République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 4
ARRÊT DU 28/04/2022
N° de MINUTE : 22/481
N° RG 21/02602 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TTKO
Jugement (N° 51-19-0002) rendu le 09 avril 2021 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Calais
APPELANT
Monsieur [W] [S]
né le 09 juin 1965 à [Localité 18] - de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 13]
Représenté par Me Philippe Meillier, avocat au barreau d'Arras
INTIMÉ
Monsieur [T] [A]
né le 03 juin 1945 à [Localité 17] - de nationalité française
[Adresse 11]
[Localité 12]
Représenté par Me Jean-Philippe Vérague, avocat au barreau d'Arras
DÉBATS à l'audience publique du 20 janvier 2022 tenue par Véronique Dellelis et Louise Theetten magistrates chargées d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, ont entendu les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en ont rendu compte à la cour dans leur délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Ismérie Capiez
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Véronique Dellelis, président de chambre
Louise Theetten, conseiller
Catherine Ménegaire, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 avril 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Véronique Dellelis, président et Gaëlle Przedlacki, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Suivant acte authentique reçu par Maître [K], notaire à [Localité 16], le 31 juillet 1989, les époux [A]-[G] ont consenti à M. [W] [S] un bail portant sur diverses parcelles sises sur les communes de [Localité 14] et [Localité 17] pour une superficie totale de 29 hectares 84 ares 16 centiares.
Ce bail a été consenti pour une durée de 18 années entières et consécutives ayant commencé à courir le 1er avril 1989 pour venir à échéance le 31 mars 2016.
En l'absence de congé, ce bail s'est trouvé renouvelé pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 2007 et à nouveau pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 2016 pour venir normalement à échéance le 31 mars 2025.
Suivant acte authentique du 26 mai 2010, le partage a été réalisé entre tous les héritiers de [Y] [A] et [R] [G] épouse [A] concernant notamment les parcelles objet du présent litige.
Dans le cadre de ce partage, M. [T] [A] s'est vu allotir de la parcelle sise commune de [Localité 17] dont la désignation cadastrale est la suivante : A [Cadastre 9] pour une superficie de 20 a 30 ca.
Suivant acte de donation en date du 10 septembre 2010, M. [N] [A] a donné à son frère [T] [A] deux autres parcelles, également incluses dans le partage, sises commune de [Localité 17] à savoir :
-la parcelle A [Cadastre 7] pour 18 a 44 ca ;
-la parcelle A [Cadastre 6] pour 29 ca.
Suivant acte extra-judiciaire en date du 28 mars 2019, M. [T] [A] a notifié congé à M. [W] [A] pour les trois parcelles considérées au visa du régime des petites parcelles et ce pour le 30 septembre 2019.
Suivant requête reçue le 15 juillet 2019 au greffe du tribunal d'instance de Calais, M. [W] [S] a saisi la juridiction paritaire aux fins d'entendre prononcer l'annulation du congé délivré par M. [A] et condamner ce dernier au paiement d'une indemnité procédurale.
Un procès-verbal de non-conciliation en date du 13 septembre 2019 a été établi et l'affaire a été renvoyée en audience de jugement.
Suivant jugement contradictoire en date du 9 avril 2021, auquel il est expressément renvoyé pour un exposé complet de la procédure, le tribunal paritaire des baux ruraux de Calais a :
-débouté M. [W] [S] de ses demandes ;
-constaté la validité du congé notifié le 28 mars 2019 à M. [W] [S] pour les parcelles A [Cadastre 6], A [Cadastre 7], et A [Cadastre 9] sur la commune de [Localité 17] ;
-constaté en conséquence que M. [W] [S] est occupant sans droit ni titre des parcelles A [Cadastre 6], A [Cadastre 7], et A [Cadastre 9] sises à [Localité 17] depuis le 30 septembre 2019 ;
-ordonné à M. [W] [S] de libérer les parcelles A [Cadastre 6], A [Cadastre 7], et A [Cadastre 9] sises à [Localité 17] dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision et ce sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé ce délai ;
-s'est réservé la liquidation de l'astreinte ;
-ordonné l'expulsion de M. [W] [S] des parcelles A [Cadastre 6], A [Cadastre 7], et A [Cadastre 9] sises à [Localité 17], passé le délai d'un mois suivant la signification du jugement ;
-condamné M. [W] [S] à payer à M. [T] [A] la somme de 1000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile .
-condamné M. [W] [S] aux dépens ;
-ordonné l'exécution provisoire du jugement.
M. [W] [S] a relevé appel de ce jugement par l'intermédiaire de son conseil par courrier électronique adressé au greffe de cette cour le 4 mai 2021, la déclaration d'appel critiquant chacune des dispositions de la décision entreprise.
Lors de l'audience, M. [W] [S] est représenté par son conseil, lequel soutient oralement les conclusions déposées lors de cette audience et dûment visées par le greffe par lesquelles il demande à cette cour de :
Au visa des dispositions des articles L. 411-1, L.411-3 et L. 411-5 du code rural, 1774,1775 du code civil,
-le déclarer recevable et fondé en son appel,
En conséquence,
-infirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Calais du 9 avril 2021 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
-annuler le congé qui lui a été délivré par M. [A] le 28 mars 2019 et portant sur les trois parcelles en cause ;
-condamner l'intimé au paiement de la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [T] [A], représenté par son conseil, soutient ses conclusions déposées lors de l'audience et dûment visées par le greffe, conclusions par lesquelles il demande à cette cour de
Au visa de l'article L. 411-3 du code rural et de la pêche maritime,
-confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
-valider le congé délivré par M. [T] [A] le 28 mars 2019 .
-constater que le congé a produit ses effets depuis le 30 septembre 2019 ;
-ordonner de M. [W] [S] des trois parcelles dans le délai de 10 jours suivant la signification de la décision à intervenir sous peine d'astreinte de 200 euros par jour de retard ;
-le condamner aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour renvoie aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties.
MOTIFS
Sur la demande d'annulation du congé:
L'article L. 411-3 du code rural et de la pêche maritime dispose que :
Après avis de la commission consultative des baux ruraux, des arrêtés de l'autorité administrative fixent, en tenant compte des besoins locaux ou régionaux, la nature et la superficie maximum des parcelles de terres ne constituant pas un corps de ferme ou des parties essentielles d'une exploitation agricole pour lesquelles une dérogation peut être accordée aux dispositions des articles L. 411-4 à L. 411-7, L. 411-8 (alinéa 1), L. 411-11 à L. 411-16 et L. 417-3. La nature et la superficie maximum des parcelles à retenir lors de chaque renouvellement de la location sont celles mentionnées dans l'arrêté en vigueur à cette date.
La dérogation prévue au premier alinéa ne s'applique pas aux parcelles ayant fait l'objet d'une division depuis moins de neuf ans.
Lorsqu'il n'est pas constaté par écrit, le bail des parcelles répondant aux conditions du premier alinéa est soumis aux dispositions de l'article 1774 du code civil.
Il sera précisé à titre liminaire qu'il n'est pas contesté que le préfet du département du Pas-de-Calais a pris l'arrêté prévu par l'article sus-visé et que la surface des parcelles, pour lesquelles il peut être dérogé aux dispositions des L. 411-4 à L. 411-7, L. 411-8 (alinéa 1), L. 411-11 à L. 411-16 et L. 417-3, a été fixée à 50 ares. Les parcelles objet du litige faisant ensemble une superficie totale de 39,12 ares, elles correspondent à la définition des petites parcelles.
Au soutien de sa demande d'annulation du congé litigieux, M. [S] fait valoir en premier lieu que les parcelles litigieuses seraient toujours soumises au statut du fermage dans la mesure où le partage puis la donation en vertu desquels M. [A] est devenu propriétaire desdites parcelles litigieuses sont antérieurs de moins de 9 ans à la délivrance du congé. Soutenant ainsi que c'est l'acte de partage du 10 septembre 2010 qui a opéré la division prévue par le texte susvisé, il en conclut que la condition de l'écoulement de neuf années depuis cette division n'est pas remplie en la présente espèce.
Cependant, la division s'entend en l'espèce du morcellement d'une parcelle par le biais d'une division parcellaire et non d'un simple allotissement dans le cadre d'une procédure de partage.
Force est de constater que si les trois parcelles objets du litige sont bien le résultat d'une division parcellaire, ladite division est effectivement antérieure à l'acte de partage.
L' acte de partage du 10 septembre 2010 intervenu entre les consorts [A] [G] énonce à cet égard en pages 12 et 13 que l'ancienne parcelle A n° [Cadastre 5] pour une contenance de 79 ares a été divisée en 6 nouvelles parcelles dont les trois parcelles concernées par le litige, suivant document d'arpentage établi par M. [O] [F] géomètre-expert à [Localité 15] en date du 30 novembre 2009.
Il en résulte que la division parcellaire est intervenue avant la fin de l'année 2009 et que la condition des neuf années a commencé à courir à compter de cette division, dès lors que cette dernière est intervenue alors que le bail rural était déjà renouvelé et échappait dès lors au principe d'indivisibilité.
Il s'ensuit qu'à la date de la délivrance du congé, la condition des neuf ans était remplie Surabondamment, et quel que soit le point de départ retenu, elle l'était en tout état de cause à la date d'effet de ce congé soit au 30 septembre 2019.
Il convient dès lors de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté le premier moyen d'annulation du congé.
M. [S] fait valoir en second lieu que les parcelles que son propriétaire veut reprendre constituent un tout avec les parcelles attenantes cadastrées A [Cadastre 4], A[Cadastre 3], A [Cadastre 10] et A [Cadastre 2] qui sont en nature de pâture et qu'elles font partie d'un vaste ensemble de pâtures manoirs ; qu'elles sont ainsi contigües à son corps de ferme et à ses bâtiments d'élevage tant bovin que volailler ; qu'il élève 70 vaches laitières et un cheptel aviaire de 3 poulaillers de 4400 poulets chacun et un poulailler de 4092 poulets ; que cet élevage aviaire en libre parcours a la qualité label rouge qui impose une superficie de 3 hectares 15 ares et 84 centiares pour répondre aux conditions d'un espace de 2 m2 par poulet.
Il indique encore que contrairement à ce que soutient la partie intimée , les parcelles concernées par le présent litige ne sont plus des parcelles de labour mais sont des parcelles en prairie.
Cependant, il résulte du plan de cadastre produit aux débats que les parcelles reprises se situent à l'angle et à l'extrémité de l'ensemble de prairies dont il est question et qu'elles sont parfaitement dissociables du reste des parcelles exploitées par M. [S]. La seule parcelle intercalée est la parcelle A [Cadastre 8] pour laquelle il n'est pas contesté qu'elle est la propriété de Mme [Z], soeur de M. [A], laquelle a également délivré congé à M. [S].
De surcroît, la parcelle A [Cadastre 4] qui se situe à l'arrière des parcelles que M. [A] veut reprendre, soit entre le corps de ferme et ces dernières, n'est pas donnée à bail à M. [S] ce qui fait qu'il y a une rupture de continuité entre les parcelles exploitables, ces dernières ne constituant pas un tout indissociable.
Par ailleurs, il résulte des éléments de la cause que M. [S] dispose d'une parcelle A [Cadastre 2] d'une superficie particulièrement conséquente puisqu'elle est d'une surface de 4 hectares 55 ares 80 ca , cette parcelle étant contigüe au corps de ferme et aux poulaillers de M. [S].
Du reste, M. [S] convient dans ses écritures que les parcelles objets du litige ne servent pas au libre parcours de ses volailles mais indique que ces parcelles lui servent à parquer ses bovins.
Cependant, s'il est effectif que pour les besoins de son exploitation , il est nécessaire que M. [S] jouisse d'une parcelle de grande taille à proximité de ses poulaillers, ce dont il bénéficie au travers de la parcelle A [Cadastre 2] , il n'est pas démontré qu'il soit également nécessaire que les parcelles où paissent les bovins se situent à proximité aussi immédiate du corps de ferme et que par ailleurs l'appelant ne dispose pas d'autres parcelles où il puisse faire paître ses bovins.
Il s'ensuit qu'il n'est pas démontré que les parcelles reprises seraient indispensables à son exploitation agricole.
M. [S] énonce enfin que le congé ne pouvait être délivré pour le 30 septembre 2019, cette date n'étant pas la date d'échéance normale du bail rural et se devait d'être délivré en l'espèce pour le 30 mars.
Cependant, en matière de congé de petites parcelles, le congé peut être délivré moyennant un préavis raisonnable.
Une telle condition est en l'espèce respectée, dès lors que le congé a été donné moyennant un préavis de 6 mois et pour la fin de l'année culturale.
Par ailleurs, à supposer que la cour retienne que le congé aurait du être délivré pour le 30 mars 2020 et non pour le 30 septembre 2019, comme le soutient l'appelant, il est de principe qu'un congé donné pour une date prématurée n'en est pas moins valable pour la date pour laquelle il aurait du être donné.
Enfin, la question du délai de préavis suffisant n'est plus d'actualité dès lors qu'il résulte des éléments de la cause que suite à son recours, M. [S] s'est maintenu sur les parcelles au-delà de la date du 30 septembre 2019, de celle du 30 mars 2020 et même au-delà de la fin de l'année culturale 2020.
Pour le surplus, M. [S] fait également valoir que le projet initial de M. [A] était de faire desdites parcelles un terrain à bâtir ; que son propriétaire lui a tenu rigueur de ne pas avoir accepté de lui restituer volontairement les parcelles en un temps où elles pouvaient être considérées comme terrains à bâtir alors qu'aujourd'hui le plan local d'urbanisme applicable localement a été modifié et que la parcelle se trouve désormais incluse en zone agricole.
Cependant, la nature des projets du bailleur dans le cadre de la reprise des parcelles, et le fait que certains des projets du bailleur aient pu avorter, est indifférente à la présente espèce contrairement aux règles du congé pour reprise dans le cadre du bail rural de droit commun.
Par ailleurs, M. [S] soutient que M. [A] ne pourra avoir de réel accès aux parcelles qu'il reprend puisque lesdites parcelles sont séparées de la rue par des butées élevées ou des haies.
Outre le fait que cette prétendue inaccessibilité n'est pas démontrée, ces considérations tenant à l'accessibilité sont inopérantes en la présente espèce.
Il s'ensuit que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [S] et notamment celle tendant à obtenir l'annulation du congé délivré, condamné l'intéressé à libérer les terres et ordonné son expulsion.
Il convient cependant de réformer le jugement sur l'astreinte ordonnée par les premiers juges et de dire que l'astreinte tel que fixée par le présent arrêt courra passé le délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt.
Le sort des dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement réglés par le premier juge.
Il convient de confirmer le jugement entrepris de ces chefs.
M. [S] supportera les dépens d'appel .
Il sera fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel comme indiqué au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le prononcé de l'astreinte,
Statuant à nouveau de ce chef,
Dit que faute pour M. [W] [S] d'avoir libéré les parcelles A [Cadastre 6], A [Cadastre 7], et A [Cadastre 9] sises sur la commune de [Localité 17] passé le délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt, il y sera contraint passé ce délai sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard courant pendant un délai de 4 mois, passé lequel délai il sera éventuellement statué sur une nouvelle demande d'astreinte, à défaut
d'exécution ;
Condamne M. [W] [S] aux dépens d'appel ;
Le condamne à payer à M. [A] une indemnité de 1500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.
Le greffier,Le président,
G. PrzedlackiV. Dellelis