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09/06/2022 | FRANCE | N°21/00424

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 09 juin 2022, 21/00424


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 09/06/2022



****





N° de MINUTE : 22/238

N° RG 21/00424 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TMYA



Jugement (N° 18/04248) rendu le 20 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Bethune





APPELANTE



Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Artois prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

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[Localité 8]



Représentée par Me Olivia Druart, avocat au barreau de Douai



INTIMÉS



Monsieur [S] [U]

né le [Date naissance 5] 1961

de nationalité française

[Adresse 10]

[Localité ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 09/06/2022

****

N° de MINUTE : 22/238

N° RG 21/00424 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TMYA

Jugement (N° 18/04248) rendu le 20 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Bethune

APPELANTE

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Artois prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représentée par Me Olivia Druart, avocat au barreau de Douai

INTIMÉS

Monsieur [S] [U]

né le [Date naissance 5] 1961

de nationalité française

[Adresse 10]

[Localité 9]

Représenté par Me Gautier Lacherie, avocat au barreau de Bethune

Monsieur [Y] [Z]

né le [Date naissance 6] 1962

de nationalité française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Monsieur [F] [D]

né le [Date naissance 1] 1953

de nationalité française

Clinique [11] [Adresse 3]

[Localité 9]

Représentés par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai et Me Georges Lacoeuilhe, avocat au barreau de Paris substitué par Me Dairien, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Harmony Poyteau

DÉBATS à l'audience publique du 24 mars 2022 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 09 juin 2022 après prorogation du délibéré en date du 02 juin 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 7 mars 2022

****

EXPOSE DU LITIGE

Le 27 juillet 2009, M. [U], né le [Date naissance 5] 1961, a été opéré par M. [D], d'une double fracture ouverte de la jambe gauche par osthéosynthèse par plaque visée.

Le 20 août 2009, un prélèvement local a révélé la présence d'un staphylocoque doré.

Le 6 novembre 2009, ce même chirurgien a réalisé l'ablation du matériel d'ostéosynthèse par plaque vissée : il a observé l'absence de consolidation de la fracture avec impossibilité d'effectuer une fermeture cutanée après excision.

Le 3 décembre 2009, M. [Z] a procédé, au sein d'un centre hospitalier, à la mise en place d'un fixateur externe avec greffe de peau. Ce dispositif a été retiré le 5 mars 2010, alors qu'une contention plâtrée a été alors mise en place par ce même praticien en raison d'une mobilité résiduelle au sein du foyer de fracture. Un prélèvement per-opératoire a isolé un staphylocoque doré.

M. [Z] a ultérieurement procédé au suivi médical de son patient dans le cadre de son activité libérale.

Dans ce cadre, M. [Z] a constaté une bascule en varus de la cheville gauche de M. [U], notamment à la suite de douleurs en relation avec un appui excessif après une chute de ce dernier.

En définitive, une amputation sous-gonale a été réalisée au centre [12] le 28 novembre 2013.

M. [U] a saisi le juge des référés qui a successivement ordonné une expertise confiée aux docteurs [G] et [L], a condamné M. [D] à lui payer une provision et a confié une nouvelle expertise après consolidation au docteur [O].

Il résulte de la première expertise que :

- la stratégie chirurgicale choisie par M. [D], à savoir l'ostéosynthèse par plaque vissée, majorait le risque de complication infectieuse, quand bien même l'origine de l'infection provient du traumatisme lui-même et de l'ouverture cutanée, permettant la pénétration des germes.

- le retard de retrait du matériel d'ostéosynthèse une fois l'infection révélée, et, partant, le retard de mise en place du fixateur externe ont participé aussi de l'augmentation du préjudice,

- le choix de M. [Z] de procéder à l'ablation du fixateur externe et de la contention plâtrée, alors que la consolidation n'était pas acquise, ont permis la déformation de la cheville, contraignant à envisager une nouvelle opération chirurgicale, de sorte que l'état de M. [U] n'est pas consolidé au 6 novembre 2012 et que la consolidation ne peut se concevoir avant un délai de 18 mois à 2 ans à compter du geste chirurgical envisagé.

L'attitude thérapeutique de M. [Z] est restée «'contemplative'» en dépit d'une situation évolutive en aggravation à la suite d'un nouveau fait accidentel survenu au mois de septembre 2010, de sorte qu'une pseudoarthrose avérée a pu devenir très large avec un foyer de mobilité dont les amplitudes sont à la fois intolérables et dangereuses pour le patient.

Le second rapport d'expertise, ayant pour unique objet d'évaluer les préjudices définitivement subis par M. [U], fixe la consolidation au 21 juillet 2014.

Par jugement du 20 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Béthune a :

1. condamné M. [D] à payer à M. [U] les sommes suivantes outre intérêts au taux légal compter de la présente décision et donc à déduire les provisions déjà versées :

- 750 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

- 3 800 euros au titre des souffrances endurées ;

2. condamné M. [Z] à payer à M. [U] les sommes suivantes outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision et dont à déduire les provisions éventuellement versées :

- 25 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

- 10 012 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

- 14 000 euros au titre des souffrances endurées ;

- 4 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

- 60 600 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

- 6 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

- 4 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

3. condamné M. [Z] à payer à la CPAM de l'Artois les sommes suivantes outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision et dont à déduire les provisions éventuellement versées :

- 26 192,93 euros au titre des dépenses de santé actuelles,

- 3 469,42 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels,

- 50 156,33 euros au titre des dépenses de santé futures,

4. condamné in solidum MM. [D] et [Z] à payer à M. [U] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

5. condamné M. [Z] à payer à la CPAM de l'Artois la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

6. débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

7. condamné in solidum MM. [D] et [Z] aux dépens de l'instance en ce compris les dépens des trois procédures de référé et des deux expertises judiciaires ;

8. ordonné l'exécution provisoire de son jugement à hauteur des deux tiers des condamnations prononcées.

Par déclaration du 19 janvier 2021, la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Artois a formé appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 3 et 6 ci-dessus.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 16 décembre 2021, la caisse primaire d'assurance-maladie, appelante principale, demande à la cour de :

=$gt; à titre principal, infirmer le jugement :

- en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de M. [D] et de ses demandes à l'encontre de M. [Z] relatives aux débours des consultations spécialisées et des frais d'appareillage au titre des dépenses de santé actuelles ;

- en ce qu'il a fixé le montant de la condamnation de M. [Z] à la somme de 50 156,33 euros au titre des dépenses de santé futures,

statuant à nouveau,

- condamner M. [D] à lui payer la somme de 309,13 euros, au titre des dépenses de santé actuelles, outre les intérêts au taux légal à compter de la première demande en date du 8 juillet 2019 ;

- condamner M. [Z] à lui payer, outre les intérêts au taux légal à compter de la première demande en date du 8 juillet 2019, les sommes de :

* 26 824,14 euros au titre des dépenses de santé actuelles, dont :

o 77,44 au titre des frais de kinésithérapie sur la période du 4 décembre 2013 au 19 février 2014 ;

o 75,30 euros au titre des frais de transport des 16 décembre 2013 et 24 novembre 2013 ;

o 18,65 euros au titre des frais pharmaceutiques des 3 décembre 2013 ;

o 6 euros au titre des frais de déplacement du 5 décembre 2013 au 14 décembre 2013 ;

o 16, 54 euros au titre des soins infirmiers du 5 décembre 2013 au 14 décembre 2013 ;

o 25 999 au titre des frais hospitaliers du Centre [12] du 24 novembre 2013 au 3 décembre 2013 et du Centre [13] du 16 décembre au 8 février 2014

o 72,22 euros au titre des consultations spécialisées et des actes de radiographie ;

o 558,99 euros au titre des produits de santé ;

* 215 871,58 euros au titre des dépenses de santé futures, dont :

o 1 727,38 euros au titre des consultations spécialisées échues depuis la consolidation et à échoir ;

o 214 144,20 euros au titre des dispositifs médicaux ;

=$gt; à titre subsidiaire, confirmer la condamnation de M. [Z] à lui payer les sommes suivantes, outre les intérêts au taux légal :

- 26 192,93 euros au titre des dépenses de santé actuelles ;

- 3 469,42 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels ;

- 50 156,33 euros au titre des dépenses de santé futures.

=$gt; en tout état de cause : ordonner la capitalisation des intérêts au taux légal par année entière et condamner solidairement MM. [D] et [Z] aux entiers dépens d'appel, et à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que :

- certains frais qu'elle a exposés sont imputables à la faute commise par M. [D] concernant les dépenses de santé actuelles (consultations orthopédiques et actes de radiographies, actes de biologie), dans des conditions compatibles avec les conclusions de l'expertise ayant retenu que la faute de ce praticien est constituée par un retard de deux mois dans la prise en charge idéale par fixateur externe et que la stratégie chirurgicale choisie avec mise en place de matériel majorait le risque d'infection.

- la preuve des débours exposés est établie par une présentation détaillée de sa créance, alors que leur lien de causalité avec les fautes commises résulte de l'attestation d'imputabilité établie par le médecin-conseil sur lequel elle n'a pas d'autorité.

- M. [Z] a engagé sa responsabilité professionnelle.

- le premier juge a omis certains postes de dépenses qu'elle a exposées et a procédé à une mauvaise interprétation des frais futures relatifs à la prothèse de jambe.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 19 juillet 2021, M. [U], intimé et appelant incident, demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre du préjudice d'agrément, et statuant à nouveau, de :

- condamner M. [Z] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

- confirmer le jugement pour le surplus ;

- condamner in solidum MM. [D] et [Z] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile correspondant aux frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

- condamner in solidum MM. [D] et [Z] aux dépens d'appel dont distraction au profit de Me Gautier Lacherie.

A l'appui de ses demandes, il fait valoir que :

- les deux praticiens ont commis des fautes décrites par les rapports d'expertise judiciaire.

- aucun partage de responsabilité ou perte de chance n'est mentionné dans ces rapports.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 21 septembre 2021, MM. [D] et [Z], intimés et appelants incidents demandent à la cour :

=$gt; à titre principal : d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il :

- a condamné M. [D] à payer à M. [U] les sommes suivantes, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision et dont à déduire les provisions déjà versées :

o 750 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

o 3 800 euros au titre des souffrances endurées ;

- a condamné M. [Z] à payer à M. [U] les sommes suivantes, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision et dont à déduire les provisions éventuellement versées :

o 25 000 euros au titre de l'incidence professionnelle

o 10 012 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire

o 14 000 euros au titre des souffrances endurées

o 4 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire

o 60 600 euros au titre du déficit fonctionnel permanent

o 6000 euros au titre du préjudice esthétique permanent

o 4 000 euros au titre du préjudice sexuel

- condamné M. [Z] à payer à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois les sommes suivantes, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision et dont à déduire les provisions éventuellement versées

o 26 192,93 euros au titre des dépenses de santé actuelles

o 3 469,42 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels

o 50 156,33 euros au titre des dépenses de santé futures

- les a condamné in solidum à payer à M. [U] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- a condamné M. [Z] à payer à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- les a condamné in solidum aux dépens de l'instance en ce compris les dépens de trois procédures de référé expertise et les frais des deux expertises judiciaires ;

- a ordonné l'exécution provisoire de la présente décision à hauteur des deux tiers des condamnations prononcées.

Et statuant à nouveau, de :

- juger que les manquements reprochés à M. [D] sont seulement à l'origine d'une majoration du déficit fonctionnel temporaire sur 60 jours et d'une majoration des souffrances endurées ;

- juger que les sommes mises à la charge de M. [D] ne sauraient excéder :

o 600 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

o 3 000 euros au titre des souffrances endurées ;

- débouter M. [Z] de ses autres demandes dirigées à l'encontre de M. [D] (sic) ;

- juger que la responsabilité de M. [Z] ne saurait être engagée à quelque titre que ce soit ;

- débouter M. [U] de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre de M. [Z] ;

- débouter la CPAM de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre de MM. [D] et [Z] ;

- condamner in solidum M. [U] et la CPAM à verser à M. [Z] la somme de

2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la CPAM à verser à M. [D] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la CPAM aux entiers dépens de la procédure.

=$gt; à titre subsidiaire :

- juger M. [Z] ne saurait être tenu au-delà du taux de perte de chance fixé à 50 % et de sa part de responsabilité, fixée à 10 % ;

- juger que les sommes mises à la charge de M. [Z] en réparation du dommage subi par le patient ne sauraient excéder :

o 500 euros au titre de l'incidence professionnelle

o 440,55 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire

o 3 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent

o 150 euros au titre du préjudice esthétique temporaire

o 300 euros au titre du préjudice esthétique permanent

o 100 euros au titre du préjudice sexuel

- débouter M. [U] de sa demande indemnitaire formulée au titre du préjudice d'agrément

- débouter la CPAM de l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de M. [D] ;

- juger que les sommes mises à la charge de M. [Z] en réparation du dommage subi par la CPAM ne sauraient excéder :

o 2 503,95 euros au titre des dépenses de santé futures

o 1 309,65 euros au titre des dépenses de santé actuelles

o 173,47 euros au titre des pertes de gains professionnels actuelles

- condamner la CPAM à verser à M. [D] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de leurs prétentions, MM. [D] et [Z] font valoir que :

- M. [D] ne conteste pas sa responsabilité, mais seulement l'évaluation du préjudice imputable au retard fautif de prise en charge.

- M. [Z] n'a pas commis de faute engageant sa responsabilité. D'une part, la faute reprochée au titre d'une ablation précoce des moyens de contention ayant contribué à la survenue du déplacement secondaire est intervenue dans le cadre de son activité hospitalière. D'autre part, l'attitude prétendument contemplative à compter de septembre 2010 dans le cadre de son activité libérale est contestée. À cet égard, M. [U] a notamment repris le travail en décembre 2010 sans y avoir été autorisée par M. [Z]. Le suivi médical a permis d'observer l'évolution et de proposer au patient de réfléchir à une ostéotomie, alors que ce dernier a lui-même exprimé sa réticence à une telle intervention.

- la faute reprochée à M. [Z] n'a pas causé les préjudices du patient. Celle reprochée comme praticien hospitalier engage la responsabilité de son commettant. Le retard allégué au titre de l'activité libérale n'a pas causé l'amputation finale, dès lors que la chaîne de causalité est rompue en raison du fait que la fracture ouverte présentait déjà un risque très important de complications infectieuses et de pseudarthrose, aggravée par un second traumatisme résultant d'une chute et par le refus du patient de se voir prodiguer des soins. Aucun retard n'est imputable à une discussion d'intervention proposée dès janvier 2011, alors que la période à prendre en compte débute en septembre 2010. En 2012, les experts ont d'ailleurs constaté que le patient n'avait toujours pas souhaité avoir recours à un geste chirurgical.

- subsidiairement, seule une perte de chance de 50 % d'avoir pu bénéficier d'une intervention et espérer une guérison peut être imputée à M. [Z], s'agissant d'un défaut ou retard de diagnostic. En outre, un partage de responsabilité avec le centre hospitalier doit intervenir, en mettant à la charge de ce dernier 90 % de la responsabilité.

- l'évaluation des postes de préjudices est contestée et doit prendre en compte la perte de chance. Le préjudice d'agrément n'est pas établi.

- la créance de la caisse primaire d'assurance-maladie n'est pas prouvée et l'imputabilité de la créance aux manquements allégués n'est pas établie. Les manquement reprochés à M. [D] sont enfin exclusivement à l'origine de préjudices personnels subis par M. [U] (majoration du déficit fonctionnel temporaire de deux mois et des soufrances endurées) et n'ont pas causé l'amputation à laquelle s'attachent les débours invoqués par le tiers payeur. Subsidiairement, la créance de la caisse primaire d'assurance-maladie doit être minorée.

MOTIFS DE LA DÉCISION':

1.Sur la responsabilité de M. [Z] :

Tenu à une obligation de moyens au titre du geste chirurgical, le praticien doit donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science à la date des soins.

La preuve d'une faute commise par le praticien peut être apportée par tous moyens, y compris par des présomptions graves, précises et concordantes et il incombe aux juges du fond d'apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve soumis, y compris des rapports d'expertise.

1.1. sur la faute :

En l'espèce, l'expertise a retenu une double série de manquements aux règles de l'art dans la prise en charge de M. [U], postérieurement à l'intervention de M. [D].

1.1.1. au titre d'une ablation précoce des moyens de contention :

M. [Z] fait valablement observer que sa responsabilité civile ne peut être engagée qu'au titre de son activité libérale, et non au titre des actes qu'il a réalisés dans un cadre hospitalier.

Si M. [U] prétend qu' «'il est constant'» que M. [Z] exerçait en secteur privé au sein du centre hospitalier lors de son intervention chirurgicale du 3 décembre 2009, il n'en apporte toutefois aucune démonstration. Par ailleurs, l'expertise médicale ne précise pas le cadre dans lequel a été réalisée cette ablation des moyens de contention. En revanche, outre que la caisse primaire d'assurance-maladie souligne que le premier juge a retenu que ce praticien «'est intervenu (') dans le cadre de son activité privée à compter du 12 mai 2010'», elle ne sollicite par ailleurs que l'indemnisation des seules conséquences d'une «attitude contemplative'» devant la cour.

Enfin, il résulte des propres conclusions du centre hospitalier de [Localité 14] devant le juge des référés, dans le cadre d'une extension à son égard de la mesure d'expertise, que cet établissement de santé public sollicite qu'il lui soit donné acte «'de ce qu'il ne peut être tenu pour responsable à aucun titre des soins dispensés par le docteur [Z] au titre de son activité libérale en secteur privé à compter du 12 mai 2010'».

Il en résulte que le reproche d'une ablation précoce des moyens de contention, elle-même antérieure à cette dernière date, ne peut être retenu à titre de comportement fautif pour engager sa responsabilité professionnelle en qualité de praticien libéral.

1.1.2. au titre d'une attitude «'contemplative'» en dépit d'une aggravation de l'état du patient :

Alors que M. [U] a déclaré aux experts qu'il n'a eu en septembre 2010 aucune proposition de reprise chirurgicale, il appartient à M. [Z] de prouver le respect de son obligation d'information à l'égard de son patient.

Il résulte à cet égard de l'expertise des docteurs [G] et [L] que :

- le 8 septembre 2020, soit 4 jours après la chute de son patient, M. [Z] constate une déformation de la cheville avec déplacement en varus sur les radiographies. L'appui est alors interdit.

- le 6 octobre 2020, si M. [Z] constate une évolution favorable de la cheville gauche, cette amélioration ne concerne que la cicatrication du lambeau et l'existence d'une consolidation, mais ne vise pas la déformation en varus, qui persiste en revanche (terme inscrit en gras dans leur rapport).

- Le 5 janvier 2021, M. [Z] constate la persistance d'une déformation importante de la cheville gauche. Sur ce point, M. [Z] produit exclusivement devant la cour sa lettre établie lors de cette dernière consultation, dans laquelle il évoque la nécessité de procéder, «'à terme'», à une nouvelle intervention chirurgicale pour traiter les conséquences de l'aggravation constatée depuis la nouvelle chute de M. [U]. Si M. [Z] a prétendu lors de l'expertise avoir apporté des précisions supplémentaires à son patient, ce compte-rendu n'en apporte toutefois aucune démontration.

Les experts estiment que cette seule indication ne répond pas à une discussion réelle portant sur «'l'évolution naturelle de cette pseudoarthrose avérée, sur la nécessité d'un geste chirurgical ou thérapeutique et sur les éventuels bénéfices/risques'».

L'information apportée à M. [U] à son patient est par conséquent défaillante, alors qu'il appartenait à ce professionnel de santé de fournir à son patient des indications précises, notamment au regard de l'aggravation de son état de santé, sur la nécessité d'une nouvelle intervention, pour éviter une majoration des conséquences liées à une telle pseudoarthrose lâche avec une bascule en varus. La seule référence à une nouvelle intervention «'à terme'», sans autre précision, et le renvoi du patient à un choix personnel pour envisager lui-même, au regard de ses contraintes professionnels, une intervention dont les modalités ne sont pas mêmes détaillées, constituent ainsi un comportement fautif imputable à M. [Z].

La circonstance que M. [U] n'ait jamais pris l'intiative de reconsulter ultérieurement M. [Z] est enfin indifférente : outre que M. [U] n'a aucune obligation de minimiser son propre dommage, il ne peut pas davantage lui être reproché de n'avoir accepté de procéder à l'amputation qu'en fin novembre 2013.

1.2. Sur le lien de causalité :

L'expert [O] indique que l'état de santé de M. [U] s'est aggravé depuis la précédente expertise, indiquant à cet égard qu'il a présenté une pseudoarthrose septique, qui a conduit à une amputation au tiers moyen de la jambe gauche. Sur ce point, il est admis que l'aggravation peut résulter de soins nouveaux destinés à atténuer les séquelles.

Pour autant, cet expert retient d'une part exclusivement une imputabilité directe et certaine d'une telle aggravation à l'intervention chirurgicale initiale du 27 juillet 2009 réalisée par M. [D] et ne propose aucune ventilation d'imputabilité des différents postes évalués après consolidation, contrairement à la démarche des experts [G] et [L] ayant spécifiquement identifié la part des préjudices exclusivement imputable à cette intervention chirurgicale initiale.

La cour observe par ailleurs qu'en considération des demandes dont il était exclusivement saisi, le premier juge a limité l'indemnisation à la charge de M. [D] aux seuls poste du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées, et n'a ainsi prononcé aucune condamnation à son encontre au titre de l'ensemble des autres postes dont la liquidation était suspendue à la consolidation de l'état de M. [U].

A l'inverse, le premier juge a condamné M. [Z] à supporter l'indemnisation de l'intégralité des postes de préjudices tels que fixés après le dépôt du rapport de l'expert [O], ainsi que d'une partie des débours exposés par la caisse primaire d'assurance-maladie.

D'autre part, cet expert ne se prononce pas en revanche sur un quelconque lien de causalité entre la faute reprochée à M. [Z] et les préjudices résultant de l'amputation. En réalité, l'expert [O] prend exclusivement en compte la circonstance qu'une amputation soit intervenue, alors que la responsabilité de M. [Z] n'a pourtant vocation à être engagée au titre d'une aggravation résultant de sa faute que si elle a causé une telle amputation. Sur ce point, l'expert [O] ne précise pas en quoi l'absence d'invitation réelle à procéder «à court ou moyen terme'» à une intervention chirurgicale a aggravé le préjudice et a conduit à une telle amputation, étant précisé qu'en tout état de cause, M. [Z] ne peut supporter que l'indemnisation d'une telle aggravation, et non les conséquences dommageables liés aux fautes antérieures (intervention réalisée par M. [D], retrait précoce des matériels d'ostéosynthèse en milieu hospitalier).

Ainsi, contrairement aux allégations de M. [U], les différentes expertises n'indiquent pas que l'amputation dont il sollicite en définitive l'indemnisation, soit imputable de façon directe et certaine au défaut d'information établi à l'encontre de M. [Z].

Les experts [G] et [L] ne précisent en outre pas la nature du «'nouveau programme chirurgical'» que requiert «'à court ou moyen terme'» l'état du patient lors de leur examen, déjà constitué par une pseudoarthrose de jambe gauche en position vicieuse, très lâche. Sur ce point, dès la première expertise, la pseudarthrose était déjà avérée, alors que la nécessité de prévoir une intervention chirurgicale était affirmée, de sorte que la survenance d'une reprise ultérieure n'est pas en soi imputable à l'absence d'information par M. [Z]. La seule circonstance que la lettre du 5 janvier 2011 n'évoque qu'une ostéotomie, alors qu'une amputation est en définitive intervenue en décembre 2013, ne suffit enfin pas à démontrer l'existence d'une aggravation de l'état de santé de M. [U] depuis la fin de sa prise en charge par M. [Z], dont le caractère fautif aurait en outre causé une modification ultérieure de l'indication chirurgicale par rapport à l'appréciation initialement portée par ce dernier.

Enfin, si la reprise du travail a eu lieu le 12 décembre 2010, l'autorisation médicale n'est pas intervenue à l'initiative de M. [Z], alors qu'une telle circonstance a notamment conduit à une «'remise en charge en particulier dans des conditions de travail particulièrement sollicitantes'» (rapport page 29 in fine).

Alors qu'au surplus le préjudice résultant d'un défaut d'information s'analyse comme une perte de chance d'éviter les conséquences dommageables qui se sont réalisées et ne peut en outre englober l'indemnisation des périodes antérieures à la commission d'une telle faute, M. [U] et la caisse primaire d'assurance-maladie ne démontrent ainsi pas que l'amputation postérieure à la prise en charge par M. [Z] soit imputable à sa faute.

La responsabilité de M. [Z] n'est ainsi pas établie, de sorte que le jugement ayant condamné M. [Z] à indemniser M. [U] et la caisse primaire d'assurance-maladie est infirmé. Aucune condamnation n'est dès lors prononcée à son encontre, les demandes indemnitaires formées de ce chef par le tiers-payeur étant notamment intégralement rejetées.

2.Sur l'indemnisation des préjudices mis à la charge de M. [D] :

2.1. au profit de M. [U] :

Les moyens soutenus par les parties ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.

L'évaluation par le premier juge des postes de préjudice constitué par un déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées est confirmée.

2.2. au profit de la caisse primaire d'assurance-maladie :

S'agissant de la demande formulée au titre des dépenses de santé actuelles à hauteur de 309,13 euros, le retard à procéder à la prise en charge par fixateur externe a conduit à une prolongation des soins d'une période de deux mois, selon les experts [G] et [L], sur la période du 27 juillet 2009 au 9 novembre 2009.

Il en résulte que les dépenses de santé actuelles exposées entre le 9 septembre 2009 et le 9 novembre 2009 sont imputables à la faute commise par M. [D].

Dans ces conditions, les consultations du 17 septembre 2009 et des 1er, 16 et 30 octobre 2009 sont d'une part causées par la faute imputable à M. [D], pour un montant total de : 29,80 + 50,18 + 29,80 + 53,53 euros, soit la somme de : 163,31 euros

D'autre part, alors que l'expertise relève que la faute commise par M. [D] a majoré le risque infectieux qui s'est réalisé, les contrôles biologiques entre le 26 août et le 28 octobre 2009 sont également imputables à ce praticien. Au titre de ces examens, la caisse primaire d'assurance-maladie justifie avoir exposé une somme de 75,84 euros.

Le jugement ayant débouté la caisse primaire d'assurance-maladie de ses demandes à l'encontre de M. [D] est par conséquent infirmé : il convient de condamner ce dernier à payer à ce titre la somme de 239,15 euros.

3.Sur les dispositions annexes

Il convient d'infirmer le jugement ayant condamné M. [Z] à payer les frais irrépétibles que M. [U] et la caisse primaire d'assurance-maladie ont exposés en première instance, et l'ayant condamné aux dépens des instances de première instance.

Par ailleurs, il convient de condamner M. [U] et la caisse primaire d'assurance-maladie à payer à M. [Z] les dépens que ce dernier a exposés en appel. En revanche, la succombance totale ou partielle des autres parties justifie qu'elles conservent la charge de leurs propres dépens.

Enfin, il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles qu'elles ont respectivement exposés dans le cadre de l'appel.

PAR CES MOTIFS':

La cour,

Infirme le jugement rendu le 20 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Béthune en ce qu'il a :

=$gt; condamné M. [Z] à payer à M. [U] les sommes suivantes outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision et dont à déduire les provisions éventuellement versées :

- 25 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

- 10 012 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

- 14 000 euros au titre des souffrances endurées ;

- 4 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

- 60 600 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

- 6 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

- 4 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

=$gt; condamné M. [Z] à payer à la CPAM de l'Artois les sommes suivantes outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision et dont à déduire les provisions éventuellement versées :

- 26 192,93 euros au titre des dépenses de santé actuelles,

- 3 469,42 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels,

- 50 156,33 euros au titre des dépenses de santé futures,

=$gt; condamné M. [Z] à payer à M. [U] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, in solidum avec M. [D] ;

=$gt; condamné M. [Z] à payer à la CPAM de l'Artois la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

=$gt; débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

=$gt; condamné M. [Z] aux dépens de l'instance en ce compris les dépens des trois procédures de référé et des deux expertises judiciaires, in solidum avec M. [D] ;

Le confirme pour le surplus ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

Dit que la responsabilité de M. [Y] [Z] n'est pas engagée à l'encontre de M. [S] [U] ;

Déboute M. [S] [U] et la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Artois de l'ensemble de leurs demandes formulées à l'encontre de M. [Y] [Z] ;

Condamne M. [F] [D] à payer à la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Artois la somme de 239,15 euros au titre des dépenses de santé actuelles ;

Ordonne la capitalisation annuelle des intérêts à compter du 16 décembre 2021 au profit de la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Artois ;

Condamne in solidum M. [S] [U] et la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Artois à payer à M. [Y] [Z] les dépens qu'il a exposés en appel ;

Laisse à chacune des autres parties la charge des dépens qu'elles ont exposés en cause d'appel ;

Déboute les parties de leurs demandes respectives d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

La GreffièreLe Président

Harmony PoyteauGuillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/00424
Date de la décision : 09/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-09;21.00424 ?
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