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19/05/2022 | FRANCE | N°21/00050

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 19 mai 2022, 21/00050


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 19/05/2022



****





N° de MINUTE : 22/218

N° RG 21/00050 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TLVE



Jugement (N° 20/02433) rendu le 03 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Lille





APPELANTES



Madame [B] [Y]

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 4]



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Madame [X] [H]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentées par Me Angélique Opovin, avocat au ba...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 19/05/2022

****

N° de MINUTE : 22/218

N° RG 21/00050 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TLVE

Jugement (N° 20/02433) rendu le 03 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTES

Madame [B] [Y]

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 4]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 59178002/20/010788 du 05/01/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai)

Madame [X] [H]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentées par Me Angélique Opovin, avocat au barreau de Lille

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 59178002/20/010789 du 05/01/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai)

INTIMÉS

Monsieur [S] [D]

de nationalité française

[Adresse 7]

[Adresse 7]

Société Sham (societe hospitaliere d'assurance mutuelle)

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentés par Me Jean-François Segard, avocat au barreau de Lille substitué par Me Bavay, avocat au barreau de Lille

Caissse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 8]-[Localité 4]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

A laquelle la déclaration d'appel a été signifiée le 24 mars 2021 à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 03 février 2022 après rapport oral de l'affaire par Guillaume Salomon

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 mai 2022 après prorogation du délibéré en date du 28 avril 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 10 janvier 2022

****

EXPOSE DU LITIGE

A l'issue d'un suivi de sa grossesse par M. [S] [D], obstétricien exerçant à titre libéral au sein du centre hospitalier de [Localité 8], Mme [B] [Y] a accouché par voie basse le 15 juin 1993 de Mme [X] [H], son troisième enfant, par déclenchement 10 jours avant le terme.

L'accouchement pratiqué par M. [D] a été dystocique, en raison d'une difficulté mécanique ayant nécessitant une man'uvre obstétricale pour dégager les épaules du nourrisson. L'enfant pesait 4,640 kilogrammes à la naissance.

Lors de l'accouchement, Mme [X] [H] a subi une lésion du plexus brachial droit, ayant nécessité de nombreuses interventions chirurgicales et de soins de rééducation.

Par ordonnance du 16 décembre 1997, le juge des référés de Lille a ordonné une expertise médicale qu'il a confié aux experts [J] et [R]. Ces derniers ont déposé leur rapport le 3 juillet 1998, pour conclure que l'indication et la réalisation de l'accouchement ont été conformes aux bonnes pratiques obstétricales.

Le rejet d'une demande de nouvelle expertise après consolidation a été confirmée par la cour.

Courant avril et mai 2016, Mme [Y] et Mme [H] ont assigné devant le tribunal de grande instance de Lille M. [D], la société hospitalière d'assurance mutuelle (la Sham), et la caisse primaire d'assurance-maladie de de [Localité 8]-[Localité 4].

Par jugement avant-dire droit du 16 novembre 2017, le tribunal a ordonné une nouvelle expertise qu'il a confié à M. [L]. Le rapport d'expertise, déposé le 3 janvier 2020, exclut la commission d'une faute par M. [D] lors de l'accouchement litigieux.

Par jugement du 3 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Lille a :

- (1) rejeté les demandes formulées par Mme [X] [H] et Mme [B] [Y] ;

- (2) les a condamnées aux dépens ;

- (3) a dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 28 décembre 2020, Mmes [H] et [Y] ont formé appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 1 et 2 ci-dessus.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 5 décembre 2021, Mmes [H] et [Y] demandent à la cour d'infirmer ce jugement et en conséquence :

=$gt; à titre principal :

* juger que M. [D] a commis des fautes de diagnostic et négligences fautives au décours de la prise en charge de Mme [Y] et que ces fautes ont entraîné un préjudice direct et certain à Mme [H] ; juger que M. [D] a engagé sa responsabilité au titre de leur prise en charge et le condamner à les indemniser de l'intégralité de leurs préjudices ;

* subsidiairement : juger que les fautes commises par M. [D] ont causé une perte de chance d'éviter une paralysie brachial à hauteur de 75 % ;

* en tout état de cause :

- juger que M. [D] a manqué à son obligation d'information ;

- condamner solidairement M. [D] et la Sham à payer à Mme [H] la somme de 400 000 euros à titre de provision sur l'indemnisation définitive de son préjudice et à payer à Mme [Y] une provision de 15 000 euros ;

- ordonner une nouvelle expertise confiée à un médecin orthopédique ;

- condamner solidairement M. [D] et la Sham à payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

- les condamner aux entiers dépens ;

=$gt; à titre subsidiaire : ordonner une nouvelle expertise médicale confiée à un collège d'experts gynécologue obstétricien et chirurgien orthopédique pour rechercher les éventuelles fautes commises par M. [D] et les préjudices en découlant.

A l'appui de leurs prétentions, elles font valoir, au visa de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 seul applicable aux faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, que :

M. [D] a commis des fautes qu'il convient d'apprécier exclusivement par référence à l'état des connaissances scientifiques antérieures à 1993 :

=$gt; au cours de la surveillance et du suivi de la grossesse : alors que la littérature médicale relève une série de facteurs de risques à la survenue d'une paralysie obstétricale du plexus brachial, Mme [Y] présentait notamment de tels facteurs, constitués par une surcharge pondérale, une hauteur utérine élevée et des mensurations foetales fortes. Dans ces conditions, il appartenait à M. [D] de suspecter une éventuelle macrosomie foetale et de mettre en 'uvre les mesures nécessaires pour limiter les risques pour la mère et l'enfant à naître, notamment en réalisant une radiopelvimétrie ou en optant pour un accouchement par césarienne au regard de ses antécédents de morbidité foetale dans le cadre d'une précédente grossesse. À cet égard, Mme [Y] indique avoir sollicité ce type d'accouchement et mentionne que son avis sur le recours à la césarienne n'a pas été pris en compte.

=$gt; au cours de l'accouchement : à défaut de toute mention portée dans le dossier médical dans sa version initiale, tel qu'il leur a été communiqué en 1998, M. [D] ne prouve pas avoir réalisé la man'uvre de Mc Roberts ou de [V], alors qu'à l'inverse de ces méthodes indiquées par l'état de la science, une traction de la tête f'tale par l'utilisation de forceps a été pratiquée par ce professionnel de santé dans des conditions ayant causé la paralysie du plexus brachial subie par Mme [H]. À cet égard, elles indiquent avoir déposé plainte à l'encontre de M. [D] pour falsification du dossier médical, dès lors que l'exemplaire produit par ce dernier à destination de l'expert [L] comporte une telle mention de la man'uvre de [V]. Outre que les parents de Mme [H] n'ont aucun souvenir d'une telle man'uvre spécifique au cours de l'accouchement, l'équipe médicale était insuffisante pour y procéder à l'égard de Mme [Y], dès lors qu'elle nécessitait l'intervention de trois personnes. La seule absence d'anoxie du foetus ne suffit pas à exclure une responsabilité médicale.

=$gt; postérieurement à l'accouchement : M. [D] a manqué à son obligation d'information sur les modalités de prise en charge de la paralysie du plexus brachial et sur les risques encourus.

l'absence de recours à un accouchement par césarienne a causé directement la paralysie : il ne s'agit pas d'une perte de chance d'éviter le dommage, mais d'un dommage intégralement causé par une telle faute. Subsidiairement, le taux de 75 % de perte de chance doit s'appliquer, tel qu'il a été relevé dans d'autres procédures traitant des cas similaires à celui de Mme [H].

La liquidation du préjudice corporel de Mme [H] ne peut intervenir sur la base du rapport de l'expert [L], dont l'analyse et les conclusions sont critiquées par un rapport établi par le professeur [M]. Une nouvelle expertise est nécessaire pour y procéder.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 14 juin 2021, M. [D] et la Sham demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris, de rejeter les demandes de Mmes [H] et [Y], et de les condamner tant aux entiers dépens dont distraction au profit de leur avocat qu'à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de leurs prétentions, ils font valoir que :

- M. [D] n'a commis aucune faute, ainsi qu'il résulte de l'analyse fouillée du dossier par les différents experts ayant successivement fourni leur avis technique.

D'une part, l'accouchement par voie basse constituait une indication valable, notamment au regard d'un accouchement «'sans trop de problème'» du premier enfant de Mme [Y] pesant 4,7 kilogrammes, alors que Mme [X] [H] pesait un poids similaire. La césarienne n'était pas recommandée dans le cas de Mme [Y], dès lors qu'elle n'est indiquée systématiquement qu'à compter d'un poids foetal de 5 kilogrammes.

D'autre part, les bonnes pratiques recommandaient, en présence d'un blocage des épaules, de recourir notamment à une ventouse ou à un forceps. En raison de l'échec d'une telle man'uvre, M. [D] a valablement réalisé une man'uvre de [V], étant précisé que ces man'uvres entraînent fréquemment des lésions du plexus brachial. Le risque d'anoxie foetale nécessitait d'intervenir rapidement, de sorte que le geste pratiqué a sauvé la vie de l'enfant. La réalisation des manoeuvres adaptées, et notamment de la man'uvre de [V], a été nécessairement réalisée, dès lors qu'elles permettent seules l'extraction en cas de dystocie des épaules.

- Les données acquises de la science en 1993 font ressortir une absence de consensus sur le recours plus ou moins rapide à la césarienne, de sorte qu'en l'absence de recommandations de bonnes pratiques éditées par le collège national de gynécologie obstétrique, la seule publication d'un article rédigé en 1991 par le docteur [K] n'est pas de nature à établir l'existence d'une norme en vigueur à cette époque, alors que seule l'expérience et la clinique doivent guider les professionnels.

- Le propre article établi par le docteur [K] reconnaît qu'il n'existe pas en 1991 une méthode efficace de prédiction de la macrosomie foetale, alors que le recours à l'IRM renvoyait en 1993 à un équipement difficilement accessible. L'absence de dépistage d'une macrosomie n'est ainsi par fautive. En outre, l'absence de recours à une radiopelvimétrie préalable à l'accouchement n'est pas fautive, étant d'ailleurs observé que les bonnes pratiques ultérieurement publiées ne retiennent pas un tel examen en cas de suspicion de macrosomie foetale. Le recours à une césarienne prophylactique n'est enfin pas systématiquement indiqué en cas d'une telle suspicion, alors que Mme [Y] ne présentait ni bassin pathologique, ni morbidité foetale, un antécédent d'avortement spontané à deux mois de grossesse n'étant pas assimilable à une telle morbidité.

- À compter de la dystocie des épaules, aucune traction n'a été effectuée, alors que les manoeuvres antérieures à cette dystocie ont été validées par les experts. La rotation par forceps n'a pu causer le plexus brachial. Enfin, sans la réalisation des manoeuvres permettant de remédier à la dystocie des épaules, l'enfant serait mort, de sorte que la preuve de leur réalisation est ainsi administrée, indépendamment de l'absence de mention portée sur ce point dans le dossier médical. La modification du dossier n'est pas inspirée par une volonté dissimulatrice, alors que M. [D] avait conscience que le dossier initial avait été communiqué à l'expert.

- L'information sur les modalités de prise en charge de la paralysie et des risques encourus a été valablement apportée, ainsi qu'il résulte du courrier de sortie adressé le 24 juin 1993 par M. [D] au médecin traitant de Mme [Y], alors que la qualité de la prise en charge postérieur au diagnostic de paralysie a été conforme aux règles de l'art.

La caisse primaire d'assurance-maladie de [Localité 8]-[Localité 4], à laquelle la déclaration d'appel et les conclusions d'appelant ont été valablement signifiées, n'a pas constitué avocat devant la cour.

MOTIFS DE LA DÉCISION':

1.Sur la responsabilité du professionnel de santé :

L'accouchement litigieux s'étant produit en juin 1993, il convient de se référer d'une part aux règles juridiques applicables à cette date et d'autre part à l'état des connaissances scientifiques acquises à cette même date.

Antérieurement à l'entrée en vigueur de l'article l'article L. 1142-1, I, alinéa 1 du code de la santé publique, issu de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002, la responsabilité d'un praticien libéral à l'égard de son patient reposait sur l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, pour considérer qu'il se formait entre le médecin et son patient un contrat comportant pour le praticien l'engagement de donner des soins attentifs, consciencieux, et, sous réserve de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science, étant précisé que la violation même involontaire de cette obligation, qui revêt la nature juridique d'une obligation de moyens, engage sa responsabilité contractuelle.

Par ailleurs, contrairement aux allégations de Mmes [Y] et [H], l'examen du rapport établi par le professeur A. [K] à l'occasion des 2èmes journées nationales organisées à [Localité 6] en 1991 par la société française de médecine périnatale, ne permet pas de retenir l'existence d'un consensus sur l'état des connaissances scientifiques et sur les méthodes à utiliser face à une macrosomie foetale, qui a été en réalité moins étudiée que l'hypotrophie foetale.

Si la cour ne peut se fonder sur des connaissances médicales ultérieures aux faits reprochés pour caractériser l'existence d'une faute commise par le professionnel de santé, ce dernier est en revanche fondé à invoquer les données de la science émises postérieurement aux soins.

1.1.au titre d'une faute diagnostique ou technique :

1.1.1.s'agissant de l'absence de césarienne prophylactique :

Mme [Y] allègue devant l'expert [L] qu'un accouchement par césarienne était prévu, mais qu'en raison d'une indisponibilité de la salle d'opération, cette intervention n'a pu se réaliser. Pour autant, une telle allégation ne repose sur aucun élément.

S'agissant de l'indication d'une césarienne prophylactique, le rapport des experts [J] et [R] relève que le risque de dystocie des épaules «'est une complication rare mais classique (...) de l'accouchement des gros enfants et des femmes obèses en particulier'». S'ils relèvent l'obésité de Mme [Y] lors de son accouchement, ils notent toutefois l'existence d'un accouchement d'un premier enfant pesant 4,7 kilogrammes qui devait permettre au médecin d'envisager favorablement un accouchement par voie basse, alors que le déclenchement a permis d'éviter l'aggravation de la macrosomie de [X] [H] qui serait intervenue jusqu'au terme. Ils indiquent que «'la seule façon d'éviter cet accident aurait été de faire une césarienne prophylactique : elle n'était pas indiquée en raison des antécédents obstétricaux de Mme [Y] : accouchement sans trop de problème par les voies naturelles d'un premier enfant présentant une macrosomie importante. En outre, une césarienne faisait courir indubitablement un surrisque maternel important particulièrement important chez les femmes obèses comme Mme [Y]'».

Sur ces dernières observations, ce rapport comporte une erreur, dès lors que le premier enfant accouché de Mme [Y] par voie basse pesait 4,170 kilogrammes à la naissance. En revanche, l'appréciation d'un accouchement «'sans trop de problème'» renvoie à une connaissance acquise par les experts de la fracture de sa clavicule gauche qu'avait subie le premier enfant de Mme [Y] en 1987 (en page 9).

Sur ce point, l'étude du professeur [K] retient d'une part qu'est considéré comme macrosome tout enfant de plus de 4 000 grammes naissant à terme. D'autre part, cette étude mentionne que les appréciations médicales sur la césarienne prophylactique sont divergentes, certains la réservant à des foetus d'un poids supérieur à 5 kilogrammes, d'autres la préconisant pour ceux d'un poids supérieur à 4,5 kilogrammes. Pour sa part, ce praticien rejoint toutefois les «'auteurs [qui] pensent qu'un accouchement par voie basse bien conduit n'augmente pas le risque foetal'», exception faite :

- des grossesses diabétiques ou en cas de bassin pathologique, hypothèses non applicables en l'espèce, notamment au regard d'un test O'Sullivan négatif préalablement à l'accouchement et de l'apparition d'une hyperinsulinisme dont le diagnostic sera bien postérieur à la grossesse litigieuse (rapport de l'expert [L], pages 6, 7 et 31) ;

- ou d'antécédent de morbidité foetale : en l'espèce, si l'enfant de Mme [Y] né en 1987 a subi une fracture de la clavicule lors de son accouchement, l'expert [L] ne retient toutefois l'existence d'un tel antécédent que dans l'hypothèse d'un accouchement antérieur ayant causé une dystocie des épaules (page 31 de son rapport).

Le professeur [K] indique ainsi que «'si la dystocie des épaules survient avec prédilection dans [le groupe des enfants macrosomes], sa prévalence est faible et la plupart des «'gros enfants'» accouchent normalement par voie basse'».

L'étude du professeur [K] souligne la difficulté à prévoir la macrosomie, indiquant notamment la mesure de la hauteur utérine ou l'échographie comme mode de prédiction, tout en précisant que l'approche du diagnostic ne se fait qu'avec une précision de +/- 10 %.

L'expert [L] ajoute que les données scientifiques ultérieures ont relevé qu'en l'absence de diabète, la macrosomie n'est pas en elle-même une indication systématique de césarienne programmée, mais qu'elle est recommandée en cas de poids foetal estimé supérieur ou égal à 5 000 grammes, visant des recommandations établies par la Haute autorité de santé de janvier 2012, ainsi qu'un compte rendu précisément établi par le professeur [K] à l'occasion des 21èmes journées nationales de médecine périnatale.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la faute reprochée à M. [D] à ce titre n'est pas établie.

1.1.2.s'agissant de l'absence de réalisation d'une radiopelvimétrie :

Dans leur rapport du 3 juillet 1998, les experts [J] et [R] n'évoquent pas la nécessité d'un tel examen. A l'inverse, au titre des examens préalables à l'accouchement, ils relèvent la réalisation d'une échographie et d'un test de O'Sullivan au cours des mois précédents, indiquant à cet égard que l'échographie était normale «'en dehors d'une macrosomie discrète'» et que le test de O'Sullivan qu'il était «'judicieux de réaliser chez une patiente présentant une dyspondérose et ayant donné naissance à deux reprises à des enfants macrosomes'», était également normal.

Seul le rapport établi par le professeur [K] relève que «'l'accouchement d'enfants macrosomes doit être généralement la voie basse, à condition d'avoir une présentation céphalique et un bassin cliniquement normal, d'où la règle de demander une radiopelvimétrie systématique'».

Pour autant, outre qu'aucune norme professionnelle applicable en 1993 n'est invoquée à l'appui d'une telle affirmation, l'expert [L] rapporte à l'inverse que les recommandations de la pratique clinique du Collège national des gynécologues et des obstétriciens français indiquent en janvier 2015 qu''«'il n'y a pas d'indication à réaliser une radiopelvimétrie en cas de suspicion de macrosomie foetale'». Au surplus, la motivation d'un tel examen repose selon le professeur [K] sur le risque d'une présentation céphalique ou d'un bassin anormal, dont la survenue ne résulte en l'espèce d'aucune pièce, de sorte que l'absence d'un tel examen est en tout état de cause dépourvu de lien de causalité avec les préjudices subis par l'enfant.

En définitive, outre que Mme [Y] elle-même n'invoque pas l'absence de mesure du diamètre bi-acromial, l'expert [L] retient que le seul poids foetal n'est pas un argument suffisant pour diagnostiquer une macrosomie, et que cette mesure du diamètre bi-acromial aurait nécessité une IRM, ce qui en 1993 était très compliqué dans la pratique courante.

Aucune faute n'est par conséquent établie au titre des investigations menées pour diagnostiquer la macrosomie de l'enfant [X] et pour analyser l'indication éventuelle d'une césarienne, l'obligation de moyens pesant sur M. [D] ayant été valablement exécutée par référence à un praticien normalement diligent et compétent selon les données scientifiques connues en 1993.

1.1.3.s'agissant de l'absence de réalisation des man'uvres obstétricales indiquées :

M. [H] a indiqué à l'expert [L] que M. [D] a appuyé sur le ventre de son épouse avec les genoux et ses jambes pour faire descendre l'enfant avant l'utilisation des forceps. Alors que M. [D] a pour sa part démenti une telle allégation, aucun élément n'établit la réalité d'une telle man'uvre au cours de l'accouchement.

M. [H] a également prétendu qu'à l'occasion d'une consultation du 15 juin 2013, l'examen gynécologique a été pratiqué par une sage-femme et qu'une échographie a été refusée, dès lors qu'une telle investigation n'avait pas été demandée par le médecin.

Ces faits ne sont toutefois pas invoqués par Mme [Y] pour caractériser une faute imputable à M. [D]. Plus globalement, les allégations de Mme [Y] et de son époux sur le déroulement de l'accouchement doivent être envisagées avec réserves. Sur ce point, les experts [J] et [R] ont ainsi pu relever l'impossibilité de leur assertion selon laquelle Mme [Y] aurait commencé à pousser vers 15 heures, alors qu'une telle indication est radicalement et objectivement contredite par le partogramme.

=$gt; Sur l'absence de mention des manoeuvres effectuées lors de l'accouchement :

L'expert [L] retient valablement que le dossier médical original de Mme [Y] est porteur d'une mention manuscrite supplémentaire indiquant la réalisation de la méthode de [V], alors qu'en 1998, une telle mention n'y figurait pas et qu'aucune indication sur les man'uvres pratiquées lors de l'accouchement n'y apparaissait.

D'une part, une telle modification du dossier médical n'implique pas à elle-seule la fausseté de l'indication qui y a été portée ultérieurement à 1998.

D'autre part, à défaut de toutes précisions apportées dans le dossier médical relatives aux man'uvres pratiquées par M. [D], il appartient à ce dernier d'établir que les soins qu'il a apportés à Mme [Y] étaient appropriés et conformes aux données acquises de la science médicale en 1993.

Enfin, et en revanche, la démonstration de manoeuvres inadaptées par M. [D] repose sur Mme [Y] et sa fille.

=$gt; sur la preuve par M. [D] des manoeuvres effectuées et de leur caractère indiqué :

Deux phases doivent toutefois être distinguées au cours des manoeuvres obstétricales lorsque survient une dystocie des épaules.

* D'une part, avant que la dystocie n'intervienne, les experts [J] et [R] retiennent qu'en présence d'une tête ne se dégageant pas et alors que la rotation de la tête n'était pas intervenue au doigt, il a été réalisé une application de forceps de Tarnier qui a permis la rotation et l'extraction de la tête foetale.

Cette phase correspond à la traction exercée, telle qu'elle est mentionnée au dossier médical de la parturiente («'rotation par traction'»).

Cette série de man'uvres n'est pas présentée comme fautive, alors qu'elle n'est pas davantage visée comme ayant causé la paralysie du plexus brachial de l'enfant.

L'expert [L] confirme une telle analyse, en distinguant «'la deuxième partie de l'accouchement'» (page 33), pour retenir qu'au cours de sa première partie, la rotation par forceps d'IOGA en OP et l'extraction foetale à la vulve était un geste tout à fait adapté à l'échec des efforts expulsifs au détroit moyen et n'a pu en outre générer le plexus brachial.

* D'autre part, après l'expulsion de la tête est survenue une dystocie du tronc. À cet égard, le rapport des experts [J] et [R] indique que cette dystocie n'a cédé «'ni à la man'uvre habituelle de restitution, ni à l'appui suspubien, ni à la restitution paradoxale, obligeant à une méthode de [V]'», qui a «'permis d'extraire l'enfant qui présentait une paralysie du plexus brachial comme il est classique dans cette éventualité'».

Les experts [J] et [R] mentionnent que «'la dystocie des épaules constitue une situation obstétricale extrêmement grave, difficile à gérer, aboutissant à la mort foetale en quelques minutes en l'absence d'un praticien chevronné. Les manoeuvres habituelle pour y remédier ont été effectuées sans succès et c'est logiquement qu'a été réalisée une man'uvre de [V], man'uvre excessivement rare qui était la seule solution dans un tel cas. Malheureusement, ces manoeuvres entraînent fréquemment des traumatismes importants : fracture de la clavicule, de l'humérus ou comme c'est le cas ici, une élongation du plexus brachial'».

Ainsi, il n'existe aucune contrariété entre l'indication fournie par le professeur [K] sur la prohibition de toute traction en présence d'une dystocie des épaules et la situation décrite par les experts judiciaires.

L'étude du professeur [K] indique qu'au regard de facteurs de risques, des précautions doivent être prises pour préparer l'accouchement par voie basse «'comme pour une présentation du siège avec obstétricien, pédiatre et anesthésiste présents sur place, prêts à intervenir'». Outre qu'aucune norme n'est invoquée à l'appui d'une telle organisation, l'expert [L] retient en tout état de cause qu'au sein du centre hospitalier où l'accouchement est intervenu, une telle équipe médicale était disponible.

En définitive, la réalisation de la man'uvre de [V] n'est pas exclusivement prouvée par la notoriété et l'expérience professionnelle de M. [D], mais résulte en réalité de la nature même de la complication constituée par la dystocie des épaules. Sur ce point, l'expert [L] indique qu'en cette hypothèse les professionnels de santé ne disposent que d'une à deux minutes pour résoudre le problème. En l'espèce, alors que la survenance d'une telle complication n'est pas contestée en l'espèce, M. [D] a non seulement résolu une telle dystocie, mais a également respecté ce délai très bref, ainsi qu'en atteste l'absence d'anoxie de l'enfant [X] à l'issue de cet accouchement. En effet, dès lors qu'après l'échec des autres méthodes, la man'uvre de [V] constitue la technique permettant de traiter une telle dystocie des épaules, l'issue favorable de l'accouchement implique le respect de ce geste par M. [D], alors que le risque d'une paralysie du plexus brachial est par ailleurs une conséquence rare, mais connue, d'une telle man'uvre. Ainsi est confirmée l'analyse des experts [J] et [R], qui indiquaient également que la man'uvre de [V] était la seule solution dans un tel cas de dystocie des épaules, même si elle entraîne fréquemment des traumatismes importants.

Aucune faute technique n'est par conséquent établie à l'encontre de M. [D].

=$gt; sur la demande de contre-expertise :

Le recours à une contre-expertise judiciaire est justifiée s'il est démontré que le rapport établi par l'expert initialement commis présente des lacunes, des erreurs manifestes ou des incohérences, étant précisé que le seul désaccord d'une partie avec ses conclusions ne constitue pas une cause suffisante pour y recourir.

En l'espèce, les expertises réalisées apportent une réponse concordante pour retenir l'absence de faute imputable à M. [D] à l'occasion de l'accouchement de l'enfant [X], dans un avis complet, clair et documenté sur les circonstances ayant entouré cet accouchement. Il en résulte qu'il est indifférent qu'elles ne permettent pas une liquidation de l'ensemble des postes de préjudice subis par Mme [H], ainsi que l'analyse le professeur [M], dès lors que ces préjudices n'ont pas vocation à être indemnisés par M. [D] et son assureur, en l'absence de responsabilité de ce praticien libéral.

La demande de contre-expertise est par conséquent rejetée.

1.2.au titre d'un défaut d'information :

Outre la motivation des premiers juges que la cour adopte, la lettre de sortie rédigée le 24 juin 1993 par M. [D] mentionne qu'une prise en charge kinésithérapique a été faite immédiatement et qu'elle a été expliquée à la patiente, alors que le dossier obstétrical indique que l'enfant est sortie le 21 juin 1993 porteur d'une balancelle.

Les experts [J] et [R] relèvent que la paralysie brachiale complète a été immédiatement constatée et que la prise en charge de cette paralysie a été parfaite et très bien coordonnée par le docteur [A] [O].

Dans un courrier de sortie rédigé le 1er juillet 1993, le docteur [U], confirme que la kinésithérapie a débuté dès la maternité après consultation du docteur [A] [O], que [X] était équipée d'une balancelle pour maintenir le bras droit en position de fonction, et qu'il a été «'expliqué aux parents qu'il était impératif de poursuivre [les séances de kinésithérapie] de façon prolongée et régulière si l'on voulait espérer une récupération optimale'».

Mme [Y] n'apporte ainsi aucune démonstration d'un retard ou d'une dissimulation de l'état de santé de sa fille par M. [D] à l'issue de l'accouchement, ou d'une information défaillante sur les conséquences et les risques qui s'y attachent.

La faute alléguée n'est ainsi pas démontrée.

Le jugement ayant débouté Mmes [Y] et [H] est par conséquent intégralement confirmé en ce qu'il a exclu la démonstration d'une faute à l'encontre de M. [D].

2.Sur les demandes accessoires :

Le sens du présent arrêt conduit :

- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens, étant rappelé que l'absence de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance n'a été contesté par les parties, notamment à défaut d'un appel incident formé de ce chef par M. [D] et la Sham ;

- et d'autre part, à condamner in solidum Mmes [H] et [Y], outre aux entiers dépens d'appel, à payer à M. [D] et à la Sham la somme de 1'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.

En application de l'article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera Me [P] à recouvrer directement contre les personnes condamnées les dépens les dépens d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.

PAR CES MOTIFS':

La cour,

Confirme le jugement rendu le 3 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Lille dans toutes ses dispositions critiquées ;

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à ordonner une contre-expertise médicale ;

Condamne in solidum Madame [B] [Y] et Mme [X] [H] aux dépens d'appel ;

Dit qu'en application de l'article 699 du code de procédure civile, Me [C] [P] recouvrera directement contre Madame [B] [Y] et Mme [X] [H] les dépens d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision ;

Condamne in solidum Madame [B] [Y] et Mme [X] [H] à payer à M. [S] [D] et à la Société hospitalière d'assurances mutuelles la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'elles ont exposées en cause d'appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GreffierLe Président

F. DufosséG. Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 21/00050
Date de la décision : 19/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-19;21.00050 ?
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