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01/10/2020 | FRANCE | N°19/03048

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 01 octobre 2020, 19/03048


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 01/10/2020











N° de MINUTE : 20/399

N° RG 19/03048 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SL6C



Jugement (N° 17/01583) rendu le 04 avril 2019 par le tribunal de grande instance de Douai





APPELANTE



SARL Marti la Madeleine

[Adresse 2]

[Localité 5]



Représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai et

Me Delphine Chambon, avocat au barreau de Lille



INTIMÉ



Monsieur [B] [P]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 6]

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représenté par Me Véronique Vitse-...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 01/10/2020

N° de MINUTE : 20/399

N° RG 19/03048 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SL6C

Jugement (N° 17/01583) rendu le 04 avril 2019 par le tribunal de grande instance de Douai

APPELANTE

SARL Marti la Madeleine

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai et Me Delphine Chambon, avocat au barreau de Lille

INTIMÉ

Monsieur [B] [P]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 6]

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Véronique Vitse-Boeuf, avocat au barreau de Lille substituée par Me Olivier Playoust, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l'audience publique du 01 juillet 2020 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui,, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIÈRE LORS DES DÉBATS :Harmony Poyteau

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Hélène Château, première présidente de chambre

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseillère

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 01 octobre 2020 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Hélène Château, présidente et Harmony Poyteau, greffière, à laquelle la minute a été remise par la magistrate signataire.

AVIS DU MINISTÈRE PUBLIC : 7 février 2020

Communiquées aux parties le 14 février 2020

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 26 mai 2020

EXPOSE DU LITIGE, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Selon acte du 31 mai 2003, la SARL Marti La Madeleine a donné à bail commercial à la SARL JMJ un local à effet du 1er juin 2003 et pour une durée de 9 ans, moyennant un loyer annuel de 118 910,29 euros HT.

La SARL JMJ y a exploité un fonds de commerce de vente au détail et en gros, et notamment d'articles de décoration ou d'art de la table.

Par jugement du 25 mai 2011, le tribunal de commerce de Douai a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL JMJ et a désigné Me [C] en qualité de mandataire-liquidateur.

Le liquidateur ayant indiqué le 7 juin 2011 qu'il ne sollicitait pas la poursuite du bail, il n'a toutefois restitué les clés des locaux loués qu'au 30 septembre 2011.

Les locaux ont été reloués à compter selon bail commercial du 31 janvier 2012.

Invoquant la responsabilité civile de Me [C] résultant d'une libération tardive des locaux, la SARL Marti La Madeleine a mandaté Me [P], avocat au barreau de Cambrai, pour introduire une action en responsabilité à l'encontre du liquidateur judiciaire et solliciter la condamnation de ce dernier à lui payer la somme de 56 318,40 euros à titre de dommages et intérêts, outre 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Ayant été déboutée de ses demandes par un jugement rendu le 24 octobre 2013 par le tribunal de grande instance de Cambrai, la SARL Marti La Madeleine en a interjeté appel par déclaration du 10 janvier 2014.

Les conclusions d'appel au soutien des intérêts de la SARL n'ont toutefois pas été notifiées au conseil de Me [C], de sorte que l'appel de la SARL Marti La Madeleine a en conséquence été déclaré caduc par ordonnance du 30 septembre 2014.

La SARL Marti La Madeleine a alors assigné en responsabilité Me [P] devant le tribunal de grande instance de Lille, qui s'est déclaré incompétent et a renvoyé la procédure devant le tribunal de grande instance de Douai.

Par jugement rendu le 4 avril 2019, le tribunal de grande instance de Douai a :

- condamné Me [P] à verser à la SARL Marti La Madeleine la somme de 7 103,91 euros en réparation de son préjudice résultant de la perte de chance d'obtenir la réformation du jugement du tribunal de grande instance de Cambrai ;

- condamné Me [P] à verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

- ordonné l'exécution provisoire de son jugement.

Par déclaration du 29 mai 2019, la SARL Marti La Madeleine a formé appel de l'ensemble des chefs de ce jugement, à l'exception de celle portant sur son exécution provisoire

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 13 janvier 2020, la SARL Marti La Madeleine demande à la cour de :

=$gt; confirmer le jugement rendu le 4 avril 2019 par le tribunal de grande instance de Douai en ce qu'il a :

* jugé que Me [P] engage sa responsabilité professionnelle à l'encontre de la SARL Marti La Madeleine

* condamné Me [P] à lui verser la somme de 1 095,97 euros au titre des dépens dans le cadre de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état

=$gt; réformer le jugement entrepris pour le surplus et statuant à nouveau :

* condamner Me [P] à lui verser la somme de 45 054,72 euros TTC au titre de la perte de chance d'obtenir réformation du jugement rendu le 24 octobre 2013 par le tribunal de grande instance de Cambrai.

* condamner Me [P] à verser la somme de 1 408,8 euros au titre des frais de procédure devant le tribunal de grande instance de Cambrai

* condamner Me [P] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance

* condamner Me [P] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de la présente procédure d'appel.

A l'appui de ses prétentions, la SARL Marti La Madeleine fait valoir que :

- son préjudice s'analyse comme une perte de chance d'obtenir l'infirmation du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Cambrai.

- l'évaluation de son préjudice a pris en compte un taux de perte de chance excessivement faible. A cet égard, elle indique que dès le 26 juillet 2011, Me [C] savait que les loyers n'étaient pas réglés et qu'il n'avait pas les moyens de procéder à leur paiement, de sorte que son choix délibéré de poursuivre l'occupation des locaux malgré l'absence de possibilité de céder le fonds de commerce et l'absence de recours à un garde-meubles pour entreposer l'actif mobilier à liquider a fait perdre au bailleur la chance tant d'obtenir le paiement d'une indemnité d'occupation que de relouer les locaux pour un loyer supérieur.

Elle considère qu'elle n'était pas tenue de rembourser le dépôt de garantie, d'un montant égal à 41 384,93 euros, dès lors que le bail comportait une clause résolutoire prévoyant qu'en cas de loyers impayés, le dépôt de garantie resterait acquis au bailleur à titre d'indemnité forfaitaire sans préjudice de son droit au paiement des loyers courus ou à courir.

Elle en conclut que son pourcentage de perte de chance doit être estimé à 80 %, de sorte que son indemnisation principale doit être fixée à 80 % de 56 318,40 euros, soit

45 054,72 euros et que ce même taux doit être appliqué aux frais irrépétibles qu'elle a exposés.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 3 février 2020, Me [P], intimé, demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- l'a condamné à verser à la SARL Marti La Madeleine la somme de 7 103,91 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance d'obtenir la réformation du jugement du tribunal de grande instance de Cambrai.

- l'a condamné aux dépens de l'instance et à payer à la SARL Marti La Madeleine la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

et statuant à nouveau,

- constater, dire et juger que les conditions pour engager sa responsabilité civile professionnelle ne sont pas réunies en l'espèce ;

En conséquence,

- rejeter toutes prétentions, fins et conclusions de la SARL Marti La Madeleine, l'en débouter ;

- condamner la SARL Marti La Madeleine à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers frais et dépens de première instance, y ce compris ceux de l'instance ayant donné lieu à l'ordonnance du tribunal de grande instance de Lille du 12 juillet 2017.

Dans tous les cas :

- La condamner à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

- La condamner aux entiers frais et dépens d'appel.

A l'appui de ses prétentions, Me [P] fait valoir que ;

- sa faute n'est pas établie.

Il indique que son absence de signification de ses conclusions auprès de son adversaire est douteuse, n'ayant pu obtenir du greffe de la cour d'appel d'explications sur les moyens techniques de contrôle des transmissions et estimant que l'envoi au greffe de ses conclusions impliquait leur communication à l'intimé. Il ajoute que son défaut de réponse à la caducité de l'appel soulevée par Me [C] résulte également d'un tel défaut d'explications par le greffe, étant rappelé que la mise en oeuvre du RPVA était récente à l'époque des faits reprochés.

- la perte de chance doit être appréciée par une reconstitution fictive du procès si l'appel n'avait pas été déclaré caduc. A cet égard, il estime que :

* le seul examen du jugement frappé d'appel et de ses propres conclusions devant la cour d'appel ne suffit pas pour évaluer le taux de perte de chance de sa cliente.

* au regard des conclusions déposées par Me [C], le tribunal de grande instance de Cambrai, puis celui de Douai, ont estimé que le liquidateur judiciaire avait accompli des diligences permettant une libération rapide des lieux loués.

Il ajoute que le liquidateur judiciaire avait également obtenu dans un temps record l'évaluation des actifs mobiliers, alors qu'il n'est pas démontré que Me [C] aurait pu en période estivale entreposer plus rapidement les meubles.

Il estime que la preuve d'une perte de chance de procéder à une relocation rapide des locaux n'est pas démontrée.

Il considère comme absurde qu'une perte de chance pour le bailleur d'obtenir l'infirmation du jugement cambraisien ait été retenue à son encontre par le tribunal de grande instance de Douai, alors que cette même juridiction retenait que Me [C] n'avait pas commis de faute.

Il indique également que la restitution du dépôt de garantie à la locataire devait être prise en compte, alors que la résiliation du bail n'est pas intervenue à l'initiative du bailleur pour défaut de paiement des loyers antérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire, mais à l'initiative des organes de la procédure collective.

Il critique enfin l'assiette sur laquelle a été appliqué le taux de 10 % par les premiers juges. Sur ce point, il conteste le montant de 58 318,40 euros alors qu'il n'a pas été tenu compte du dépôt de garantie conservé par la SARL (45 734,70 euros), qui est donc venu en compensation des loyers dus postérieurement à la liquidation judiciaire et de la contestation formée par le liquidateur au titre du montant de la clause pénale réclamé à hauteur de 7 436,95 euros.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Le dossier a été transmis au ministère public qui a visé la procédure, conclu le 7 février 2020 à la confirmation de la responsabilité de Me [P] et s'en est rapporté à l'appréciation de la cour sur le montant de l'indemnisation à accorder.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la faute de Me [P] :

Dans les rapports avec son client, l'avocat est susceptible d'engager sa responsabilité contractuelle lorsqu'il commet une faute ayant causé un préjudice à celui-ci dans l'exercice de son mandat de représentation en justice, en application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'espèce.

A cet égard, il n'est pas contesté que Me [P] a été chargé par la SARL Marti La Madeleine d'interjeter appel du jugement rendu le 24 octobre 2013 à son encontre par le tribunal de grande instance de Cambrai.

Par ordonnance du 30 septembre 2014, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Douai a prononcé la caducité de la déclaration d'appel formée par la SARL Marti La Madeleine, au motif que cette société n'avait pas notifié ses conclusions à l'avocat de Me [C] en application des dispositions de l'article 911 du code de procédure civile. Cette ordonnance relève que l'erreur commise par Me [P] consiste à n'avoir notifié par RPVA ses conclusions pour le compte de sa cliente appelante qu'au greffe, et non à l'avocat de Me [C].

La circonstance que Me [P] conteste le prononcé de la caducité de la déclaration d'appel est indifférente, dès lors que la cour observe :

- d'une part que la transmission par RPVA de conclusions à destination du greffe de la cour n'implique nullement qu'elles soient également notifiées à l'avocat de l'intimé, alors qu'il n'établit pas la réalité de ses interrogations auprès du greffe de la cour d'appel.

- et d'autre part qu'il n'a apporté aucune réponse aux conclusions d'incident ayant été présentées par Me [C] au soutien de la caducité de sa déclaration d'appel.

Cette double défaillance est imputable à Me [P].

Sur l'indemnisation de la SARL Marti La Madeleine :

Il convient d'apprécier si le comportement fautif de Me [P] a privé la SARL Marti La Madeleine d'une chance, même minime, d'obtenir l'infirmation du jugement l'ayant débouté de son action en responsabilité à l'encontre de Me [C]. Les moyens qu'il a développés dans ses conclusions d'appelant doivent par conséquent être appréciés pour déterminer tant l'existence que le taux de perte de chance subie par sa cliente, étant rappelé que l'intimée n'a pas conclu au regard de la caducité de la déclaration d'appel et que la référence à ses seules conclusions de première instance ne peut exclure la faculté ouverte à un intimé de présenter de nouveaux moyens devant la cour d'appel.

A titre liminaire, la cour relève que la SARL Marti La Madeleine ne détermine pas la date à compter de laquelle le maintien dans les lieux de la SARL JMJ serait devenue fautive.

A cet égard, la chronologie des opérations liquidatives révèle toutefois les multiples diligences effectuées par Me [C] pour permettre la libération des locaux loués :

- le 25 mai 2011, la SARL JMJ, locataire des locaux appartenant à la SARL Marti La Madeleine, a été placée en liquidation judiciaire.

- dès le 26 mai 2011, le liquidateur judiciaire a sollicité l'inventaire et la prisée des actifs de la SARL JMJ.

- le 1er juin 2011, il a saisi le juge-commissaire pour être autorisé à vendre aux enchères publiques les actifs mobiliers dépendant de la liquidation, étant précisé que l'ordonnance l'y autorisant n'est intervenue que le 6 juillet 2011.

- le 7 juin 2011, Me [C], es qualité de liquidateur judiciaire du locataire, a indiqué au bailleur ne pas poursuivre le contrat de bail, décision à compter de laquelle la résiliation est dès lors intervenue.

- jusqu'au 25 juillet 2011, le délai de revendication par les tiers des objets mobiliers garnissant les locaux n'avait pas expiré. Ainsi, des clients ou des fournisseurs étaient en droit de revendiquer leur propriété sur des mobiliers jusqu'à cette date.

- le 30 septembre 2011, la restitution des locaux par la remise des clés au bailleur est intervenue, dans un délai très légèrement supérieur à 4 mois à compter du prononcé de la liquidation judiciaire.

Si Me [P] soutient désormais que son propre argumentaire développé dans ses conclusions d'appel adressées au seul greffe de la cour d'appel était voué à l'échec, il en résultait toutefois l'invocation d'une double faute à l'encontre de Me [C], aux motifs que :

1. - selon son premier moyen ; le liquidateur judiciaire a indiqué au bailleur par courriel du 26 juillet 2011 que la restitution des locaux ne pourra intervenir pour le 1er août et que « les loyers post LJ seront réglés par [s]es soins es qualité sur le prix de la réalisation », alors qu'au regard d'un loyer mensuel de 13 789,98 euros, Me [C] ne pouvait ignorer que le produit de la réalisation des actifs ne permettrait pas le paiement intégral des loyers et accessoires postérieurs à la liquidation judiciaire, évalué à 81 806,40 euros au 30 septembre 2011.

Sur ce point, la cour observe toutefois que :

* d'une part, l'article L. 641-12 du code de commerce ne prévoit aucun délai maximum pour procéder à la libération des locaux à l'issue de la décision du liquidateur judiciaire de ne pas continuer le bail. A l'inverse, alors même qu'intervient un défaut de paiement des loyers postérieurs au jugement d'ouverture, cet article impose au bailleur, par renvoi à l'article L. 622-14, de respecter un délai de trois mois à compter du jugement d'ouverture pour solliciter la résiliation du bail. Il en résulte qu'une résiliation intervenant avant le 25 août 2011 à l'initiative du liquidateur judiciaire est favorable aux intérêts du bailleur.

* d'autre part, la liquidation judiciaire implique le risque qu'une partie des indemnités d'occupations postérieures à la résiliation du bail ne soient pas payées, sans qu'une telle situation caractérise nécessairement une faute imputable au liquidateur judiciaire.

Si l'affirmation d'un paiement des « loyers post LJ » présente un caractère excessivement général, elle s'inscrit exclusivement dans le cadre d'une simple communication à destination du bailleur sur l'état de la procédure. Il n'en résulte toutefois pas la démonstration d'une faute à l'encontre de Me [C] qui résulterait d'une appréciation erronée par ce dernier des capacités de paiement de ces loyers sur les fonds disponibles ou à percevoir.

Même si le délai de revendication des mobiliers par les tiers avait expiré au 25 juillet 2011, il ne peut être reproché au liquidateur judiciaire de ne pas être en mesure d'anticiper le produit exact de la vente des actifs, avant que la vente aux enchères ne soit réalisée, étant précisé que Me [C] a en revanche pris les mesures nécessaires pour que cette vente puisse être rapidement organisée.

Une partie des loyers a en outre été payée par le liquidateur judiciaire à la SARL Marti La Madeleine.

Enfin, s'agissant du lien de causalité, le préjudice constitué par l'absence de paiement du solde des loyers au bailleur résulte en réalité du maintien dans les lieux par le locataire jusqu'au 30 septembre 2011, qui est exclusivement causé par l'occupation matérielle des locaux par la marchandise entreposée, et non par la certitude erronée de Me [C] qu'il dispose des fonds nécessaires pour se maintenir jusqu'à cette dernière date.

La responsabilité de Me [C] ne peut par conséquent être engagée au titre de cette seule affirmation.

- 2. selon son second moyen : le liquidateur judiciaire n'a pas opté pour un déménagement des meubles garnissant les locaux loués, alors qu'il résulte d'un devis établi par l'EURL Bertrand, transporteur, qu'un déménagement de ces meubles dans une salle des ventes pouvait intervenir pour la somme forfaitaire de 4 890 euros, soit un montant très inférieur au coût d'une indemnité d'occupation résultant d'un maintien dans les lieux.

Contrairement aux prétentions de Me [P], le tribunal de grande instance de Douai a retenu cet argumentaire pour fixer une perte de chance de 10 % au profit de la SARL Marti La Madeleine, en considérant qu'il constituait un moyen susceptible de caractériser une faute de Me [C] et d'exclure ainsi que la chance d'obtenir la réformation du jugement du tribunal de grande instance de Cambrai soit considérée comme totalement inexistante. Il a en outre retenu comme assiette au calcul du pourcentage de perte de chance l'intégralité des indemnités d'occupation impayées à compter de la résiliation du bail par la décision du liquidateur judiciaire de ne pas continuer son exécution, retenant implicitement que le maintien dans les lieux par la SARL JMJ était fautif dès le jour de cette résiliation.

Pour autant, la cour observe que la pièce 13 visée par la SARL Marti La Madeleine dans son bordereau de communication de pièces sous l'intitulé « devis de déménagement des meubles et marchandises » est constituée d'une télécopie portant une date de transmission du « 23 11 12 15:54 », ne comportant aucun destinataire et indiquant exclusivement « suite à votre demande de devis pour les Ateliers du Manoir de Proville, nous pouvons mettre deux équipes à disposition pour un prix forfaitaire de 4 890 euros HT ».

Il en résulte que ce devis ne décrit pas les prestations offertes, et ne permet pas de valider l'hypothèse d'une livraison d'un volume déterminé de meubles vers une salle des ventes disponible au cours de la période estivale.

A cet égard, il ressort notamment du bail que la SARL JMJ exploitait son activité de vente de meubles et objets de décoration sur une surface de vente de 1 700 m2 et disposait d'une réserve de 300 m2.

Le reproche formulé à l'encontre de Me [C] étant de n'avoir pas pris l'initiative d'un tel déménagement pour accélérer la libération des locaux, il est toutefois établi qu'une telle faute ne peut lui être imputée, dès lors qu'il a réalisé l'ensemble des diligences nécessaires à la préservation des intérêts de la liquidation judiciaire et qu'il a pris en compte les délais pratiques et juridiques qui encadrent l'exécution de sa mission.

L'équilibre à trouver entre les intérêts des différents créanciers, qui nécessite en particulier de procéder à la vente des actifs aux meilleures conditions, implique en outre de ne pas mettre en péril la valeur de ces actifs.

Sur ce point, Me [C] souligne à juste titre que le déménagement des meubles dans un autre local aurait été de nature à provoquer des dégradations et à ne pas garantir les conditions de leur conservation.

En outre, même dans l'hypothèse où Me [C] aurait fait procéder au déménagement des meubles avant le 30 septembre 2011, la SARL Marti La Madeleine ne démontre pas qu'elle aurait pu percevoir des loyers, dès lors qu'elle n'apporte aucune démonstration d'un projet de bail avec un nouvel occupant.

Enfin, il résulte d'un courrier adressé le 6 octobre 2011, postérieurement à la restitution des clés, que la SARL Marti La Madeleine a enjoint Me [C] de procéder à « la remise du local dans son état d'origine ». Une telle exigence, postérieure à la libération des lieux, implique que le bailleur envisageait que ces travaux auraient du être réalisés avant la restitution des clés, dans des conditions ayant vocation à allonger la période d'indisponibilité du local au regard des délais d'intervention d'une entreprise au cours de la période estivale.

Dans ces conditions, la SARL Marti La Madeleine ne justifie pas l'existence d'une perte de chance d'obtenir l'infirmation du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Cambrai sur ce second moyen.

Il en résulte qu'en dépit des fautes commises par Me [P], les conditions de sa responsabilité contractuelle ne sont pas réunies, à défaut d'établir la réalité d'une perte de chance en relation causale avec ces fautes.

La SARL Marti La Madeleine est par conséquent déboutée de ses demandes indemnitaires à l'encontre de Me [P].

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile, et de condamner la SARL Marti La Madeleine aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité ne justifie pas en revanche de prononcer une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement rendu le 4 avril 2019 par le tribunal de grande instance de Douai, dans l'instance enregistrée au répertoire général de cette juridiction sous le numéro 17/1583 dans toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant

Dit que la responsabilité contractuelle de Me [P] n'est pas engagée à l'égard de la SARL Marti La Madeleine ;

Déboute par conséquent la SARL Marti La Madeleine de l'ensemble de sa demande indemnitaire à l'encontre de Me [B] [P] ;

Condamne la SARL Marti La Madeleine aux dépens de première instance et d'appel ;

Déboute la SARL Marti La Madeleine et Me [B] [P] de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

La GreffièreLa Présidente

H. PoyteauH. Château


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 19/03048
Date de la décision : 01/10/2020

Références :

Cour d'appel de Douai 03, arrêt n°19/03048 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-01;19.03048 ?
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