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24/09/2020 | FRANCE | N°19/06811

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 2, 24 septembre 2020, 19/06811


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 24/09/2020





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N° de MINUTE :20/

N° RG 19/06811 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SYN7



Jugement (N° 2017/172) rendu le 26 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Lille Métropole

Arrêt avant dire droit rendu le 09 juillet 2020 par la Cour d'appel de Douai



Interdiction de gérer



APPELANT



M. [J] [L]

né le [D

ate naissance 2] 1976 à [Localité 5], de nationalité française

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, constituée aux lieu et place de Me François Delefo...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 24/09/2020

****

N° de MINUTE :20/

N° RG 19/06811 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SYN7

Jugement (N° 2017/172) rendu le 26 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Lille Métropole

Arrêt avant dire droit rendu le 09 juillet 2020 par la Cour d'appel de Douai

Interdiction de gérer

APPELANT

M. [J] [L]

né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 5], de nationalité française

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, constituée aux lieu et place de Me François Deleforge, avocat au barreau de Douai

assisté de Me Thomas Deschryver, avocat au barreau de Lille, substitué à l'audience par Me Stéphanie Forest, avocat au barreau de Lille

INTIMÉE

S.E.L.A.R.L. MJ Valem Associés représentée par son gérant, Maître [Z] [O], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL ATYLIA

ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Catherine Trognon-Lernon, avocat au barreau de Lille

assistée de Me Christian Lequint, avocat au barreau de Lille

En présence du ministère public, représenté par Mme Dorothée Coudevylle, substitut générale

DÉBATS à l'audience publique du 08 septembre 2020 tenue par Agnès Fallenot magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Audrey Cerisier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Laurent Bedouet, président de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Agnès Fallenot, conseiller

ARRÊTCONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2020 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Laurent Bedouet, président et Audrey Cerisier, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

OBSERVATIONS ÉCRITES ET ORALES DU MINISTÈRE PUBLIC :

Cf réquisitions du 8 juin 2020, communiquées aux parties le 9 juin 2020

Cf réquisitions du 22 juillet 2020, communiquées aux parties le 23 juillet 2020

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 01er septembre 2020

****

FAITS ET PROCEDURE

La SARL Atylia, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Lille Métropole sous le n° 453 400 822 depuis le 6 mai 2004, exerçait une activité de meubles par internet d'objets de la maison et d'accessoires de décoration. Elle était gérée par

M. [J] [L]. Ce dernier a régularisé une déclaration de cessation des paiements et sollicité l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire le 15 février 2017.

Par jugement en date du 20 février 2017, publié au Bodacc le 2 mars 2017, le tribunal de commerce de Lille Métropole a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Atylia et a désigné Maître [Z] [O] en qualité de liquidateur judiciaire.

La date de cessation des paiements a été fixée au 15 février 2017, avant d'être reportée au 22 septembre 2016 par jugement du 27 mars 2018.

Par acte d'huissier en date du 30 novembre 2018, Maître [Z] [O], ès qualités, a fait délivrer assignation à M. [L] pour obtenir :

- sa condamnation au comblement de toute ou partie de l'insuffisance d'actif de la société Atylia, s'élevant à 1 127 991,82 euros ;

- le prononcé d'une mesure de faillite personnelle ou subsidiairement une mesure d'interdiction de gérer à son encontre.

Par jugement rendu le 26 novembre 2019 , le tribunal de commerce de Lille Métropole a statué en ces termes :

Condamne Monsieur [J] [L], né le [Date naissance 2]/1976 à [Localité 5] (59), de nationalité française, domicilié actuellement [Adresse 1], à contribuer à l'insuffisance d'actif pour un montant de 330.000,00 €, avec intérêts à compter de la signification du présent jugement.

Prononce à l'encontre de Monsieur [J] [L], une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci,

Fixe cette mesure à 5 ans.

Condamne Monsieur [J] [L] à payer une somme de 5.000,00 € à

Maître [O] es-qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Atylia, au titre des dispositions de l'article 700.

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement pour la seule mesure d'interdiction de gérer.

Ordonne que les huissiers de justice chargés de la signification du présent jugement à Monsieur [J] [L] indiquent avec précision dans leurs actes, l'ensemble des diligences accomplies, notamment l'ensemble des éventuelles recherches des personnes concernées.

Ordonne la publicité du présent jugement.

Dépens à la charge du défendeur.

Par déclaration du 24 décembre 2019, M. [L] a relevé appel de l'ensemble des dispositions de cette décision.

L'affaire a fait l'objet d'une fixation à bref délai en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.

M. [L] a signifié ses conclusions d'appelant le 12 février 2020.

La société MJ Valem y a répondu le 6 mars 2020.

Le dossier a été communiqué au ministère public le 19 mai 2020.

En raison de la crise sanitaire, l'affaire a été appelée à l'audience virtuelle prévue le

9 juin 2020 à 9h30, la cour ayant fait usage de l'alinéa 2 de l'article 8 de l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 pour retenir l'affaire compte tenu de sa nature malgré l'opposition du conseil de M. [L] transmise par message RPVA du 27 mai 2020.

M. [L] a de nouveau conclu le 5 juin 2020 et signifié de nouvelles pièces.

Par conclusions du 8 juin 2020 signifiées à 11h01, la société MJ Valem a sollicité le rejet des conclusions et pièces communiquées le 5 juin 2020 par M. [L].

M. [L] a répondu le 8 juin 2020 à 16h29.

Les réquisitions du ministère public ont été communiquées aux parties par le biais du RPVA par le greffe de la chambre le 9 juin 2020 à 9h39.

M. [L] a adressé, sans en avoir obtenu l'autorisation, une note en délibéré assortie d'une nouvelle pièce le 12 juin 2020.

Par arrêt avant dire droit du 9 juillet 2020, constatant le caractère tardif des réquisitions du ministère public, la cour a :

- rabattu l'ordonnance du clôture du 9 juin 2020 ;

- enjoint à l'appelant de conclure avant le 17 juillet 2020 ;

- enjoint à l'intimée de conclure avant le 24 juillet 2020 ;

- prononcé une nouvelle clôture à la date du 31 juillet 2020 ;

- ordonné la réouverture des débats à l'audience du 8 septembre 2020 à 9h30 ;

- dit que sa décision valait avis au parquet et convocation des parties ;

- réservé les demandes et les dépens.

A la demande de l'appelant, un report de la clôture a été ordonné au 1er septembre 2020.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions régularisées par le RPVA le 31 juillet 2020, M. [L] demande à la cour, au visa des articles L. 653-5, L. 653-8 al.3, L. 653-1, L. 653-4-4 du Code de Commerce, de :

'A titre préliminaire :

- REJETER la demande de Maître [Z] [O], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société ATYLIA, de rejet des conclusions et pièces signifiées par Monsieur [J] [L] le 5 juin 2020 ;

A titre principal :

- INFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de LILLE METROPOLE en ce qu'il a énoncé :

CONDAMNE Monsieur [J] [L], né le [Date naissance 2]/1976 à [Localité 5] (59), de nationalité française, domicilié actuellement [Adresse 1], à contribuer à l'insuffisance d'actif pour un montant de 330.000,00 €, avec intérêts à compter de la signification du présent jugement.

PRONONCE à l'encontre de Monsieur [J] [L], une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci,

FIXE cette mesure à 5 ans.

CONDAMNE Monsieur [J] [L] à payer une somme de 5.000,00 € à

Maître [O] es qualités de liquidateur judiciaire de la SARL ATYLIA, au titre des dispositions de l'article 700.

ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement pour la seule mesure d'interdiction de gérer.

ORDONNE que les huissiers de justice chargés de la signification du présent jugement à Monsieur [J] [L] indiquent avec précision dans leurs actes, l'ensemble des diligences accomplies, notamment l'ensemble des éventuelles recherches des personnes concernées.

ORDONNE la publicité du présent jugement.

DEPENS à la charge du défendeur

Statuant à nouveau de ces chefs,

- CONSTATER DIRE ET JUGER que Monsieur [J] [L] n'a pas sciemment omis de déclarer l'état de cessation des paiements de la société ATYLIA au 22 septembre 2016 ;

- CONSTATER DIRE ET JUGER que la poursuite d'activité entre le 22 septembre 2016 et le mois de février 2017 n'a pas eu pour conséquence d'aggraver la situation des clients, et surtout, n'a pas été motivée par un intérêt personnel, mais a eu pour conséquence de minorer le nombre des clients ayant subi un préjudice ;

- CONSTATER DIRE ET JUGER que le comportement de Monsieur [J] [L] et les efforts fournis par ce dernier justifient l'exclusion de toute sanction pécuniaire à son encontre sur le fondement de la responsabilité pour insuffisance d'actif;

En tout état de cause :

- DEBOUTER Maître [Z] [O], es qualités de liquidateur judiciaire de la société ATYLIA, de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.

- FIXER au passif de la liquidation judiciaire de la société ATYLIA les dépens de l'instance.'

M. [L] indique que l'expert qu'il a mandaté, M. [T], n'a communiqué son rapport sur l'endettement de la société Atylia que le 5 juin 2020, pièce transmise à la partie adverse le jour même.

Il expose que les schémas de développement de la société Atylia étaient conformes à ceux d'une start-up ayant une activité de e-commerce. Elle a réalisé différentes levées de fonds en 2011 et en 2014 pour un montant total de 875 118 euros. Son évolution de 2012 à 2015 témoigne d'une progression constante du chiffre d'affaires et d'une réduction des déficits. C'est dans ce contexte qu'il a été décidé de valoriser son seul actif, à savoir l'analyse organique des équipes, procédé validé par deux experts-comptables.

Cependant, à compter du mois d'octobre 2016, la société Atylia a rencontré un enchaînement de difficultés qui n'ont pas pu être anticipées, en l'espèce :

- le renforcement de la concurrence des places de marché (La Redoute, notamment) ;

- des problèmes logistiques graves, ayant entraîné de nombreux retards et avaries ;

- le blocage des paiements par les places de marché pendant 45 jours à la suite d'un changement de réglementation mal interprété, dont il est résulté une grave crise de trésorerie ;

- le refus d'un renouvellement d'étalement de la créance de TVA par la CCSF et l'inscription d'un privilège du Trésor à hauteur de 100 000 euros, qui a entraîné une perte de confiance des partenaires et un raccourcissement des délais de paiement (rupture du service Oney Banque, déréférencement temporaire par Google).

M. [L] fait valoir qu'il avait cependant des raisons légitimes de croire au redressement de l'activité. Il a notamment pu obtenir, après négociations, un étalement de la créance de TVA, et être de nouveau référencé par Google. Il a pris des mesures de réduction des charges de la société et de suppression des intermédiaires (société de transport).

Malheureusement, le cumul des difficultés a occasionné l'échec de la levée de fonds prévue à l'automne 2016. En outre, les ventes se sont effondrées. Dans ces conditions, la société Atylia n'était plus redressable et il a été contraint de déposer une déclaration de cessation des paiements le 15 février 2017.

Sur les fautes qui lui sont reprochées, M. [L] plaide :

- concernant le défaut de déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours : qu'il ne s'est pas sciemment abstenu d'y procéder, dans la mesure où il a cru, jusqu'en janvier 2017, pouvoir redresser l'entreprise, par le moratoire sur la TVA, le déblocage des fonds détenus par La Redoute, les ventes de fin d'année et la levée de fonds attendue ;

- concernant la poursuite abusive de l'activité : que les comptes de la société Atylia montrent effectivement une perte au titre des derniers exercices mais que celle-ci a été réduite ; que dès lors, la décision de poursuivre l'activité, devant les résultats encourageants quant à la diminution des pertes et les perspectives raisonnables qui avaient été établies et validées par les actionnaires, ne peut être considérée comme constitutive d'un abus ; qu'aucun intérêt personnel n'a motivé la poursuite

d'exploitation ; qu'il a investi personnellement en 2011 la somme de 300 000 euros, soit cinq ans de rémunération ; qu'entre le 22 septembre 2016 et le 20 février 2017, l'encours global de la dette envers les clients a fortement diminué (56%) et, loin d'augmenter le préjudice des créanciers, la poursuite d'activité n'a pas causé d'aggravation de la situation des clients, mais au contraire l'a améliorée.

M. [L] rappelle enfin que le comportement du dirigeant ayant fourni des efforts pour tenter de sauver son entreprise peut être pris en compte pour exclure toute sanction pécuniaire ou en réduire le montant.

Par conclusions régularisées par le RPVA le 23 juillet 2020, la Selarl MJ Valem, ès qualités, demande à la cour, au visa des articles L.651-2, L.653-4-4°, art. L.653-5-2°et L.653-8 du code de commerce de :

'- Débouter Monsieur [J] [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE en date du 26 novembre 2019 qui a notamment :

« Condamné Monsieur [J] [L] à contribuer à l'insuffisance d'actif pour un montant de 330.000 € avec intérêts à compter du jugement de 1ère instance ;

Prononcé à son encontre une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit tout entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci et fixé cette mesure à 5 ans ;

Condamné Monsieur [J] [L] à payer à Maître [O] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL ATYLIA au titre de l'article 700 du cpc ; »

Y ajoutant :

- Condamner Monsieur [J] [L] à payer à la SELARL MJ VALEM ASSOCIES, ès qualité la somme de 5.000,00 € en application de l'article 700 du CPC,

- Le condamner aux entiers dépens d'appel et dont recouvrement au profit de Maître Catherine TROGNON LERNON, avocat conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile. '

La Selarl MJ Valem expose que l'actif de la société s'élève à 43 022,58 euros, et le passif, déclaré et vérifié, à 1 172 015,40 euros. L'insuffisance d'actif se monte donc à 1 127 991,82 euros.

C'est la détermination de M. [L] à poursuivre l'activité chroniquement déficitaire de la société Atylia, au préjudice de ses créanciers, qui a justifié la mise en jeu de sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif.

Il lui est reproché :

- de ne pas avoir déclaré l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours, puisque la date de cessation des paiements, fixée provisoirement au 15 février 2017, a été reportée au 22 septembre 2016, date à laquelle la situation n'était plus maîtrisée, la société n'étant plus en mesure de payer ses charges et ses fournisseurs et de satisfaire les commandes de ses clients alors que les incidents et voies d'exécution se multipliaient sur ses comptes bancaires ; or si M. [L] avait déclaré l'état de cessation des paiements dans les temps, le passif n'aurait pas connu une telle aggravation et spécialement le passif clients ;

- d'avoir poursuivi une activité déficitaire en parfaite connaissance de cause et de ne pas avoir recapitalisé la société alors que les capitaux propres étaient devenus négatifs ; à partir de septembre 2016, la société a accepté des commandes alors qu'elle était dans l'impossibilité d'assurer les livraisons, faute d'être en mesure de régler ses fournisseurs et transports ; cette poursuite d'activité a lésé 673 clients pour des commandes non satisfaites et généré des avoirs non remboursés pour un montant total de

335 172,15 euros.

Les actions particulièrement tardives de M. [L] n'ont produit et ne pouvaient plus produire aucun effet sur le redressement d'une situation déjà irrémédiablement compromise.

Pendant la période de poursuite d'activité déficitaire, M. [L] a enfin continué à percevoir la même rémunération importante malgré les pertes enregistrées.

Les premiers juges ont été particulièrement mesurés sur le montant de la sanction, en limitant la contribution de M. [L] à l'insuffisance d'actif, qui s'élève à

1 127 991,82 euros, à la somme de 330 000,00 euros, correspondant sensiblement au montant des commandes non satisfaites et des avoirs non remboursés, d'un montant total de 335 172,15 euros, passif qui n'aurait pas été constitué si M. [L] avait tiré les conséquences qui s'imposaient de l'état de cessation des paiements dans lequel se trouvait la société Atylia depuis le mois de septembre 2016.

Outre l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours et la poursuite d'une activité déficitaire dans son intérêt personnel, il lui est en outre reproché, au titre des sanctions commerciales sollicitées, d'avoir employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure collective, puisqu'il n'a pas procédé aux mesures de recapitalisation qui s'imposaient et n'a pas remboursé les clients dont les commandes étaient annulées tout en continuant à percevoir une rémunération importante dans son intérêt personnel.

Par réquisitions datées du 22 juillet 2020, le procureur général a requis qu'il plaise à la cour de faire droit aux réquisitions du 8 juin 2020, par lesquelles il lui avait demandé de :

'Confirmer le jugement querellé en ce et condamné [J] [L] au paiement d'une somme de 330.000 euros,

Dire que la faute reprise au visa de l'article L.653-3 1° du code de commerce n'est pas fondée,

Dire que c'est la faute reprise au visa de l'article L.653-4 4 du code de commerce est fondée,

Annuler le jugement en ce qu'il a prononcé une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de cinq ans et condamner [J] [L] à une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 7 ans.'

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE

A titre liminaire, il sera observé qu'en l'absence de demande de rejet des conclusions et de la pièce signifiée le 5 juin 2020 par M. [L] dans le dispositif des dernières conclusions de la société MJ Valem en date du 23 juillet 2020, il n'y a pas lieu de répondre à la demande de l'appelant maintenue dans le dispositif de ses dernières conclusions en date du 31 juillet 2020 visant à faire 'rejeter la demande de Maître [Z] [O], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Atylia, de rejet des conclusions et pièces signifiées par M. [J] [L] le 5 juin 2020" .

En outre, il sera rappelé qu'il n'y a pas lieu de reprendre ni d'écarter dans le dispositif du présent arrêt les demandes tendant à 'constater, dire et juger', telles que figurant dans le dispositif des conclusions de l'appelant, lorsqu'elles portent sur des moyens ou des éléments de fait relevant des motifs et non des chefs de la décision devant figurer dans la partie exécutoire de l'arrêt.

I - Sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif

L'article L. 651-1 du code de commerce précise que les dispositions de ce chapitre, intitulé 'De la responsabilité pour insuffisance d'actif', sont applicables aux dirigeants d'une personne morale de droit privé soumise à une procédure collective, ainsi qu'aux personnes physiques représentants permanents de ces dirigeants personnes morales et aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée.

L'article L.651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, article 131, dispose que, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables.

S'agissant d'une action en responsabilité civile délictuelle, à caractère indemnitaire, ayant pour objet la réparation du préjudice subi par la collectivité des créanciers, doivent être prouvés l'existence d'une faute de gestion, celle d'un préjudice consistant en une insuffisance d'actif et un lien de causalité entre eux.

1) Sur l'existence de l'insuffisance d'actif

Il n'est pas nécessaire pour qu'il puisse être fait application des dispositions de l'article L 651-2 du code de commerce, que le passif soit entièrement chiffré, ni que l'actif ait été réalisé, il suffit que l'insuffisance d'actif soit certaine.

En l'espèce, le passif vérifié s'élève à 1 171 014,40 euros et l'actif recouvré à

43 022,58 euros. Les éléments ainsi fournis permettent d'évaluer avec certitude l'insuffisance d'actif à 1 127 991,82 euros, insuffisance d'actif qui est née sous la gérance de M. [L].

2 ) Sur les fautes reprochées

a - Sur l'omission de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours

Il résulte des dispositions de l'alinéa 3 de l'article L 653-8 du code de commerce et de l'article R 653-1 alinéa 2 que la date de cessation des paiements à retenir ne peut être différente de celle fixée par le jugement d'ouverture de la procédure collective, ou un jugement de report.

L'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion au sens de l'article L. 651-2 du code de commerce, s'apprécie au regard de la seule date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report.

Il n'est fait état d'aucune contestation du jugement rendu le 27 mars 2018 par le tribunal de commerce de Lille Métropole ayant reporté la date de cessation des paiements au

22 septembre 2016, soit plus de 45 jours avant la date de déclaration, intervenue le

15 février 2017, sans qu'ait été sollicitée auparavant une procédure de conciliation.

M. [L] se contente de plaider qu'il pensait pouvoir redresser la situation, et dénie en conséquence le caractère intentionnel de l'omission.

Les pièces versées aux débats mettent en évidence que la société Atylia fait face à des pertes depuis 2012 et rencontre des difficultés de trésorerie particulièrement sérieuses depuis 2015.

Ainsi, le rapport de M. [T] indique que la trésorerie nette, qui était positive de 105 306,00 euros en 2014, est devenue négative en 2015 et 2016 (- 97 394,00 euros).

L'état prévisionnel de trésorerie transmis au comité stratégique du 29 septembre 2016 affiche une trésorerie négative de 29 479,00 euros en septembre 2016, 325 376,00 euros en octobre 2016, 297 967,00 euros en novembre 2016 et 322 577,00 euros en décembre 2016.

M. [L] ne pouvait en outre ignorer les procédures mises en oeuvre à son encontre par ses créanciers, spécialement l'inscription d'un privilège du Trésor public le

22 septembre 2016 en garantie de la somme de 114 725,00 euros, due à la date du 31 août 2016, et la contrainte délivrée à son encontre par l'Urssaf le 5 septembre 2016, signifiée le 12 septembre 2016.

Il sera également observé que la déclaration de créance de l'Arrco porte notamment sur les cotisations du 2è trimestre 2014 et 3ème trimestre 2016, et celle de l'Urssaf sur des cotisations de janvier, février, mars, mai, octobre, novembre et décembre 2016.

Il est révélateur que le refus initial d'octroi d'un plan d'apurement qui a été notifié à la société Atylia le 21 septembre 2016 par la CCSF ait été motivé par l'accroissement significatif de la dette de la société. Le fait que sa demande ait finalement prospéré, avec l'octroi d'un échéancier sur 12 mois, selon décision prise le 25 novembre 2016, ne retire rien à la réalité de l'état de sa trésorerie, la société ayant été incapable de régler ses cotisations Urssaf de janvier à mai 2016 et sa TVA de mars à août 2016 .

Si les difficultés de l'entreprise ont sans aucun doute été aggravées en raison de l'ampleur des sommes retenues par la société La Redoute, cela ne suffit pas à expliquer l'ampleur du déficit de la trésorerie de la société Atylia, dont les documents de travail internes produits aux débats montrent qu'elle était en cours de repositionnement sur son marché, avec l'abandon de ses produits bas de gamme occasionnant des coûts élevés liés au service après-vente, une recherche d'indépendance par rapport à Google, la nécessité de se passer de certaines places de marché non rentables (La Redoute)...

Le compte-rendu du comité stratégique du 29 septembre 2016 met en évidence qu'à cette date, les fournisseurs de la société n'avaient plus confiance en elle. L'hypothèse de l'ouverture d'une procédure collective avec un plan de continuation et un étalement des dettes sur 10 ans a été évoquée, sur le constat que même le succès de la levée de fonds ne résoudrait pas le problème de la dette ancienne accumulée.

Deux des investisseurs de la société ont d'ailleurs conseillé à M. [L], par mails en date du 6 octobre 2016, pour l'un de prendre contact avec la cellule de prévention du tribunal de commerce, pour être aidé sur les mesures à prendre en fonction de la situation, et pour l'autre de présenter au tribunal un plan 'déjà bien ficelé'.

Or non seulement ces diligences n'ont pas été accomplies, mais encore, de septembre 2016 à février 2017, la société a accepté 372 commandes en sachant qu'elle ne parviendrait pas à les honorer pour tenter de faire face à ses besoins de trésorerie à court terme, les acomptes versés par les clients ayant approvisionné les comptes bancaires structurellement déficitaires de la société.

Lors de l'ouverture de la procédure, le montant des commandes non délivrées s'élevait à plus de 218 000,00 euros et celui des avoirs non remboursés à près de 115 000 euros.

Le grief de non-déclaration de l'état de cessation des paiements, dans le délai de 45 jours, est constitué.

b - Sur la poursuite d'une activité déficitaire

Les pièces comptables versées à la procédure mettent en évidence que la société n'a connu que des résultats déficitaires au moins depuis l'exercice 2012, les comptes des exercices antérieurs n'ayant pas été communiqués, et que la réduction du déficit alléguée par M. [L] est fictive, en ce qu'elle ne résulte que d'un changement de méthode comptable.

Les pertes s'établissent ainsi (le report à nouveau des exercices antérieurs, non communiqués, étant déjà de - 226 247 euros) :

Au 31 décembre 2012 : - 385 039,00 euros ;

Au 31 décembre 2013 : - 206 240,00 euros ;

Au 31 décembre 2014 : - 173 326,00 euros ;

Au 31 décembre 2015 : - 113 941,00 euros ;

Au 31 décembre 2016 : - 414 435,00 euros selon la reconstitution réalisée par

M. [T].

Concernant le résultat au 31 décembre 2015, il convient de rappeler qu'il a été procédé, sur cet exercice, à un retraitement des dépenses de personnel des exercices 2013, 2014 et 2015, et que s'il n'y avait pas eu de changement de méthode, le résultat net aurait été de - 300 517,00 euros.

L'explication donnée par M. [L] pour expliquer ce changement ne change rien aux indicateurs économiques alarmants de la société. Elle constitue, ainsi que le lui a rappelé M. [Z] [M], expert-comptable, qui n'a d'ailleurs pas manqué de souligner le manque de cohérence de l'activation organique de l'entreprise, 'une décision de gestion dont la responsabilité incombe au gérant',

Malgré les recapitalisations intervenues en 2009, 2011 et 2014, les capitaux propres de l'entreprise sont restés négatifs au 31 décembre 2013, au 31 décembre 2014 et au 31 décembre 2015.

De plus, selon l'analyse effectuée par M. [T], les comptes clients créditeurs sont passés de :

- 30 830,00 euros au 31 décembre 2014 ;

- 16 901,00 euros au 31 décembre 2015 ;

- 332 930,00 euros au 23 septembre 2016 ;

- 244 295,00 euros au 31 décembre 2016 ;

- 334 603,00 euros au 15 février 2017.

La réduction constatée en fin d'année 2016 ne peut dissimuler leur accroissement considérable par rapport à l'année 2015, ni le rebond constaté au début de l'année 2017, ni enfin le fait que les dettes fournisseurs et comptes rattachés ont quant à elles augmenté de 189 562,00 euros entre le 23 septembre 2016 et le 31 décembre 2016 :

- 432 646,00 euros sur l'exercice 2012 ;

- 471 833,00 euros sur l'exercice 2013 ;

- 501 782,00 euros sur l'exercice 2014 ;

- 595 855,00 euros sur l'exercice 2015 ;

- 581 110,00 euros au 23 septembre 2016 ;

- 770 672,00 euros au 31 décembre 2016.

Enfin, les dettes sociales et fiscales ont connu la même évolution :

- 115 428,00 euros au 31 décembre 2014 ;

- 174 085,00 euros au 31 décembre 2015 ;

- 261 570,00 euros au 31 décembre 2016.

Toutes les mesures dont se prévaut M. [L] pour tenter de s'exonérer de sa responsabilité visent donc en réalité à dissimuler l'échec de l'entreprise, dont l'exploitation a généré une dette de plus en plus importante. Les déficits enregistrés en 2015 et 2016 ont aggravé la situation nette comptable. De ce fait, les immobilisations ont été financées par la trésorerie dégagée au niveau du fonds de roulement d'exploitation qui apparaît négatif, ce qui signifie que les dettes d'exploitation sont supérieures à l'actif circulant.

La seule issue envisagée par l'assemblée générale ordinaire du 17 juin 2016 sur l'exercice clos le 31 décembre 2015 a consisté dans une nouvelle levée de fonds, sur la promesse d'une année 2016 rentable, alors que la succession de résultats déficitaires était évidemment de nature à détourner les actionnaires de l'entreprise, ce que M. [L] aurait dû anticiper.

Cette mesure, même conjuguée à l'obtention d'un moratoire pour régler les dettes fiscales et sociales de la société, à celle de moratoires fournisseurs, au non-renouvellement de certains contrats de travail ou contrats de prestations de services, n'aurait en tout état de cause pu qu'apaiser temporairement les tensions affectant la trésorerie de l'entreprise, sans résoudre son problème structurel de résultat négatif. Contrairement aux prévisions élaborées, la société n'a pas trouvé son marché et le seuil de rentabilité n'a jamais été atteint.

Il donc établi que M. [L] a poursuivi l'activité déficitaire en dépit des pertes d'exploitation, de son incapacité à honorer les commandes, à payer ses fournisseurs et à régler ses cotisations sociales et fiscales.

3) Sur le lien de causalité

La cour retient donc comme fondées deux fautes, à savoir la non déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours et la poursuite d'une exploitation déficitaire.

Ces fautes, ensemble comme isolément ont toutes contribué à l'insuffisance d'actif, en ce que :

- M. [L] ne pouvait méconnaître le caractère ancré et récurrent des difficultés de la société ;

- il les a volontairement occultées en adoptant des moyens qui n'étaient susceptibles que de résoudre de manière artificielle et à court terme la fragilité de la trésorerie de la

société ;

- les bilans démontrent que la société n'a jamais été bénéficiaire, que son déficit n'a cessé de se creuser et que ses capitaux propres sont restés négatifs dès l'année 2014 malgré plusieurs recapitalisations dont la dernière en 2014.

Elles ont entraîné un accroissement du passif considérable qui lui est directement imputable, étant observé que la réduction des créances clients dont se targue M. [L] ne peut dissimuler le fait que les créances fournisseurs ont parallèlement significativement augmenté.

4 ) Sur le montant de la participation à l'insuffisance d'actif

Les fautes retenues, isolément comme combinées, justifient que M. [L], au vu des éléments dont dispose la cour et ci-dessus exposés, soit condamné au paiement d'une somme de 330 000,00 euros, préjudice directement en lien et proportionné au regard de chacune des fautes établies à son encontre, M. [L] ne démontrant n'avoir mis en 'uvre aucun moyen durable pour remédier à la situation gravement compromise depuis de nombreuses années de ladite société et qu'il a par ses comportements accrus. La décision entreprise sera confirmée de ce chef.

II - Sur l'interdiction de gérer

1 ) Sur les fautes

Aux termes de l'article L 653-4 4° du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, ayant poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire, qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.

Aux termes de l'article L653-5 du même code, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne physique, dirigeante de droit ou de fait d'une personne morale, ayant, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;

Aux termes de l'article L 653-8 du même code, dans les cas prévus aux articles L653-3 à L653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci. Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Seuls des faits antérieurs à l'ouverture de la procédure, hormis pour l'absence de collaboration avec les organes de la procédure, peuvent justifier la mesure, dont le prononcé est facultatif.

Il convient donc de déterminer d'une part, si M. [L] a commis les fautes de gestion qui lui sont reprochées, d'autre part, dans l'hypothèse où ces fautes seraient caractérisées, si elles justifient le prononcé d'une interdiction de gérer à son encontre.

a - Sur l'omission de déclarer sciemment l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours

Il résulte des dispositions de l'alinéa 3 de l'article L 653-8 du code de commerce et de l'article R 653-1 alinéa 2 que la date de cessation des paiements à retenir ne peut être différente de celle fixée par le jugement d'ouverture de la procédure collective, ou un jugement de report.

Il n'est fait état d'aucune contestation du jugement rendu le 27 mars 2018 par le tribunal de commerce de Lille Métropole ayant reporté la date de cessation des paiements au

22 septembre 2016, soit plus de 45 jours au préalable, sans qu'ait été sollicitée auparavant une procédure de conciliation.

Le rapport de M. [T] indique la trésorerie nette est devenue négative en 2015 et 2016 (- 97 394,00 euros).

L'état prévisionnel de trésorerie transmis au comité stratégique du 29 septembre 2016 affiche une trésorerie négative de 29 479,00 euros en septembre 2016, 325 376,00 euros en octobre 2016, 297 967,00 euros en novembre 2016 et 322 577,00 euros en décembre 2016.

M. [L] avait donc parfaitement connaissance la situation irrémédiablement compromise de la société et, dès la réunion du comité stratégique du 29 septembre 2016, envisageait de solliciter une procédure collective, laquelle lui a ultérieurement été à nouveau conseillé par deux des investisseurs de la société. Les mesures qu'il a finalement mises en oeuvre n'étaient susceptibles que de retarder l'inéluctable sans l'éviter.

Le caractère intentionnel de l'absence de déclaration est ainsi parfaitement établi.

Le grief de non-déclaration en pleine connaissance de cause de l'état de cessation dans le délai de 45 jours est constitué.

b - Sur la poursuite abusive d'activité déficitaire dans un intérêt personnel qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale

La poursuite abusive d'une activité déficitaire est caractérisée, les éléments comptables établissant une série d'exercices déficitaires au moins depuis l'année 2012, les capitaux propres étant restés négatifs dès l'année 2014 malgré plusieurs recapitalisations dont la dernière en 2014.

Contrairement à ce qui est allégué par M. [L], ni la nature de la société ni son activité ne le justifiait, aucune démonstration n'étant apportée de ce qu'Atylia était une entreprise nouvelle innovante à fort potentiel de croissance, susceptible de finir par atteindre son seuil de rentabilité.

M. [L] ne pouvait ignorer que la poursuite de l'activité dans ces conditions conduirait à l'état de cessation des paiements, la trésorerie nette étant d'ailleurs devenue négative en 2015 et 2016. A compter de cette période, il n'a plus livré ni les commandes ni réglé ses fournisseurs ni honoré ses créances sociales et fiscales de manière régulière, situation qui a pu être partiellement et temporairement dissimulée par un changement de règles comptables sur l'exercice 2015.

Ainsi se trouve nettement caractérisée la poursuite d'une activité déficitaire et ce de manière abusive.

Cependant, l'intérêt personnel contraire à l'intérêt social ne saurait être caractérisé par le seul maintien d'une éventuelle rémunération, et ce quand bien même ce maintien interviendrait pour une période postérieure à la date retenue de cessation des paiements

Dès lors, ce grief ne peut être retenu.

c - Sur l'emploi de moyens ruineux dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure collective

En l'espèce, le fait que l'entreprise ait accepté des commandes qu'elle savait ne pas pouvoir honorer et encaissé les acomptes correspondant, qu'elle n'ait pas été recapitalisée et que M. [L] ait continué à percevoir sa rémunération, caractérise le grief de poursuite d'une activité déficitaire, mais non celui d'emploi de moyens ruineux pour l'entreprise.

La négociation d'un moratoire sur la TVA, si elle a effectivement constitué un moyen de financement à court terme destiné à retarder l'ouverture de la procédure collective, n'a pas généré de frais à son détriment.

Si les pièces produites aux débats mettent en évidence que les emprunts auprès d'établissements de crédit sont passés de 42 783,00 euros sur l'exercice 2012 à

148 942,00 euros sur l'exercice 2015, M. [T] fait état, dans son rapport, d'une diminution des concours bancaires entre le 23 septembre 2016 (183 058,00 euros) et le 15 février 2017 (85 951,00euros) de 97 107,00 euros.

Les frais bancaires supportés par la société ne se sont d'ailleurs élevés qu'à 594,00 euros sur l'exercice 2013, à 438,00 euros sur l'exercice 2014, et 85,00 euros sur l'exercice 2015.

En outre, ni le liquidateur ni le ministère public n'ont élevé le moindre argument de ce chef.

Dès lors, ce moyen ne peut pas être retenu.

2 ) Sur la sanction à prononcer

Une seule faute est établie, pour laquelle la responsabilité de M. [L] est entière.

En effet, il n'a pas respecté les obligations pesant sur tout gérant ayant accepté cette mission et n'a pas pris toutes les mesures qui s'imposaient alors même que la situation difficile était parfaitement connue et les risques pesés.

Dès lors, la faute retenue et ainsi caractérisée à l'encontre de M. [L] justifie que soit prononcée à son encontre une mesure d'interdiction de gérer de deux années, compte tenu du caractère unique de la faute retenue, qui révèle cependant l'absence de prise en considération des besoins de la société et de ses créanciers.

III - Sur les demandes accessoires

1 ) Sur les dépens

Aux termes des articles 696 et 699 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

L'issue du litige justifie de condamner M. [L] aux dépens d'appel et de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle l'a condamné aux dépens de première instance.

En conséquence, il convient d'accorder à Maître Catherine Trognon Lernon le droit de recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.

2) Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

La décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a condamné M. [L] à payer à Maître [O], ès qualités, la somme de 5 000,00 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [L], tenu aux dépens d'appel, sera en outre condamné à verser à Maître [O], ès qualités, la somme de 2 000,00 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel, et débouté de sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement rendu le 26 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Lille Métropole, sauf en ce qu'il a :

- prononcé à l'encontre de M. [J] [L] une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci, pour une durée de 5 ans ;

Statuant à nouveau de ce seul chef,

Fixe la durée de la mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci, prononcée à l'encontre de M. [J] [L], à une durée de 2 ans ;

Condamne M. [J] [L] à payer à Maître [O], ès qualités, la somme de 2 000,00 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;

Déboute M. [J] [L] de sa propre demande de ce chef ;

Condamne M. [J] [L] aux dépens d'appel ;

Accorde à Maître Catherine Trognon Lernon le droit de recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.

Le greffierLe président

Audrey CerisierLaurent Bedouet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 2
Numéro d'arrêt : 19/06811
Date de la décision : 24/09/2020

Références :

Cour d'appel de Douai 22, arrêt n°19/06811 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-09-24;19.06811 ?
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