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07/07/2022 | FRANCE | N°21/02157

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 07 juillet 2022, 21/02157


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 07/07/2022





****





N° de MINUTE : 22/264

N° RG 21/02157 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TSBA



Jugement (N° 19/01105) rendu le 09 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Béthune





APPELANT



Monsieur [X] [N]

né le 09 avril 1955 à [Localité 7]

de nationalité française

[Adresse 6]

[Localité 5]



R

eprésenté par Me David Mink, avocat au barreau de Bethune





INTIMÉS



Monsieur [W] [N]

né le 29 juillet 1957 à [Localité 9]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par Me Sylvie Dumoulin, avocat au ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 07/07/2022

****

N° de MINUTE : 22/264

N° RG 21/02157 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TSBA

Jugement (N° 19/01105) rendu le 09 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Béthune

APPELANT

Monsieur [X] [N]

né le 09 avril 1955 à [Localité 7]

de nationalité française

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représenté par Me David Mink, avocat au barreau de Bethune

INTIMÉS

Monsieur [W] [N]

né le 29 juillet 1957 à [Localité 9]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Sylvie Dumoulin, avocat au barreau de Bethune

Monsieur [C] [N]

né le 14 août 1960 à [Localité 9]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Auquel la déclaration d'appel a été signifiée le 10/06/2021 à l'étude

DÉBATS à l'audience publique du 04 mai 2022 tenue par Djamela Cherfi magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Djamela Cherfi, conseiller désigné par ordonnance du premier président en date du 4 mai 2022

ARRÊT RENDU PAR DEFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 07 juillet 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 avril 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

Vu le jugement rendu le 9 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Béthune, ayant :

- rejeté la demande formée par M. [X] [N] tendant au prononcé de la nullité du changement de bénéficiaire de l'assurance-vie ;

- rejeté la demande formée par M. [X] [N] tendant à la condamnation de M. [W] [N] à lui payer la somme de 15 050,66 euros correspondant au tiers du capital libéré au titre de ladite assurance-vie ;

- rejeté la demande formée par M. [X] [N] tendant à la condamnation de M. [W] [N] à lui payer la somme de 7 525,33 euros, à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et de son préjudice de jouissance ;

- condamné M. [X] [N] à payer à M. [W] [N] la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

- condamné M. [X] [N] à payer à M. [W] [N] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [X] [N] et M. [C] [N] aux dépens de l'instance ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Vu la déclaration du 14 avril 2021, par laquelle M. [X] [N] a formé appel de ce jugement en ce qu'il :

- a refusé de prononcer la nullité du changement de bénéficiaire de l'assurance vie Axa Libretto

- a conséquemment rejeté sa demande tendant à la condamnation de M. [W] [N] à lui payer les sommes suivantes :

* 15 050,66 euros correspondant au tiers du capital libéré au titre de l'assurance vie

* 7 525,33 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et du préjudice de jouissance ;

«'Réformer la décision entreprise en ce qu'elle l'a reconventionnellement condamné à payer 8500 (sic) euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et 1000 euros d'article 700 du code de procédure civile'».

Vu les dernières conclusions notifiées le 24 juin 2021, par lesquelles M. [X] [N] demande à la cour de réformer le jugement critiqué en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- ordonner avant dire droit toutes auditions que la cour jugera utiles ;

- prononcer la nullité de l'avenant litigieux de changement de bénéficiaire du contrat d'assurance-vie Axa Libretto régularisé le 11 juillet 2014 par Mme [S] ;

- en conséquence, condamner M. [W] [N] à lui payer :

* 15 050,66 euros correspondant au tiers du capital libéré au titre de l'assurance vie

* 7 525,33 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et du préjudice de jouissance

- condamner M. [W] [N] à lui payer 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [W] [N] aux dépens.

A l'appui de ses prétentions, M. [X] [N] fait valoir que :

- le contrat d'assurance-vie souscrit auprès de la société Axa en 1994 par sa mère, Mme [S] veuve [N], désignait ses trois fils comme bénéficiaires, alors qu'un avenant a été signé par celle-ci le 11 juillet 2014 pour modifier la clause bénéficiaire et ne désigner que M. [W] [N] en qualité de bénéficiaire.

- cette modification est intervenue, alors que sa mère était hospitalisée depuis le 21 mai 2014 et qu'elle avait subi un AVC au cours de cette hospitalisation.

- une enquête a été diligentée du chef d'escroquerie sur la plainte déposée en octobre 2015. Elle a toutefois été classée sans suite par le procureur de la République.

- M. [W] [N] a obtenu, à l'issue de deux refus opposés par d'autres médecins, un certificat attestant l'absence d'insanité d'esprit de Mme [S] de la part du docteur [J], médecin traitant de sa mère, qui a toutefois admis avoir rédigé ce document sans avoir rencontré et examiné sa patiente en se fondant exclusivement sur un rapport médical émanant d'un oncogériatre du centre hospitalier de [Localité 8], et a été sanctionné disciplinairement à ce titre ;

- M. [W] [N] a lui-même contacté Axa et transmis les documents justificatifs sollicités ;

- Mme [S] a toujours manifesté la volonté antérieure de traiter de façon égale ses trois enfants ; à cet égard, les deux autres contrats d'assurance-vie souscrits par leur mère sont établis au profit de ses trois enfants ;

- le témoignage de Mme [B], ex-épouse de M. [W] [N], a été écarté par le premier juge, sans prendre en compte la précision de ses indications ; à cet égard, l'audition de cette dernière comme celle de la directrice de l'établissement de soins ou de la psychologue vainement démarchées par son frère sont sollicités au visa de l'article 199 du code de procédure civile ; Mme [B] était présente lors des échanges entre M. [W] [N] et sa mère, laquelle ne disposait plus de ses facultés mentales ; M. [W] [N] a déjà bénéficié par le passé, dans des conditions obscures, d'une succession par une amie de sa mère ;

- le certificat médical établi le 26 juin 2014 par l'oncogériatre du centre hospitalier de [Localité 8] fait à l'inverse ressortir que cette patiente de 85 ans hospitalisée pour cancer gynécologique présente un état général altéré avec une asthénie marquée et une fragilité thymique dues à la chirurgie et à une prétendue mésentente entre ses enfants et conclut «'on ne peut exclure formellement l'existence de troubles cognitifs'» ;

- le certificat établi le 27 octobre 2014 par un gérontologue, qui n'a pas été produit en première instance, établit qu'en juin 2014, Mme [S] présentait un score MMS de 23/30, qui impliquait l'existence possible de troubles cognitifs modérés ;

- le placement sous tutelle de Mme [S] est intervenu selon jugement du 27 août 2015, après qu'a été objectivé chez cette dernière une maladie d'Alheimer ;

- la modification litigieuse de la clause bénéficiaire est intervenue dans un délai inférieur à deux ans avant l'ouverture de la procédure de tutelle au profit de Mme [S], de sorte qu'elle s'inscrit dans la période suspecte prévue par les articles 464 du code civil et L. 132-4-1 du code des assurances.

Vu les conclusions notifiées le 23 septembre 2021, par lesquelles M. [W] [N] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de débouter M. [X] [N] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner reconventionnellement à lui verser 3 000 euros au titre de l'article 1240 du code civil et 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, M. [W] [N] fait valoir que :

- il n'a commis aucun dol à l'égard de sa mère pour la déterminer à modifier la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie litigieux : le point de départ de l'action engagée à son encontre est constitué par une attestation établie par Mme [B] au cours de leur instance en divorce ; lors du changement de clause bénéficiaire, Mme [S] ne présentait aucune altération de ses facultés mentales, son AVC étant intervenu le 17 novembre 2014 ; l'enquête de police a démontré que Mme [B] avait agi par vengeance, qu'aucun mouvement suspect n'affectait les comptes de sa mère, et que les auxiliaires de vie entendues indiquaient qu'elle ne présentait pas de troubles cognitifs lors de ce changement ; le docteur [J] a indiqué avoir rédigé le certificat médical litigieux alors qu'elle avait rencontré Mme [S] en juillet 2014, étant précisé qu'elle n'a pas été sanctionnée disciplinairement ; au contraire, Mme [S] a délibérément modifié cette clause en considération de la disponibilité dont il a fait preuve, étant notamment le seul interlocuteur du personnel hospitalier en sa qualité d'aidant principal ou de personne de confiance ;

- si la mise en place d'une mesure de protection peut être de nature à rendre suspect les actes conclus dans les deux années ayant précédé la publication de la mesure de protection, elle n'impose pas une nullité systématique. Lors de la modification de la clause litigieuse, Mme [S] ne souffrait d'aucune insanité d'esprit. En outre, le placement sous tutelle n'a été sollicité par ses frères que dans l'objectif de faire annuler le changement de bénéficiaire. Mme [S] est décédée un mois après son placement sous tutelle.

- l'intention de lui nuire de son frère [X] est établie, alors qu'il a subi une enquête et qu'il souffre de troubles anxieux et dépressifs depuis janvier 2018 qui l'empêche d'exercer son activité professionnelle. Sa plainte en injure/diffamation déposée en 2019 à l'encontre de ses frères a été déclarée prescrite. Il n'a pas détourné l'héritage d'une amie de sa mère.

Vu l'absence de constitution d'avocat par M. [C] [N] ;

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Lorsque les parties ont visé des fondements textuels à l'appui de leurs prétentions, il appartient à la cour de vérifier que les conditions d'application de ces textes sont remplies.

En l'espèce, M. [X] [N] invoque une série de fondements alternatifs au soutien de sa demande d'annulation de la modification de la clause bénéficiaire par sa mère.

La modification de la clause bénéficiaire résulte d'un acte sous seing privé, daté du 17 juin 2014, qui est intégralement rédigé de façon manuscrite par Mme [S].

Sur la nullité pour insanité d'esprit :

Bien que M. [X] [N] ne vise pas expréssement l'article 414-1 du code civil, il invoque toutefois clairement l'absence pure et simple de consentement de sa mère à une telle modification par avenant du contrat initial : il fait ainsi valoir l'existence d'une altération des facultés mentales de celle-ci pour solliciter, en sa qualité d'héritier, l'annulation de cet acte pour insanité d'esprit.

Si une telle action est recevable en application de l'article 414-2, 3°, du code civil dès lors qu'une action a été introduite avant le décès de Mme [S] aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle, il appartient toutefois à M. [X] [N] d'établir que cette dernière souffrait d'un trouble mental au moment de l'acte critiqué. Une telle action est en outre autonome par rapport à la mise sous curatelle ou tutelle de la personne ayant réalisé l'acte litigieux, l'incapacité n'ayant pas vocation à se confondre avec l'insanité d'esprit.

À l'appui de ses prétentions, M. [X] [N] invoque :

- le placement sous tutelle de Mme [S] : alors qu'il n'est pas contesté qu'une mesure de tutelle a été prononcée au profit de cette dernière par jugement du 27 août 2015, l'expert mandaté dans le cadre de la demande de mesure de protection relève qu'à l'occasion de son examen du 12 mai 2015, cette dernière est «'complètement désorientére dans le temps et dans l'espace ses réponses sont incohérentes. Elle ne sais pas donner son âge. Les questions doivent lui être répétées'». Il relève un MMS s'établissant à 12/30 au mois de mars 2015, indiquant l'état sévère des troubles cognitifs.

Pour autant, outre qu'une telle appréciation n'est pas contemporaine de la signature de l'acte litigieux, cet expert relève surtout que «'ses troubles cognitifs sont dus à son accident vasculaire cérébral'».

- l'attestation de Mme [B], ex-épouse de M. [W] [N], qui certifie que Mme [S] «'était dans un état critique, pendant l'opération elle a fait un AVC'».

Pour autant, il résulte des pièces produites (pièces de M. [X] [N] n°15, 17, 20 et 31) qu'en réalité, cette dernière n'a été victime d'un accident ischémique vasculaire que le 27 novembre 2014, soit postérieurement à la modification litigieuse de la clause bénéficiaire. Seule cette affection a d'ailleurs été à l'origine de la dégradation brutale de l'état de santé et de sa perte d'autonomie.

Alors qu'une telle déclaration est manifestement erronée et permet de mettre en cause valablement la fiabilité de ce témoignage s'inscrivant dans le cadre d'une séparation conjugale conflictuelle avec M. [W] [N], il en ressort que les troubles cognitifs invoqués ne sont apparus qu'à compter du 27 novembre 2014, en raison du lien de causalité établi à cet égard par l'expert entre cet accident cérébral et l'apparition d'une telle altération de ses facultés mentales. Un telle causalité résulte également du compte-rendu établi le 23 février 2015 par le docteur [M], responsable du service de soins de suite Réadaptation (SSR) qui relève que Mme [S] a été admise le 8 décembre 2014 dans son service après avoir été hospitalisée pour son accident vasculaire, qui lui a causé une hémiplégie et des troubles phasiques, étant précisé que l'étendue des lésions subies a été objectivée par l'IRM ayant permis de retrouver un infarctus temporal interne occipital interne gauche thalamique gauche associé à des séquelles d'infarctus occipital droit. Le compte-rendu d'onco-gériatrie établi le 31 mars 2015 retient également au titre de l'évaluation psychique de Mme [S] que les troubles qu'elle présente «'sont en relation directe avec l'AVC'».

- un document indiquant un risque confusionnel lié à la prescription d'un anticholinergique, surtout en association avec morphine (sa pièce n°16): pour autant, ce document signé par le docteur [Z] ne comporte aucune date, de sorte que son caractère contemporain de la signature de l'acte litigieux n'est pas établi, alors que la description de l'état de la patiente renvoie manifestement à sa situation postérieurement à cet accident vasculaire cérébral.

- le compte-rendu établi le 27 octobre 2014 par la clinique de gérontologie du centre hospitalier régional universitaire de [Localité 8], qui retient un MMS de 23/30 en juin 2014 et en conclut que «'la patiente a problablement des troubles cognitifs modérés'». Pour autant, la preuve d'une telle insanité d'esprit ne résulte pas clairement de ce compte-rendu, dont la conclusion est formulée de façon dubitative, alors qu'aucune investigation médicale complémentaire n'a été par ailleurs réalisée à la suite de ce test pour établir de façon certaine l'existence d'une maladie neurodégérénative chez Mme [S]. Ce compte-rendu renvoie à celui établi le 23 juin 2014, qui ne formulait d'une part aucune certitude sur l'existence de tels troubles («'on ne peut exclure formellement l'existence de troubles cognitifs'», «'s'ils existent'») et qui relevait d'autre part que le score enregistré devait être «'corrélé à l'asthénie postopératoire'». Une telle asthénie n'est en outre pas constante : à cet égard, le centre hospitalier régional universitaire de [Localité 8] relève qu'au 30 mai 2014, la patiente ne présente pas d'asthénie (pièce M. [X] [N] n°38). La synthèse de la consultation de gérontologie conclut enfin que la patiente «'est capable de donner un avis éclairé'». Alors que la preuve des troubles doit être établie avec certitude, ces pièces ne constituent ainsi pas des éléments suffisants pour établir leur existence certaine.

A l'inverse, au cours de son accueil prolongé au sein du SSR du docteur [M], les pièces suivantes éclairent sur le maintien des aptitudes cognitives de Mme [S] :

- d'une part, un certificat médical établi le 3 juillet 2014 par le docteur [E] [J], médecin traitant de Mme [S], indique que cette dernière «'ne présente pas d'altération de ses facultés mentales'». L'allégation selon laquelle ce médecin aurait été sanctionné disciplinairement pour avoir rédigé ce certificat n'est pas établie. A l'inverse, dans un courrier adressé le 5 janvier 2016 par l'ordre des médecins à MM. [X] et [C] [N], est indiqué que ce médecin a rédigé cet certificat en considération d'un courrier émanant de la clinique de gérontologie du CHR de [Localité 8] reçu quelques jours auparavant et datant du 23 juin 2014, certes à la demande de son fils [W], mais «'pour sécuriser [Mme [S]] dans le sens d'un risque de mise sous tutelle'». Ce courrier ajoute qu'à son retour d'hospitalisation en juillet 2014, Mme [S] a rappelé le docteur [J], lui témoignant la même confiance.

- d'autre part, un compte-rendu établi le 26 juillet 2014 par le docteur [M] à destination du docteur [J], indique qu'un retour de Mme [S] en autonomie dans son foyer logement est compatible avec son état clinique, sans qu'une réserve soit exprimée sur son aptitude cognitive dans le cadre d'un tel cadre. La même responsable de ce service de gérontologie atteste le 5 novembre 2015 qu'au cours de son hospitalisation dans le service de SSR du 30 mai au 26 juillet 2014, Mme [S] «'a participé activement à sa prise en charge'» dans des conditions ayant permis son retour en foyer logement, dans des conditions excluant la détection par ce professionnel ou par son équipe médicale de troubles mentaux affectant sa patiente.

Il en résulte que :

- d'une part, la circonstance que la modification de la clause bénéficiaire soit intervenue alors que Mme [S] était encore hospitalisée en SSR n'est ainsi pas de nature à établir qu'une telle hospitalisation, qui faisait suite à une intervention chirurgicale du 22 avril 2014 d'une tumeur cancéreuse, s'accompagnait d'une diminution de ses facultés cognitives, même si une asthénie liée à la maladie et à son traitement a pu être relevée.

- d'autre part, la circonstance que le docteur [M] ait pu refuser à M. [W] [N] de rédiger un certificat médical attestant les capacités intellectuelles de sa mère, ainsi que l'indique l'ex-épouse de ce dernier dans une attestation datée du 26 mai 2015 dont la fiabilité est douteuse, n'est pas corroborée par ce praticien hospitalier, qui a à l'inverse maintenu son appréciation sur l'excellente participation de la patiente aux soins et sa confiance envers M. [W] [N].

A défaut d'établir que sa mère souffrait d'une altération de ses capacités intellectuelles au jour où elle a signé l'acte litigieux, la demande d'annulation de cet acte par M. [X] [N] n'est pas fondée.

Sur l'application de l'article L. 132-4-1 du code des assurances :

L'article L. 132-4-1 du code des assurances, alinéa 3, dispose, dans sa rédaction issue de la loi n°2007-1775 du 17 décembre 2007 applicable à l'espèce, que «'l'acceptation du bénéfice d'un contrat d'assurance sur la vie conclu moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la curatelle ou de la tutelle du stipulant peut être annulée sur la seule preuve que l'incapacité était notoire ou connue du cocontractant à l'époque où les actes ont été passés'».

Par dérogation à l'article 464 du code civil, ces dispositions permettent l'annulation de l'acte litigieux spécifique qu'elles visent, sans avoir à justifier d'un préjudice subi par la personne protégée, qui est ainsi présumé.

La cour relève toutefois que ce texte concerne exclusivement l'annulation de l'acceptation par le bénéficiaire, et non l'avenant par lequel l'assuré a modifié la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie qu'il a souscrit.

Dès lors que le dispositif des conclusions de M. [X] [N] ne vise que l'annulation de l'avenant signé le 11 juillet 2014 par Mme [S], et non celle de l'acceptation d'une telle clause bénéficiaire par son frère [W], ces dispositions ne sont pas applicables à l'espèce.

Sur l'application de l'article 464 du code civil :

L'article 464 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n°2007-308 du 5 mars 2007, dispose que «'les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de deux ans avant la publicité du jugement d'ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l'altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l'époque où les actes ont été passés.

Ces actes peuvent, dans les mêmes conditions, être annulés s'il est justifié d'un préjudice subi par la personne protégée. (...)'»

La nullité des actes faits par un majeur en tutelle antérieurement à l'ouverture de cette mesure de protection ne suppose pas la preuve de l'insanité d'esprit au moment où l'acte a été passé mais est seulement subordonnée à la condition que la cause ayant déterminé l'ouverture de la tutelle ait existé à l'époque où l'acte a été fait.

En l'espèce, s'il n'est pas contesté que la modification de la clause bénéficiaire est intervenue dans un délai inférieur à deux ans par rapport à la publicité de la mesure de protection, il a été préalablement démontré que les troubles cognitifs ayant déterminé l'ouverture de la mesure de tutelle au profit de Mme [S] résultent d'une part de son accident vasculaire cérébral, qui est postérieur à la signature de l'acte litigieux et qu'à l'époque de son hospitalisation en RSS, de tels troubles n'étaient pas notoires ou connus de M. [W] [N].

D'autre part, la consultation d'oncogériatrie du 23 juin 2015 retient l'existence d'une «'fragilité thymique sans syndrome dépressif vrai'», précisant qu'une telle fragilité est «'probablement aggravée par la proximité de la chirurgie, 'les rivalités entre ses enfants dont elle souffre beaucoup. Pour autant, alors que les compte-rendus établis par le SSR sur la période litigieuse prouvent que l'altération des facultés personnelles qu'allègue M. [X] [N] n'étaient pas notoires, aucun élément n'établit qu'elle aurait été connue de M. [W] [N] ou que Mme [S] aurait été dans l'incapacité de défendre ses propres intérêts, la seule circonstance qu'elle était âgée de 89 ans n'étant pas à elle-seule de nature à caractériser une telle incapacité.

À cet égard, il convient de relever que l'article 464 du code civil ne vise pas le préjudice subi par M. [X] [N], mais celui que serait susceptible d'avoir subi sa mère en lien avec le changement de bénéficiaire de l'une de ses assurances-vie. S'il est exact que Mme [S] a veillé à assurer une égalité entre ses enfants, s'agissant des donations qu'elle a antérieurement consenties à ses trois enfants, l'accompagnement particulier par M. [W] [N] de sa mère pendant son parcours médical est toutefois de nature à expliquer une volonté de le gratifier spécifiquement au titre d'un tel engagement, sans qu'il résulte d'une telle circonstance que Mme [S] ait subi un préjudice moral résultant d'une telle attribution complémentaire au profit de son fils [W].

Il en résulte que les conditions d'application de ce texte ne sont pas remplies.

Sur le dol :

A titre liminaire, la cour observe que l'article 1128 du code civil, dans sa rédaction postérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, n'est pas applicable à l'espèce, dès lors que l'acte que M. [X] [N] prétend être affecté d'un vice du consentement date du 11 juillet 2014, alors que la réforme du droit des obligations n'est entrée en vigueur que le 1er octobre 2016.

Pour autant, M. [X] [N] prétend clairement que son frère [W] a commis des manoeuvres dolosives envers leur mère, pour la déterminer à modifier la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie qu'elle avait souscrit auprès de la société Axa. Il n'invoque aucun autre vice du consentement.

L'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la réforme précitée, disposait que «'le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé. »

Le dol n'est une cause de nullité que s'il émane de la partie envers laquelle l'obligation est contractée.

Il appartient par conséquent à M. [X] [N] de démontrer non seulement que son frère [W] a commis des manoeuvres frauduleuses réalisées dans la volonté de tromper Mme [S], mais également que ces man'uvres ont déterminé le consentement de sa mère à modifier la clause bénéficiaire du contrat.

Le dol est en revanche étranger à la question de l'altération des facultés mentales de sa victime. Pour autant, dès lors que les manoeuvres frauduleuses requises doivent avoir provoqué chez l'autre partie une erreur qui l'a déterminée à conclure le contrat, l'éventuelle fragilité de la victime liée à une diminution de ses aptitudes cognitives peut contribuer à permettre que le consentement de la victime ait été donné par erreur et que l'erreur provoqué par l'auteur du dol ait été déterminante de ce consentement.

En l'espèce, il a été précédemment démontré que la fragilité thymique que présentait Mme [S] n'a pas été exploitée abusivement par M. [W] [N]. Outre que les refus opposés par des soignants d'attester de l'absence de trouble cognitif de Mme [S] ne sont pas démontrés, une telle recherche d'un certificat médical qu'exige l'assureur pour prendre en compte la modification de la clause bénéficiaire ne s'analyserait au surplus pas comme une manoeuvre trompeuse à l'égard de Mme [S] elle-même.

A l'inverse, M. [X] [N] n'établit aucune man'uvre par laquelle son frère aurait obtenu frauduleusement la signature par Mme [S] de l'acte litigieux. La seule circonstance que M. [W] [N] se soit chargé de recueillir, puis de transmettre les éléments nécessaires à la formalisation d'une telle expression de volonté n'implique pas qu'une manipulation de sa mère soit survenue et que son consentement ait été vicié par une tromperie.

En définitive, la cour relève que M. [W] [N] a été considéré comme «'l'aidant principal'» de sa mère, ainsi qu'il résulte :

- d'un compte-rendu établi le 11 août 2014 par le docteur [M] à destination du docteur [J], qui souligne que celui-ci a été «'vu à de nombreuses reprises avec la patiente pour organiser les aides au retour au foyer logement'» ; dans un courrier du 26 juillet 2014, ce même médecin relevait en effet que son fils dispose des différentes convocations pour les rendez vous d'août 2014 au centre hospitalier de [Localité 8].

- d'un compte-rendu établi le 23 juin 2014 par le centre hospitalier régional universitaire de [Localité 8], alors que Mme [S] était en SSR, qui indique que «'la consultation se déroule en présence de l'un de ses fils, qui est son aidant naturel principal et sa personne de confiance M. [W] [N]'».

Une telle confiance n'implique pas qu'il soit toutefois l'aidant exclusif de sa mère, de sorte qu'une telle présentation est compatible avec la désignation de M. [X] [N] comme la personne à contacter lors de l'admission de Mme [S] pour subir une intervention chirurgicale ayant entrainé son hospitalisation.

En revanche, M. [X] [N] n'établit pas que son frère aurait abusé d'une telle position avantageuse. A l'inverse, cette relation de confiance avec sa mère est de nature à expliquer la gratification de cet aidant par une telle modification de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie.

Sur la demande indemnitaire de M. [W] [N] :

La cour observe que le premier juge a consacré la responsabilité délictuelle de M. [X] [N] et l'a condamné, en considération de son intention de nuire à son frère [W], à lui payer la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts.

M. [W] [N] n'a toutefois formé aucun appel incident du jugement, dont il a demandé la confirmation en toutes ses dispositions. La cour n'a par conséquent pas vocation à statuer sur sa demande de condamnation à l'encontre de son frère [X], qui repose précisément sur les faits déjà invoqués devant le premier juge.

Par ailleurs, le harcèlement qu'a subi M. [W] [N] ayant conduit à une enquête du chef d'escroquerie et à une mise en cause de son intégrité est fautif, ainsi que l'a relevé le premier juge, alors que les troubles psychologiques en relation avec le comportement de [X] [N], tels qu'il résulte notamment d'un rapport établi par un psychologue, constituent un préjudice dont la réparation a été correctement évaluée à hauteur de 500 euros par le jugement critiqué.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la demande indemnitaire de M. [X] [N] :

A l'inverse, dès lors qu'il n'établit pas que le comportement de M. [W] [N] soit fautif, le débouté de la demande indemnitaire formée par [X] [N] à son encontre est confirmé.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile, étant observé qu'aucun appel ne porte sur la disposition relative aux dépens de première instance ;

- et d'autre part, à condamner M. [X] [N], outre aux entiers dépens d'appel, à payer à M. [W] [N] la somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement rendu le 9 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Béthune dans toutes ses dispositions critiquées par l'appel ;

Y ajoutant,

Condamne M. [X] [N] aux dépens d'appel ;

Condamne M. [X] [N] à payer à M. [W] [N] la somme de 1'500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La GreffièreLe Président

Harmony PoyteauGuillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/02157
Date de la décision : 07/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-07;21.02157 ?
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