La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/09/2022 | FRANCE | N°19/05194

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 2, 08 septembre 2022, 19/05194


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 08/09/2022



****





N° de MINUTE : 22/

N° RG 19/05194 - N° Portalis DBVT-V-B7D-STA2



Jugement (N°2018006505) rendu le 05 septembre 2019 par le tribunal de commerce de Lille Métropole

Arrêt (N°20/105) rendu le 28 mai 2020 par la Cour d'appel de Douai



APPELANTE



SASU Bouygues Batiment Nord Est, venant aux droits de la société Norpac, pr

ise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

Ayant son siège social [Adresse 1]



représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barr...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 08/09/2022

****

N° de MINUTE : 22/

N° RG 19/05194 - N° Portalis DBVT-V-B7D-STA2

Jugement (N°2018006505) rendu le 05 septembre 2019 par le tribunal de commerce de Lille Métropole

Arrêt (N°20/105) rendu le 28 mai 2020 par la Cour d'appel de Douai

APPELANTE

SASU Bouygues Batiment Nord Est, venant aux droits de la société Norpac, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

Ayant son siège social [Adresse 1]

représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai

assistée par Me Bertrand Debosque, substitué à l'audience par Me Bueche, avocat au barreau de Lille

INTIMÉE

SASU Ginger CEBTP, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

Ayant son siège social [Adresse 5]

représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai

assistée de Me Marc Cabouche, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DELIBERE

Laurent Bedouet, président de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Agnès Fallenot, conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

DÉBATS à l'audience publique du 26 avril 2022 après rapport oral de l'affaire par Nadia Cordier.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 08 septembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Nadia Cordier, conseiller, en remplacement de Laurent Bedouet, président empêché, et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 29 mars 2022

****

En 2005, le centre hospitalier (CH) de [Localité 3] a lancé un appel d'offres pour la construction d'une nouvelle unité psychiatrique.

Il a fait réaliser une étude de faisabilité géotechnique par la société CEBTP Solen devenue Ginger CEBTP. Ladite société a déposé son rapport le 31 décembre 2004.

Le 16 juin 2006, le groupement constitué entre la société Norpac, devenue Bouygues Bâtiment Nord-Est, et la société d'architecture Centre Hospitalier [2] a été adjudicataire du marché et a demandé à la société Ginger CEBTP de faire des sondages complémentaires.

Par un contrat en date du 23 août 2006, la société Norpac a donc missionné la société Ginger CEBTP. Un deuxième rapport a été déposé le 6 octobre 2006.

Au cours des travaux, la société Norpac a constaté une consistance des limons qui l'a conduite à demander à la société Ginger CEBTP de réaliser une étude de sol complémentaire selon contrat du 15 juin 2007.

En juillet 2007, cette dernière a établi de nouveaux rapports, modifiant ses préconisations concernant le mode d'implantation des fondations du bâtiment à édifier, indiquant qu'elles devaient être implantées dans la craie et non dans des limons.

La société Norpac a alors adressé le 19 juillet 2007, au Centre Hospitalier de [Localité 3], un devis complémentaire d'un montant de 296 962,02 euros hors taxe au titre des sujétions imprévues consécutives au nouveau rapport.

Le Centre hospitalier de [Localité 3] a refusé d'établir un avenant pour travaux supplémentaires.

La société Norpac a alors sollicité et obtenu du tribunal administratif de Lille la désignation d'un expert qui a déposé son rapport le 10 décembre 2008 évaluant le préjudice de Norpac à la somme de 214 936,25 euros hors taxe.

Sur la base de ce rapport, la société Norpac a assigné la société Ginger CEBTP devant le tribunal de commerce d'Arras en règlement de cette somme.

Celui-ci a débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes par jugement du 5 septembre 2012.

Suivant arrêt du 7 novembre 2013, cette cour a infirmé ledit jugement et renvoyé la société Norpac à saisir du litige qui l'opposait à la société Ginger CEBTP un des arbitres désignés à l'article 10 du contrat signé entre les parties le 15 juin 2007.

Dans sa sentence du 8 janvier 2018, le tribunal arbitral s'est déclaré incompétent pour connaître des manquements au contrat conclu le 23 août 2006 entre Norpac et la société Ginger CEBTP qui comportait une clause attributive de juridiction désignant les tribunaux lillois.

Il a condamné la société Ginger CEBTP à payer à la société Norpac la somme de 53 734,06 euros soit 25 % du montant du préjudice subi au titre des manquements au contrat du 15 juin 2007.

Par assignation du 24 avril 2018, Bouygues Bâtiment Nord-Est, venant aux droits de la société Norpac, a assigné la société Ginger CEBTP devant le tribunal de commerce de Lille Métropole en lui demandant, pour l'essentiel, de se déclarer compétent pour statuer sur ses demandes et de condamner Ginger CEBTP à lui payer la somme de 161 202,19 euros, tandis que Ginger CEBTP a sollicité du tribunal, in limine litis, qu'il se déclare incompétent, au fond, qu'il ordonne à Bouygues Bâtiment Nord-Est de produire sous astreinte les pièces contractuelles techniques et comptables justificatives des préjudices allégués et qu'il la déboute de toutes ses demandes.

Par jugement du 5 septembre 2019, le tribunal de commerce de Lille Métropole s'est déclaré incompétent pour statuer à nouveau sur le principe et le montant des préjudices complémentaires allégués par la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, en raison de l'indivisibilité du litige et du caractère définitif de la sentence arbitrale revêtue de l'autorité de la chose jugée.

Suivant déclaration d'appel du 24 septembre 2019, la société Bouygues Bâtiment Nord-Est a relevé appel de ce jugement et a été autorisée à assigner à jour fixe par ordonnance du 25 septembre 2019.

Par arrêt du 28 mai 2020, la cour d'appel de Douai a :

- infirmé le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- dit que les demandes indemnitaires de la société Bouygues Bâtiment Nord Est à l'encontre de la société Ginger CEBTP sont recevables ;

Vu l'effet dévolutif ;

- ordonné la réouverture des débats et la révocation de l'ordonnance de clôture ;

- invité les parties à conclure sur le fond du présent litige ;

- renvoyé l'examen de l'affaire à la mise en état du 23 septembre 2020 ;

- sursis à statuer sur l'ensemble des demandes ;

- réservé les dépens.

La demande présentée par la société Ginger CEBTP suivant conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 11 juin 2021 en vue d'ordonner à la société Bouygues Bâtiment Nord Est de produire sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'ordonnance à intervenir les pièces sollicitées et non produites, à savoir l'acte d'engagement et les annexes, les documents constitutifs de l'offre technique du groupement titulaire, la décomposition du prix global et forfaitaire, le décompte général et définitif accepté et signé par le titulaire et la maîtrise d'ouvrage valant apurement des comptes, a été rejetée par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 14 octobre 2021.

MOYENS ET PRÉTENTIONS 

Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 27 janvier 2021, la société Bouygues bâtiment Nord-Est demande à la cour, au visa de l'article 1231-1 du Code civil (ancien article 1147 du Code civil), et de l'arrêt rendu le 28 mai 2020 par la cour d'appel de Douai, de :

Vu les manquements de la société Ginger CEBTP dans le cadre du contrat du 23 août 2006,

Vu le lien de causalité et le préjudice subi

- condamner la société Ginger CEBTP à payer à la société Bouygues Bâtiment Nord-Est la somme de 161 202,19 € HT, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 24 avril 2018 ;

- ordonner la capitalisation des intérêts par année entière ;

- condamner la société Ginger CEBTP à payer la somme de 37 518,09 € à la société Bouygues Bâtiment Nord-Est sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers frais et dépens.

Elle revient sur la procédure et rappelle que les demandes indemnitaires relèvent de l'exécution du contrat du 23 août 2006.

Sur la demande incidente de communication de pièces, elle souligne le caractère dilatoire du procédé mis en 'uvre et la production depuis la première instance, initiée devant le tribunal de commerce d'Arras, de l'ensemble des pièces permettant d'apprécier la recevabilité et le bien-fondé du préjudice réclamé.

Tous les éléments chiffrés ont été produits, et il est fait référence à une expertise contradictoire judiciaire qui a apprécié les préjudices. Il n'est pas nécessaire de produire le décompte général et définitif validé par le maître d''uvre et signé par le maître d'ouvrage dès lors que le préjudice invoqué ne porte pas sur un retard de chantier mais sur les surcoûts en termes de charges supportées, liés à l'immobilisation de ses installations de chantier, de son personnel et de son matériel, pendant 4 semaines.

Elle rappelle que :

- dès le début la société Ginger CEBTP a commis une faute dans l'élaboration de ses préconisations, telles qu'elles ressortent du rapport du 31 décembre 2004, lequel ne faisait aucune remarque relative à l'évolution possible de l'état des sols, susceptible de découler d'une modification de la teneur en eau ;

- contrairement à ce qu'affirme la société Ginger CEBTP la formulation ne permettait pas de « deviner » cette problématique des limons, ce qu'a d'ailleurs retenu l'expert judiciaire ;

- il appartenait à la société Ginger CEBTP en tant que spécialiste de la géotechnique d'attirer l'attention des entreprises sur la nature des sols, et le fait que le rapport fasse état de la présence de [Localité 4] GTR A1 n'exonérait pas l'intimée de réaliser des investigations complémentaires.

Elle fait valoir que :

- dans le cadre du deuxième rapport, la société Ginger CEBTP a été mise en possession de l'ensemble des plans de projet établis par la société Norpac ;

- les travaux ont été débutés en fonction des éléments contenus dans le rapport du 6 octobre 2006, dans la lignée du rapport du 31 décembre 2004 ;

- dans un rapport du 6 juillet 2007, la société Ginger CEBTP a constaté l'état des sols découverts et a conseillé des modifications, les préconisations étant détaillées dans les rapports suivants des 11 et 26 juillet 2007, entraînant des coûts complémentaires :

- la préconisation retenue était toutefois erronée et les surcoûts n'avaient plus lieu d'être ;

- l'expert judiciaire remet en cause la pertinence des études réalisées par la société Ginger et souligne que la méthode employée ne permet pas d'obtenir des résultats fiables ;

- l'expert mentionne la surestimation de la valeur des tassements et rend la modification du type de fondation non franchement nécessaire ;

- la société Ginger CEBTP a tenté à de nombreuses reprises de jeter le discrédit sur l'expert et sa compétence, lequel a toutefois répondu aux questions posées et démontré sa maîtrise de la question ;

- le rapport non contradictoire établi pour les besoins de la cause, après expertise par le cabinet [D] n'apporte aucun élément nouveau.

Elle souligne le lien de causalité entre ce rapport non conforme et les investigations complémentaires nécessaires, le besoin d'un nouveau rapport, et la commande de travaux supplémentaires en fonction de ces préconisations. Cela a généré un surcoût supporté par Norpac aux droits de laquelle vient désormais Bouygues Bâtiment Nord-Est.

Seule une faute a été réparée à ce jour, celle du contrat du 15 juin 2007 par la sentence arbitrale. Il n'est apporté aucune preuve d'un quelconque comportement fautif de la société Bouygues Bâtiment Nord-Est.

Elle ajoute que :

- l'incidence des modifications du système de fondation s'évalue à la somme de 296 962,02 € HT ;

- l'expert n'a toutefois retenu que la modification des fondations des ouvrages avec sous-sol ;

- contrairement à ce qu'affirme la société Ginger, l'expert a vérifié les calculs faits par Norpac pour justifier du préjudice, l'individualisation des factures d'achat des matières premières ayant servi au coulage du seul béton surconsommé s'avérant impossible. La somme d'ores et déjà allouée par le tribunal arbitral dans sa sentence doit être déduite du montant réclamé.

L'argumentation de la société Ginger selon laquelle il appartient à Bouygues de rapporter la preuve d'un préjudice complémentaire et distinct au titre du contrat du 23 août 2006, ce qui n'est pas fait, ne peut prospérer. Le tribunal arbitral n'a statué que dans le cadre de sa compétence, soit le quart du préjudice subi, la cour étant compétente pour statuer sur les 3/4 restants.

Par conclusions remises au greffe et adressées entre parties par voie électronique le 8 février 2022, la SASU Ginger CEBTP demande à la cour, au visa des dispositions des articles 1103, 1104, 1231-1, 1793 du Code civil des dispositions des articles 74, 132, 142, 175, 237, 446-3, 864, 865 du Code de procédure civile, des dispositions des articles 83 et 917 et suivants du Code de procédure civile, de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Douai le 7 novembre 2013, de la Sentence rendue par le tribunal arbitral en date du 8 janvier 2018, du jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille Métropole en date du 5 septembre 2019, de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Douai en date du 28 mai 2020, de l'ordonnance rendue par la cour d'appel de Douai en date du 14 octobre 2021, de :

- juger que le refus abusif et injustifié de la société Bouygues Bâtiment Nord-Est de produire les pièces sollicitées ;

' l'acte d'engagement et ses annexes ;

' les documents constitutifs de l'offre technique du groupement titulaire ;

' la décomposition du prix global et forfaitaire ;

' le décompte général et définitif accepté et signé par le titulaire et la maîtrise d'ouvrage valant apurement des comptes, et nécessaires à la manifestation de la vérité, constitue une entrave au bon déroulement de la justice, une violation du contradictoire, et une atteinte aux droits de la défense, et au principe de loyauté et d'équité du procès, au sens de l'article 6 de la CEDH ;

- juger et prononcer la nullité des opérations expertales et des conclusions du rapport de l'expert de justice Monsieur [T] [P] en date du 10 décembre 2009 ;

- juger la société Bouygues Bâtiment Nord-Est irrecevable et mal fondée en ses demandes, fins et conclusions ;

- la débouter de son appel et de toutes ses demandes fins et conclusions,

- juger que les demandes résiduelles d'indemnisation de la société Bouygues Bâtiment Nord-Est ne sont justifiées ni dans leur principe, ni dans leur montant, et l'en débouter intégralement en l'absence de causalité adéquate ;

- juger et mettre en conséquence, la société Ginger CEBTP hors de cause ;

- condamner la société Bouygues Bâtiment Nord Est au paiement des sommes de 25 000 € à titre de légitimes dommages et intérêts, et 25 000 € au visa de l'article 700 du CPC, comme aux entiers dépens, au visa de l'article 699 du Code de procédure civile, dont distraction au profit de Maître Eric Laforce, avocat aux offres de droit.

Elle revient sur les différentes décisions et écritures prises par chacune des parties.

Elle estime que des documents essentiels à l'appréciation réelle et objective des préjudices allégués ont été dissimulés ou soustraits à dessein, privant la cour d'une évaluation possible, ce qui doit conduire au débouté des « demandes de condamnation au titre des préjudices complémentaires comme irrecevables et malfondée », faute de démonstration d'un lien de causalité adéquat avec son intervention.

Elle souligne que :

- les conclusions expertales de M. [P] ne peuvent être entérinées en l'état, en raison de la pertinence des critiques formulées dans le cours des opérations, par le biais de dires, auxquels il n'a pas été répondu de manière objective, éclairée et impartiale ;

- les difficultés résultent dans le refus de l'expert, incompétent, de se faire assister par un sapiteur géotechnicien compétent, sachant ;

- il ressort du rapport d'expertise géotechnique de M. [W] [D], expert spécialiste, qu'aucune faute ne peut être techniquement ou contractuellement retenue à son encontre au titre des missions qui lui ont été confiées ;

- elle a eu raison de demander l'approfondissement des fondations dans la zone avec sous-sol où les fouilles avaient été ouvertes, et avaient subi une décompression importante du fait de la pluviométrie exceptionnelle de juin 2007 ;

- elle trouve abusif et incompréhensible de reprocher un excès de prudence de sa part, lorsqu'elle estime le calcul de tassement à 4 cm, cette disposition constructive, sécurisante et adaptée à l'urgence de la situation constituant une solution technique fiable et pérenne susceptible d'être rapidement mise en 'uvre ;

- ce n'est pas sa préconisation technique qui constitue la cause technique des difficultés alléguées en cours de travaux, précisant qu'il n'y a aucune erreur du géotechnicien qui aurait amené le constructeur à mettre en 'uvre un système de fondations fondamentalement différent de ce qui avait été envisagé initialement ;

- il est sollicité la nullité du rapport au motif que le technicien n'a pas accompli sa mission avec la loyauté, l'objectivité et l'impartialité requises ce qui constitue une violation des droits de la défense.

Elle fait valoir que :

- il n'est pas contesté et contestable qu'aucune mission G2 ne lui a été confiée ni par le maître d'ouvrage, le Centre Hospitalier de [Localité 3], ni par le concepteur, maître d''uvre et réalisateur, Bouygues Bâtiment Nord-Est ;

- les sondages et études ont été réalisés dans le cadre de la mission dévolue et l'ont conduite à préconiser deux solutions ;

- au vu des conclusions du rapport (2ème rapport), il était évident pour un professionnel averti des bonnes règles de la construction que la préconisation indispensable consistant à protéger immédiatement par un béton de propreté ou un matériau équivalent le fond des fouilles et des rigoles de semelles était justifiée par le fait que le sol d'assise était constitué par du limon sensible à l'eau comme tous les sols fins, les essais de laboratoire réalisés sur des échantillons remaniés prélevés dans la couche de limons, et dont les résultats étaient présentés dans le tableau récapitulatif, mettant clairement en évidence que ce matériau était de classe A1 selon le guide des terrassements routiers ;

- la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, concepteur et réalisateur, a pris seul le parti et le risque constructif, en parfaite connaissance de cause, d'entreprendre les travaux de terrassement et de fondations au mois de juin 2007, et a retenu comme maître d''uvre « la solution des semelles continues ancrées dans les limons pour la totalité du bâtiment, partie avec sous-sol et partie sans sous-sol » ;

- selon les constatations faites sur le terrain, l'augmentation de la teneur en eau viendrait du fait que les limons en place à ' 3 m par rapport au TN d'origine, mis à découvert après le terrassement, ont vu leur teneur en eau augmenter après les fortes précipitations constatées au cours des semaines postérieures, ce qui l'a conduit à conseiller d'ancrer les fondations dans la craie altérée ou de réaliser une substitution des limons par un matériau noble insensible à l'eau ;

- les limons du site ayant été classés A1 et selon les prescriptions du Guide pour les Terrassements Routiers (GTR) et ces sols changeant brutalement de consistance pour de faibles variations de teneur en eau, il avait été demandé de protéger immédiatement le fond des fouilles par un béton de propreté et de couler les puits immédiatement après terrassement ;

- la société Bouygues Bâtiment Nord-Est a bâti, conformément à sa pratique, « une réclamation financière », et a systématiquement procédé à la réalisation des fondations à partir du 29 juillet 2007, descendant les fondations dans la craie altérée y compris dans la partie du bâtiment sans sous-sol, alors qu'elle n'avait préconisé cette disposition que pour la partie avec sous-sol où la décompression des fonds de fouille avait été constatée.

Elle en conclut que Bouygues Bâtiment Nord-Est a commis des erreurs d'appréciation et d'interprétation graves qui ont concouru directement au préjudice allégué, à savoir l'étude du chiffrage des travaux sur la base d'une mission G11, sans mission G2, et le début de la réalisation de travaux sur la base d'une mission géotechnique d'avant-projet et non de projet.

Elle soutient que la causalité adéquate est inexistante aux motifs que :

- seule la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, contractuellement tenue à une obligation de résultat à l'égard du maître d'ouvrage dans le cadre d'un marché de travaux publics de conception réalisation, peut et doit assumer les conséquences financières inhérentes à la conception et/ou à l'exécution défaillante, en sa double qualité de maître d''uvre et d'entreprise générale ;

- la société Bouygues Bâtiment Nord-Est s'est comportée en maître d''uvre, écartant la solution des semelles descendues dans la craie altérée et retenant la solution des semelles filantes dans les limons, sans jamais lui en référer, en l'absence de mission G2 au sens de la norme géotechnique applicable ;

- c'est bien le non-respect des prescriptions techniques du géotechnicien (protection des fonds de fouille) par la société Bouygues Bâtiment Nord-Est lors de la réalisation des travaux qui constitue le lien de causalité adéquat direct avec les préjudices allégués ;

- au vu de ses prescriptions pertinentes délibérément et en connaissance de causes méconnues par la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, elle ne peut être tenue à l'indemnisation du préjudice complémentaire allégué, cette cause étant exonératoire de sa responsabilité ;

- c'est par erreur d'analyse et de raisonnement sans justification technique ou scientifique, que l'expert de justice incompétent a pu écrire en page 46/54 de son rapport, qu'elle pourrait porter la responsabilité totale de la décision d'approfondir les fondations en sous-sol.

Elle ajoute que l'obligation du géotechnicien n'est que de moyen et limitée. La société Bouygues Bâtiment Nord Est tente d'obtenir une indemnisation de travaux supplémentaires, alors qu'il s'agit en réalité d'un surcoût financier dû à la seule imprévision fautive du concepteur et réalisateur, lequel n'a pas suivi les préconisations du géotechnicien, à ses risques et périls.

La société Bouygues Bâtiment Nord-Est n'a pas fourni une quelconque justification du chiffrage des fondations prétendument supplémentaires telles que réalisées. Les pièces produites par l'entreprise ne peuvent justifier la quantité de béton réellement mise en 'uvre, contrairement à ce qui est prétendu.

Elle revient sur la surprofondeur des fondations nécessaires, la possibilité de retenir une contrainte admission de 6,5 bars au lieu de 3 bars dans les limons, les pièces ne permettant pas de déterminer le choix technique fait en définitive, soulignant notamment les cotes du toit de la craie altérée retenues sur le plan de coupe de principe, distinctes de celles mises en lumière par les sondages. Au vu des conclusions du rapport de M. [D], elle argue du choix arbitraire, pour des raisons économiques et financières de rentabilité, d'augmenter la profondeur des fondations.

Elle estime que la cour ne pourra, au visa des moyens de droit qui lui sont soumis, remettre en cause le montant de l'indemnisation fixée définitivement dans le cadre de la sentence arbitrale, en l'absence de faute autonome et identifiable au titre du seul contrat du 23 août 2006.

Elle revient sur l'absence de préjudice distinct et complémentaire.

***

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 mars 2022.

À l'audience collégiale du 26 avril 2022, le dossier a été mis en délibéré au 8 septembre 2022.

Par note RPVA en date du 24 juin 2022, la cour a invité les parties à communiquer les annexes du rapport d'expertise de M. [P], lesquelles font corps avec le rapport.

Ces éléments ont été communiqués par retour de message par les parties.

MOTIVATION

- Sur la question des documents et des pièces

En application des dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

En vertu des dispositions de l'article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Aux termes du dispositif de ses dernières écritures, la société Ginger CEBTP se contente de demander de « juger que le refus abusif et injustifié de la société Bouygues Bâtiment Nord Est de produire les pièces sollicitées ;

' l'acte d'engagement et ses annexes ;

' les documents constitutifs de l'offre technique du groupement titulaire ;

' la décomposition du prix global et forfaitaire ;

' le décompte général et définitif accepté et signé par le titulaire et la maîtrise d'ouvrage valant apurement des comptes,

et nécessaires à la manifestation de la vérité, constitue une entrave au bon déroulement de la justice, une violation du contradictoire, et une atteinte aux droits de la défense, et au principe de loyauté et d'équité du procès, au sens de l'article 6 de la CEDH », ce qui ne constitue pas une prétention, mais de simples moyens dont il n'est pas au dispositif directement et expressément tiré de conséquences juridiques.

La cour n'est donc pas saisie d'une demande de production de pièces et encore moins sous astreinte comme l'estime la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, rendant sans objet les développements de cette dernière sur une telle demande et ce point.

S'agissant de moyens qui n'ont pas à figurer dans la partie exécutoire de l'arrêt et doivent sous-tendre une prétention, il n'y a donc pas lieu d'y répondre plus avant, étant observé que cette question de la valeur et de la suffisance des pièces pour établir le préjudice allégué sera nécessairement abordée par la cour dans le cadre de l'examen du litige au fond.

D'ailleurs, dans le cadre du paragraphe consacré dans ses écritures aux pièces, la société Ginger CEBTP se rallie à cette appréciation, en concluant que « la cour déboutera la société Bouygues Bâtiment Nord Est de ses demandes de condamnation au titre des préjudices complémentaires comme irrecevables et malfondée », faute de démonstration d'un lien de causalité adéquat avec son intervention.

Quant au chef du dispositif de la société Ginger CEBTP demandant de « juger la société Bouygues Bâtiment Nord Est irrecevable et mal fondée en ses demandes, fins et conclusions », faute de fins de non-recevoir précisément invoquées dans les écritures et au vu de la rédaction précitée du paragraphe sur les pièces, confondant manifestement irrecevabilité et débouté d'une demande, la cour ne peut qu'en déduire que l'irrecevabilité des demandes sollicitées par la société Ginger CEBTP serait en lien avec une absence de communication des pièces, ce qui n'est en aucun cas une fin de non-recevoir, mais uniquement une question de preuve des faits allégués, et doit conduire au rejet de cette demande d'irrecevabilité.

- Sur la demande d'annulation du rapport d'expertise

En vertu des dispositions des articles 6 et 9 du Code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.

L'expert a toute latitude dans l'exécution de sa mission, à condition de se limiter aux questions de faits qui lui sont soumises et de respecter le principe essentiel du contradictoire.

La société Ginger CEBTP liste, de manière éparpillée, toutes les causes possibles d'annulation d'une expertise, sans prendre ni la peine de décrire précisément ses griefs et de les illustrer par des faits précis, concrets et prouvés, ni, s'agissant des reproches de forme, alléguer le moindre grief, et encore moins le démontrer.

Tout d'abord, la société Ginger CEBTP évoque l'impossibilité d'entériner les conclusions expertales « en raison de la pertinence des critiques formulées au cours des opérations expertales dans les dires auxquels il n'a pas été répondu de manière, objective, éclairée et impartiale ».

Néanmoins, il n'est précisé, ni le ou les dires auxquels il n'aurait pas été répondu, ni en quoi la réponse apportée n'aurait pas été effectuée de manière objective, éclairée ou impartiale.

Le seul fait que l'expert maintienne sa position, après avoir pris connaissance des dires, dont il fait état dans son rapport, soit dans le corps même du rapport répondant aux questions posées par la juridiction, soit dans le paragraphe « Réponse aux dires », sans se rallier à l'avis de la société Ginger CEBTP, ne caractérise pas pour autant un manque d'objectivité ou d'impartialité.

S'agissant du « refus illégitime et incompréhensible de l'expert judiciaire incompétent de se faire assister par un sapiteur géotechnicien compétent sachant », l'expert n'a jamais l'obligation de s'adjoindre un sapiteur, dont la désignation, s'agissant d'une expertise ordonnée par l'ordre administratif, nécessitait en plus qu'elle soit autorisée préalablement par la juridiction administrative.

En outre, la cour note que contrairement à ce qu'affirme la société Ginger CEBTP aucune demande de ce type ne figure dans le dernier dire adressé le 25 novembre 2019, cette dernière ne sollicitant que l'organisation d'une deuxième réunion pour synthèse et clôture des opérations

Quant au reproche d'incompétence, ce dernier n'est étayé par aucun élément précis et objectif, invoqué dans le présent débat judiciaire, l'expert ayant estimé pouvoir répondre à la mission qui lui était confiée et le juge administratif ayant toute liberté pour désigner une personne de son choix, liberté qui se conjugue à celle dont il bénéficie dans l'appréciation de la compétence technique de l'expert.

La société Ginger CEBTP ne peut reprocher à l'expert d'avoir « relayé les observations » de Terrasol, « sans esprit critique », alors même que dans son expertise, M. [P] prend soin de décrire, expliciter, et vérifier les éléments mis en lumière dans cette note pour les confronter à ceux retenus par la société Ginger CEBTP, soulignant d'ailleurs que cette dernière n'a pas contesté les calculs et résultats obtenus par la société Terrasol et n'a pas répondu à sa demande de précision quant au choix de sa méthode et des couples de valeurs pour estimer la valeur de résistance de pointe correspondant à la teneur en eau constatée après la réalisation des terrassements.

Enfin la société Ginger CEBTP se contente d'affirmer une violation des droits de la défense, constituée par le fait que « le technicien commis n'a pas accompli sa mission avec la loyauté, l'objectivité et l'impartialité requise », allégation dont il a été souligné ci-dessus qu'elle ne repose sur aucun fait précis et n'est étayée par aucune preuve et offre de preuve.

En conséquence, la demande de la société Ginger CEBTP en annulation du rapport d'expertise ne peut qu'être rejetée, la cour notant en outre que dans le présent débat judiciaire, il est loisible à la société Ginger CEBTP, ce dont elle ne se prive pas, de critiquer les conclusions expertales et d'apporter tout élément probant pour les discuter, ce qu'elle a manifestement mis en 'uvre, en produisant le rapport de M. [D].

- Sur la responsabilité de la société Ginger

En vertu des dispositions de l'article 1147 ancien du Code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il convient de rappeler que plusieurs rapports en qualité de géotechnicien ont été réalisés par la société Ginger CEBTP, le premier en date du 31 décembre 2004, un deuxième en date du 6 octobre 2006, un troisième du 6 juillet 2007, puis deux rapports du 11 et 26 juillet 2007.

De la lecture des visas en exergue du dispositif des écritures de la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, venant aux droits de la société Norpac, il appert que cette dernière recherche la mise en cause de la responsabilité contractuelle de la société Ginger CEBTP pour manquement dans le cadre des missions dévolues, essentiellement un manquement à une obligation de conseil, égrainant dans ses développements les multiples fautes commises au gré des différentes missions confiées.

Néanmoins, le premier rapport du 31 décembre 2004 est intervenu, en phase préparatoire des travaux, sur commande du 18 novembre 2004 du centre hospitalier de [Localité 3] dans le cadre d'une « Étude préliminaire de faisabilité géotechnique » pour le futur appel d'offres en vue de la construction d'un bâtiment psychiatrique à [Localité 3].

Aucune faute contractuelle, à raison de l'élaboration de ce rapport, ne peut valablement être reprochée à la société Ginger CEBTP par la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, venant aux droits de la société Norpac, laquelle est tiers vis-à-vis de cette commande, quand bien même nul ne conteste que les conclusions de ce rapport étaient un élément déterminant pour construire une réponse à l'appel d'offres lancé.

Quant au rapport du 6 juillet 2007 intervenu en application d'un contrat du 15 juin 2007, sur l'état des sols après terrassements, qui a donné lieu ensuite à un rapport confirmant, selon la société Ginger CEBTP, ses hypothèses le 11 juillet 2007 intitulé « vérification des ouvrages géotechniques », les parties reconnaissent qu'une sentence arbitrale est d'ores et déjà venue consacrer la faute commise par la société Ginger CEBTP, consistant en une méconnaissance de son obligation de conseil en présentant au titre de ce rapport la nécessité de modifier les process de construction de manière définitive en raison du changement de la teneur en eau des sols et a, pour réparer ce manquement dans la réalisation de la mission confiée le 15 juin 2007, octroyé une somme de 53 734,06 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2017.

D'ailleurs, la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, quand bien même elle développe une argumentation sur ledit rapport dans les présentes écritures, exclut cette faute de sa réclamation, puisqu'en page 18 de ses écritures, elle évoque deux fautes, soulignant que « seule une faute a toutefois été réparée à ce jour, celle du contrat du 15 juin 2007, par M. l'arbitre » et sollicite pour réparation intégrale de son préjudice, la somme arrêtée par l'expert au titre de l'incidence financière minorée du montant accordé par l'arbitre.

Ainsi, la cour n'est saisie régulièrement que de l'appréciation de la faute commise dans la réalisation de la mission confiée par le contrat du 23 août 2006 et ayant donné lieu au rapport du 6 octobre 2006, même si nécessairement les conclusions de ce rapport doivent mises en perspective avec les données recueillies et prescriptions données par ladite société aux termes des rapports de 2004 et ceux issus du contrat conclu le 15 juin 2007 (soit les rapports des 6, 11 et 26 juillet 2007).

Aux termes de ses écritures, la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, venant aux droits de la société Norpac, spécifie la faute de la société Ginger CEBTP comme le fait de ne pas avoir « fait état auprès de la société Norpac des recommandations propres aux conditions de réalisation des terrassements qu'elle s'était pourtant engagée contractuellement à fournir, ce qui a eu pour conséquence une augmentation de la teneur en eau des limons », la non-réalisation des études indispensables à l'élaboration de préconisations fiables, face à l'augmentation de la teneur en eau, conduisant à un excès de prudence, étant en lien avec le contrat du 15 juin 2007 et la faute réparée par l'arbitre dans le cadre de la sentence arbitrale, comme le concède d'ailleurs la société Bouygues Bâtiment Nord Est.

Par contrat portant mission d'étude géotechnique en date du 23 août 2006, la société Ginger CEBTP a été chargée de la « réalisation d'une mission géotechnique de type G0 à G12 phase 2 reprenant les prestations suivantes 3 sondages pression métriques de 10 m de profondeur, avec 8 essais par sondages, 2 sondages pressiométriques de 15 m de profondeur, avec 12 essais par sondage, Sondages à la tarière à main pour détermination de la nature des sols en place, pose d'un piézomètre à 15 m de profondeur dans un des sondages pressiométriques, Mesures de la teneur d'eau, 2 essais d'identification de type GTR en laboratoire ».

Nul ne conteste que ni le Centre Hospitalier, ni la société Norpac, aux droits de laquelle vient la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, n'a confié de mission G2 « étude de projet géotechnique », rendant sans objet les développements de la société Ginger CEBTP de ce chef.

Sont tout autant inopérants les développements de la société Ginger CEBTP sur l'obligation de résultat pesant sur la société Bouygues Bâtiment Nord-Est vis-à-vis du maître d'ouvrage, la société Bouygues Bâtiment Nord-Est s'attachant bien à démontrer dans ses relations avec le géotechnicien la faute de ce dernier dans l'exercice de sa mission.

Or, aux termes de l'article 6 du contrat du 23 août 2006, la société Ginger CEBTP s'était engagée à : « la remise des documents revêtus du cachet du bureau d'études [qui] fera l'objet d'un courrier comprenant les éléments suivants :

- Synthèse géotechnique des résultats d'investigations et essais réalisés, coupes de sondages et autres éléments graphiques d'appui,

- Relevés du niveau d'eau en fin de forage et dans les piézomètres,

- Recherche du niveau des plus hautes eaux,

- Prédimensionnement des fondations suivant les différentes notes envisagées, notes de calcul à l'appui,

- Recommandations propres aux conditions de réalisation des terrassements et exécution des fondations,

- Prédimensionnement des couches de forme sous dallage et sous voiries,

- Recommandations propres aux conditions de réalisation des ouvrages ».

Dans le cadre de son rapport, établi le 6 octobre 2016, la société Ginger CEBTP fait état :

- des résultats piézométriques, précisant qu' «  aucune présence d'eau n'a été décelée dans les forages au moment de la compagne de sondage ».

- des résultats des essais de laboratoire, sous la forme d'un tableau récapitulatif reprenant les sondages, les profondeurs, la nature, la teneur en eau, la granulométrie et la classe GTR, qu'elle spécifie comme A1 pour l'ensemble des sondages et renvoie pour les résultats de teneur en eau aux coupes de sondages annexées

- de recommandations en page 10 ainsi rédigées : « De l'analyse des résultats des sondages et essais ainsi que de l'adaptation du projet au terrain, il ressort les points principaux ci-après :

- présence de remblais au droit des bâtiments démolis sur des épaisseurs supérieures à 3 m avec des caractéristiques mécaniques hétérogènes

- les limons ont des caractéristiques mécaniques moyennes.

- Le toit de la craie a été rencontré à partir de 4,20 m de profondeur

- aucun niveau d'eau n'a été décelé dans les sondages 

compte tenu des éléments précédents, il est possible d'envisager a priori les systèmes de fondations suivants :

- Partie avec sous-sol :

- fondations par puits ancré dans la craie altérée

- fondations par semelles filantes ancrés dans les limons

- Partie sans sous-sol

- fondations par puits ancrés dans la craie altérée

- fondations par semelles filantes ancrés dans les limons ou semelles filantes ancrées dans un massif de substitution au droit des zones remblayées » ;

- sous l'intitulé « précautions particulières de conception », « il n'a pas été rencontré d'eau dans les sondages et il ne devrait pas y avoir de problème de ce côté » ;

- sous l'intitulé : justification des fondations, à raison de la présence de remblais, qu' « A ce stade des travaux, la visite d'un ingénieur géotechnicien est recommandée pour vérifier et valider l'état du fond de la plate-forme terrassée avant reconstitution de l'assise (mission spécifique type G4) ;

- de « Précautions particulières de conception et d'exécution », en page 17, spécifiant dans ce paragraphe qu' « afin d'éviter une décompression du fond des fouilles et des rigoles de semelles, celui-ci devra être protégé immédiatement par un béton de propreté ou un matériau équivalent » ;

- d'annexes, notamment l'annexe 1 qui présente les sondages pressiométriques PRS1 à PRS5 en indiquant notamment la nature du sol présumée et la teneur en eau par tranches d'un mètre jusqu'à 4 à 5 m.

Alors que le rapport de 2004 classait l'ensemble des échantillons de sondages classe GRT A1, indiquant pour tous une profondeur en m de 0 à 1 m, le rapport de 2006 mentionne la même nature des sols, la même classe, mais reprend bien la profondeur jusqu'à 4 m pour l'ensemble des sondages, et des teneurs en eau voisines pour chacun des sondages entre les deux rapports.

Si indéniablement la société Ginger CEBTP a toujours mentionné la présence sur le site de limons, majoritairement classés A1 selon la norme NF P 11 300, notamment dans les rapports de 2004 et 2006, cette mention n'est assortie d'aucune mise en garde formelle et évidente sur la nature de ces sols changeant rapidement de consistance par de faibles variations de la teneur en eau, assertion qui n'apparaîtra que dans un rapport de juillet 2007.

La société Ginger CEBTP ne critique pas utilement l'assertion de l'expert, M. [P], selon laquelle « la mention de la classe GRT A1 des limons en place sans expliciter les contraintes que celle-ci implique apparaît insuffisante pour attirer l'attention des autres intervenants, réputés non spécialistes de géotechnique, sur les conséquences possibles de cette situation au niveau de l'étude et de la réalisation des travaux », n'apportant aucune preuve de ce que la société Norpac, qui avait recours à ses services en sa qualité de spécialiste, disposait des compétences nécessaires pour appréhender la totalité des risques afférents à ce type de sol.

Le rapport du 10 octobre 2006 comporte par contre des assertions catégoriques et fermes qui ont pu induire en erreur le maître d''uvre concernant la présence d'eau puisqu'il y est mentionné qu' « aucune présence d'eau n'a été décelée dans les forages au moment de la compagne de sondage » ou qu' « aucun niveau d'eau n'a été décelé dans les sondages », le géotechnicien précisant même dans les recommandations qu' « il ne devrait pas y avoir de problème de ce côté ».

Au vu de l'imprécision de la mention A1 et de ces assertions péremptoires, la société Norpac aux droits de laquelle vient la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, n'a pas été alertée par le géotechnicien sur d'éventuels changements possibles et brutaux de la consistance des sols pour de faibles variations de teneur en eau, notamment sous les effets climatiques et ce pour les sols au niveau des profondeurs de fondation en sous-sol.

La société Ginger CEBTP a certes émis des «Précautions particulières de conception et d'exécution », en page 17, du rapport, en spécifiant qu' « afin d'éviter une décompression du fond des fouilles et des rigoles de semelles, celui-ci devra être protégé immédiatement par un béton de propreté ou un matériau équivalent. Les puits devront être coulés immédiatement après terrassements».

Néanmoins, cette préconisation ne concerne que les « fonds de fouilles et les rigoles de semelles », et non toute la zone en cours de terrassement et la zone terrassée, comme le pointe l'expert M. [P], qui précise que « la nuance est d'importance car une zone terrassée concerne une vaste plate-forme destinée à recevoir un radier ou des semelles isolées ou filantes ou des massifs de fondations alors que le fonds de fouille concerne le bas de l'excavation desdits ouvrages de béton, massifs ou semelles et vise donc une zone beaucoup plus réduite ».

Si M. [D], expert amiable de la société Ginger CEBTP, met en lumière cet avertissement concernant les fonds de fouille, il ne porte aucune critique sur la nuance émise par l'expert M. [P], entre fonds de fouilles, semelles de rigoles et zone terrassée.

D'ailleurs, les autres développements du rapport du 6 octobre 2006 permettent de constater qu'il n'était aucunement envisagé une protection par un béton de propreté de l'ensemble des zones terrassées, ce qui matériellement serait particulièrement délicat à mener, puisqu'à raison de la présence de remblais, pour l'établissement des fondations, « la visite d'un ingénieur géotechnicien est recommandée pour vérifier et valider l'état du fond de la plate-forme terrassée avant reconstitution de l'assise (mission spécifique type G4) (souligné par la cour).

Ainsi, le caractère restrictif de cette préconisation, concernant uniquement les fonds de fouilles et les rigoles de semelles, est insuffisante pour dédouaner la société Ginger CEBTP et valoir mise en garde effective de la société Bouygues Bâtiment Nord-Est.

Aucune faute de la société Bouygues Bâtiment Nord-Est dans la mise en 'uvre des consignes données par le géotechnicien ne peut donc être invoquée.

La commande du 6 septembre 2006 prévoyait en outre que le rapport de la société Ginger CEBTP devait comporter des « Recommandations propres aux conditions de réalisation des terrassements et exécution des fondations ».

Or aucun développement n'est consacré aux terrassements, à leurs conditions de réalisation et les éventuelles difficultés pouvant émailler cette opération. Il n'y figure pas plus d'éléments sur les conséquences éventuelles de la classification des sols en GRT A1 dans le déroulé de l'opération de terrassement.

Enfin, concernant les fondations, aux termes de son rapport de 2006, modifiant un peu les conclusions de son rapport de 2004, la société Ginger CEBTP présente deux solutions pour chaque partie, la partie sans sous-sol et la partie avec sous-sol.

Aucune hiérarchisation des solutions alternatives proposées pour chacune des parties n'est mentionnée. Les conclusions ne comportent pas plus de précision quant à d'éventuelles restrictions.

La société Ginger CEBTP ne peut se retrancher derrière le fait que l'une des solutions préconisées était la réalisation de « fondations par puits ancrés dans la craie altérée », système qui sera exclusivement préconisé par le rapport de 2007 pour toutes les parties avec ou sans sous-sol, à la suite du changement des sols de la zone terrassée, et mis en définitive en 'uvre, pour écarter toute faute de sa part et pointer l'absence de préjudice de la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, qui a choisi délibérément l'autre solution.

En effet, les solutions alternatives préconisées tant pour la partie avec sous-sol que sans sous-sol étaient présentées sans hiérarchisation et comme équivalentes par la société Ginger CEBTP.

Dès lors, au vu des termes du rapport de 2006, lequel ne comprenait ni restriction, ni mise en garde spécifique sur la qualité des limons, il ne peut être reproché à la société Bouygues Bâtiment Nord Est d'avoir choisi initialement et effectué son chiffrage à partir de l'autre solution, à savoir les « fondations par semelles filantes ancrées dans les limons », d'autant qu'il n'est pas démontré, que même suite à une mission G2, mais avant réalisation du terrassement et constatation de l'élévation de la teneur en eau des sols, les préconisations de la société Ginger CEBTP eussent pu être différentes et auraient influé nécessairement sur le chiffrage des travaux envisagés par la société Bouygues Bâtiment Nord-Est.

De l'ensemble de ces éléments, il résulte que la société Ginger CEBTP a bien commis une faute dans la réalisation de la mission confiée le 6 octobre 2006 par la société Norpac aux droits de laquelle vient la société Bouygues Bâtiment Nord Est ayant donné lieu au rapport du 6 octobre 2006, en manquant à son obligation de conseil et en n'alertant pas le maître d''uvre sur la spécificité de l'état des sols susceptible de modification brutale de la teneur en eau et sur les conséquences de cette particularité sur les opérations de terrassements et les difficultés éventuelles pouvant survenir en cas de phénomène climatique en cours de terrassement.

Ainsi, la société Bouygues Bâtiment Nord-Est a été privée de la possibilité de faire un choix éclairé entre les solutions alternatives présentées comme équivalentes et un choix adapté à la particularité des sols pour mener le processus de terrassement.

La société Ginger CEBTP l'a, dans tous les cas, privée de la possibilité de prendre les mesures de protection qui s'imposaient ou de mener des investigations complémentaires en vue de faire, sans précipitation ni contrainte, les choix les plus adaptés au terrain.

Contrairement à ce que soutient la société Ginger CEBTP, il existe donc bien une faute distincte et autonome, identifiable au titre du seul contrat du 23 août 2006, aucune erreur d'appréciation et d'interprétation, susceptible d'exonérer le géotechnicien, n'étant imputable à la société Norpac aux droits de laquelle vient la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, à l'origine directe du préjudice subi par le maître d''uvre.

La société Ginger CEBTP ne peut donc opposer à l'indemnisation de cette faute le caractère définitif de l'indemnisation octroyée dans le cadre de la sentence arbitrale, laquelle n'a pas réparé la faute précitée mais celle commise aux termes du contrat du 15 juin 2007.

Néanmoins, la société Bouygues Bâtiment Nord-Est ne peut être suivie lorsqu'elle se contente d'indiquer que le tribunal arbitral n'a statué que dans le cadre de sa compétence, soit le quart du préjudice subi, justifiant qu'il soit octroyé la somme de 161 202,19 euros représentant le solde des sommes liées à l'incidence des modifications du système de fondation de 296 962,02 euros HT après déduction de la somme allouée par l'arbitre.

En effet, aux termes des dispositions des articles 6 et 9 du Code de procédure civile, selon lesquelles à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions, il appartient à la société Bouygues Bâtiment Nord-Est de caractériser mais également de prouver, outre une faute, un préjudice et surtout le lien de causalité entre la faute retenue et le préjudice invoqué.

Or, la société Bouygues Bâtiment Nord-Est appelle à « recontextualiser la condamnation prononcée par l'arbitre » et se contente d'estimer que « s'il ressort qu'un quart du préjudice total subi par Bouygues Bâtiment Nord -Est rentre dans la compétence d'attribution du tribunal arbitral, au titre du contrat du 15 juin 2007, la cour est nécessairement compétente pour les trois quarts restant du préjudice » et qu'elle « n'a pas besoin de démontrer en quoi ce préjudice serait distinct ou complémentaire ».

Si le préjudice allégué ne doit pas nécessairement être distinct comme le soutient la société Ginger CEBTP, encore faut-il que la société Bouygues Bâtiment Nord-Est, aux termes d'un raisonnement argumenté et précis, caractérise et prouve que le préjudice invoqué, lié au surcoût des travaux modificatifs, soit en lien avec la faute reprochée et retenue au titre du contrat 2006.

Or, faute d'invoquer et a fortiori de prouver un préjudice en lien avec la faute retenue, la société Bouygues Bâtiment Nord-Est ne peut qu'être déboutée de sa demande.

- Sur les dépens et accessoires 

En application des dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile, la société Bouygues Bâtiment Nord-Est succombant en ses prétentions, il convient de la condamner aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Laforce

Le sens du présent arrêt commande de condamner la société Bouygues Bâtiment Nord-Est à payer à la société Ginger CEBTP la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La demande d'indemnité procédurale de la société Bouygues Bâtiment Nord-Est ne peut qu'être rejetée.

PAR CES MOTIFS

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 28 mai 2020 ;

REJETTE la demande d'annulation du rapport d'expertise ;

CONSTATE l'absence de fins de non-recevoir invoquées et REJETTE en conséquence la demande d'irrecevabilité ;

DÉBOUTE la société Bouygues Bâtiment Nord-Est de sa demande ;

CONDAMNE la société Bouygues Bâtiment Nord-Est à payer à la société Ginger CEBTP la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société Bouygues Bâtiment Nord-Est de sa demande d'indemnité procédurale ;

CONDAMNE la société Bouygues Bâtiment Nord-Est aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Laforce.

Le greffierP/Le président

Marlène ToccoNadia Cordier


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 2
Numéro d'arrêt : 19/05194
Date de la décision : 08/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-08;19.05194 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award