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19/05/2022 | FRANCE | N°21/02023

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 19 mai 2022, 21/02023


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 19/05/2022





****





N° de MINUTE : 22/217

N° RG 21/02023 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TRUE



Jugement (N° 19/01073) rendu le 03 février 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras





APPELANTS



Madame [J] [O]

née le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 16]

de nationalité française

[Adresse 9]

[Localité 11]
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Madame [I] [O]

née le [Date naissance 5] 1967 à [Localité 18]

de nationalité française

[Adresse 7]

[Localité 12]



Monsieur [A] [P]

né le [Date naissance 6] 1959 à [Localité 19]

de nationalité française

[Adresse ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 19/05/2022

****

N° de MINUTE : 22/217

N° RG 21/02023 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TRUE

Jugement (N° 19/01073) rendu le 03 février 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras

APPELANTS

Madame [J] [O]

née le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 16]

de nationalité française

[Adresse 9]

[Localité 11]

Madame [I] [O]

née le [Date naissance 5] 1967 à [Localité 18]

de nationalité française

[Adresse 7]

[Localité 12]

Monsieur [A] [P]

né le [Date naissance 6] 1959 à [Localité 19]

de nationalité française

[Adresse 7]

[Localité 13]

Monsieur [L] [D] [O], pris en la personne de son représentant Légal, Mme [K] [O], agissant tant en son non propre qu'en sa qualité d'ayant droit de [E] [O]

né le [Date naissance 2] 2012 à [Localité 20]

de nationalité française

[Adresse 14]

[Localité 15]

Représentés par Me Alexia Navarro, avocat au barreau de Lille substituée par Me Colette, avocat au barreau de Lille

INTIMÉES

Madame [U] [V]

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 11]

À laquelle la déclaration d'appel a été signifiée le 7 juillet 2021 à étude

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Artois

[Adresse 4]

[Localité 10]

À laquelle la déclaration d'appel a été signifiée le 7 juillet 2021 à personne habilitée

DÉBATS à l'audience publique du 10 mars 2022 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

ARRÊT RENDU PAR DEFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 mai 2022 après prorogation du délibéré en date du 05 mai 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 7 mars 2022

****

EXPOSE DU LITIGE

Vu le jugement du 3 février 2021, par lequel le tribunal judiciaire d'Arras a :

1. - liquidé l'astreinte provisoire fixée par son jugement rendu le 24 décembre 2019 ;

2. - condamné Mme [U] [V] à payer aux consorts [O] la somme de 6 000 euros à titre de liquidation de l'astreinte ;

3. - rejeté la demande de désignation d'un nouvel expert ;

4. - dit que Mme [V] avait engagé sa responsabilité dans le retard d'hospitalisation de [E] [O] entre le 12 octobre 2015 et le 26 octobre 2015 ;

5.- rejeté la demande d'indemnisation du préjudice des souffrances endurées par [E] [O] ;

6. - condamné Mme [V] à indemniser les préjudices subis par les victimes indirectes en leur payant à titre de dommages et intérêts les sommes de :

* 5 000 euros à Mme [J] [O] ;

* 4 000 euros à Mme [I] [O] ;

* 2 000 euros à M. [A] [P] ;

* 1 000 euros à M. [L] [D] [O] ;

7. - débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

8. - condamné Mme [V] à payer aux consorts [O] une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Vu la déclaration d'appel formée le 8 avril 2021 par les consorts [O] à l'encontre de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 3, 4, 5, 6, 7 et 8 ci-dessus.

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions notifiées le 30 juillet 2021 par les consorts [O], aux termes desquelles ils demandent à la cour de :

- réformer le jugement rendu en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes de dommages-intérêts pour non-communication du dossier médical ;

- condamner Mme [V] à verser :

' à Mme [J] [O], veuve de [E] [O], la somme de 5 000 euros,

' à Mme [I] [O], fille de [E] [O], la somme de 5 000 euros,

' à M. [A] [P], beau-fils de [E] [O], la somme de 5 000 euros,

' à [L] [D]-[O], petit-fils de [E] [O], pris en la personne de Mme [K] [O], représentant légal, la somme de 5 000 euros,

à titre de dommages-intérêts pour l'absence de communication immédiate du dossier médical ;

- réformer le jugement rendu en ce qu'il a débouté les consorts [O] de leur demande de contre-expertise et ordonner une contre-expertise et désigner un expert cardiologue spécialisé dans le traitement de l'amylose, avec mission habituelle en matière de responsabilité médicale et de liquidation de préjudice corporel ;

- réformer le jugement rendu en ce qu'il a déclaré Mme [V] responsable d'un retard d'hospitalisation entre le 12 octobre 2015 et le 26 octobre 2015 ;

- déclarer Mme [U] [V] entièrement responsable des préjudices subis par [E] [O] ;

- réformer le jugement rendu en ce qu'il a débouté les consorts [O] de leur demande de dommages-intérêts au titre des souffrances endurées par [E] [O] ;

- condamner Mme [U] [V] à indemniser les consorts [O] à hauteur de 80 000 euros titre des souffrances endurées par [E] [O] en leur qualité d'ayants-droits ;

- réformer le jugement rendu en ce qu'il a condamné Mme [V] à indemniser le préjudice subi par les consorts [O] a minima ;

- condamner Mme [U] [V] à indemniser Mme [J] [O] à hauteur de

55 000 euros dont 25 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement et 30 000 euros au titre du préjudice d'affection ;

- condamner Mme [U] [V] à indemniser Mme [I] [O] à hauteur de 50 000 euros dont 25 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement et 25 000 euros au titre du préjudice d'affection ;

- condamner Mme [U] [V] à indemniser M. [A] [P] à hauteur de

15 000 euros au titre de son préjudice d'affection ;

- condamner Mme [U] [V] à indemniser [L] [D]-[O], pris en la personne de Mme [K] [O], représentant légal, à hauteur de 20 000 euros au titre de son préjudice d'affection ;

- condamner Mme [U] [V] à verser aux consorts [O] tant en leur qualité personnelle qu'en leur qualité d'ayant-droits de [E] [O] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [U] [V] aux entiers frais et dépens, et ce compris de l'instance en référé, ainsi que les frais de consignation pour l'expert, outre les droits de plaidoiries de référé et de la présente instance ;

- condamner Mme [U] [V] au paiement des sommes dues au titre de l'article 444-32 du Code de commerce, en cas d'exécution forcée des condamnations.

Vu l'absence de constitution d'avocat par Mme [V] et par la caisse primaire d'assurance-maladie de l'Artois, auxquelles la déclaration d'appel et les conclusions des appelants ont été valablement notifiées par acte du 7 juillet 2021 ;

MOTIFS DE LA DÉCISION':

Sur la responsabilité du praticien exerçant à titre libéral :

L'article L. 1111-7 du code de la santé publique dispose que "toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels de santé, par des établissements de santé et par des centres de santé ['] Elle peut accéder à ces informations directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'elle désigne et en obtenir communication, dans des conditions définies par voie réglementaire au plus tard dans les huit jours suivant sa demande et au plus tôt après qu'un délai de réflexion de quarante-huit heures aura été observé."

Le professionnel de santé exerçant à titre libéral a ainsi l'obligation de conserver le dossier médical de son patient.

À cet égard, le professionnel de santé engage sa responsabilité en cas de perte ou de non-communication du dossier médical dont la conservation lui incombe. Une telle absence de communication place le patient ou ses ayants-droit dans l'impossibilité d'accéder aux informations de santé concernant celui-ci et, le cas échéant, d'établir l'existence d'une faute dans sa prise en charge. Dès lors, elle conduit à inverser la charge de la preuve et à imposer au professionnel de santé de démontrer que les soins prodigués ont été appropriés.

Lorsque le professionnel de santé n'a pas rapporté la preuve de son absence de faute diagnostique ou de suivi, l'absence fautive de communication du dossier médical fait perdre au patient ou à ses ayants droit la chance de prouver que la faute ainsi présumée est à l'origine de l'entier dommage corporel subi et d'en obtenir ainsi la réparation intégrale.

En l'espèce, la cour observe que le chef du dispositif du jugement critiqué ayant statué sur le principe même de la responsabilité de Mme [V] est remis en cause par les consorts [O], de sorte qu'il convient de statuer à nouveau sur ce point en droit et en fait, dans le respect des dispositions de l'article 472 alinéa 2 du code de procédure civile, en l'absence de constitution d'avocat par ce médecin libéral intimé devant la cour.

Si les premiers juges ont fait application d'une présomption de faute pesant sur Mme [V] au titre d'un défaut de communication du dossier médical, ils n'ont toutefois pas statué sur la perte de chance de pouvoir obtenir la réparation des préjudices subis par [E] [O] et résultant de la faute présumée de ce praticien libéral, mais sur la perte de chance de survie au titre d'un retard d'hospitalisation entre le 12 octobre et le 26 octobre 2015. Le préjudice qu'ils ont recherché n'entretient ainsi pas de lien de causalité avec la faute retenue.

Pour autant, les consort [O] n'invoquent pas devant la cour le bénéfice d'une telle présomption de faute résultant d'un défaut de communication du dossier médical, dont ils demandent en réalité l'indemnisation autonome au titre d'un préjudice moral. Ils estiment en revanche que la faute résultant d'un retard de diagnostic imputable à Mme [V] est établie par les preuves qu'ils produisent, et qu'à défaut, une expertise médicale est nécessaire pour éclairer la cour. Ils critiquent la motivation des premiers juges, estimant que la perte de chance ne s'apprécie pas sur une durée, mais selon un pourcentage. Pour autant, ils considèrent que la perte de chance de survie en matière d'amylose cardiaque doit conduire à déclarer Mme [V] entièrement responsable du préjudice subi et ne proposent ainsi aucun pourcentage de perte de chance.

Sur ce,

Sur la contre-expertise :

En l'espèce, l'expert judiciaire [X], inscrit sur la liste dressée par la Cour de cassation, a retenu que le diagnostic d'amylose cardiaque était probable, mais non certain, en considération des pièces médicales dont il disposait. La cause du décès déterminée par cet expert reste en définitive non spécifique, dès lors qu'il conclut que «'[E] [O] est décédé d'un troisième arrêt cardiaque non récupéré dans le cadre d'une myocardiopathie sévèrement hypokinétique possiblement amyloïde , décompensée de façon brutale sans cause particulière patente à cette décompensation. Celle-ci intervenait sur un terrain de cardiopathie ischémique ayant donné lieu peu avant à une double angioplastie sur une première grosse diagonale et l'interventriculaire antérieure'».

La demande de contre-expertise présentée par les consorts [O] n'est pas justifiée, dès lors que ces derniers n'établissent pas en quoi le rapport établi par l'expert [X], dont les qualifications professionnelles sont notamment attestées par son inscription sur la liste dressée par la Cour de cassation, présenteraient des erreurs, des lacunes ou des contradictions susceptibles d'en invalider en tout ou partie la valeur technique.

À cet égard, l'interrogation par l'expert [X] sur la réalité d'une amylose cardiaque repose sur le caractère négatif de l'examen anatomopathologique, qui constitue avec l'IRM l'un des «'examens-clés de diagnostic'» d'une telle affection.

Le commémoratif du rapport d'expertise rappelle que [E] [O] a consulté un cardiologue pour la première fois en 2010, époque à laquelle l'expert [X] ne relève aucune symptomatologie chez ce patient. [E] [O] n'ayant jamais reconsulté son cardiologue dans l'intervalle, il est revu par le cardiologue [Y] le 13 avril 2015 (et non 2010, comme indiqué par erreur en page 8, au regard des indications figurant en page 5) : à cette date, le bilan dressé est «'parfaitement rassurant'». Ce n'est qu'à l'occasion d'un rendez-vous fixé le 11 septembre 2015 que le bilan est «'nettement moins rassurant'» qui a motivé la prescription par ce praticien d'une hospitalisation de son patient dans des conditions ayant exclu l'existence d'une faute imputable à M. [Y].

Enfin, l'absence de production du dossier médical par Mme [V] constitue une constante, qu'une astreinte liquidée par les premiers juges n'a pas suffi à résoudre, de sorte qu'aucun élément nouveau n'est susceptible d'être examiné par un expert pour affiner le diagnostic et déterminer les causes du décès de [E] [O].

Le jugement critiqué est confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de contre-expertise.

Sur la faute :

La responsabilité du praticien n'est, en principe, engagée qu'en cas de faute, sur le fondement de l'article L. 1142-1, I, alinéa 1 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002, dont la preuve incombe aux demandeurs en réparation, dès lors que les professionnels de santé ne sont soumis qu'à une obligation de moyens et non de résultat, à l'égard de leurs patients.

Toute erreur de diagnostic n'est pas fautive en soi : ainsi, l'erreur de diagnostic non fautive est celle que tout professionnel diligent, appartenant à la même spécialité et placé dans les mêmes circonstances, aurait commise.

À cet égard, l'article R. 4127-33 du code de la santé dispose que «'le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés'».

Si cet expert judiciaire a indiqué qu'un tel diagnostic est complexe et que les symptômes présentés par [E] [O] pouvaient également évoquer d'autres pathologies que l'amylose cardiaque, la cour observe toutefois qu'à défaut d'avoir produit le dossier médical de son patient, Mme [V] n'a pas établi avoir requis en sa qualité de médecin généraliste l'avis d'un spécialiste cardiaque auquel elle aurait adressé son patient pour approfondir le diagnostic, alors que les consorts [O] exposent à l'inverse que les consultations auprès du cardiologue [Y] ne sont intervenus qu'à leur seule initiative.

Pour autant, la détermination de la nature exacte de la pathologie ayant entraîné le décès de [E] [O] est en réalité indifférente, dès lors que la faute imputée à Mme [V] consiste essentiellement en une absence de prise en compte des résultats des examens biologiques pourtant prescrits par cette dernière le 5 octobre 2015, alors qu'ils étaient particulièrement alarmants selon l'expert judiciaire et qu'ils auraient du conduire ce médecin traitant à envisager des soins spécifiques, et notamment une hospitalisation de son patient dès leur production intervenue le 9 octobre 2015. Pour autant, à l'occasion des consultations postérieures à cette date, et notamment le 12 octobre 2015, Mme [V] n'établit pas avoir réagi à de tels résultats biologiques, qui traduisaient selon l'expert judiciaire une poussée d'insuffisance cardiaque. Ainsi, le rapport d'expertise judiciaire retient notamment «'l'absence d'une quelconque prise en charge par le médecin généraliste à ce moment particulièrement dangereux à l'évidence, au cours duquel il existe au minimum un certain nombre de paramètres à corriger'», alors que les anomalies biologiques majeures requéraient une hospitalisation en urgence de [E] [O] dès la connaissance des résultats d'analyse.

L'erreur diagnostique porte ainsi sur l'absence d'identification par Mme [V] de symptômes susceptibles d'évoquer une amylose cardiaque, mais plus radicalement sur l'absence de prise en compte de résultats biologiques qui indiquaient l'urgence à traiter la myocardiopathie de [E] [O] dont l'évolution particulièrement péjorative depuis septembre 2015 nécessitait des soins que ce médecin n'établit pas avoir fourni.

La faute commise par Mme [V] résulte ainsi à la fois d'une interprétation inexacte des symptômes observés ou des examens médicaux lors des consultations de son patient et d'une carence à s'entourer de l'avis éclairé d'autres médecins face à un diagnostic difficile.

Sur le préjudice et le lien de causalité :

En présence d'une incertitude sur le fait que le dommage ne serait pas advenu ou n'aurait pas présenté la même gravité en l'absence de faute, une réparation ne peut être envisagée que sur le fondement de la perte de chance.

Une perte de chance ne peut, cependant, être écartée qu'en cas de certitude que la faute n'a eu aucune conséquence. Elle est donc considérée comme présentant un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable.

La perte de chance ne s'apprécie pas temporellement sur une période donnée, mais selon un pourcentage.

Sur ce point, si les consorts [O] formulent une critique pertinente de la motivation des premiers juges, ils ne proposent toutefois eux-mêmes aucun pourcentage, se limitant à conclure que Mme [V] devra être déclarée entièrement responsable du préjudice subi.

Pour autant, l'indemnisation de la perte de chance doit nécessairement correspondre à une fraction du préjudice final. En effet, le préjudice de perte de chance est un préjudice distinct du préjudice final, non réparable.

L'hospitalisation que nécessitait l'état de [E] [O] n'est en définitive intervenue qu'au 26 octobre 2015, alors que ce dernier est décédé le [Date décès 8] 2015 d'un troisième arrêt cardiaque.

En définitive, aucune évaluation de la perte de chance de survie n'a été proposée par l'expert judiciaire, pour estimer la probabilité selon laquelle [E] [O] aurait pu survivre s'il avait été hospitalisé par Mme [V] dès le résultat des examens biologiques ayant révélé les anomalies importantes.

Alors que les consorts [O] invoquent eux-mêmes un diagnostic d'amylose cardiaque, l'expert [X] mentionne toutefois les résultats d'une étude sur le pronostic de ce type de pathologie pour des patients admis en soins pour des insuffisances cardiaques (page 22 de son rapport). Cette étude enseigne notamment que d'une façon générale, la mortalité à trois mois est de 52 %. Alors que cette étude retient qu'un taux de NT Pro PNP en situation clinique stable est le seul facteur prédictif d'évolution à court terme vers un état de choc, mentionnant un taux optimal à 4040, le bilan biologique prescrit le 5 octobre 2015 révèle chez [E] [O] un taux de 8 172, qui «'traduit de façon non contestable une poussée d'insuffisance cardiaque'». Cette étude confirme ainsi «'le caractère catastrophique du pronostic des patients porteurs d'amyloses cardiaques en situation clinique instable et souligne l'efficacité limitée des traitements conventionnels. L'évolution très rapidement défavorable chez ces patients jeunes [moins de 65 ans] souligne la nécessité de développer des stratégies alternatives, notamment en cas de NT Pro BNP élevée'».

L'étude ainsi citée par l'expert [X] est datée de 2018 et émane de la société française de cardiologie. À cet égard, la production d'un article issu d'un magazine Xaipe, que la cour identifie comme émanant de l'association française contre l'amylose, n'est pas de nature à remettre en cause un tel pronostic de décès à court terme, dès lors que :

cet article rapporte un protocole de recherche, qui n'était ouvert qu'à un nombre limité de patients recrutés au regard d'une rechute ou d'une situation réfractaire aux autres traitements, alors que [E] [O] ne correspond pas à un tel profil, dès lors qu'il ne présentait aucun trouble antérieur à septembre 2015 ; le traitement présenté comme permettant un allongement de la durée de vie n'est par conséquent pas ouvert à l'ensemble des patients ; il concerne une recherche dont le caractère contemporain avec le décès de [E] [O] n'est pas établi. Outre que l'article n'est pas daté, il ne comporte pas d'indication précise sur la période à laquelle ces essais cliniques ont été menés, alors que la seule référence temporelle y figurant précisément concerne le résultat d'un congrès des amyloses intervenu en 2020, soit postérieurement à l'état des sciences et techniques médicales connu à la date du fait dommageable.

Par ailleurs, l'expert [X] retient qu'en tout état de cause, le retard diagnostique invoqué par les consorts [O] est limité dans sa durée : à cet égard, le rapport indique que «'si tant est qu'un diagnostic aurait pu être fait plus précocement, ce délai porte sur le laps de temps entre le 21 septembre 2015, date de l'IRM et la date de l'hospitalisation à [Localité 17] à savoir le 26 septembre'(en réalité, octobre)».

Le délai de survie est ainsi radicalement différent, selon que le diagnostic de l'amylose cardiaque s'accompagne ou non de signes cardiaques. S'agissant de [E] [O], il a présenté d'emblée en septembre 2015 de tels signes d'une instabilité cardiaque, qui aggravent dans d'importantes proportions le pronostic. Ainsi, un rapport établi par Mme [Z] et annexé par l'expert [X] à son propre rapport, retient que si la médiane de survie sans atteinte cardiaque est de 20 mois, la survie médiane globale de patients avec une amylose cardiaque quels que soit le type d'amylose est de 13 mois, alors qu'elle chute à 1 mois entre le diagnostic et le décès quand il existe de tels signes cardiaques.

En définitive, au regard de l'ensemble de ces éléments, la faute commise par Mme [V] a entraîné au préjudice de [E] [O] une perte de chance que la cour fixe à 10 %.

Sur l'indemnisation des victimes :

$gt;$gt; au titre de l'absence de communication du dossier médical :

Lorsque le patient est décédé, le secret médical ne fait pas obstacle, sauf volonté contraire exprimée avant le décès, à ce que les informations médicales soient délivrées à ses ayants droit dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, en application de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique.

Les ayants droit du patient ont par conséquent vocation à solliciter l'indemnisation d'un préjudice moral résultant tant de l'obstacle ainsi apporté à la possibilité de faire valoir leurs droits qu'à l'incertitude sur le détenteur ou le bénéficiaire des informations contenues dans ce dossier et couvertes par le secret médical dans l'hypothèse de sa perte.

Les premiers juges ont omis de statuer sur la demande d'indemnisation d'un tel préjudice, ainsi qu'il résulte des dernières conclusions des consorts [O] telles qu'elles sont rappelées par le jugement critiqué.

L'effet dévolutif de l'appel formé par les consorts [O] autorise la cour à rectifier une telle omission de statuer.

En l'espèce, l'absence fautive de communication du dossier médical, imputable à Mme [V], a causé aux ayants droit de [E] [O] un préjudice moral qu'il convient d'indemniser, en considération du lien de proximité familial et de l'âge respectifs des victimes, à :

* 3 000 euros au profit de Mme [J] [O] ;

* 1 000 euros au profit de Mme [I] [O] ;

* 500 euros au profit de M. [A] [P] ;

* 500 euros au profit de M. [L] [D] [O].

Ce préjudice résulte directement d'une faute directe de Mme [V] et ne présente aucun caractère aléatoire, de sorte qu'il n'est pas affecté par le taux de perte de chance, qui ne s'applique qu'à l'indemnisation des préjudices résultant de l'erreur diagnostique commise par ce médecin.

$gt;$gt; au titre des souffrances endurées par [E] [O] :

Toute personne victime d'un dommage, quelle qu'en soit la nature, a droit d'en obtenir l'indemnisation de celui qui l'a causé, étant précisé qu'en application de l'article 731 du code civil, le droit à réparation du préjudice résultant de la souffrance éprouvée par la victime avant son décès, en raison d'une perte de chance de survie, étant né dans son patrimoine, se transmet à son décès à ses héritiers.

Le rapport d'expertise mentionne qu'à compter de septembre 2015 se manifestent divers troubles chez [E] [O] : apparition d'une dyspnée au moindre effort et hypokinésie (diminution de la capacité de mouvement ou musculaire) nette, globale, diffuse.

La rapidité de la dégradation de son état physique n'a pu échapper à [E] [O], lui causant par conséquent des souffrances morales en considération de sa conscience d'une évolution très péjorative de sa situation et d'une perspective de décès à court terme.

L'indemnisation ne doit toutefois porter que sur le préjudice résultant directement de la faute commise par Mme [V] : il en résulte que les souffrances physiques et morales qu'a subis [E] [O] et résultant de la dégradation de son état sont essentiellement imputables à sa maladie, sans qu'il soit démontré que le retard diagnostique par Mme [V] ait contribué à les aggraver. À cet égard, l'expert [X] rappelle que la dégradation de l'état de santé du patient a été brutale, alors qu'il ne présentait aucune symptomatologie antérieure. En réalité, une probabilité de survie plus longue de [E] [O] aurait aggravé à l'inverse la durée de ses souffrances.

Le jugement ayant débouté les consorts [O] de leur demande à ce titre est par conséquent confirmé.

$gt;$gt; au titre d'un préjudice d'affection et d'accompagnement :

Alors que le préjudice moral d'accompagnement de fin de vie subi par les proches de la victime est constitué par les troubles dans les conditions d'existence pendant la maladie, le préjudice d'affection est constitué par la douleur morale subie à la suite du décès. Ces deux postes de préjudice sont distincts et doivent par conséquent être indemnisés cumulativement, pour assurer la réparation intégrale du préjudice des proches, sans perte ni profit.

Outre que le préjudice d'accompagnement n'a porté en l'espèce que sur une courte période de quelques semaines et qu'il n'est pas documenté, notamment pour établir l'importance de l'état de dépendance du patient résultant d'une hypokinésie, et qu'aucune pièce n'est produite pour établir l'intensité du préjudice moral invoqué par les proches de [E] [O] en considération d'une proximité particulière avec le défunt, la cour relève à nouveau que :

- le préjudice d'affection invoqué par les proches est principalement imputable à la seule maladie ayant entraîné le décès de [E] [O], alors que la faute commise par Mme [V] n'y a contribué que pour une part très minime ; les circonstances du décès de [E] [O] ayant été entourées d'un climat de dissimulation par le médecin traitant et établissant l'existence d'une perte de chance de survie, les premiers juges ont toutefois valablement retenu qu'un tel contexte a majoré la souffrance morale des proches résultant d'un tel décès ;

- le préjudice d'accompagnement de fin de vie a été paradoxalement abrégé par la faible perte de chance de survie de [E] [O], dont l'échéance fatale était en revanche inéluctable à bref délai et résultait de sa seule maladie.

Il en résulte que la faute commise par Mme [V] n'a pas ou peu causé les préjudices invoqués par les proches de [E] [O], de sorte qu'il n'y a pas lieu de modifier l'appréciation portée par les premiers juges sur ces deux postes de préjudice.

A l'inverse, en application des articles 562 du code de procédure civile, la cour ne peut aggraver le sort de l'appelant sur son unique appel et réformer la décision des premiers juges au profit de l'intimé qui n'a pas relevé appel incident. Elle ne dispose ainsi pas de la faculté de diminuer l'indemnisation fixée par les premiers juges, en l'absence d'appel incident de Mme [V].

Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [V] à indemniser les préjudices subis par les victimes indirectes en leur payant à titre de dommages et intérêts les sommes de :

* 5 000 euros à Mme [J] [O] ;

* 4 000 euros à Mme [I] [O] ;

* 2 000 euros à M. [A] [P] ;

* 1 000 euros à M. [L] [D] [O] ;

et a débouté les proches de [E] [O] du surplus de leurs demandes.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,

- et d'autre part, à condamner Mme [V] aux dépens d'appel et à payer aux consorts [O] une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, outre que les premiers juges ont valablement relevé que l'article R. 444-32 du code de commerce visé par les consorts [O] n'existe pas, les émoluments proportionnels de recouvrement ou d'encaissement des huissiers de justice sont en application de l'article R. 444-55 du code de commerce à la charge du débiteur pour ceux mentionnés au numéro 128 du tableau 3-1 annexé à l'article R. 444-3 du code de commerce (recouvrement ou encaissement après avoir reçu mandat ou pouvoir à cet effet, des sommes dues en application d'une décision de justice, d'un acte ou d'un titre en forme exécutoire) et à la charge du créancier pour ceux mentionnés au numéro 129 du tableau 3-1 annexé à l'article R. 444-3 du code de commerce (recouvrement ou encaissement, après avoir reçu mandat ou pouvoir à cet effet, des sommes dues par un débiteur).

Cette répartition ne peut être remise en cause par le juge, sauf dans les litiges nés du code de la consommation en application de l'article R. 631-4 du code de la consommation.

Le présent litige n'étant pas un litige de consommation, la demande des consorts [O] tendant à voir inclure dans les dépens l'intégralité du droit de recouvrement ou d'encaissement prévu par l'article R. 444-55 du code de commerce n'est pas fondé. Le jugement ayant rejeté cette demande est confirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS':

La cour,

Infirme le jugement rendu le 3 février 2021 par le tribunal judiciaire d'Arras en ce qu'il a :

- dit que Mme [V] avait engagé sa responsabilité dans le retard d'hospitalisation de [E] [O] entre le 12 octobre 2015 et le 26 octobre 2015 ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Dit que Mme [U] [V] a engagé sa responsabilité civile au titre d'un retard diagnostique ayant causé à [E] [O] une perte de chance de survie de 10 % ;

Dit que la responsabilité de Mme [U] [V] est engagée au titre d'un défaut de communication du dossier médical de [E] [O] aux ayants droit de ce dernier ;

Condamne par conséquent Mme [U] [V] à payer, en réparation de leur préjudice moral résultant d'un tel défaut de communication du dossier médical de [E] [O], les sommes de :

* 3 000 euros à Mme [J] [O] ;

* 1 000 euros à Mme [I] [O] ;

* 500 euros à M. [A] [P] ;

* 500 euros à M. [L] [D] [O], mineur représenté par Mme [K] [O];

Confirme le jugement en ses autres dispositions critiquées par l'appel principal ;

Condamne Mme [U] [V] aux dépens d'appel ;

Condamne Mme [U] [V] à payer à Mme [J] [O], Mme [I] [O], M. [A] [P], et à M. [L] [D]-[O], représenté par Mme [K] [O] (ensemble) la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés en appel, par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GreffierLe Président

F. DufosséG. Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/02023
Date de la décision : 19/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-19;21.02023 ?
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