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22/04/2022 | FRANCE | N°22/00685

France | France, Cour d'appel de Douai, Etrangers, 22 avril 2022, 22/00685


COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre des Libertés Individuelles





N° RG 22/00685 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UHMZ

N° de Minute :







Ordonnance du vendredi 22 avril 2022





République Française

Au nom du Peuple Français





APPELANT



M. LE PREFET DU NORD

dûment avisé, représenté par Me Thibault FAUGERAS





INTIMÉ



M. [Z] [N]

né le 13 Mai 1994 à [Localité 2] ( ALBANIE )

de nationalité Albanaise

absent, non

représenté

dûment avisé

ayant eu Maître Julien LEBAS, avocat au barreau de Boulogne sur Mer devant le juge des libertés et d ela détention



M. le procureur général : non comparant







MAGISTRAT(E) DELEGUE(E) : Guillaum...

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre des Libertés Individuelles

N° RG 22/00685 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UHMZ

N° de Minute :

Ordonnance du vendredi 22 avril 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

APPELANT

M. LE PREFET DU NORD

dûment avisé, représenté par Me Thibault FAUGERAS

INTIMÉ

M. [Z] [N]

né le 13 Mai 1994 à [Localité 2] ( ALBANIE )

de nationalité Albanaise

absent, non représenté

dûment avisé

ayant eu Maître Julien LEBAS, avocat au barreau de Boulogne sur Mer devant le juge des libertés et d ela détention

M. le procureur général : non comparant

MAGISTRAT(E) DELEGUE(E) : Guillaume SALOMON, président de chambre à la cour d'appel de Douai désigné(e) par ordonnance pour remplacer le premier président empêché

assisté(e) de Jean-Luc POULAIN, Greffier

DÉBATS : à l'audience publique du vendredi 22 avril 2022 à 13 h 00

ORDONNANCE : prononcée publiquement à Douai le vendredi 22 avril 2022 à

Le premier président ou son délégué,

Vu les articles L.740-1 à L.744-17 et R.740-1 à R.744-47 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et spécialemnt L 743-21, L 743-23, R 743-10, R 743-11, R 743-18 et R 743-19 ;

Vu l'ordonnance rendue le 20 avril 2022 par le Juge des libertés et de la détention de [Localité 1] qui a mis fin à la rétention administrative de de M. [Z] [N] ;

Vu l'appel motivé interjeté par Maître [J] [B] venant au soutien des intérêts de M. LE PREFET DU NORD par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de ce siège le 21 avril 2022 ;

Entendue la plaidoirie de Me [C] [W] venant au soutien des intérêts de M. le préfet du Nord .

EXPOSE DU LITIGE

Vu l'ordonnance rendue le 20 avril 2022 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer, ayant rejeté la demande de maintien en rétention administrative de M. [Z] [N] et ayant ordonné sa remise en liberté, au visa de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme ;

Vu le mémoire présenté le 21 avril 2022 à 7 h 40 par le représentant de l'Etat à l'appui de son appel à l'encontre de cette ordonnance, aux termes duquel il demande au premier président d'infirmer l'ordonnance entreprise, et statuant à nouveau, de déclarer recevable sa requête en prolongation de rétention et d'ordonner par conséquent une telle prolongation pour une durée maximale de 28 jours à l'égard de M. [N] ;

A l'appui de ces prétentions, le représentant de l'Etat fait valoir que :

- à l'inverse du régime prévu en matière de garde à vue, les articles L. 813-1 et suivants du CESEDA ne comportent aucune obligation de mentionner les heures auxquelles la personne retenue a pu s'alimenter, de sorte qu'aucune nulllité ne sanctionne un tel défaut de mention dans le procès-verbal de fin de retenue administrative ;

- en l'espèce, M. [N] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un manquement par les services de police qui pourrait justifier directement ou indirectement de l'absence d'exécution de l'obligation d'alimentation pendant le temps de la retenue.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Si les dispositions de l'article L 813-13 du CESEDA n'imposent pas, comme en matière de garde à vue, de faire mention des heures précises durant lesquelles le retenu s'alimente de sorte qu'aucune nullité ne sanctionne le défaut de mention des heures d'alimentation, le premier juge a exactement retenu qu'il n'en demeure pas moins que la retenue d'un étranger doit être effectuée dans le respect des droits fondamentaux, qui comprend le droit de s'alimenter lorsque la retenue excède de nombreuses heures.

Indépendemment de la question des mentions dont l'absence ou l'irrégularité sont susceptibles d'entraîner la nullité de la mesure de retenue administrative, une telle privation de liberté implique en effet que soient proposés à la personne concernée les aliments nécessaires à l'homme dont l'absorption s'effectue de façon habituelle à certaines heures de la journée dès lors que la durée totale de la privation de liberté ne lui permet pas de s'alimenter volontairement par ses propres moyens. Au-delà de la nullité de la retenue administrative pour absence de mentions prévues par le seul CESEDA, l'irrégularité de cette mesure privative de liberté peut ainsi résulter de la privation d'un droit fondamental tel que celui de s'alimenter.

Sur ce point, les recommandations minimales du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, publiée au JO n°0136 du 4 juin 2020 prévoient à cet égard qu'il convient d''assurer la protection des personnes privées de liberté dans leur dignité et l'exercice de leurs droits fondamentaux'. Elles retiennent que : 'l'enfermement rend les personnes captives vulnérables puisque, confiées à une administration, elles perdent une grande part de leur autonomie. Les droits et libertés fondamentales des personnes privées de liberté reposent donc en premier lieu sur un principe de protection. Contre le risque d'arbitraire, contre les tentations de faire primer l'ordre, la sécurité ou la bonne administration des lieux d'enfermement, les personnes privées de liberté doivent être protégées dans leur dignité, leur intégrité et leurs droits. La dignité est à la fois le fondement et le corollaire de l'ensemble des droits des personnes privées de liberté. Même enfermés, les êtres humains sont « libres et égaux en dignité et en droits »', par référence à l'article 1er de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.

Ces mêmes recommandations en concluent qu'au titre des '2.3. Les conditions matérielles des séjours transitoires ou de courte durée :

37. Les conditions matérielles d'accueil, d'attente ou de séjour doivent toujours permettre aux personnes privées de liberté de s'asseoir, s'allonger, se reposer et s'alimenter dans des conditions dignes. Toute personne passant la nuit dans un lieu d'enfermement doit pouvoir s'y reposer dans des conditions satisfaisantes d'hygiène, d'espace et de confort.'

(...)

4.4. La restauration

90. Les personnes privées de liberté doivent recevoir une alimentation variée, tenant compte de leur âge, de leur état de santé, de leur condition physique, de leur religion et de leur culture. Trois repas quotidiens doivent être proposés à des intervalles réguliers et aux horaires d'usage. Des dispositions doivent être prises pour assurer l'alimentation des personnes absentes de l'établissement à l'heure habituelle d'un repas.(...) 92. Les personnes privées de liberté doivent avoir accès à l'eau potable à tout moment, sans limitation de quantité et dans des conditions préservant leur dignité'.

Ni M. [N], ni le premier juge n'ont toutefois invoqué que l'absence de toute pièce établissant l'alimentation proposée prive le juge des libertés et de la détection de la possibilité de contrôler le respect des droits fondamentaux de la personne privée de liberté, et fait nécessairement grief à l'interessé, en ce qu'il ne lui permet pas un recours effectif au juge.

Ainsi, l'objet du litige, tel que défini par les parties, porte exclusivement sur l'application à l'espèce de l'article 3de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui dispose que : «nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants».

A cet égard, le placement en rétention ne constitue un traitement inhumain et dégradant que si les conditions de la privation de liberté atteignent un seuil de gravité dont l'appréciation dépend de circonstances factuelles propres au cas d'espèce, « de la nature et du contexte du traitement, ainsi que de ses modalités d'exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que de l'âge, et de l'état de santé de la victime. » (CEDH, 12 juillet 2016, aff. 33201/11, R.M et a. c/ France). Plus précisément, la violation de l'article 3 s'apprécie au regard de l'âge, de la durée de rétention et du caractère inadapté des locaux.

Si le premier juge a estimé en l'espèce qu'il ne peut être exigé de M. [N] de rapporter la preuve d'un fait négatif, une telle analyse est en réalité indifférente, alors que la question essentielle est celle de la charge de la preuve.

S'agissant de la charge de la preuve d'un manquement par l'Etat à ses obligations à l'occasion d'une privation de liberté, la Grand chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a jugé, dans une affaire [K] c. Belgique, n° 23380/09 du 28 septembre 2015 que :

'82. Les allégations de mauvais traitements contraires à l'article 3 doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés. Pour l'établissement des faits allégués, la Cour se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », une telle preuve pouvant néanmoins résulter d'un faisceau d'indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (voir, notamment, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 161 in fine, série A n° 25, Labita, précité, § 121, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 67, CEDH 2006-IX, Ramirez Sanchez c. France [GC], n° 59450/00, § 117, CEDH 2006-IX, et Gäfgen, précité, § 92).

83. Sur ce dernier point, la Cour a précisé que lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait. La charge de la preuve pèse alors sur le Gouvernement : il lui incombe de fournir une explication satisfaisante et convaincante en produisant des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur le récit de la victime ([P], précité, § 100, [F] c. France, n° 59584/00, § 38, 1er avril 2004, ainsi que, notamment, Turan Cakir c. Belgique, no 44256/06, § 54, 10 mars 2009, Mete et autres c. Turquie, no 294/08, § 112, 4 octobre 2011, Gäfgen, § 92, et [L], § 152, précités). En l'absence d'une telle explication, la Cour est en droit de tirer des conclusions pouvant être défavorables au Gouvernement (voir, notamment, [L], précité, § 152). Cela est justifié par le fait que les personnes placées en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et que les autorités ont le devoir de les protéger (voir, notamment, [P], précité, § 99)'.

En l'espèce, il convient de relever qu'à l'inverse de blessures, la privation d'alimentation au cours d'une mesure limitée à 24 heures n'est pas susceptible d'être objectivée postérieurement à la période de privation de liberté.

Il en résulte qu'en pareilles circonstances, la charge de la preuve d'une alimentation de la personne retenue pèse sur le représentant de l'Etat.

A cet égard, le représentant de l'Etat indique essentiellement que la mention d'une alimentation n'est prévue par aucun texte en matière de retenue administrative, inversant ainsi la charge de la preuve.

En effet, si l'absence de mention sur l'alimentation proposée ou consommée par M. [N] ne signifie pas nécessairement que l'étranger placé en retenue n'aurait été, durant le temps de cette dernière, ni abreuvé, ni alimenté, elle ne constitue toutefois pas une preuve positive d'une telle alimentation, qui incombe à l'Etat.

S'il n'appartient pas aux services de police d'ajouter à la loi en mentionnant les horaires auxquels il a été proposé à la personne retenue de s'alimenter, une simple mention dans un procès-verbal d'une telle proposition et de la réponse apportée par l'intéressé est en revanche de nature à lever l'interrogation sur la réalité d'une alimentation lorsque la durée de la retenue administrative implique une telle offre de se restaurer aux horaires usuels de l'un ou de plusieurs des repas quotidiens traditionnellement admis sur le territoire national.

En l'absence de tout élément probant, il en résulte que le représentant de l'Etat ne fournit aucune explication satisfaisante et convaincante en produisant des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur le récit de M. [N].

Pour autant, si un tel manquement est établi, il appartient à la juridiction d'apprécier sa qualification au regard de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme.

A cet égard, il appartient à M. [N] d'établir que la gravité du manquement ainsi établi à l'encontre de l'Etat permet de retenir l'existence d'un traitement inhumain ou dégradant.

A cet égard, il convient de rappeler que :

- M. [N] a été placé en retenue administrative le 16 avril 2022 à 20 h 55.

- M. [N] a été informé, lors de la notification de son placement en retenue administrative, que

* sa privation de liberté peut atteindre une durée maximale de 24 heures, 'pour autant que son état de santé, constaté par un médecin, ne s'y oppose pas'.

* son examen est possible par un médecin, qui sera chargé de se prononcer sur la compatibilité de son état avec la mesure de retenue et de procéder à toutes constatations utiles.

Il a toutefois indiqué ne pas souhaiter être examiné par un médecin 'quant à présent'.

- la retenue administrative a été levée à 13 h 50. A cet occasion, il est rappelé que M. [N] a disposé pendant toute la durée de la mesure d'un téléphone administratif.

La durée pendant laquelle le défaut d'alimentation est invoquée ne doit pas s'interpréter abstraitement au regard de la seule durée totale de la mesure de retenue administrative, mais doit conduire à apprécier une telle situation au regard des horaires classiques de restauration et de l'importance quantitative de chacun des trois repas rythmant habituellement un cycle quotidien. A cet égard, il convient de relever que :

- le début de la retenue administrative, qui correspond au moment de son contrôle d'identité, est intervenu à 20 h 35, à un horaire auquel la prise d'un dîner a vocation à être déjà intervenue ;

- la période nocturne n'a habituellement pas vocation à être prise en compte pour apprécier l'existence d'une privation d'alimentation ;

- la fin de la retenue administrative est intervenue à 13 h 50, de sorte qu'à l'issue d'une telle mesure, M. [N] se trouvait dans un horaire parfaitement compatible avec une prise classique d'un déjeuner.

En définitive, seule la privation d'un petit déjeuner pourrait être valablement invoquée par M. [N], dans des conditions qui ne permettent pas de caractériser, en tout état de cause, une gravité telle qu'elle s'analyse comme un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme.

Dans ces conditions, il convient de réformer l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, d'ordonner la prolongation de la mesure de rétention administrative.

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE l'appel recevable ;

INFIRME l'ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau,

DIT que M. [Z] [N] n'a subi aucun traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme au cours de sa retenue administrative intervenue les 16 et 17 avril 2022 ;

DIT que la procédure de retenue administrative est par conséquent régulière ;

ORDONNE la prolongation de la rétention administrative de M. [Z] [N] pour une durée maximale de 28 jours ;

DIT que la présente ordonnance sera communiquée au ministère public par les soins du greffe ;

DIT que la présente ordonnance sera notifiée dans les meilleurs délais à M. [Z] [N], à son conseil

Jean-Luc POULAIN,

Greffier

Guillaume SALOMON,

président de chambre

N° RG 22/00685 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UHMZ

REÇU NOTIFICATION DE L'ORDONNANCE DU 22 Avril 2022 ET DE L'EXERCICE DES VOIES DE RECOURS (à retourner signé par l'intéressé au greffe de la cour d'appel de Douai par courriel - [Courriel 3]) :

Vu les articles 612 et suivants du Code de procédure civile et R. 743-20 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

Pour information :

L'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

- décisision transmise par courriel pour notification à l'autorité administrative

- décision communiquée au tribunal administratif de Lille

- décision communiquée à M. le procureur général

- copie au Juge des libertés et de la détention de [Localité 1]

Le greffier, le vendredi 22 avril 2022

N° RG 22/00685 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UHMZ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Etrangers
Numéro d'arrêt : 22/00685
Date de la décision : 22/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-22;22.00685 ?
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