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29/04/2022 | FRANCE | N°19/02100

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 29 avril 2022, 19/02100


ARRÊT DU

29 Avril 2022







N° 642/22



N° RG 19/02100 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SVDE



MD/VDO

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

25 Septembre 2019

(RG 18/00888 -section )











































GROSSE :



aux avocats



le 29 Avril 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-



APPELANT :



M. [Y] [R]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Dalila DENDOUGA, avocat au barreau de LILLE



INTIMÉE :



S.N.C. LIDL

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée pa...

ARRÊT DU

29 Avril 2022

N° 642/22

N° RG 19/02100 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SVDE

MD/VDO

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

25 Septembre 2019

(RG 18/00888 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 29 Avril 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [Y] [R]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Dalila DENDOUGA, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

S.N.C. LIDL

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Dominique GUERIN, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS :à l'audience publique du 11 Janvier 2022

Tenue par Monique DOUXAMI

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Gaëlle LEMAITRE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Monique DOUXAMI

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

Le prononcé de l'arrêt est prorogé du 25 mars 2022 au 29 avril 2022 pour plus ample délibéré

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Avril 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monique DOUXAMI, Président et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 28 décembre 2021

EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE, DE PRETENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES

Monsieur [Y] [R] a été embauché par la société Lidl en qualité d'adjoint au responsable préparation-expédition-réception par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 8 avril 2010.

Il a été promu responsable secteur logistique par avenant du 15 avril 2014 à effet au 1er avril 2014.

La convention collective applicable est celle du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

A l'issue de la deuxième visite médicale du 29 avril 2016, le médecin du travail a émis l'avis suivant: « inapte au poste, apte à un autre (art. R.4624-31 du code du travail) : inapte au poste actuel. Apte à un poste similaire dans un environnement professionnel différent ».

Par courrier du 19 juillet 2016, Monsieur [Y] [R] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 29 juillet 2016.

Par courrier du 11 août 2016, il a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par demande réceptionnée par le greffe le 30 novembre 2016, il a saisi le conseil de prud'hommes de Lille aux fins de contester son licenciement et d'obtenir la condamnation de la SNC Lidl au paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité compensatrice de préavis, congés payés y afférents, rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, congés payés y afférents, dommages-intérêts en raison du refus de l'employeur de communiquer ses contrôles temps, dommages-intérêts pour dépassement de la durée maximale de travail et frais irrépétibles.

Par jugement rendu le 25 septembre 2019, la juridiction prud'homale a débouté Monsieur [Y] [R] de ses demandes et laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Par déclaration transmise au greffe par voie électronique le 24 octobre 2019, Monsieur [Y] [R] a relevé appel de ce jugement.

Par ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 11 février 2021, il demande à la cour de :

-infirmer le jugement déféré  ;

-condamner la SNC Lidl au paiement, outre des dépens, des sommes suivantes :

*60.269,04 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*5022,42 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 502,25 euros au titre de congés payés y afférents,

*1652,21 euros à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires et 165,23 euros au titre de congés payés y afférents,

*2000 euros à titre de dommages-intérêts en raison du refus de l'employeur de communiquer ses contrôles temps,

*4000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du dépassement de la durée maximale de travail et du non-respect des temps de repos,

*2500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il soutient en substance que :

sur le licenciement

- son inaptitude a été causée par le comportement fautif de la SNC Lidl qui a manqué à son obligation de sécurité en lui faisant subir d'incessants changements d'affectation et le soumettant à des amplitudes de travail fondamentalement différentes à intervalles très courts dès son embauche malgré ses alertes et les observations du CHSCT puis en le plaçant dans l'impossibilité d'exercer ses nouvelles fonctions à compter du 1er avril 2014;

- la SNC Lidl n'a pas respecté son obligation de reclassement en excluant de ses recherches les postes de responsable de secteur logistique et d'adjoint au responsable préparation/expédition/réception. En outre, elle ne justifie pas avoir effectué des recherches de reclassement dans l'entreprise et dans le groupe auquel elle appartient ;

sur les heures supplémentaires

il a accompli de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées. Il n'y a pas lieu d'opérer une compensation, non prévue par l'accord d'entreprise, entre les semaines où il a travaillé plus de 42 heures et les semaines où il a travaillé moins de 42 heures. Les jours de T doivent être valorisés comme les autres jours. La SNC Lidl est de mauvaise foi lorsqu'elle prétend qu'il n'a pas accompli d' heures supplémentaires à sa demande ;

sur les dommages-intérêts pour non respect de la durée maximale journalière du travail de la durée maximale hebdomadaire de travail et du temps de repos journalier

la SNC Lidl ne satisfait pas à la preuve qui lui incombe du respect des règles relatives à la durée du travail et au temps de repos.

Par ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 22 décembre 2021, la SNC Lidl demande à la cour de :

-confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

-débouter Monsieur [Y] [R] de l'intégralité de ses demandes ;

-condamner Monsieur [Y] [R] au paiement de la somme de 2500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

sur le licenciement

-Monsieur [Y] [R] n'a pas subi jour après jour une variation importante de ses horaires et chaque variation importante a été précédée d'un jour libre non travaillé, son affectation à différents services est conforme à la définition de son poste et elle est sans incidence sur les fonctions de management des équipes et plus généralement sur ses conditions de travail et il a pu exercer pleinement ses missions au poste de responsable secteur logistique. En réalité, l'arrêt de travail à partir de mai 2015 et les avis d'inaptitude d'avril 2016 ont pour origine, non un manquement de sa part à son obligation de sécurité de résultat liée à des conditions de travail caractérisant un comportement fautif, mais la volonté de Monsieur [Y] [R] de démarrer et d'exercer l'activité indépendante de taxi qu'il poursuit encore aujourd'hui ;

-elle a mis en 'uvre une procédure de reclassement approuvée par de nombreuses juridictions consistant à interroger l'ensemble de ses directions régionales, son siège social et son centre des services opérationnels au moyen d'un courrier comportant les éléments essentiels permettant d'identifier les postes de reclassement, elle n'a pas abusivement restreint ses recherches de reclassement, elle a fait de nombreuses propositions de postes de reclassement à Monsieur [Y] [R] qui s'est abstenu d'y répondre et elle a respecté le périmètre géographique de l'obligation de reclassement ;

-sur les heures supplémentaires

Monsieur [Y] [R] est mal fondé à revendiquer le paiement d'heures supplémentaires alors que la convention collective et l'accord d'entreprise instaurent un accord de modulation hebdomadaire du temps de travail qui n'est pas calculé semaine par semaine mais sur 12 semaines, qu'elle fournit un tableau récapitulatif déterminant la moyenne hebdomadaire de travail de Monsieur [Y] [R] pour la période allant de janvier 2014 à août 2016 établi sur la base des contrôles qu'il a signés calculé sur la base de 12 semaines glissantes et sans valorisation des jours T et que Monsieur [Y] [R] ne rapporte pas la preuve qu'elle lui aurait demandé d'effectuer des heures supplémentaires au delà de celles pour lesquelles il était rémunéré ;

Sur les dommages-intérêts pour non respect de la durée maximale journalière du travail de la durée maximale hebdomadaire de travail et du temps de repos journalier

elle reconnaît le non respect occasionnel des règles relatives à la durée maximale journalière du travail de la durée maximale hebdomadaire de travail et du temps de repos journalier mais Monsieur [Y] [R] n'établit pas la réalité d'un préjudice qui en serait résulté pour lui.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 décembre 2021.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les heures supplémentaires et les dommages-intérêts au titre du refus de communiquer les contrôles temps

Il résulte des dispositions des articles L3171-2, L3171-3 et L3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, l'accord d'entreprise relatif à la réduction du temps de travail du 3 août 1999 stipule dans le titre V relatif aux dispositions spécifiques aux agents de maîtrise magasins et entrepôts :

« article 1 : réduction du temps de travail

A compter du ler octobre 1999, la durée de travail des agents de maîtrise magasins et entrepôts sera ramenée à un horaire de 42 heures hebdomadaire (soit une réduction de 2 heures par semaine). Cet horaire intègre les pauses payées (3 minutes par heure de travail) et se calcule sur une période quelconque de 12 semaines consécutives. (En moyenne 40 heures de travail effectif et en moyenne 42 heures de présence). (')

article 2 : repos trimestriel

Le nombre de jours de repos trimestriel est porté à 3 par trimestre en application de l'article 1-2, paragraphe 8-3 de l'avenant n° 73 de la convention collective du commerce à prédominance alimentaire. Ces jours seront pris en fonction des souhaits des salariés validés par le responsable hiérarchique. ils feront l'objet d'un planning déterminé en début de trimestre, planning qui sera respecté (...) ».

Le contrat de travail du 24 mars 2010 et l'avenant du contrat de travail du 15 avril 2014 prévoient : 

«Votre horaire hebdomadaire est fixé à 42 heures et comporte 40 heures de travail effectif dont 5 heures supplémentaires auxquelles s'ajoutent 2 heures de pause payée dont la prise vous incombe.

En outre, conformément aux dispositions spécifiques à l'encadrement de notre convention collective, votre durée hebdomadaire effective de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut être supérieure en moyenne à 42 heures.

Votre salaire mensuel brut s'élève à (...) euros (taux horaire : (...)) sur la base d'un horaire mensuel moyen de 182,028 heures comportant 173,36 heures de travail effectif (dont 21,67 heures supplémentaires) et 8, 66 heures de pause payée. »

Les parties s'accordent sur le nombre d'heures de travail effectuées par Monsieur [Y] [R] et celui de ses absences pour congés payés, jours fériés, repos trimestriels (jours T) et arrêt de travail en maladie.

En premier lieu, il ressort de l'article L3121-28 du code du travail que les heures supplémentaires sont les heures de travail effectif accomplies au-delà de la durée légale ou de la durée hebdomadaire si elle existe.

Le repos trimestriel prévu par l'accord d'entreprise du 3 août 1999 ne correspond pas à un temps de travail effectif. Dès lors, contrairement à ce que soutient Monsieur [Y] [R], il ne doit pas être comptabilisé dans le temps de travail effectif déclenchant le seuil des heures supplémentaires.

En deuxième lieu, les stipulations de l'accord d'entreprise du 3 août 1999 prévoyant le calcul de la durée hebdomadaire du travail sur une période quelconque de 12 semaines consécutives ne permet pas à la SNC Lidl d'opérer, comme elle le fait dans son tableau de décompte des heures de travail (pièce 43), une compensation entre les périodes de 12 semaines au cours desquelles Monsieur [Y] [R] a travaillé plus de 42 heures et celles au cours desquelles il a travaillé moins de 42 heures.

En troisième lieu, la SNC Lidl se prévaut vainement qu'elle n'a pas demandé à Monsieur [Y] [R] d'effectuer des heures supplémentaires au delà de celles qui ont été rémunérées dès lors qu'elle n'établit pas que la charge de travail de ce dernier ne rendait pas nécessaire l'accomplissement de telles heures.

Au regard de ce qui précède, l'analyse des éléments fournis par les deux parties, et en particulier les contrôles de temps de Monsieur [Y] [R], ses bulletins de paie et les tableaux de décompte des heures (pièces 27 de Monsieur [Y] [R] et 43 de la SNC Lidl) conduit à considérer que Monsieur [Y] [R] a accompli 56 heures supplémentaires donnant droit à un rappel de salaire s'élevant à 981,12 euros.

En conséquence, la SNC Lidl sera condamnée au paiement de cette somme au titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires et de celle de 98,11 euros au titre des congés payés y afférents et le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Par ailleurs, la SNC Lidl a produit les contrôles des temps dans le cadre de la procédure judiciaire. Si elle ne l'a pas fait auparavant en dépit des courriers que Monsieur [Y] [R] lui a adressés, ce dernier n'invoque ni a fortiori ne justifie d'un préjudice qui en serait résulté pour lui.

Dès lors, il sera débouté de sa demande de dommages-intérêts au titre du refus de communiquer les contrôles temps et le jugement déféré sera complété en ce sens.

Sur les dommages-intérêts pour non respect de la durée maximale du travail et des temps de repos

Les prescriptions énoncées par la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 en matière de temps minimal de repos constituent des règles de droit social d'une importance particulière dont chaque travailleur doit bénéficier en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé.

Les prescriptions de l'article L3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont pas applicables ni à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus le droit de l'union européenne ni à la preuve de ceux prévus par les articles L3121-34 et L3121-35.

En l'espèce, l'accord d'entreprise du 3 août 1999 fixe la durée maximale journalière de travail à 10 heures, l'amplitude maximale de travail à 12 heures pour une journée entière et à 6 heures pour une demi-journée, l'amplitude de repos pouvant être ramenée de 12 heures à 11 heures les jours d'inventaire (2 inventaires par année civile par salarié) et la durée maximale hebdomadaire de travail à 48 heures.

La SNC Lidl reconnaît ne pas avoir respecté ces règles et les pièces qu'elle fournit, et en particulier les contrôles temps et le tableau de décompte des heures qu'elle a établi, le confirment.

Dès lors, Monsieur [Y] [R] est bien fondé dans sa demande d'indemnisation du préjudice que le manquement de la SNC Lidl lui a causé et cette dernière sera condamnée à lui réparer par des dommages-intérêts d'un montant de 2000 euros.

En conséquence, la SNC Lidl sera condamnée au paiement de cette somme et le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Sur le licenciement

L'article L1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

Le licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à une faute de l'employeur. En effet, dans une telle hypothèse, le licenciement, même s'il est fondé sur une inaptitude régulièrement constatée par le médecin du travail, trouve en réalité sa cause véritable dans ce manquement de l'employeur.

L'article L4121-1 du code du travail prévoit que l'employeur doit prendre toutes les mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs : actions de prévention, de formation, d'information et mise en place d'une organisation et de moyens appropriés et adaptés conformément aux principes généraux de prévention énumérés par l'article L4121-2 du même code.

En l'espèce, les plannings de travail à partir du mois de janvier 2014 suffisent à établir que Monsieur [Y] [R] a subi fréquemment des changements d'horaires l'ayant soumis à un rythme de travail fondamentalement différent au cours d'une même semaine. Contrairement à ce que soutient la SNC Lidl, ces changements d'horaires au cours d'une même semaine n'ont pas été systématiquement précédés d'une journée libre. Quand bien même tel aurait été le cas, la différence d'amplitude de travail au cours d'une même semaine ne s'en serait pas trouvée modifiée.

Ces fréquents changements d'horaires au cours de la même semaine ont été pointés par CHSCT. En effet, dans le rapport de l'enquête réalisée le 13 novembre 2015 à la suite du courrier du 24 juin 2015 de Monsieur [Y] [R], placé en arrêt de travail pour maladie depuis le mois de mai 2015, dénonçant ses conditions de travail (dont ses horaires de travail), cette organisation a formulé la préconisation suivante pour Monsieur [Y] [R], comme pour tous les agents de maîtrise : « planning AM : favoriser dans la mesure du possible des plannings sans alternance sur une semaine des postes après-midi et matin ». Le procès verbal de réunion du CHSCT du 18 décembre 2015 mentionne que les préconisations, dont celles concernant les plannings des agents de maîtrise entrepôt, ont été validées. Certes, dans le rapport d'enquête, le CHSCT indique que l'élément déclencheur commun à tous les agents de maitrise, dont Monsieur [Y] [R], consistait dans la désorganisation liée au déménagement mal anticipé des locaux (en avril 2015). Toutefois, il souligne que Monsieur [Y] [R] a vécu ce passage plus difficilement en raison de ce qu'il attribue à un passif et une sensibilité différente, étant observé que parmi les doléances exprimées par le salarié, non limitées à la période du déménagement, figure les « plannings inadaptés ne permettant pas un bon suivi de l'activité ni le bon équilibre avec la vie privée ».

Monsieur [Y] [R] a été déclaré apte à son poste de travail par le médecin du travail le 10 décembre 2010, le 2 février 2012 et le 4 juillet 2013. Toutefois, son médecin traitant a signalé à ce praticien dès le 11 octobre 2011 une dégradation de son état de santé « dans le cadre d'une souffrance au travail (un chef décrit comme infecte) et des troubles (réveils nocturnes multiples liés à des changements répétés d'horaires de travail y compris la nuit plusieurs fois par semaine ».

Monsieur [Y] [R] a été placé en arrêt de travail pour maladie le 4 mai 2015. Le même jour, son médecin traitant a écrit au médecin du travail en ces termes « patient que j'ai déjà suivi pour des troubles anxieux dans un contexte professionnel et qui me paraît assez fragile (qui) décrit des insomnies rebelles, une nervosité (migraines) dans le cadre d'horaires assez difficiles et organisés toujours en dernière minute». Monsieur [Y] [R] a fait l'objet d'une prise en charge psychologique. Le 7 mars 2016, le médecin du travail, qui l'a rencontré plusieurs fois pendant son arrêt de travail, a sollicité l'avis d'un neurologue pour être en mesure de se positionner sur son aptitude en ces termes : « L'état de santé de Mr [R] me préoccupe. Il présente ne symptomatologie anxieuse et dépressive avec des troubles du sommeil et des troubles de l'humeur. Il est sous traitement médicamenteux (venlafaxine LP75 1 par jour). Ces troubles ont un retentissement sensible sur son équilibre personnel et sa vie familiale. ». Le 1er avril 2016, le neurologue lui a fait la réponse suivante : « II semble que très rapidement il a rencontré des difficultés relationnelles au sein de son établissement avec le sentiment d'un manque de reconnaissance, d'être utilisé pour combler les défaillances des uns et des autres, de ne pas être totalement intégré dans son poste de responsabilité. Ses amplitudes horaires étaient importantes. II précise qu'il a considéré qu'il y avait lieu de tenir dans cette situation souhaitant évoluer dans l'entreprise sur le plan professionnel mais dès l'année 2011, il a dû utiliser des anxiolytiques de façon épisodique de manière à supporter la situation professionnelle. Parallèlement, en raison des difficultés rencontrées au sein du travail, il a vécu la dégradation de sa vie relationnelle de couple aboutissant d'ailleurs à une rupture également mal vécue. En novembre-décembre 2014, la dégradation psychologique est franche avec troubles de l'appétit, amaigrissement, troubles du sommeil, difficultés de concentration. II a alors mis son espoir dans le fait qu'il y avait un déménagement d'entrepôt considérant que ce déménagement allait être salvateur lui permettant de reconsidérer son organisation, de se repositionner et d'améliorer sa situation et son poste professionnel. Or il s'avère que ceci n'a pas été le cas et il a présenté une décompensation dépressive sévère en avril-mai 2015. Actuellement, nous sommes toujours face chez ce patient à une difficulté psychologique franche. II a des réactions émotionnelles très fréquentes avec pleurs au cours de l'entretien. Les troubles du sommeil persistent avec phénomènes d'angoisse, perte d'appétit. Tout ceci envahit sa vie personnelle et il a tendance à refouler l'ensemble de ses ruminations en compensant par une hyperactivité diverse et multiple. A l'évidence, ce patient justifie d'une prise en charge d'ordre psychologique pour tenter de libérer et d'exprimer l'ensemble des éléments de souffrance qu'il a progressivement refoulés. Mais personnellement, je pense qu'il ne sera pas apte à reprendre son poste et il est donc justifié de s'orienter vers une inaptitude médicale au poste ». Lors de la première visite médicale du 13 avril 2016, le médecin du travail a rendu l'avis d'inaptitude suivant : « inapte au poste actuel, apte à un autre (art R4624-31 du CT) : inapte au poste actuel. Apte à un poste similaire dans un environnement professionnel différent. A revoir dans 15 jours pour la deuxième visite d'inaptitude ». Il a confirmé cet avis après la seconde visite médicale dans les termes rappelés dans l'exposé du litige.

La SNC Lidl soutient vainement que Monsieur [Y] [R] s'est joué du médecin du travail les 13 et 29 avril 2016 et s'est en réalité mis en arrêt de travail à compter du mois de mai 2015 pour démarrer une activité indépendante de taxi au regard des développements qui précèdent. De surcroît, la simple immatriculation comme auto-entrepreneur ne démontre pas l'exercice effectif pendant l'arrêt de travail d'une activité professionnelle que Monsieur [Y] [R] conteste.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la SNC Lidl a manqué à son obligation de sécurité en soumettant Monsieur [Y] [R] à de fréquents changements d'horaires au cours d'une même semaine ayant contribué à la dégradation de son état de santé à l'origine de son inaptitude.

Dès lors que la preuve que l'inaptitude de Monsieur [Y] [R] résulte d'un manquement de la SNC Lidl à son obligation de sécurité est ainsi rapportée, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

L'article L1226-14 du code du travail prévoit une indemnité compensatrice qui est égale à l'indemnité compensatrice de préavis de droit commun mais ne génère pas de droit aux congés payés.

Monsieur [Y] [R] peut prétendre à l'indemnité compensatrice qu'il sollicite dont le montant n'est pas discuté mais pas aux congés payés y afférents.

En conséquence, la SNC Lidl sera condamnée à lui payer la somme de 5022,42 euros au titre d'indemnité compensatrice et le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

En revanche, Monsieur [Y] [R] sera débouté de sa demande relative aux congés payés afférents et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Compte tenu des circonstances du licenciement, du salaire de référence de Monsieur [Y] [R], de son âge, de son ancienneté et de sa capacité à retrouver un emploi, il lui sera alloué la somme de 16.000 euros au titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence, la SNC Lidl sera condamnée au paiement de cette somme et le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Sur les autres demandes

La SNC Lidl sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à Monsieur [Y] [R] la somme de 2500 euros à ce titre.

La SNC Lidl sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Le jugement déféré sera infirmé et complété en ce sens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire mis à disposition par les soins du greffe,

Infirme le jugement rendu le 25 septembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Lille sauf en ses dispositions sur les congés payés afférents à l'indemnité compensatrice ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SNC Lidl à payer à Monsieur [Y] [R] les sommes suivantes :

-981,12 euros au titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires et 98,11 euros au titre des congés payés y afférents,

-2000 euros au titre de dommages-intérêts pour non respect de la durée maximale de travail et des temps de repos,

-5022,42 euros au titre de l'indemnité compensatrice,

-16.000 euros au titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-2500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la SNC Lidl aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

Séverine STIEVENARD

LE PRESIDENT

Monique DOUXAMI


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 19/02100
Date de la décision : 29/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-29;19.02100 ?
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