;

- dans ses arrêts du 20 mai 2020, la Cour de cassation a essentiellement rappelé le caractère autonome de la faute dolosive par rapport à la faute intentionnelle ;

- le fait d'exiger que soit rapportée la preuve de ce que la victime de son propre suicide ait eu conscience des dommages que son suicide occasionnerait à la Sncf n'est pas concevable et procède d'une vue de l'esprit ;

- la conscience du caractère inévitable des dommages à venir ne peut pas rendre pour autant l'ampleur de ces derniers susceptibles d'être appréhendés ;

- en revanche, il est certain que la transgression volontaire d'une norme de comportement vis-à-vis des tiers ou de leurs biens emporte fatalement conscience d'agir au mépris d'une règle par la simple violation délibérée de la norme de comportement assignée ;

- cette seule conscience suffit à constituer l'infraction dommageable au plan pénal et doit donc suffire à caractériser la faute dolosive commise à l'égard de l'assureur de responsabilité ;

- la suppression de l'aléa est donc bel et bien acquise en cas de transgression dommageable d'une norme de comportement et l'assureur n'a pas à intervenir en garantie ;

- une simple altération des facultés psychiques ne postule jamais une absence de volonté de commettre l'acte en cause, preuve en est la distinction faite en matière pénale entre l'abolition totale des facultés et la simple altération desdites facultés ;

- les affirmations de la fille d'[K] [H] ne sauraient correspondre à un diagnostic psychiatrique probant des affections dont sa mère se serait trouvée atteinte au moment de son passage à l'acte ;

- selon le procès-verbal d'enquête, [K] [H] n'était nullement dépressive et ne supportait simplement pas de vivre diminuée à la suite de son AVC survenu quelques mois plus tôt ;

- le témoignage de sa fille apporte la preuve qu'[K] [H] n'était pas privée de toute conscience ;

- il n'y a aucune raison de considérer qu'elle n'aurait pas réfléchi à son geste ;

=$gt; il convient d'autre part d'appliquer la clause d'exclusion contractuelle, tirée de l'article 3 des conditions générales, qui stipule que «'indépendamment des exclusions particulières prévues au titre de chaque garantie reprises aux articles 17 à 32 ci-après, nous ne prenons jamais en charges les dommages ci-dessous :

Sauf application de l'article L.121-2 du Code, les dommages intentionnellement causés ou provoqués directement, ou avec complicité, par : vous, votre conjoint ou concubin, les colocataires ainsi que les personnes vivant habituellement au foyer,...'» ;

- cette clause d'exclusion spécifique vise les dommages directement provoqués, peu important que les conséquences attachées à ce fait direct et volontaire aient été voulues ou non par son assurée ;

- cette clause d'exclusion contractuelle est précise, formelle et limitée et plusieurs juridictions l'ont déjà validée ;

- si la Cour de cassation a considéré cette clause comme étant «'ambigüe'» et ni formelle ni limitée dans son arrêt du 20 janvier 2022, ce n'était pas l'avis du conseiller rapporteur ;

- elles s'en remettent ainsi à la sagesse de la cour ;

=$gt; la Sncf n'établit enfin pas avoir subi un préjudice matériel au sens de la police ;

- la prise en charge d'un dommage causé par l'assuré est subordonné à la preuve d'un dommage matériel subi ou, lorsque les dommages sont de nature immatérielle, à la preuve d'un dommage immatériel consécutif à un dommage matériel garanti ;

- or, aucun dommage matériel au sens de la police n'a été subi par la Sncf qui invoque en réalité des dommages immatériels ;

- le contrat définit les dommages matériels garantis comme la destruction ou la - détérioration d'un bien et/ou l'atteinte à l'intégrité physique des animaux ;

- le nettoyage invoqué ne peut s'analyser comme étant constitutif d'une détérioration au sens de la police ;

- il n'y a eu aucune atteinte à la structure des voies ou du train ;

- aucune preuve n'est rapportée au sujet de la nécessité de remplacer les deux pièces évoquées par la Sncf en raison du freinage d'urgence, le train ayant pu reprendre son trajet après le transport du corps comme l'ont indiqué les enquêteurs ;

- en réalité les dommages allégués ne constituent que des dommages immatériels non consécutifs à un dommage matériel.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour constate que les ACM ne contestent pas la recevabilité de l'appel.

Sur l'exclusion légale de garantie au titre d'une faute dolosive :

Aux termes de l'article L. 113-1 du code des assurances, «'les pertes et dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

Toutefois, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.'».

Au sens de cet article, la faute intentionnelle et la faute dolosive sont autonomes, chacune justifiant l'exclusion de garantie de l'assureur (dès lors qu'elle fait perdre à l'opération d'assurance son caractère aléatoire).

Il appartient à la partie qui souhaite invoquer l'existence d'une faute dolosive au sens de l'article L. 113-1, alinéa 2 du code des assurances de l'invoquer de manière distincte de la faute intentionnelle à défaut de quoi le juge n'a pas à statuer sur cette demande.

Constitue une faute dolosive excluant la garantie de l'assureur le comportement délibéré de l'assuré, qui a rendu inéluctable la réalisation du dommage et fait disparaître le caractère aléatoire du risque garanti. Elle se distingue de la faute intentionnelle par l'absence de volonté délibérée de créer le dommage tel qu'il est survenu, dès lors qu'elle implique exclusivement la conscience des conséquences dommageables.

Il appartient ainsi aux ACM de démontrer qu'[K] [H] a causé des dommages en mettant fin à ses jours de manière volontaire tout en ayant conscience que ce choix délibéré rendait inéluctable la réalisation des dommages, faisant ainsi disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque assuré.

Sur ce,

Il ressort de l'enquête pénale que :

- le conducteur du train a vu une femme traverser les voies, il a alors actionné son sifflet sonore pour l'aviser de l'approche du train et a déclaré que celle-ci s'est ensuite positionnée sur la voie deux, tête baissée, l'obligeant ainsi à actionner le freinage d'urgence ainsi que l'ensemble des organes de sécurité pour arrêter la circulation ferroviaire mais sans avoir pu empêcher l'impact ;

- le conducteur déclarait ensuite «'Visiblement, sur la locomotive, il n'y a aucune trace et aucune dégradation'» ;

- le soir, Mme [X] [F] appelait la police pour prévenir de la disparition de sa mère, [K] [H], et indiquait que sa mère avait quitté son domicile le matin vers 10 heures, soit quelques minutes seulement avant le suicide, que sa mère avait subi un «'arrêt vasculaire cérébrale il y a quelques mois, et que depuis elle présente des troubles mentaux ponctuellement'» ;

-entendue par la suite, Mme [F] expliquait que sa mère avait été hospitalisée pendant trois semaines après son AVC et qu'elle avait ensuite été en centre de rééducation avant de revenir chez elle ;

- elle déclarait encore notamment que sa mère avait gardé des séquelles, qu'elle avait des pertes de mémoire et n'était plus sûr d'elle, qu'elle se sentait diminuée, avait des problèmes avec sa caisse de retraite et se sentait inutile, ne supportait pas de ne plus pouvoir «'se débrouiller toute seule comme avant'» ;

- la défunte n'a laissé aucun écrit expliquant son geste.

La cour constate ainsi que les seuls éléments factuels rapportés tendent à démontrer une fragilité psychologique d'[K] [H] mais n'apportent aucune information quant à la conscience qu'elle avait des conséquences de son acte.

Dès lors, les éléments produits ne permettant pas de caractériser la conscience que l'assurée avait du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son geste, les ACM échouent à démontrer la faute dolosive de son assurée et ne peuvent ainsi opposer cette exclusion légale de garantie.

Sur l'exclusion conventionnelle de garantie :

Dès lors que l'assureur invoque les dispositions de l'article L. 113-1 du code des assurances, il appartient à la cour de rechercher si les conditions légales de son application sont réunies. À cet égard, il lui incombe de rechercher si la clause invoquée est valable au regard des dispositions légales, et de caractériser par conséquent que cette clause est rédigée de façon très apparente, qu'elle présente un caractère formel et limité et qu'elle ne vide pas la garantie de sa substance.

En l'espèce, l'assureur invoque une exclusion conventionnelle de garantie, tirée de l'article 3 des conditions générales du contrat d'assurance.

Pour être valable, une telle exclusion conventionnelle doit donc être non seulement «formelle» et «limitée», mais encore «être contenue dans la police», aux termes de l'article L. 113-1 du code des assurances, et être rédigée en caractères «très apparents», en application de l'article L. 112-4, dernier alinéa, du même code.

La cour constate tout d'abord que le caractère apparent de la clause n'est pas discutée en l'espèce et juge que le caractère apparent de la clause est effectivement respecté.

=$gt; sur le caractère formel et limité de la clause :

Il résulte de l'article L.'113-1, alinéa'1, du code des assurances que les clauses d'exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu'elles doivent être interprétées et qu'elles ne se réfèrent pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées.

Elles doivent par conséquent se référer à des faits, circonstances ou obligations définis avec précision de telle sorte que l'assuré puisse connaître exactement l'étendue de sa garantie. Des clauses générales, floues ou imprécises lui sont inopposables.

Une clause peut être qualifiée de formelle et limitée lorsqu'elle réunit trois conditions cumulatives :

- d'une part, l'assuré doit avoir une connaissance exacte de l'étendue de la garantie, la clause ne devant pas être interprétée.

L'ambiguïté des termes d'une clause d'exclusion ou celle née du rapprochement de cette clause avec d'autres stipulations du contrat d'assurance a pour conséquence l'invalidité de l'exclusion au sens de l'article L. 113-1, alinéa 1er, du code des assurances ;

- d'autre part, la clause doit être précise : il importe qu'elle se réfère à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées afin de délimiter de façon particulièrement nette le champ dans lequel la garantie n'est pas due ;

- enfin, la clause ne doit pas vider la garantie de sa substance afin de pouvoir être considérée comme «'limitée'», la cour étant tenue de vérifier l'étendue de la garantie subsistant après application de la clause litigieuse.

Il appartient à cet égard à la cour de déterminer in concreto l'incidence de l'exclusion sur la garantie d'assurance et de préciser l'étendue de la garantie subsistant après application de la clause litigieuse.

Lorsqu'il existe une connexité entre plusieurs clauses, la clarté de la police s'apprécie globalement en combinant les clauses ayant le même objet. La combinaison des exclusions doit alors permettre à l'assuré de savoir ce qui est exactement exclu.

En l'espèce, l'article 3 des conditions générales du contrat «'Essentiel habitat'» IM stipule : «'Indépendamment des exclusions particulières prévues au titre de chaque garantie reprises aux articles 17 à 32 ci-après, nous ne prenons jamais en charge les dommages ci-dessous.

Sauf application de l'article L. 121-2 du Code, les dommages intentionnellement causés ou provoqués directement, ou avec complicité, par :

- vous, votre conjoint ou concubin, les colocataires ainsi que les personnes vivant habituellement à votre foyer'».

Toutefois, la cour observe que le contrat ne définit ni ne différencie les dommages causés et les dommages provoqués par l'assuré de cette sorte que cette clause présente une ambigüité du fait de la nécessité de l'interpréter.

Cette même clause du contrat «'Essentiel Habitat'» IM des ACM a déjà fait l'objet d'un arrêt de la Cour de cassation (civ. 2ème, 20 janvier 2022, n° 20-13.245) ayant d'ores et déjà jugée cette clause ambigüe et comme n'étant ni formelle ni limitée.

Par conséquent, les ACM ne sont pas fondés à invoquer la clause d'exclusion de garantie telle que prévue à l'article 3 de la police.

Sur la nature du dommage et l'application de la garantie :

Les ACM font valoir que leur police subordonne la prise en charge d'un dommage causé par leur assuré à la preuve d'un dommage matériel subi ou, lorsque les dommages sont de nature immatérielle, à la preuve d'un dommage immatériel consécutif à un dommage matériel garanti. Or, elles soutiennent que les dommages subis par la Sncf ne correspondent à aucun de ces types de dommages.

Sur ce,

L'article 31.2 du contrat stipule : «'Nous prenons en charge les conséquences financières de la Responsabilité Civile que vous, ou les autres personnes assurées, pouvez encourir au cours de la vie privée en raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés à autrui et résultant d'un accident'».

L'article 31.13 de la police stipule en revanche que «'Outre les exclusions générales reprises à l'article 3, nous ne prenons pas en charge (') Les dommages immatériels non consécutifs à un dommage corporel ou matériel garanti ou non'».

Si une exclusion est bien prévue pour les dommages immatériels non consécutifs à un dommage matériel, la Sncf fait toutefois valoir qu'elle a subi des dommages matériels et des dommages immatériels consécutifs à un dommage matériel.

Elle fait valoir que les dommages matériels subis entrent bien dans le champ de la définition des dommages matériels telle que figurant dans la police.

La cour constate que le contrat prévoit les définitions suivantes :

«'Dommages matériels

La destruction, détérioration d'un bien et/ou l'atteinte à l'intégrité physique des animaux.

Dommages immatériels

Tous dommages autres que corporels ou matériels, consistant en frais et pertes pécuniaires de toute nature et qui sont la conséquence directe des dommages corporels ou matériels garantis'».

La cour constate que la police ne définit pas les termes «'destruction'» et «'détérioration'».

La Sncf expose valablement que son préjudice matériel est constitué par la destruction et la nécessité de remplacer le coupon numéroté et le bouton poussoir à la suite du déclenchement du freinage d'urgence et de l'alerte radio ainsi que par le nettoyage des voies ferrées et du matériel roulant, le corps de la victime n'étant pas resté intact.

Il résulte en effet des pièces produites que le freinage d'urgence a bien été activé et la Sncf justifie du processus de remise en état de l'alerte radio après utilisation de celle-ci.

Il est également justifié de la nécessité de procéder au nettoyage des voies ferrées et du matériel roulant.

Or, le nettoyage entre bien dans la définition contractuelle du dommage matériel, la présence de restes humains sur la voie ferrée et le matériel roulant s'analysant comme une détérioration.

Il s'ensuit que la Sncf a effectivement subi un dommage matériel du fait du suicide d'[K] [H].

Concernant le dommage immatériel, la Sncf justifie de l'arrêt de la circulation de ses trains le temps de l'intervention des autorités puis de la remise en état de la voie. Les perturbations ferroviaires ont provoqué le dommage immatériel subi par la Sncf, lequel est constitué par le coût engendré par les retards de ses trains, les inspections rendues nécessaires par le choc contre le train et les substitutions routières mises en place ainsi que le coût des services à la cliente.

Le montant du préjudice de la Sncf n'est pas discuté par les ACM.

Dès lors, la Sncf justifiant avoir subi des dommages matériels du fait du suicide et des dommages immatériels consécutifs aux dommages matériels subis, il convient d'infirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté la Sncf voyageurs de ses demandes.

Les dommages de la Sncf s'élevant à la somme de 3 290,20 euros, les ACM seront condamnés à payer à la Sncf voyageurs la somme de 3 215,20 euros après déduction de la franchise de 75 euros prévues au contrat. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2012, date de la première mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception.

Sur la capitalisation annuelle des intérêts :

La capitalisation annuelle des intérêts étant de droit lorsqu'elle est judiciairement sollicitée, il y a lieu de l'ordonner en application de l'article 1343-2 du code civil.

Sur la demande au titre de la résistance abusive :

En application de l'article 1240 du code civil dans sa rédaction postérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équipollente au dol, de faute, même non grossière ou dolosive, ou encore de légèreté blâmable, dès lors qu'un préjudice en résulte.

L'assureur ne commet pas de faute lorsqu'il conteste sa garantie en opposant des moyens sérieux, même si ses prétentions sont rejetées.

En l'espèce, la cour constate que la Sncf soutient que l'argumentation des ACM démontre leur mauvaise foi.

Pour autant, ils ne rapportent pas la preuve du caractère dolosif ou malveillant de l'absence de présentation par les ACM d'une offre d'indemnisation ni la preuve que la résistance alléguée des ACM lui a causé un préjudice distinct du simple retard de présentation de l'offre obligatoire.

En conséquence, la Sncf sera déboutée de sa demande de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux

dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner les ACM, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à payer à la Sncf la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.

En application de l'article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera Maître [N] [I] à recouvrer directement contre les ACM les dépens d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement rendu le 30 mars 2021 par le tribunal de proximité de Lens,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Assurances du Crédit mutuel IARD à payer la somme de 3 215,20 euros à la société Sncf voyageurs venant aux droits de la société Sncf mobilités,

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2012,

Ordonne la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière, dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil,

Condamne la société Assurances du Crédit mutuel IARD aux dépens de première instance et d'appel,

Autorise Maître [N] [I] à recouvrer directement contre la société Assurances du Crédit mutuel IARD les dépens d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision,

Condamne la société Assurances du Crédit mutuel IARD à payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.

La GreffièreLe Président

Harmony PoyteauGuillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/02996
Date de la décision : 15/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-15;21.02996 ?
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