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19/05/2022 | FRANCE | N°21/02300

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 19 mai 2022, 21/02300


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 19/05/2022





****



N° de MINUTE : 22/216

N° RG 21/02300 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TSPE



Jugement (N° 1120-00180) rendu le 22 mars 2021 par le tribunal de proximité de Boulogne sur Mer





APPELANT



Monsieur [T] [V]

né le 16 novembre 1946 à [Localité 6]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 4]

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Représenté par Me Isabelle Pauwels, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer



INTIMÉE



SA Assurances du Credit Mutuel Vie

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représentée par Me François-Xavier Lagarde, avocat au barreau de ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 19/05/2022

****

N° de MINUTE : 22/216

N° RG 21/02300 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TSPE

Jugement (N° 1120-00180) rendu le 22 mars 2021 par le tribunal de proximité de Boulogne sur Mer

APPELANT

Monsieur [T] [V]

né le 16 novembre 1946 à [Localité 6]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Isabelle Pauwels, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer

INTIMÉE

SA Assurances du Credit Mutuel Vie

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me François-Xavier Lagarde, avocat au barreau de Lille et Me Serge Paulus, avocat au barreau de Strasbourg

DÉBATS à l'audience publique du 02 mars 2022 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 mai 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 7 février 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

1.Les faits et la procédure antérieure :

[M] [O], épouse [V] ([M] [V]), est décédée le 4 janvier 2018. Par courrier du 13 mars 2018, la SA Assurances du crédit mutuel vie (Acm) a indiqué à M. [T] [V], veuf d'[M] [V], qu'elle créditait son compte n°[XXXXXXXXXX01] ouvert auprès de la caisse de Crédit mutuel de Marquise (Crédit mutuel) d'une somme de 6 250,72 euros en exécution du contrat d'assurance retraite souscrit par [M] [V].

Néanmoins, ce compte avait été clôturé par le Crédit mutuel le 22 septembre 2000. Et, en raison d'un contentieux pendant avec le Crédit mutuel, ce dernier a procédé à une saisie-attribution le 23 mars 2018 pour un montant de 35 216,47 euros.

Par courrier du 23 mars 2018, M. [V] a demandé aux Acm de procéder au versement du capital décès sur un compte ouvert auprès de la Banque postale et indiquait qu'il n'avait pas demandé auparavant le déblocage du capital et le versement de ce capital sur le compte qui avait été ouvert auprès du Crédit mutuel.

Par courrier du 29 mars 2018, les Acm ont indiqué à M. [V] avoir réalisé le versement sur le compte du Crédit mutuel conformément à leurs obligations contractuelles et réglementaires, puis, par courrier du 7 août 2019, lui ont précisé qu'ils disposaient de toutes les pièces nécessaires au versement du capital décès.

Par acte du 14 mai 2020, M. [V] a assigné les Acm devant le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer aux fins de les voir condamnées à lui verser les sommes de :

'6 250,72 euros avec intérêts au taux contractuel à compter de la première lettre de mise en demeure, soit le 23 mars 2018 ;

'2 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

'2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

2.Le jugement dont appel :

Par jugement du 22 mars 2021, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer a notamment':

- débouté M. [V] de ses demandes ;

- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les Acm de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

-condamné M. [V] aux dépens de l'instance.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 21 avril 2021, M. [V] a interjeté appel de ce jugement, appel limité aux chefs du jugement l'ayant débouté de ses demandes et l'ayant condamné aux dépens de l'instance.

4.Les prétentions et moyens des parties :

4.1Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 7 janvier 2021,

M.'[V] demande à la cour de':

- le recevoir en ses demandes, le dire recevable et bien fondé ;

- infirmer le jugement du 22 mars 2021 en toutes ses dispositions ;

- dire et juger que les Acm, en virant les fonds sans avoir reçu du bénéficiaire de l'assurance retraite les documents a commis une faute ;

- condamner les Acm à lui payer la somme de 6 250,72 euros avec intérêt au taux contractuel à compter de la première lettre de mise en demeure, soit le 23 mars 2018 ;

- condamner les Acm à lui payer la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;

- condamner les Acm aux entiers frais et dépens ainsi qu'à lui payer une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et 2 000 euros pour la présente instance en cause d'appel.

Il soutient que :

- il n'a jamais demandé aux Acm de verser le capital puisqu'il ignorait l'existence de ce livret d'assurance retraite ;

- en versant le capital sans information ni demande préalable auprès du bénéficiaire, les Acm n'ont pas respecté les dispositions des articles L. 113-5 et suivants du code des assurances ;

- l'article 8 des conditions générales du livret d'assurance retraite stipule notamment que «'L'épargne atteinte à la date du décès sera versée au bénéficiaire désigné sur présentation d'un bulletin de décès, d'une fiche individuelle d'état civil du bénéficiaire, ou de toute pièce attestant de sa qualité, du certificat d'adhésion'» ;

- or, il n'a jamais communiqué ces pièces aux Acm, de sorte que ces dernières se sont libérées d'un capital sans que le bénéficiaire ne le demande et sans avoir reçu les pièces visées aux conditions générales ;

- les Acm ne produisent aucun document visé à l'article 8 des conditions générales et ne communiquent pas les échanges entre elle et la caisse du Crédit mutuel et ce malgré sommation interpellative ;

- il a subi un préjudice puisque les fonds ont été versés sur un compte clôturé par le Crédit mutuel, l'empêchant ainsi d'en disposer.

4.2Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 4 février 2022, les

Acm, intimées s'étant constituées le 17 mai 2021, demandent à la cour, au visa de l'article L. 132-23-1 du code des assurances, de':

- constater qu'elles ont parfaitement respecté les conditions contractuelles et leurs obligations légales ;

-constater que M. [V] n'a souffert d'aucun préjudice leur étant imputable ;

- confirmer le jugement rendu le 22 mars 2021 en ce qu'il a débouté M.'[V] de sa demande en paiement de la somme de 6'250,72 euros et de sa demande de dommages et intérêts ;

- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a condamné M.'[V] aux dépens de première instance ;

-le condamner à leur verser la somme de 1'500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-le condamner aux entiers frais et dépens.

Elles soutiennent que :

- les conditions générales et les articles L.'113-5 et suivants du code des assurances ne mettent à leur charge aucune obligation d'information préalable du bénéficiaire ;

- le bénéficiaire étant un client bancaire du groupe auquel appartiennent les Acm, elles disposaient déjà de l'ensemble des pièces énumérées à l'article 8 des conditions générales ;

- l'acte de décès d'[M] [V], a été communiqué par le Crédit mutuel, ce dernier, en tant qu'établissement bancaire et intermédiaire en assurance, se devait d'en aviser l'assureur auprès duquel un contrat d'assurance vie avait été souscrit ;

-les époux [V] étaient clients de la caisse, par conséquence l'agence disposait des coordonnées du conjoint survivant, de son état civil et de son relevé d'identité bancaire (RIB) ;

-il s'agissait d'ailleurs du compte sur lequel les primes du livret d'assurance retraite étaient prélevées ;

-l'article L.'132-23-1 du code des assurances oblige l'assureur à agir rapidement sans attendre que le bénéficiaire ne réclame le paiement ;

-l'alinéa 3 de cet article interdit à l'assureur de réclamer des pièces déjà en possession de l'assureur ;

-ainsi, elles ont parfaitement respecté les obligations contractuelles et réglementaires ;

-M. [V] ne subit aucun préjudice de leur fait ;

-il ne peut leur être imputé le fait qu'il n'ait pu profiter des capitaux décès en raison de la saisie-attribution qui ne peut être leur reprochée puisqu'elle a été pratiquée par le Crédit mutuel ;

- il n'existe aucun lien de causalité entre la prétendue faute qui leur est reprochée et la saisie puisque le fonctionnement du compte crédité relève du seul établissement bancaire, l'assureur n'est en rien concerné ;

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité de l'assureur

L'article L. 132-23-1 du code des assurances dispose, dans sa rédaction issue de la loi n°2014-617 du 13 juin 2014 applicable à l'espèce, que «'L'entreprise d'assurance dispose d'un délai de quinze jours, après réception de l'avis de décès et de sa prise de connaissance des coordonnées du bénéficiaire ou au terme prévu pour le contrat, afin de demander au bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie de lui fournir l'ensemble des pièces nécessaires au paiement.

A réception de ces pièces, l'entreprise d'assurance verse, dans un délai qui ne peut excéder un mois, le capital ou la rente garantis au bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie.

Plusieurs demandes de pièces formulées par l'entreprise d'assurance ne peuvent concerner des pièces identiques ou redondantes.

Au-delà du délai prévu au deuxième alinéa, le capital non versé produit de plein droit intérêt au double du taux légal durant deux mois puis, à l'expiration de ce délai de deux mois, au triple du taux légal. Si, au-delà du délai de quinze jours mentionné au premier alinéa, l'entreprise a omis de demander au bénéficiaire l'une des pièces nécessaires au paiement, cette omission n'est pas suspensive du délai de versement mentionné au présent article'».

Sur ce,

1.Sur la faute de l'assureur

Il n'est pas contesté que l'assureur n'a pas contacté M. [V], bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie, afin de lui demander fournir l'ensemble des pièces nécessaires au paiement.

Les conditions générales du livret d'assurance retraite souscrit (article 8) stipulent par ailleurs que l'épargne atteinte à la date du décès sera versée au bénéficiaire sur présentation d'un bulletin de décès, d'une fiche individuelle d'état civil du bénéficiaire ou de toute pièce attestant de sa qualité ainsi que du certificat d'adhésion.

Dès lors, conformément aux obligations légales et contractuelles, pour pouvoir procéder au versement du capital, l'assureur devait :

-d'une part, avoir contacté le bénéficiaire dans un délai de quinze jours après réception de l'avis de décès et de sa prise de connaissance des coordonnées du bénéficiaire ou au terme prévu pour le contrat pour lui demander de fournir les pièces nécessaires au paiement,

-d'autre part, disposer des pièces mentionnées à l'article 8 des conditions générales rappelées ci-dessus.

Pour autant, la cour ne peut que constater que, non seulement les Acm n'ont pas contacté M. [V] pour lui demander les pièces nécessaires au paiement, mais qu'elles ne justifient pas davantage disposer des pièces visées aux conditions générales.

En effet, si les Acm allèguent que ces pièces leur ont été communiquées par la caisse du Crédit mutuel dans laquelle les époux [V] avaient ouvert un compte bancaire, elles n'en apportent pas la justification devant la cour et ce malgré les demandes à ce sujet, notamment les sommations adressées par M. [V].

Les Acm ne peuvent ainsi se prévaloir du troisième alinéa de l'article L. 132-23-1 du code des assurances pour prétendre qu'il ne leur incombait pas de demander des pièces déjà en leur possession alors même qu'elles ne justifient pas disposer de telles pièces.

Au surplus, la cour rappelle que l'alinéa 1 de cet article oblige l'assureur à contacter le bénéficiaire tandis que l'alinéa 3 interdit à l'assureur de demander à plusieurs reprises des mêmes pièces. Ainsi, le fait d'avoir déjà en sa possession des pièces n'exonère pas l'assureur de son obligation de contacter le bénéficiaire comme le prévoit l'alinéa 1.

Il s'ensuit que les Acm n'ont pas respecté leurs obligations légales et contractuelles et ont commis une faute à l'égard de M. [V].

2.Sur le préjudice de M. [V]

Les Acm font valoir que le préjudice que M. [V] prétend avoir subi est sans lien avec la faute qui leur est reprochée puisque la saisie-attribution est imputable à l'établissement bancaire et non à l'assureur et qu'il pouvait disposer des fonds avant la saisie-attribution.

Or, par courrier du 22 septembre 2000, le Crédit mutuel avait indiqué aux époux [V] que leur compte bancaire devait être clôturé. Par ce courrier, il leur était indiqué qu'il ne leur était plus possible d'utiliser leurs moyens de paiement et que le solde du compte avait été affecté en compte spécial contentieux.

Ainsi, les Acm ont versé le capital dû à M. [V] sur un compte clôturé sur lequel ce dernier ne pouvait plus faire d'opération et par conséquent disposer des fonds. Dans ces conditions, même informé d'un tel versement intervenu sur ce compte sans son consentement, M. [V] ne pouvait pas procéder au retrait des fonds avant l'intervention de la saisie-attribution pratiquée le 23 mars 2018.

Si les prélèvements des cotisations dues dans le cadre du livret d'assurance retraite s'effectuaient à partir du compte bancaire sur lequel les Acm ont versé le capital, la clôture de ce compte bancaire en septembre 2000 a nécessairement mis fin à de tels prélèvements, ce que ne pouvaient ignorer les Acm.

Il est donc parfaitement établi que M. [V] a subi un préjudice en ce que le capital lui revenant a été placé sur un compte clôturé sur lequel il ne pouvait plus faire d'opération, se retrouvant dès lors dans l'impossibilité de disposer des fonds.

Il s'ensuit que les Acm ont bien commis une faute causant un préjudice à M. [V].

Le jugement querellé sera ainsi infirmé et les Acm seront condamnées à payer à M. [V] une somme de 6 250,72 euros avec intérêt au taux légal à compter du 23 mars 2018, date de la première lettre de mise en demeure.

Les Acm seront également condamnées à lui payer une somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique et moral subi.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de la présente instance

Le sens de l'arrêt conduit à :

- infirmer le jugement sur les dépens et les frais irrépétibles exposés en première instance ;

- condamner les Acm aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à M. [V] la somme de 4 000 euros sur le fondement du code de procédure civile au titre des procédures devant les premiers juges et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement par mise à disposition au greffe,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer,

Statuant à nouveau,

Condamne la SA Assurances du crédit mutuel vie à payer à M. [T] [V] la somme de 6 250,72 euros en réparation de la faute commise,

Dit que cette somme emportera intérêt au taux légal à compter du 23 mars 2018,

Condamne la SA Assurances du crédit mutuel vie à payer à M. [T] [V] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts,

Condamne la SA Assurances du crédit mutuel vie aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Condamne la SA Assurances du crédit mutuel vie à payer à M. [T] [V] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures de première instance et d'appel.

La GreffièreLe Président

Harmony PoyteauGuillaume Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/02300
Date de la décision : 19/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-19;21.02300 ?
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