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08/09/2022 | FRANCE | N°22/01393

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 08 septembre 2022, 22/01393


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 08/09/2022



JOUR FIXE



****



N° de MINUTE : 22/289

N° RG 22/01393 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UFVV



Ordonnance (N° 21/00429) rendue le 08 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Saint Omer







APPELANTE



SAS Assurances Pilliot prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adre

sse 5]

[Localité 3]



Représentée par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai et Me Jean-Sébastien Deloziere, avocat au barreau de Saint-Omer substitué par Me Stéphane Michel, avocat au barr...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 08/09/2022

JOUR FIXE

****

N° de MINUTE : 22/289

N° RG 22/01393 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UFVV

Ordonnance (N° 21/00429) rendue le 08 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Saint Omer

APPELANTE

SAS Assurances Pilliot prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai et Me Jean-Sébastien Deloziere, avocat au barreau de Saint-Omer substitué par Me Stéphane Michel, avocat au barreau de Saint-Omer,

INTIMÉE

Etablissement Public Ehpad [4] etablissement d'hébergement pour personnes agées dépendantes, pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés es-qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me François Dooghe, avocat au barreau de Saint-Omer, et Me Frédéric Longeagne, avocat au barreau de Limoges

DÉBATS à l'audience publique du 19 mai 2022 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 08 septembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSE DU LITIGE :

L'Ehpad [4] (l'Ehpad) a conclu un contrat d'assurance couvrant les risques statutaires de son personnel auprès de la société irlandaise CBL Insurance Europe Dac (la société CBL).

La société Assurances Pilliot a procédé à la résiliation unilatérale du contrat avec effet au 1er janvier 2019, sur instruction de l'administrateur provisoire de la société CBL.

La liquidation judiciaire de la société CBL a été prononcée selon une ordonnance rendue le 20 février 2020 par la Haute cour d'Irlande.

L'Ehpad a déclaré sa créance au passif de cette liquidation judiciaire.

Les titres exécutoires émis par l'Ehpad à l'encontre de la société Assurances Pilliot au titre de la garantie de sinistres subis par son personnel ont été contestés par cette dernière devant le tribunal administratif de Limoges, avant d'être annulés par leur émetteur dans des conditions ayant conduit au désistement de l'instance pendante devant la juridiction administrative.

L'Ehpad a assigné devant le tribunal judiciaire de Saint-Omer la société Assurances Pilliot en responsabilité, au titre d'un manquement à son obligation de conseil et d'information.

Par ordonnance rendue le 8 mars 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Omer a :

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Assurances Pilliot ;

- dit que le tribunal judiciaire de Saint-Omer est compétent pour connaître du litige ;

- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- renvoyé l'affaire à la mise en état ;

- réservé les dépens.

Selon déclaration du 22 mars 2022, la société Pilliot Assurance a formé appel de l'intégralité du dispositif de cette ordonnance. Par ordonnance du 24 mars 2022, elle a été autorisée à assigner à jour fixe l'Ehpad devant la cour d'appel. L'assignation a été délivrée par acte du 31 mars 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 3 mai 2022, la société Assurances Pilliot demande à la cour de recevoir son appel, d'infirmer l'ordonnance critiquée en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de :

- écarter les conclusions de l'Ehpad ;

- en tout état de cause, déclarer le tribunal judiciaire de Saint-Omer incompétent pour connaître du litige au profit du tribunal administratif de Limoges ;

- débouter l'Ehpad de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner l'Ehpad à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, dont distraction au profit de Me Laurent.

A l'appui de ses prétentions, la société Assurances Pilliot fait valoir que :

- la juridiction administrative est exclusivement compétente pour connaître des contrats d'assurance passés en exécution du code des marchés publics.

- ses relations avec l'Ehpad reposent exclusivement sur le contrat d'assurances couvrant les risques statutaires, alors qu'a été constitué un groupement «'conjoint non solidaire'» entre la société CBL et elle-même. Contrairement à la sous-traitance, les membres d'un groupement sont en relation contractuelle avec l'acheteur public et peuvent être, selon les cas, responsables vis-à-vis de ce dernier. En l'espèce, le formulaire DC1 la désigne, au sein du groupement, comme étant chargée de l'exécution des prestations de gestion de la police et des sinistres. Au regard d'une telle qualité de membre d'un groupement et de mandataire de ce groupement, la cour d'appel de Douai a déjà jugé que la recherche par le département de l'Allier de sa responsabilité au titre d'un devoir de conseil au stade de l'appel d'offres, relevait de la compétence du tribunal administratif, et non du tribunal judiciaire de Saint-Omer. Dans d'autres instances, les tribunaux administratifs ont admis leur compétence pour statuer sur des manquements invoqués au devoir de conseil.

- les conclusions de l'Ehpad doivent être écartées devant la cour, au titre de l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui, dès lors qu'il admettait la compétence administrative devant le juge de la mise en état et qu'au delà d'un changement des moyens invoqués, il ne peut par conséquent modifier ses prétentions dans le cadre de la même instance.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 4 mai 2022, l'Ehpad demande à la cour de :

- débouter la société Assurances Pilliot de sa demande tendant à voir écarter des débats ses écritures ;

- débouter la société Assurances Pilliot de son appel et confirmer l'ordonnance critiquée ;

- condamner la société Assurances Pilliot à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens, dont distraction au profit de Me Dooghe.

A l'appui de ses prétentions, il fait valoir que :

- le litige porte sur l'activité d'intermédiaire d'assurance de la société Assurances Pilliot dans le cadre du mandat de courtage qui lui a été confié, et non en qualité de gestionnaire du contrat et au titre de la mise en 'uvre du contrat d'assurance passé selon les règles applicables au marché public. Aucun contrat de courtage ne le lie par ailleurs avec la société Assurances Pilliot.

- les obligations pesant respectivement sur la société CBL et sur la société Assurances Pilliot, telles qu'elles résultent du document DC1, procèdent d'une cause et d'un objet distincts.

- il n'a prétendu en première instance que s'en remettre à droit sur la question de la compétence, de sorte que ses prétentions devant la cour ne sont pas incompatible avec un tel positionnement devant le juge de la mise en état.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui :

La fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.

La contradiction doit d'une part intervenir au cours d'une même instance judiciaire et doit d'autre part porter sur les prétentions de son auteur, et non sur les moyens qu'il a antérieurement développés au cours de cette même instance.

En l'espèce, l'Ehpad a fait valoir, au titre de ses prétentions devant le juge de la mise en état, qu'il s'en «'remet à droit quant à l'incident élevé par la société Assurances Pilliot'».

Lorsqu'une partie s'en rapporte ainsi à justice au cours d'une instance, elle élève une véritable contestation.

Si l'Ehpad a par ailleurs indiqué devant le juge de la mise en état que la société Assurances Pilliot est adjudicataire du marché public qu'il a lancé, une telle affirmation ne constitue toutefois pas une prétention formulée devant le premier juge.

Dans ces conditions, la circonstance que l'Ehpad sollicite la confirmation de l'ordonnance critiquée en prétendant que le tribunal administratif n'est pas compétent pour statuer sur le litige, ne s'analyse pas comme une contradiction susceptible de tromper la société Assurances Pilliot dans le cadre d'une modification de ses prétentions au cours de la même instance.

Les demandes de l'Ehpad sont par conséquent recevables.

Sur l'exception d'incompétence :

D'une part, il résulte de l'assignation délivrée le 7 mai 2021 par l'Ehpad à la société Assurances Pilliot que l'action engagée au fond devant le tribunal judiciaire de Saint-Omer vise à juger que cette dernière a «'manqué à ses obligations de conseil et d'information'» au titre de l'exécution d'un contrat, en qualité d'intermédiaire en assurance et au visa de l'article L. 511-1 du code des assurances. Plus spécifiquement, la qualité de courtier est invoquée pour justifier une telle action en responsabilité à l'encontre de la société Assurances Pilliot. Pour autant, alors que le courtier est en principe le mandataire du candidat à l'assurance, la recherche d'un contrat d'assurance par l'Ehpad ne relève pas en l'espèce d'un contrat de droit privé, mais d'une consultation organisée par cette personne publique en qualité d'autorité adjudicatrice.

D'autre part, dans la limite des prétentions et moyens échangés au visa des seules pièces produites, il apparaît qu'en réponse à la consultation lancée par l'Ehpad préalablement à la signature du contrat administratif d'assurance couvrant les risques statutaire de son personnel, un acte d'engagement a été conjointement régularisé par la société CBL et par la société Assurances Pilliot, dans lequel cette dernière est présentée comme «'intermédiaire'» en qualité de «'courtier mandataire'» dans l'offre qu'elle a établie pour formaliser sa candidature à ce marché public.

Pour autant, en l'absence d'autres éléments soumis à la cour qui établirait l'existence d'un autre type de relation contractuelle, une telle qualité de «'mandataire'» renvoie à la désignation de la société Assurances Pilliot comme mandataire du groupement conjoint non solidaire qu'elle a constitué avec la société CBL pour candidater à ce marché public, alors qu'au titre des prestations respectivement dévolues à chaque membre de ce groupement, figurent à la charge de la société Assurances Pilliot «'les prestations de gestion de la police et des sinistres'».

Alors que le contrat d'assurance litigieux a été conclu à effet du 1er janvier 2017 selon la procédure adaptée des marchés publics, les dispositions de l'article 2 de la loi MURCEF du 11 Décembre 2001 prévoyant qu'un tel marché a le caractère de contrat administratif y sont applicables.

L'ordonnance critiquée est par conséquent infirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence invoquée par la société Assurances Pilliot, alors que le juge judiciaire n'est pas compétent pour statuer sur un tel contrat administratif.

En application de l'article 81 alinéa 1 du code de procédure civile, il n'appartient pas en revanche à la cour de désigner la juridiction administrative comme compétente, mais seulement de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le présent arrêt mettant fin à l'instance et dessaisissant la juridiction, il convient de statuer sur les dépens.

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner l'Ehpad, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à payer à la société Assurances Pilliot la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.

En application de l'article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera Me Marie-Hélène Laurent à recouvrer directement contre la personne condamnée les dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la Sasu Assurances Pilliot et tirée de l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui ;

Infirme l'ordonnance rendue le 8 mars 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Omer dans toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

Dit que le tribunal judiciaire de Saint-Omer est incompétent pour statuer sur les demandes formulées dans la présente instance par l'Ehpad [4] à l'encontre de la Sasu Assurances Pilliot ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;

Condamne l'Ehpad [4] aux dépens de première instance et d'appel ;

Autorise Me Marie-Hélène Laurent à recouvrer directement contre l'Ehpad [4] les dépens de première instance et d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision';

Condamne l'Ehpad [4] à payer à la Sasu Assurances Pilliot la somme de 3'000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance et en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER

Fabienne DUFOSSÉ

LE PRESIDENT

Guillaume SALOMON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 22/01393
Date de la décision : 08/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-08;22.01393 ?
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