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28/04/2022 | FRANCE | N°20/05304

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 28 avril 2022, 20/05304


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 28/04/2022



****





N° de MINUTE : 22/170

N° RG 20/05304 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TLBJ



Jugement (N° 18/00842) rendu le 25 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Saint Omer





APPELANTE



SARL Auto Ecole Patricia agissant en la personne de son représentant légal domicilié audit siège

[Adresse 4]

[Localité 6]



Représentée par Me Isabelle Pauwels, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer et Me Christophe Sanson, avocat au barreau de Hauts-de-Seine



INTIMÉS



Monsieur [N] [J],

né le [Date naissance 2] 1964 à [Loc...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 28/04/2022

****

N° de MINUTE : 22/170

N° RG 20/05304 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TLBJ

Jugement (N° 18/00842) rendu le 25 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Saint Omer

APPELANTE

SARL Auto Ecole Patricia agissant en la personne de son représentant légal domicilié audit siège

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Isabelle Pauwels, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer et Me Christophe Sanson, avocat au barreau de Hauts-de-Seine

INTIMÉS

Monsieur [N] [J],

né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 7]

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Madame [VY] [J]

née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 8]

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentés par Me Alexandra Bodereau, avocat au barreau d'Arras

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 03 février 2022 après rapport oral de l'affaire par Claire Bertin

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 avril 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 10 janvier 2022

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

Dans le cadre de son activité commerciale, la société Auto-école Patricia a fait construire puis exploité une piste destinée à l'apprentissage de la conduite de motos sur le terrain avoisinant celui de M. [N] [J] et son épouse Mme [VY] [J], sis à [Localité 5] (62).

M. et Mme [J], se plaignant des nuisances sonores, ont fait établir un constat d'huissier le 21 septembre 2013.

Le 27 juin 2017, une tentative de conciliation entre les parties n'a pas abouti.

Par acte d'huissier du 17 juillet 2018, M. et Mme [J] ont fait assigner la société Auto-école Patricia devant le tribunal de grande instance de Saint-Omer afin d'obtenir réparation du trouble anormal de voisinage qu'ils prétendaient subir.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 25 septembre 2020, le tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire de Saint-Omer a :

1. rejeté les moyens de défense présentés par la société Auto-école Patricia ;

2. condamné la société Auto-école Patricia à faire cesser la propagation au préjudice de M. et Mme [J] des nuisances sonores provenant de l'exploitation de la piste pour l'apprentissage de la conduite de motos construite à [Localité 5], et ce dans un délai de six mois à compter de la signification du jugement, et sous astreinte de 100 euros par jour à l'issue de ce délai';

3. condamné la société Auto-école Patricia à payer à M.'et Mme [J] la somme de 4'000 euros chacun à titre de dommages et intérêts ;

4. condamné la société Auto-école Patricia à payer à M.'et Mme [J] la somme de 1'000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

5. condamné la société Auto-école Patricia aux dépens, lesquels seront recouvrés directement par Me Bodereau conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

6. ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

7. débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 21 décembre 2020, la société Auto-école Patricia a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en toutes ses dispositions.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 janvier 2022, la

société Auto-école Patricia, appelante principale, demande à la cour, au visa des articles 908, 202 du code de procédure civile, 2224 du code civil, R.'1336-6 à R.'1336-8 du code de la santé publique, de':

- débouter M. et Mme [J] de l'ensemble de leurs demandes ;

- déclarer son appel recevable et bien fondé ;

- écarter des débats les pièces n°12, 13 et 15, les pièces adverses n° 21 à 27, les pièces adverses n°28 et 29, la pièce adverse n°33, les pièces adverses n°42 et 45 et les pièces adverses n° 51 et 54 ;

- annuler en totalité le jugement querellé ;

- relever la prescription de l'action introduite par M. et Mme [J] ;

- condamner in solidum M.'et Mme [J] au paiement de la somme de 23'146,50 euros, sauf à parfaire, au titre de sa perte de chiffre d'affaires ;

- condamner in solidum M. et Mme [J] au paiement de la somme de 13'635,43 euros TTC, sauf à parfaire, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum M.'et Mme [J] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de ses prétentions, la société Auto-école Patricia fait valoir que :

- le délai de prescription applicable à l'action en responsabilité civile extra-contractuelle diligentée par les époux [J] est celui de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil, et non celui de dix ans prévu à l'article 2226 du même code pour l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel ;

- elle exploite sa piste depuis le 29 mai 2013, ce qui correspond à la date des premières manifestations des troubles allégués, de sorte que l'action des époux [J] est prescrite le 17 juillet 2018 à la date de délivrance de leur assignation ;

- le procès-verbal de constat d'huissier du 21 septembre 2013 établit que le niveau sonore constaté lors du passage des motos sur la piste se situe en continu entre 60 et 76 décibels depuis le jardin des époux [J], mais ne permet pas le calcul d'une émergence sonore au sens des articles R.'1336-6 et suivants du code de la santé publique ;

- les prétendues nuisances qu'engendre l'exploitation de son activité ne constituent ni une gêne ni l'agression sonore alléguée ;

- la production de photographies non horodatées ne permet pas d'établir la réalité et l'intensité des prétendues nuisances sonores, notamment les dimanches et jours fériés ;

- les attestations ne répondant pas aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile doivent être écartées des débats ;

- elle met en doute le témoignage du maire de la commune qui s'était élevé contre l'implantation du circuit de moto-école ;

- l'existence même d'un trouble sonore ou visuel est contredite par les attestations des nombreux autres témoins ou riverains de la piste ;

- M. [J] a fait circuler en 2013 une pétition dans la commune pour protester contre l'installation d'une «'piste de moto-cross'» avant même sa construction et son exploitation ;

- les époux [J] n'ont en réalité subi aucun préjudice en lien avec l'exploitation de la piste litigieuse, et ne produisent aucune attestation justifiant de la perte alléguée de valeur locative de leur bien ;

- elle n'exploite plus sa piste depuis le 14 juin 2021, et subit depuis environ six mois et demi une perte mensuelle moyenne de chiffre d'affaires de 3'561 euros liée à l'activité moto, soit une perte d'exploitation estimée à 23'146,50 euros.

4.2. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 8 janvier 2022, M. et

Mme [J], intimés et appelants incidents, demandent à la cour, au visa des articles 9, 202 du code de procédure civile, 2224, 2226, 544, 651 du code civil, de :

- débouter la société Auto-école Patricia de toutes ses demandes ;

- confirmer le jugement querellé, sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts alloués en réparation de leur préjudice ;

- statuant à nouveau sur ce point, condamner la société Auto-école Patricia à leur payer chacun la somme de 15'000 euros de dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices ;

- y ajoutant, condamner la société Auto-école Patricia à leur payer ensemble la somme de 10'000 euros pour appel abusif, outre la somme de 9'500 euros en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Auto-école Patricia aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de leurs prétentions, M.'et Mme [J] font valoir que :

- ils produisent un certificat médical du 29 novembre 2017, qui démontre l'atteinte à leur santé liée à un stress dû aux nuisances sonores subies dans leur environnement, et les rend légitimes à se prévaloir de la prescription décennale dérogatoire prévue à l'article 2226 du code civil';

- le point de départ du délai de prescription se situe, non à compter du début de l'activité, mais à partir du moment où les nuisances deviennent insupportables pour le voisinage ; - les bruits générés par l'apprentissage de la conduite de la moto se caractérisent par de multiples accélérations, de nombreux allers-retours, des freinages d'urgence ;

- le point de départ de l'action quinquennale se situe à la date d'apparition des troubles anormaux de voisinage, de sorte que leur action n'est pas prescrite ;

- l'appréciation de la réalité des nuisances et du trouble est indifférente du respect ou non d'un seuil réglementaire ; seule la nature des nuisances au regard notamment de l'intensité du bruit, de sa persistance dans la journée et dans le temps, doit être prise en considération afin de déterminer l'existence d'un trouble ;

- la production d'un relevé sonométrique n'est nullement nécessaire pour démontrer l'existence de troubles anormaux de voisinage, le caractère excessif des nuisances sonores pouvant se prouver par tous moyens ;

- la piste d'apprentissage litigieuse de 130 mètres de long sur 6 mètres de large, visible depuis l'arrière de leur immeuble et leur terrasse, se situe seulement à une vingtaine de mètres de leur parcelle ;

- il ressort du procès-verbal de constat d'huissier du 21 septembre 2013, que deux motos s'entrainent simultanément, avec un son de moteur régulier et répétitif de l'ordre de 60 à 65 décibels pendant une demi-heure, et des pointes à 72 ou 76 décibels lors des accélérations, et que le circuit est utilisé en soirée, les dimanches et jours fériés ;

- des attestations montrent que la circulation de motos, scooters, quads et l'usage de matériel de tonte des espaces verts troublent leur tranquillité en ce compris le samedi et le dimanche, et qu'ils sont même contraints de s'enfermer dans leur domicile pour se protéger du bruit ;

- ces activités commerciales bruyantes par nature nuisent à leur quiétude légitime, leur repos, leur sommeil, et leur santé physique et mentale, et excèdent les inconvénients normaux du voisinage en zone rurale ;

- s'agissant de la régularité des attestations qu'ils produisent, les dispositions prévues à l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité, et leur rejet impose au juge de préciser en quoi l'irrégularité constatée constitue l'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public faisant grief à la partie qui l'attaque ;

- leur parcelle surplombe celle de l'auto-école de sorte qu'ils perçoivent le bruit avec davantage d'acuité que les propriétés plus éloignées, et que leur courte haie de troènes n'assure aucune protection sonore ;

- la société Auto-école Patricia ne justifie d'aucun préjudice de perte de chiffre d'affaires, dès lors qu'elle continue à exercer son activité sur une autre piste d'enseignement ;

- le fait d'entendre et de voir de manière continuelle des engins motorisés circuler et vrombir à quelques mètres de leur propriété nuit gravement à leur tranquillité, à leur intimité et à leur droit de jouir paisiblement de leur domicile.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 10 janvier 2022.

Suivant note en délibéré transmise par message RPVA du 18 février 2022, la société Auto-école Patricia modifie le dispositif de ses conclusions en ce qu'elle demande l'infirmation en totalité du jugement dont appel au lieu de son annulation.

Suivant note en délibéré responsive par message RPVA du 24 février 2022, M. et Mme [J] exposent que l'appelante échoue à démontrer l'existence d'une cause de nullité du jugement entrepris et doit être déboutée de sa demande d'annulation du jugement, précisant qu'elle ne peut valablement substituer, par une note en délibéré, une demande d'infirmation à sa demande initiale d'annulation.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les «'dire et juger'» et les «'constater'» qui ne sont pas des prétentions en ce qu'ils ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert dès lors qu'ils s'analysent en réalité comme le rappel des moyens invoqués, ou en ce qu'ils formulent exclusivement des réserves alors que la partie qui les exprime n'est pas privée de la possibilité d'exercer ultérieurement les droits en faisant l'objet.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action

Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

L'action pour trouble anormal de voisinage constitue une action en responsabilité civile extra-contractuelle soumise au délai de droit commun de prescription de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer, et non pas une action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, laquelle se prescrit de façon dérogatoire par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage en application de l'article 2226 du code précité.

Le point de départ de l'action en responsabilité pour troubles anormaux du voisinage constants dans le temps se situe au jour de la première manifestation du trouble.

En l'espèce, les époux [J] ont agi exclusivement sur le fondement des articles 544 et 651 du code civil, et non de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du code civil postérieurement à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Leur action vise ainsi l'indemnisation d'un trouble anormal de voisinage. Il en résulte que la seule circonstance qu'ils allèguent subir une atteinte corporelle résultant des nuisances sonores qu'ils imputent au circuit voisin, ne suffit pas à leur permettre d'invoquer le délai de prescription ouvert spécifiquement en matière d'action en responsabilité au titre d'un dommage corporel.

Si la piste d'apprentissage litigieuse a été construite début 2013 et exploitée à partir de mai 2013, il reste que le point de départ de la prescription se situe à la date à laquelle les nuisances générées par son usage intensif sont apparues aux riverains, notamment suite à l'établissement du procès-verbal de constat d'huissier du 21 septembre 2013.

Il s'ensuit que le délai de prescription quinquennal n'était pas acquis le 17 juillet 2018 à la date de délivrance de l'assignation en justice.

En conséquence, l'action diligentée par les époux [J] n'est pas prescrite.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action est rejetée.

Le jugement dont appel est confirmé de ce chef.

Sur la recevabilité des pièces produites

Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès sa prétention.

Aux termes de l'article 202 du code de procédure civile, l'attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés.

Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s'il y a lieu, son lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles.

Elle indique en outre qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales.

L'attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.

Ces dispositions n'étant pas prescrites à peine de nullité, il appartient à la cour d'apprécier souverainement si les attestations, bien que non conformes, présentent des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.

En outre, aucun texte ne s'oppose en cours de procédure à la mise en conformité des attestations produites avec les dispositions de l'article 202 précité.

En l'espèce, la société Auto-école Patricia n'explique pas dans ses écritures la raison pour laquelle il y aurait lieu d'écarter des débats les pièces 12, 13 et 15 produites par M. et Mme [J], lesquelles correspondent à un relevé cadastral, une pétition et un procès-verbal de constat d'huissier, et ont été contradictoirement débattues entre les parties.

M. et Mme [J] produisent des photographies prises à partir de leur propriété (pièces 21 à 27 des intimés) lesquelles, si elles n'apportent pas d'information sur la réalité, la fréquence et l'intensité des bruits, n'ont pas lieu d'être écartées des débats pour ce seul motif.

Il n'y pas lieu d'écarter des débats les extraits de presse (pièces 42, 45 des intimés), au motif que deux témoins qui apportent leur soutien à l'auto-école y seraient photographiés, alors que ces pièces ont pu être régulièrement débattues entre les parties.

Il n'y a pas lieu d'écarter des débats les attestations de M.'[C] [G], Mme [U] [K], M.'[BK] [OB] [H] (pièces 50, 51, 54 des intimés), lesquelles répondent aux exigences posées par l'article 202 du code de procédure civile.

Il apparaît que les «'constats'» rédigés le 22 mai et 5 octobre 2014 (pièces 28, 29 des intimés) de la main de M. [LG] [GT], maire de la commune d'[Localité 5], ne répondent pas aux exigences posées par l'article 202 précité, dès lors que celui-ci ne mentionne ni son lien de parenté ou de subordination avec les parties, qu'il n'indique pas avoir connaissance qu'une fausse attestation l'expose à des sanctions pénales, et enfin qu'aucun document d'identité n'y est joint.

Il apparaît également que l'attestation de M. [Y] [FA] (pièce 33 des intimés) rédigée le 18 juin 2013 ne répond pas aux exigences posées par l'article 202 précité, dès lors qu'il ne mentionne ni son lien de parenté ou de subordination avec les parties, qu'il n'indique pas avoir connaissance qu'une fausse attestation l'expose à des sanctions pénales, et enfin qu'aucun document d'identité n'y est joint.

Cependant il s'observe que l'appelante ne justifie pas en quoi ces irrégularités constituent l'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public qui lui fait grief.

Si ces pièces ne répondent pas aux conditions de forme et de régularité posées par l'article 202 précité, elles valent à tout le moins comme simples lettres missives, et ont été soumises à la libre discussion et à la critique des parties. Il n'y a pas lieu de les rejeter s'agissant d' éléments de preuve parmi d'autres, dont il est contradictoirement débattu.

L'ensemble des pièces produites par les parties sera donc déclaré recevable.

Sur l'existence d'un trouble anormal de voisinage

Aux termes de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par la loi ou les règlements.

Aux termes de l'article 651 du code civil, la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l'un à l'égard de l'autre, indépendamment de toute convention.

Il en résulte que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage'; il appartient aux juges du fond de rechercher si les nuisances, même en l'absence de toute infraction aux règlements, n'excèdent pas les inconvénients normaux du voisinage.

Il est rappelé à cet égard que le respect de dispositions légales, réglementaires ou techniques n'exclut pas en soi l'existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage.

S'agissant d'un régime de responsabilité objectif, spécifique et autonome, le constat d'un dommage en lien certain et direct de cause à effet avec le trouble anormal suffit à entraîner la mise en 'uvre du droit à réparation de la victime du dommage indépendamment de toute faute commise.

En l'espèce, au soutien de leur action, M. et Mme [J] produisent des photographies, relevé cadastral et plans qui établissent que l'implantation de leur immeuble d'habitation dans un village en zone rurale préexistait à la construction d'une piste privée d'apprentissage pour la conduite de motos, située à quelques dizaines de mètres du fond de leur parcelle.

Une pétition du 14 avril 2013 montre que les riverains ont tenté de s'opposer à l'installation de la piste d'apprentissage dans le village d'[Localité 5] avant même sa construction et son exploitation.

Suivant procès-verbal de constat du 21 septembre 2013 de 11 heures 45 à 12 heures 30, Me [D], huissier de justice, constate depuis le jardin des époux [J] que deux motards s'entraînent sur une piste qui se trouve à une vingtaine de mètres, séparée par une parcelle de terre ; que ces motards tournent sur la piste à des rythmes différents pendant environ 30 minutes ; que son sonomètre, qui ne mesure pas le niveau sonore en dessous de 50 décibels, ne mesure aucun niveau sonore quand les motos ne tournent pas ; que le passage des motos entraîne un son régulier de moteur mesuré autour de 60-65 décibels avec des pointes à 72 et 76 décibels quand les motos accélèrent ; que les motards font des allers-retours sur la piste entraînant un bruit répétitif pendant sa demi-heure de présence.

L'huissier ajoute que la voisine, Mme [IL], lui a indiqué que la piste était utilisée depuis le 25 juillet 2013, que les cours pouvaient certains jours de l'été se dérouler jusqu'à 21 heures, l'obligeant à quitter sa terrasse pour rester à l'intérieur en raison du bruit des motos.

Le maire de la commune n'a constaté le 22 mai 2014 à 20 heures 45 aucun bruit à son arrivée sur les lieux, même si la gérante de l'auto-école lui a déclaré qu'elle venait de faire des essais moto avec un client, et qu'elle avait le droit de faire du bruit jusqu'à 22 heures.

Il a de nouveau constaté le dimanche 5 octobre 2014 à 15 heures 45 qu'un quad faisait des allers-retours sur la piste ; celui-ci s'est arrêté à sa demande avant de recommencer à circuler vers 18 heures 30.

Enfin par lettre du 18 avril 2017, il a informé la gérante de l'auto-école des nuisances sonores signalées par les riverains provoquée par la tonte de ses espaces verts, effectuée régulièrement le dimanche depuis le 19 mars précédent.

Le procès-verbal de Me [P], huissier de justice, a été effectué le 10 septembre 2021 pour constater la localisation géographique des immeubles des plaignants et des témoins, et non pour établir la réalité des nuisances sonores ; à cet égard, il s'observe que l'huissier ne décrit, le jour de ses constatations, la présence d'aucun engin motorisé sur la piste.

Les photographies de la piste litigieuse, outre qu'elles ne sont pas précisément horodatées, les dates et heures ayant été ajoutées de façon manuscrite, montrent la présence d'un seul véhicule à la fois sur la piste, tantôt une motocyclette, une véhicule automobile ou un quad, sans qu'elle puissent renseigner sur le volume sonore produit, ni sur le jour où ont eu lieu ces passages, notamment les dimanches et jours fériés.

La société Auto-école Patricia verse au débat un planning des leçons de moto qui se sont déroulées en 2018 sur la piste litigieuse, dont il résulte que celle-ci a été fréquentée essentiellement les mercredis, vendredis et samedis en journée pendant une durée d'une à deux heures, à quatre reprises en janvier, cinq reprises en février, six reprises en mars, onze reprises en avril et mai, huit reprises en juin et juillet, quatorze reprises en août, douze reprises en septembre, six reprises en octobre, et enfin quatre reprises en novembre. Sur ces 89 utilisations de la piste, seule une quinzaine s'est déroulée en début de soirée dans le créneau horaire de 19 heures à 21 heures 45, essentiellement durant les mois de juillet, août et septembre.

De nombreux voisins et riverains, M. [UF] [HV], Mme [OS] [AM], M. [R] [O], Mme [MI] [A], M. [EJ] [F], Mme [S] [B], M. [Z] [E], Mme [GC] [V], M. [MZ] [A], M. [X] [VH], Mme [YT] [XR], Mme [KP] [PU], Mme [ZJ] [XA] épouse [W], M. [I] [W], M. [SM] [W], M. [L] [T], Mme [M] [JN], attestent unanimement ne subir aucune nuisance sonore liée à la présence de la piste de motos de la société Auto-école Patricia dans le village, les séances d'apprentissage n'occasionnant aucun bruit incommodant, les cours se déroulant à des horaires convenables en semaine et le samedi.

Certains d'entre eux témoignent avoir accepté de signer en 2013 la pétition à l'initiative de M.'[J] contre la construction de la piste, qui leur avait été présentée, bien que le témoin M.'[C] [G] s'en défende, comme une piste de moto-cross et de quad, et non d'apprentissage de la conduite, et s'étonner de ne subir depuis lors aucune gène du fait de l'exploitation de celle-ci, indiquant même jouir sans difficulté de leur terrain.

Si M. et Mme [J] prétendent dans leurs conclusions que les vrombissements des moteurs des motocyclettes, leurs passages de vitesse, freinages brusques et autres man'uvres du même type leur causent des nuisances excédant les inconvénients normaux de voisinage où qu'ils se trouvent à l'intérieur ou à l'extérieur de leur immeuble, force est de constater que le procès-verbal de constat d'huissier du 21 septembre 2013, lequel décrit la présence de motards sur la piste de l'auto-école s'entraînant, tournant, et effectuant des allers-retours, et procède à cette seule occasion au mesurage des décibels pendant une demi-heure, ainsi que les autres pièces produites, à savoir les photographies et témoignages, sont manifestement insuffisantes à en rapporter la preuve.

En effet, l'anormalité du bruit généré par une piste d'apprentissage de la moto doit être établie par des mesurages et des données concrètes et fiables. Il n'est produit à cet égard aucune expertise amiable ou judiciaire, aucun calcul d'émergence sonore ni mesurage des niveaux sonores dans les règles de l'art permettant de faire la démonstration de l'intensité du bruit, de sa répétition, de sa persistance diurne voire nocturne.

En l'état de l'ensemble de ces éléments, il n'est pas suffisamment démontré que l'activité de la société Auto-école Patricia, suite à l'installation et à l'exploitation de la piste d'apprentissage de la conduite de motocyclettes à proximité de l'immeuble d'habitation et du terrain d'agrément de ses voisins, cause à ces derniers, dans ces circonstances factuelles, des inconvénients d'une importance, d'une intensité et d'une répétition telles, en raison des émissions sonores alléguées, qu'ils dépassent les troubles normaux de voisinage.

Il s'ensuit que la responsabilité de la société Auto-école Patricia n'est pas engagée sur le fondement de la théorie du trouble anormal de voisinage, et que M. et Mme [J] seront déboutés de l'ensemble de leurs demandes formées contre cette dernière.

Le jugement dont appel sera infirmé en toutes ses dispositions.

Sur la perte alléguée de chiffre d'affaires

Si la gérante de la société Auto-école Patricia s'est vu refuser courant avril 2021 sa demande d'adhésion au groupement d'intérêt économique (GIE) des pistes motos audomaroises pour bénéficier d'un accès à leurs installations, il reste pour autant qu'elle a pu poursuivre son activité d'enseignement sur la piste d'examen du Brockus à [Localité 9], ainsi qu'en attestent Mme [U] [K] pour la journée du 17 juillet 2021, et M. [BK] [OB] [H] pour la journée du 25 septembre 2021.

Si quelques clients de l'auto-école attestent avoir vu leurs leçons de motos retardées durant l'été et l'automne 2021 en raison de la fermeture de la piste d'[Localité 5], et si deux d'entre eux ont demandé la restitution de leur dossier d'inscription, l'appelante ne justifie pas pour autant de la baisse considérable des inscriptions d'élèves motards qu'elle invoque, ni de la chute alléguée de son chiffre d'affaires en lien de causalité direct et certain avec la cessation de l'exploitation de sa piste d'apprentissage, d'autant qu'elle exploite désormais quatre bureaux d'auto-école.

Le prêt de 20'000 euros garanti par l'État, consenti pour pallier son manque de trésorerie, apparaît davantage lié à la survenance de la crise sanitaire qu'à la fermeture temporaire de la piste litigieuse,

Si l'expert-comptable de la société Auto-école Patricia atteste, le 3 janvier 2022, de ce que sa cliente a sollicité un prêt garanti par l'État de 20'000 euros «'pour pallier au manque de trésorerie dû à la baisse considérable des inscriptions moto'», et de ce qu'elle est contrainte depuis juin 2021 d'utiliser la piste d'examen de [Localité 9] lorsqu'il n'y pas d'examen, ce qui limite les plages horaires des leçons proposées à ses élèves, la cour observe que l'appelante ne produit aucun compte de résultat ni bilan comptable de nature à rapporter la preuve du préjudice financier allégué.

A cet égard, la production d'une attestation du 10 septembre 2021 de l'expert-comptable venant signaler pour l'année 2020 un chiffre d'affaires TTC de 33 894 euros pour l'activité moto, sans qu'aucun élément de comparaison ne soit produit pour les années précédentes et suivantes, est manifestement insuffisante pour établir la réalité du préjudice allégué.

Faute de justifier d'une baisse de marge sur coûts variables imputable à la fermeture temporaire de sa piste d'entraînement, l'appelante sera purement et simplement déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.

Sur les dommages et intérêts pour appel abusif

Le sens de l'arrêt conduit à débouter les intimés de leur demande de dommages et intérêts pour appel abusif.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Les sens de l'arrêt conduit à infirmer le jugement dont appel sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance.

M. et Mme [J] qui succombent seront condamnés in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de les condamner in solidum à payer à la société Auto-école Patricia une somme de 5'000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par mise à disposition au greffe, publiquement et contradictoirement,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Saint-Omer,

Statuant à nouveau,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité ;

Déboute la société Auto-école Patricia de sa demande tendant à voir écarter des débats les pièces adverses numérotées 12, 13, 15, 21 à 27, 28, 29, 33, 42, 45, 51, 54 ;

Déboute M. [N] [J] et Mme [VY] [J] de l'ensemble de leurs demandes formées à l'encontre la société Auto-école Patricia ;

Déboute la société Auto-école Patricia de sa demande de dommages et intérêts pour perte de chiffre d'affaires ;

Condamne in solidum M. [N] [J] et Mme [VY] [J] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Les condamne en outre in solidum à payer à la société Auto-école Patricia la somme de 5'000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GreffierLe Président

F. DufosséG. Salomon


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 20/05304
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-28;20.05304 ?
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