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08/09/2022 | FRANCE | N°21/03416

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 08 septembre 2022, 21/03416


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 08/09/2022





****



N° de MINUTE :22/290

N° RG 21/03416 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWNX



Jugement (N° 19/04450) rendu le 18 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Bethune





APPELANTE



Madame [U], [P], [V] [R] veuve [T]

née le 14 janvier 1952 à [Localité 3]

de nationalité française

[Adresse 1]

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Représentée par Me Didier Darras, avocat au barreau de Bethune



INTIMÉE



SA Groupama Gan Vie prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par M...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 08/09/2022

****

N° de MINUTE :22/290

N° RG 21/03416 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWNX

Jugement (N° 19/04450) rendu le 18 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Bethune

APPELANTE

Madame [U], [P], [V] [R] veuve [T]

née le 14 janvier 1952 à [Localité 3]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Didier Darras, avocat au barreau de Bethune

INTIMÉE

SA Groupama Gan Vie prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me François Hermary, avocat au barreau de Bethune et Me Laurence Maillard, avocat au barreau de Paris

DÉBATS à l'audience publique du 04 mai 2022 tenue par Djamela Cherfi magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Djamela Cherfi, conseiller désigné par ordonnance du premier président en date du 4 mai 2022

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 0septembre 2022, après prorogation du délibéré en date du 7 juillet 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 4 avril 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

[O] [T] a adhéré à deux contrats d'assurance décès souscrits par la Société Générale, ayant comme courtier la société Gras Savoye, auprès de la société Gan Assurances vie (aux droits de laquelle vient aujourd'hui la SA Groupama Gan vie) :

- un contrat en date du 18 mai 1981 en couverture d'un capital garanti d'un montant de 40 000 francs,

- un contrat en date du 31 mars 1987 en couverture d'un capital garanti d'un montant de 2 000 000 francs.

La clause bénéficiaire de ces contrats désignaient en premier rang la Société générale en cas de sommes dues au jour du sinistre (décès ou invalidité absolue et définitive de l'assuré) à la banque ou à l'une de ses filiales, et ce, dans la limite du capital garanti pour chacun des contrats. Le reliquat devait revenir en cas de décès à sa conjointe, Mme [U] [T]-[R] (Mme [T]), selon la désignation faite par l'adhérent.

[O] [T] est décédé accidentellement le 3 janvier 2016.

Le 2 novembre 2016, l'assureur a adressé deux chèques d'un montant respectif de

6 097,96 euros en paiement des prestations relatives au contrat d'un montant initial de 40 000 francs et d'un montant de 304 898,83 euros en paiement des prestations relatives au contrat d'un montant initial de 2 000 000 francs, soit la somme totale de 310 995,99 euros.

Contestant ce montant au motif que les sommes auraient dû être converties en euros au jour du décès selon la table de l'INSEE de l'érosion monétaire pour obtenir un montant de 511 919,03 euros, Mme [T] a assigné la société Groupama Gan vie (Groupama) en paiement devant le tribunal judiciaire de Béthune par acte du 7 novembre 2020.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 18 mai 2021, le tribunal judiciaire de Béthune a :

- débouté Mme [T] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné Mme [T] à payer à Groupama 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné Mme [T] aux dépens de l'instance ;

- dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 24 juin 2021, Mme [T] a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 janvier 2022, Mme [T] demande à la cour de réformer le jugement critiqué et de :

=$gt; à titre principal,

- condamner Groupama à lui payer les sommes de 193 545,77 euros et 9 503,04 euros au titre de la conversion en euros au jour du décès des capitaux décès garantis en francs des contrats d'assurance-vie souscrits par M. [T] ;

- juger que les sommes porteront intérets au taux légal à compter du 26 décembre 2016 capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

- débouter la société Groupama Gan vie de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Groupama à lui payer 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Groupama aux entiers dépens de l'instance.

=$gt; à titre subsidiaire :

- condamner Groupama à lui payer les sommes de 193 545,77 euros et 9 503,04 euros au titre de dommages-intérêts afin de réparer le préjudice subi du fait de la non-information du souscripteur sur les risques de pertes partielles ou totales de la valeur du capital garanti dans le temps et pour défaut de conseil à la soucription et durant toute la durée du contrat ;

- juger que les sommes porteront intérets au taux légal à compter du 26 décembre 2016 capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

- débouter la société Groupama de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Groupama à lui payer 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Groupama aux entiers dépens de l'instance.

A l'appui de ses prétentions, Mme [T] fait valoir que :

- l'assureur a manqué à son engagement de garantir toutes les dettes futures existantes au jour du décès, ce qui entraîne l'obligation de maintenir la valeur du capital garanti dans le temps. La question n'est pas de savoir si une revalorisation est prévue contractuellement. Le premier juge n'a ainsi pas «'répondu à la question de la conversion en euros au jour du décès du capital souscrit en franc, ni à la question de l'élement temporel dans la cause et l'objet du contrat'» (sic). «'L'absence d'une clause d'exclusion du maintien de la valeur dans le temps'» suffit à justifier la revalorisation du capital par conversion de son montant initial exprimé en francs en euros selon sa valeur au jour du décès. L'article L. 132-5 du code des assurances prévoit que le contrat d'assurance sur la vie et de capitalisation doivent comporter des clauses tendant à définir l'objet du contrat et les obligations de chaque partie. Dans la rédaction du contrat, Groupama «'n'a [pas] émis de restrictions au titre du maintien de la valeur du capital garantie dans le temps'», alors que ce capital se déprécie avec le temps. La prise en compte de l'érosion monétaire n'a ainsi pas été exclue expréssement des conditions générales du contrat.

Les contrats litigieux ne comportent aucune méthodologie de conversion du capital garanti en cas de changement de monnaie et ne prévoit pas la date de référence à prendre en compte, de sorte que l'assureur a arbitrairement adopté la date du 1er janvier 2000 (sic) correspondant à l'introduction de l'euro, sans prendre en compte la date du décès ou l'évolution de la valeur du capital garanti au regard de l'inflation. Le seul outil fiable est pourtant constitué par le convertisseur francs/euros établi par l'Insee.

- la société Gan prévoyance, qui commercialise les contrats d'assurance-décès conçus par la société Groupama Gan vie, diffuse une publicité insistant sur le maintien du train de vie des bénéficiaires de ces contrats, alors que l'emploi du terme «'prévoyance'» dans les documents adressés par l'assureur renforce l'idée d'une telle garantie de la valeur du capital pour permettre de conserver un niveau de vie similaire en cas de décès du conjoint. Le contrat a été précisément souscrit pour permettre à Mme [T] le rachat d'une pharmacie pour reprendre une activité professionnelle en cas de veuvage. Si la référence à une publicité contemporaine est certes anachronique, elle a toutefois vocation à illustrer l'esprit de ce type de contrat.

- «'la Société générale s'est assurée pour toutes les dettes futures que son client ['] pourrait encore avoir au jour de son décès vraisemblablement plus de 30 ans après la souscription'». «'L'élément temporel est clairement introduit au sein des contrats au regard de la durée de ces derniers (41 et 35 ans) et des sommes qui sont assurées : des dettes futures pouvant naître jusqu'en 2022'». «'Sauf à vider les contrats d'assurance souscrits de leur cause, de leur objet et de leur substance, le montant du capital garanti doit pouvoir assurer des dettes futures nées jusqu'en 2022 ce qui oblige le capital garanti à toujours être en adéquation avec la valeur de la monnaie et du coût de la vie au jour de la naissance de la dette'».

- Groupama est tenue à une obligation précontractuelle d'information, outre l'obligation légale d'information résultant de l'article L. 132-5-1 ancien du code des assurances. A ce titre, elle doit informer son client des risques de perte, et ne pas se limiter à promouvoir les caractéristiques favorables de son produit. Cette information ne peut être générale et non circonstanciée. Le préjudice subi s'analyse comme la perte de chance de ne pas avoir pu souscrire un contrat mieux adapté à sa situation patrimoniale ou à ses attentes. À cet égard, si M. [T] avait été informé de l'absence de prise en compte de l'érosion monétaire, il n'aurait pas conclu le contrat. Il n'a jamais été informé sur un tel risque de perte partielle ou totale de la valeur du capital garanti si son décès intervenait à une période de forte érosion monétaire. Pendant le contrat, aucune information complémentaire ne lui a été adressée, alors que le passage du franc à l'euro a été long et progressif.

- Groupama est tenue à une obligation de conseil et de mise en garde. A ce titre, il appartient à l'assureur de se renseigner sur les risques et de permettre la conclusion d'un contrat correspondant aux attentes du client. À cet égard, M. [T] n'a jamais été mise en garde sur un risque de réduction ou de disparition de la valeur de son capital.

L'assureur n'a pas procédé au reliellé du capital lors de la phase transitoire de passage à l'euro, alors qu'une telle circonstance aurait permis à M. [T] de mieux apprécier l'évolution du capital garanti. L'assureur aurait dû, en application de l'article 3 du règlement CE 1103/97 du conseil du 17 juin 1997, modifier le contrat et le libeller en euro, et en informer M. [T].

- la perte de chance n'est pas applicable et la réparation intégrale du préjudice doit intervenir, dès lors qu'il est certain que M. [T] n'aurait pas poursuivi le contrat sans le renégocier s'il avait été valablement informé et conseillé.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 3 février 2022, Groupama demande à la cour de confirmer le jugement critiqué, et à titre subsidiaire, de :

- ramener à plus justes proportions les dommages-intérêts sollicités ;

- débouter Mme [T] de sa demande de capitalisation des intérêts ;

en tout état de cause : condamner Mme [T] à lui payer 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

A l'appui de ses prétentions, Groupama fait valoir que :

=$gt; s'agissant de l'obligation de prise en compte de l'érosion monétaire à la date du décès :

- en application de l'article 1134 du code civil, la force obligation du contrat s'inscrit dans les limites des prévisions qu'il comporte. À cet égard, le contrat prévoit la garantie de l'assureur «'à concurrence du capital garanti'», qui constitue ainsi la limite de son engagement. L'assureur n'a pas vocation à garantir au-delà de ce capital garanti.

- elle a appliqué strictement les taux de conversion fixé par le Règlement n°974/98 du Conseil de l'Union européenne du 3 mai 1998, les taux des monnaies nationales et l'euro ayant été «'irrévocablement fixés'».

- les contrats litigieux ne comportent aucune clause prévoyant le recours au convertisseur Insee -pouvoir d'achat de l'euro et du franc. Aucun texte ne prévoit une telle obligation. L'érosion monétaire liée à l'inflation n'est pas prévue par le contrat, alors qu'une telle érosion s'applique en outre qu'il y ait ou non changement de monnaie en cours d'exécution. Le passage à l'euro n'autorise pas à introduire une clause d'indexation dans le contrat.

- la publicité invoquée par Mme [T] émane d'une entité distincte, concerne un contrat de prévoyance complémentaire, et non un contrat d'assurance-décès, et date de 2016. Elle n'évoque pas une quelconque revalorisation des garanties en fonction de l'inflation. Elle n'a en tout état cause aucune valeur contractuelle.

- la référence à une prise en compte du temps dans les contrats d'assurance-décès est obscure. La notion de dettes à venir de M. [T] à l'égard de la Société générale ne contredit pas le capital tel qu'il était prévu lors de sa signature.

- le reproche de ne pas avoir prévu d'exclusion expresse dans les contrats d'assurance-décès sur l'absence de revalorisation du capital-décès selon l'évolution du pouvoir d'achat des ménages en raison de l'inflation est infondé, dès lors qu'un tel élément ne constitue pas un événement ou un dommage dont le défaut de prise en charge devrait être précisé.

- la principale jurisprudence de cour d'appel citée par Mme [T] a fait l'objet d'un pourvoi ayant donné lieu à cassation sur le point qu'elle invoque précisément.

=$gt; s'agissant de l'obligation d'information et de conseil :

- le reproche de ne pas avoir informé d'un risque de perte de la valeur du capital garanti n'a pas de sens, puisqu'il s'agit d'un contrat d'assurance-décès dont l'objet n'est pas de permettre un placement, mais de couvrir les encours détenus par la Société générale et les montants prévus au contrat correspondaient aux besoins des opérations réalisées avec la société générale.

- le passage à l'euro n'a que faiblement impacté l'inflation, qui a été modérée, contrairement à la période antérieure.

- l'inflation est une donnée économique qui ne justifie pas une information particulière par l'assureur.

- en matière d'assurance de groupe, l'obligation d'information et de mise en garde pèse sur le souscripteur, c'est-à-dire la Société générale.

- seule une perte de chance pourrait être indemnisée.

Le 1er août 2022, la cour a invité les parties, en application de l'article 442 du code de procédure civile, à adresser par RPVA leurs observations dans une note en délibéré, à transmettre avant le 19 août 2022, concernant :

- l'applicabilité à l'espèce de l'article L. 140-6, alinéa 2, du code des assurances ;

- la question d'une perte de chance de ne pas conclure les contrats litigieux ou de ne pas les avoir renégocié pour y intégrer une clause intégrant l'érosion monétaire. Dans une telle hypothèse, il appartiendrait à la cour de reconstituer fictivement la situation qui serait survenue en l'absence de faute commise. S'agissant de l'indemnisation d'un tel préjudice, dès lors que la dette apparue dans le patrimoine du demandeur en réparation s'accompagne d'un avantage qui la contrebalance et qui est la conséquence de la faute alléguée, ces créances connexes et réciproques doivent se compenser pour estimer le préjudice réellement subi par la victime. Dans ces conditions, la cour invite la société Groupama Gan Vie à préciser pour chaque contrat litigieux quel aurait été le montant de la cotisation dont M. [T] aurait du s'acquitter dans la situation contrefactuelle où une clause de réévaluation aurait été incluse dans les deux contrats litigieux pour tenir compte de l'inflation affectant la valeur du capital garanti au jour d'adhésion aux contrats et permettre par conséquent sa réévaluation lors de la réalisation du risque de décès.

Dans une note adressée le 18 août 2022, Groupama fait valoir que :

- la présomption de mandat prévue par l'article L. 140-6 du code des assurances ne s'applique pas en l'espèce ;

- les contrats litigieux ne sont pas des assurances-vie et ne constituent pas des placements ; aucun contrat d'assurance ne prévoit la clause de revalorisation en fonction de l'érosion monétaire, de sorte que M. [T] n'aurait pu obtenir un tel contrat ; en l'absence de commercialisation d'un contrat incluant une telle revalorisation, le montant de la cotisation applicable n'est pas déterminé.

Mme [T] n'a adressé aucune note à la cour dans le délai fixé.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur l'exécution forcée des contrats :

Sur l'absence de prise en compte de l'érosion monétaire :

L'article L. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction issue de la loi n°81-5 du 7 janvier 1981 applicable à chacun des contrats litigieux auxquels a adhéré [O] [T] en mai 1981 et en mars 1987, dispose que : «'en matière d'assurance sur la vie et d'assurance contre les accidents atteignant les personnes, les sommes assurées sont fixées par le contrat'».

Aucun dispositif légal ou règlementaire ne prévoit un mécanisme de réévaluation d'une créance exprimée en devise, étant observé qu'en l'espèce, l'objet des contrats litigieux n'est pas exprimé en unités de compte.

En matière contractuelle, le nominalisme monétaire, qui a été généralisé sur le fondement de l'article 1895 du code civil relatif au prêt dans sa rédaction antérieure à la loi n°2009-526 du 12 mai 2009, interdit plus généralement au juge de tenir compte de fluctuations de la valeur monétaire pour modifier le montant dû au jour du paiement.

Le contrat d'assurance ne déroge pas à ce principe. En particulier, si les engagements pris dans une monnaie donnée doivent être couverts par des actifs congruents, c'est-à-dire des actifs libellés ou réalisables dans cette même monnaie, il n'en résulte aucune réévaluation implicite du montant du capital dû par rapport à la valeur des primes versées en francs ou par rapport au montant nominal prévu par le contrat. À cet égard, une telle réévaluation n'étant pas de l'essence du contrat d'assurance, il est indifférent que Groupama n'ait émis aucune restriction au titre du maintien de la valeur du capital garanti dans le temps. La circonstance que les contrats ne prévoient pas une prise en compte de l'érosion monétaire signifie positivement qu'elle n'est pas entrée dans le champ contractuel, et non qu'elle s'impose à l'assureur.

Outre que les obligations de l'article L. 132-5 du code des assurances qu'invoque Mme [T] ne figurent pas dans sa rédaction issue de la loi n°81-5 du 7 janvier 1981 applicable à la date d'adhésion au contrat de groupe, ces dispositions sont en outre étrangères à l'espèce, dès lors qu'elles concernent les assurances sur la vie, alors que les contrats litigieux s'analysent comme des contrats de prévoyance.

À cet égard, l'objet de ces contrats n'est pas de garantir le maintien d'un niveau de vie équivalent aux bénéficiaires des contrats. Leur objet consiste en réalité à garantir le paiement de la créance que détenait la Société générale à l'égard de [O] [T], par la désignation principale de cet établissement bancaire comme bénéficiaire du capital en cas de décès de l'emprunteur. Seul le reliquat du capital non absorbé par le paiement de la créance détenue par la banque a ainsi vocation à être versé à Mme [T]. En outre, les contrats litigieux sont «'à fonds perdus'», dès lors qu'à défaut de réalisation du risque garanti dans les délais contractuels, le principe du versement du capital n'est lui-même pas acquis. Ainsi, la notice d'information figurant au verso de la demande d'adhésion ayant pour objet de garantir un capital de 2 millions de francs indique notamment que la garantie décès cesse au 30 septembre qui suit le 70ème anniversaire de l'assuré. A défaut d'avoir souscrit une assurance décès «'vie entière'», cette assurance temporaire décès exclut ainsi la certitude qu'en tout état de cause, les bénéficiaires désignés bénéficieront du capital prévu lors de l'adhésion à un tel contrat de groupe lorsque le risque garanti se réalisera. Seuls les termes des contrats signés par M. [T] et de leur notice d'information ont enfin une valeur contractuelle, alors qu'aucun engagement ne résulte à la charge de Groupama d'autres documents n'ayant pas de force obligatoire, outre qu'ils ne présentent pas un caractère contemporain avec l'adhésion de M. [T] à ces contrats.

L'assureur n'est ainsi tenu de verser au bénéficiaire que le montant de la prestation promise en cas de réalisation de l'événement prévu au contrat d'assurance, dans la monnaie stipulée et sous la forme convenue.

La notion de dette de valeur ne s'applique pas davantage au paiement du capital prévu par ces contrats de prévoyance, dont le montant est définitivement fixé dans les contrats de prévoyance litigieux.

Il en résulte clairement qu'à la différence d'une assurance sur la vie qui constitue un placement financier, ces contrats de prévoyance ne garantissent pas aux bénéficiaires désignés tant le principe d'un versement du capital que le maintien de la valeur de son montant.

En définitive, seule l'introduction d'une clause d'indexation ou de revalorisation a vocation à permettre de faire évoluer le montant de l'obligation de somme d'argent pour permettre de prendre en compte l'érosion monétaire entre la conclusion du contrat et le paiement du capital contractuellement prévu.

À cet égard, le premier juge a valablement retenu qu'aucune clause ne figure dans les contrats litigieux qui permette d'écarter le principe du nominalisme monétaire en application de la liberté contractuelle dont disposent les parties.

Aucune contre-valeur du montant du capital fixé initialement lors de l'adhésion aux contrats litigieux n'a ainsi vocation à être exigée de l'assureur à la date de réalisation du décès de [O] [T].

Sur l'impact du passage à l'euro :

En application de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure àcelle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article 14 du règlement (CE) n°974/98 du Conseil du 3 mai 1998 concernant l'introduction de l'euro, les références aux unités monétaires nationales qui figurent dans des instruments juridiques existant à la fin de la période transitoire doivent être lues comme des références à l'unité euro en appliquant les taux de conversion respectifs.

De fait, le règlement CE no'1103/97 de la Commission du 17'juin 1997 indiquait déjà en son article 3 que l'«'introduction de l'euro n'a pas pour effet de modifier les termes d'un instrument juridique ou de libérer ou de dispenser de son exécution, et elle ne donne pas à une partie le droit de modifier un tel instrument ou d'y mettre fin unilatéralement'», disposition qui s'applique «'sans préjudice de ce dont les parties sont convenues'».

Les contrats d'assurance de personnes, qui s'étendent sur une période longue, n'ont donc pas été affectés par le passage à l'euro, en application d'une telle continuité des instruments juridiques en dépit du changement d'unité monétaire.

La substitution d'unité monétaire n'a ainsi exercé aucune influence sur les prévisions des parties, l'équilibre entre la prime payée en francs et le capital versé en euros étant parfaitement maintenu.

En l'espèce, le capital garanti est initalement libellé en francs dans chaque contrat litigieux, alors qu'aucune stipulation contractuelle n'a été prévue pour prendre en considération le passage à l'euro.

La référence par Mme [T] à une conversion et revalorisation des francs en euros dans l'hypothèse d'un accident médical (page 14 de ses conclusions) implique une confusion entre la matière délictuelle, dans laquelle le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit requiert une telle prise en compte de l'érosion monétaire et la matière contractuelle, dans laquelle les obligations des parties sont ainsi fixées selon le principe du nominalisme monétaire, dont l'application n'est pas affectée par le changement monétaire au regard de l'opposabilité de plein droit de la conversion de toutes les références au franc lors du basculement à l'euro selon le taux officiel et irrévocablement fixé au 1er janvier 2002, sans nécessité d'un quelconque avenant.

II. Sur la responsabilité contractuelle de l'assureur de groupe au titre d'une obligation d'information et de conseil :

D'une part, l'obligation d'informer l'adhérent sur les garanties souscrites et les conditions de leur mise en 'uvre et d'éclairer ce dernier sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur ou à celle de celui qui cautionne ses engagements, incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d'assurance de groupe. Aucun devoir de conseil ou de mise en garde n'incombe ainsi directement à l'assureur de groupe, dès lors que seul le souscripteur de l'assurance est en relation directe avec l'adhérent auquel sont dûs cette information et ce conseil.

D'autre part, le souscripteur d'un contrat d'assurance de groupe n'est pas, en principe, à l'égard des tiers et des adhérents, le mandataire de l'entreprise d'assurance cocontractante. Par conséquent, l'établissement de crédit, qui propose à ses clients emprunteurs d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à leur profit, n'engage pas la responsabilité de l'assureur s'il manque à sa propre obligation d'information et de conseil. Enfin, outre que l'article L. 140-6 du code des assurances n'est pas applicable aux contrats litigieux, qui restent soumis à la législation antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n°94-679 du 8 août 1994 ayant créé ses dispositions, son alinéa 2 exclut expressément l'existence d'un tel mandat en matière d'assurance de groupe couvrant le remboursement d'un emprunt.

Il en résulte qu'aucune faute contractuelle n'est établie par Mme [T] à l'encontre de Groupama au titre d'un manquement à l'obligation d'information et de conseil qu'elle invoque.

Le jugement critiqué est par conséquent confirmé, en ce qu'il a débouté Mme [T] de ses demandes en paiement, alors qu'il n'est enfin pas contesté que Groupama a versé le montant correspondant aux sommes prévues en francs et converties en euros selon les modalités précédemment rappelées.

III. Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner Mme [T], outre aux entiers dépens d'appel, à payer à Groupama la somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement rendu le 18 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Béthune dans toutes ses dispositions ;

Y ajoutant':

Condamne Mme [U] [R] veuve [T] aux dépens d'appel ;

Condamne Mme [U] [R] veuve [T] à payer à la SA Groupama Gan Vie la somme de 1'500 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La GreffièreLe Président

Harmony PoyteauGuillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/03416
Date de la décision : 08/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-08;21.03416 ?
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