ARRÊT DU
29 Mai 2020
N° 447/20
N° RG 17/03135 - N° Portalis DBVT-V-B7B-RAJ7
PS/VM
RO
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de HAZEBROUCK
en date du
01 Septembre 2017
(RG 17/0008 -section 5)
GROSSE :
aux avocats
le 29 Mai 2020
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [T] [Z]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Mario CALIFANO, avocat au barreau de LILLE, substitué par Me BAREGE
INTIMÉE :
Société ROQUETTE FRERES
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Benoit GUERVILLE, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS :à l'audience publique du 11 Février 2020
Tenue par Patrick SENDRAL
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Nadine BERLY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Monique DOUXAMI
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
Le prononcé de l'arrêt a été prorogé du 27 mars 2020 au 29 mai 2020 en raison de l'état d'urgence sanitaire
ARRÊT :Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mai 2020,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monique DOUXAMI, Président et par Valérie COCKENPOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 03 Décembre 2019
LE LITIGE
En 1987 M.[Z] est entré au service de la société ROQUETTE FRERES en qualité d'ouvrier avant de devenir douze ans plus tard agent de maîtrise. Dans le dernier état de la relation contractuelle, suspendue depuis 2013 par l'effet de congés-maladie prolongés associés à un placement en invalidité de deuxième catégorie, il était payé sur la base du coefficient 250 auquel 54 points se sont ajoutés au fil du temps. En 2006 M.[Z] est devenu membre d'institutions représentatives du personnel puis conseiller prud'homme. Pour avoir été à ses dires victime de discrimination liée à l'exercice de ses mandats il a saisi le Conseil de Prud'hommes en mars 2013 de diverses demandes indemnitaires dont il a été débouté par jugement du 1er septembre 2017 auquel il y a lieu de se reporter pour plus ample connaissance du litige. C'est dans ce contexte que par appels joints des 14 et 18 septembre 2017 M.[Z] a régulièrement porté l'affaire devant la Cour.
Vu l'article 455 du code de procédure civile
Vu l'ordonnance de fixation de l'affaire et de clôture datée du 3/12/2019
Vu les conclusions récapitulatives déposées par voie électronique au Greffe le 2/11/2018 par lesquelles M.[Z] prie la Cour de « constater » la discrimination syndicale depuis 2006, juger applicable le coefficient 326 à compter de juin 2013 et condamner la société ROQUETTE FRERES au paiement, à titre principal, des sommes suivantes:
- salaires : 1268,15 euros outre les congés payés afférents
- préjudice salarial : 16 580,04 euros
- préjudice matériel «résultant de l'impact sur les sommes perçues durant l'arrêt de travail » : 10 000 euros
- préjudice pour sous-évaluation des primes d'intéressement et de participation depuis 2006 selon une formule de calcul précisée dans le dispositif de ses conclusions, mais non chiffrée, avec obligation pour la société ROQUETTE FRERES, sous astreinte, de produire les performances des placements disponibles sur la période entre 2006 et l'arrêt à intervenir
-préjudice de droit à retraite : 8392,50 euros
-préjudice moral : 30 000 euros
-article 700 du code de procédure civile : 3000 euros , le tout avec capitalisation des intérêts du jour de la demande
Vu les conclusions récapitulatives déposées par voie électronique au Greffe le 14/3/2018 par lesquelles la société ROQUETTE FRERES conclut à la confirmation du jugement, au rejet des demandes et à la condamnation de l'appelant sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
La prescription
Le délai de prescription, en l'espèce quinquennal, ne court qu'à compter de la révélation de la discrimination dont le salarié se dit l'objet. La société ROQUETTE soutient succinctement que les demandes adverses, en ce qu'elles remontent pour certaines à l'année 2006, sont prescrites eu égard à la saisine des premiers juges effectuée en 2013. Il appert cependant que si M.[Z] invoque des faits de discrimination remontant à 2006 il a eu la révélation des agissements dont il se dit victime postérieurement au 17/12/2008, date du compte rendu d'entretien d'évaluation mentionnant l'exercice d'activité syndicales. La saisine du Conseil de Prud'hommes est intervenue le 5 mars 2013, dans le délai de 5 années suivant la connaissance des faits. L'action et les demandes en découlant sont donc recevables.
La discrimination et l'inégalité de traitement salariale
Il résulte de l'article L 1132-1 du code du travail que nul ne peut être licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire en raison de son appartenance syndicale. En application de l'article L 1134-1 du code du travail, lorsqu'une discrimination est alléguée l'employeur doit soumettre au juge les critères objectifs et pertinents, étrangers à toute discrimination, justifiant l'inégalité de traitement entre salariés, à charge pour ceux soutenant en être victime de lui communiquer préalablement les éléments de fait propres à en laisser supposer l'existence.
Les éléments de fait invoqués par le salarié de manière suffisamment précise pour nouer le débat sont les suivants et ils seront mentionnés en italiques:
la société ROQUETTE FRERES n'a pris aucune mesure pour pallier ses nombreuses absences dues à l'exercice de ses mandats et il en est résulté une mauvaise ambiance de travail avec ses collègues devant le remplacer
Réponse de la Cour
Ces affirmations sont contradictoires entre elles puisque l'intéressé évoque des remplacements opérés par des collègues après avoir indiqué que l'employeur n'avait pris aucune mesure pour le remplacer. L'intéressé procède par voie d'affirmations mais ne communique aucun élément permettant de les corroborer. Les faits ne sont pas établis.
Argument invoqué
il a en vain demandé la réalisation d'un bilan de compétences en 2012
Réponse de la Cour
Ce grief est infondé, aucune pièce n'accréditant la formulation d'une telle demande en 2012. Il appert au contraire que sa demande de bilan de compétence a été faite par courriel du 24 mars 2013 auquel un supérieur hiérarchique a répondu, quatre jours après, que le processus était enclenché mais compte tenu de l'absence prolongée de l'intéressé à compter de 2013 aucun bilan n'a pu être effectué. Les faits ne sont pas établis.
Argument invoqué
il a en vain demandé le bénéfice d'outils lui permettant de travailler et de lire ses courriels depuis chez lui, ce qui a pourtant été accordé à d'autres salariés
Réponse de la Cour
Il résulte des courriels versés aux débats qu'en 2013 et peu de temps avant la prise d'arrêts maladie M.[Z] s'est plaint du nombre important de courriels à traiter en complément de ses activités syndicales et qu'il a demandé la possibilité de les transférer de sa boîte de courriels professionnelle vers sa boîte personnelle afin de travailler depuis chez lui. L'employeur, qui en avait le droit, lui a refusé cette possibilité pour éviter un mélange de mails professionnels et personnels et les risques de confusion en découlant. M.[Z] n'établit pas que le télétravail ait été accepté pour d'autres salariés placés dans la même situation professionnelle que lui et qu'il a donc sur ce point été discriminé. Il appert au demeurant que le contrat de travail a été suspendu peu de temps après la demande. Les faits ne sont pas établis.
Argument invoqué
suite à des tensions avec des collègues et sa hiérarchie il a été placé en arrêt de travail pour syndrome dépressif réactionnel
Réponse de la Cour
S'il est avéré que M.[Z] est en arrêt de travail prolongé il ne résulte d'aucune pièce que cette situation, pouvant avoir de multiples causes étrangères à l'activité professionnelle, soit liée à des tensions avec des collègues ou avec la hiérarchie. Les troubles dépressifs dont se plaint l'intéressé ne présentent pas de lien avéré avec son travail alors même que le certificat du médecin-traitant, imprécis, reprenant ses allégations de burn-out, remonte à 2016 soit plus de 3 après la cessation des fonctions et qu'il n'est pas présentement reproché à l'employeur des agissements de type èlement moral ou manquements à l'obligation de sécurité. Les faits ne sont pas établis.
Argument invoqué
en 2008 son évaluateur a mentionné, en rubrique « synthèse globale » qu'il effectuait un « bon travail (lorsqu'il est présent... )» ; la même année l'employeur lui a demandé le nombre de jours travaillés
Réponse de la Cour
le premier fait, avéré, n'est pas contesté. Il appert que l'employeur, qui ne fournit aucune explication, a pris en compte les absences du salarié pour cause syndicale dans l'appréciation de son activité professionnelle ce qui constitue une mesure discriminatoire prohibée. Le fait qu'il lui ait demandé le nombre de jours travaillés n'est en revanche que la résultante de son pouvoir de contrôler l'activité du salarié et ses heures de délégation
Argument invoqué
il lui a également été demandé, dans l'entretien, de « faire attention aux discussions avec les opérateurs »
Réponse de la Cour
il ne peut rien être déduit de cette mention imprécise, pouvant avoir de multiples causes, notamment celle d'assurer la sécurité sur les postes de travail même pendant les discussions de nature syndicale. Les faits ne sont pas établis.
Arguments invoqués (pour les détails il y a lieu de se reporter aux écritures)
de 2002 à 2013 son coefficient de rémunération a pris 25 points contre 14 seulement entre 2006 et 2013. Il a évolué de 11 points entre 2002 et 2005, soit avant d'occuper des fonctions de représentation contre seulement 14 entre 2006 et 2013 après la prise de ses mandats, la situation étant identique pour ses rémunérations annexes. Il est parmi les agents de maîtrise ayant le même âge et la même ancienneté celui ayant le moins bon coefficient total alors qu'il dispose d'un diplôme supérieur à certains. Il a moins vite progressé dans la carrière que de nombreux salariés ayant au départ bénéficié d'un coefficient moindre. De manière générale il a subi une différence de traitement salariale avec des collègues placés dans une situation identique
Réponse de la Cour
La comparaison de l'évolution moyenne du coefficient de base avant et après la prise des mandats ne révèle aucun écart significatif. M.[Z], qui ne peut valablement revendiquer un taux de progression indiciaire égal chaque année, prétend que son indice a évolué de 25 points sur la période entre 2002 et 2013 contre uniquement 14 points entre 2006 et 2013 mais l'écart en pourcentage de progression est minime, de l'ordre de quelques points et il ne saurait en être tiré de conséquence objective compte tenu des nombreux paramètres régissant la progression indiciaire dans une entreprise de cette taille étant observé que de 2006 à 2012 sa rémunération annuelle brute a progressé de 52 000 à 65 000 euros. M.[Z] se compare avec quelques salariés ayant selon lui connu une progression supérieure à la sienne mais l'entreprise comporte plus de 3000 salariés et plusieurs centaines d'agents de maîtrise. Le panel de comparaison soumis à la Cour, d'un périmètre insuffisant, ne met en évidence aucun indice de discrimination alors même que les agents auxquels l'appelant se compare n'avaient selon le cas ni les mêmes fonctions, ni les mêmes diplômes, ni les mêmes qualifications (près de la moitié ayant un niveau supérieur) ni la même ancienneté ni le même coefficient d'embauche initial. Il en est ainsi des agents :
ORTIZ, ayant une ancienneté totale de 9 ans supérieure à la sienne et une plus longue expérience des fonctions d'agent de maîtrise, avec plus de fonctions différentes exercées
BOE, titulaire d'un diplôme supérieur, DUT de chimie, recruté directement comme agent de maîtrise avec un coefficient de départ supérieur au sien
[I]: titulaire d'un diplôme supérieur BAC+6, ayant plus tôt que lui accédé à la maîtrise et exercé des fonctions plus variées
[E] : ayant une ancienneté de 4 ans supérieure à la sienne et dont le coefficient en 2006 était, selon ses propres dires, de 30 points supérieur au sien ce qui explique le différentiel
[V] : recruté agent de maîtrise une année avant lui et passé cadre alors qu'il n'avait que 12 points d'écart avec le concluant
[M] : recruté agent de maîtrise une année avant lui mais ayant en 2013 le même coefficient que lui
[S], entré dans l'entreprise une année avant lui mais ayant une qualification de niveau 4 contre 3 pour le concluant.
Celui-ci soutient par ailleurs que 11 salariés du panel transmis par l'employeur ont plus progressé que lui sur la période 2006/2013 mais sur ces salariés seuls 4 avaient en 2013 un coefficient supérieur au sien et il n'est pas établi que la progression du coefficient de ces agents sur la période considérée ait été supérieure à la sienne. L'intéressé prétend subir par rapport à la moyenne d'entre eux un différentiel de 25 ou subsidiairement de 15 points mais cette assertion non vérifiée, basée sur des prémisses douteuses ne tenant pas compte des nombreux facteurs d'évolution indiciaire individuels et des situations concrètes de chaque agent du panel, ne peut être retenue alors que le salarié doit fournir des éléments de fait précis au soutien de sa demande.
Il ressort par ailleurs des éléments versés aux débats que parmi les agents de maîtrise du panel transmis par l'employeur ayant une situation comparable à la sienne M.[Z] est resté l'un des mieux rémunérés y compris après la prise de ses mandats. L'inégalité de traitement et la discrimination ne sauraient simplement résulter du fait que quelques collègues sur plusieurs centaines aient connu une progression de carrière supérieure à la sienne alors qu'au regard des nombreux critères gouvernant la progression des coefficients il n'était pas dans une situation identique ou simplement similaire à la leur.
A l'inverse il ressort des comparatifs précis dressés par l'employeur que sur 12 agents de maîtrise entrés dans l'entreprise en même temps que M.[Z] 7 d'entre eux ayant des qualifications semblables avaient un coefficient inférieur au sien. Depuis la prise des mandats rien n'établit que d'autres agents de maîtrise aient bénéficié d'une progression supérieure à la sienne. La Cour observe qu'il a obtenu son BTS 10 après son entrée en fonctions et qu'au moment de son recrutement il était moins diplômé et qualifié que la plupart de ceux auxquels il se compare embauchés directement au niveau BAC +2. Pour le reste, ses doléances sur le faible niveau de son coefficient de base ne sont pas pertinentes en ce que ce coefficient lui a été attribué avant l'exercice d'activités syndicales et que se sont ajoutés chaque année des points supplémentaires ne le plaçant pas dans une situation défavorable par rapport à des collègues des panels de comparaison auxquels il peut être utilement comparé. Il ne peut être fait grief à l'employeur d'avoir recruté tel ou tel agent de maîtrise à un coefficient supérieur ce qui ne traduit intrinsèquement aucune différence de traitement injustifiée sauf à porter atteinte à la liberté pour l'employeur de fixer la rémunération des nouveaux embauchés. M.[Z] soutient que l'employeur aurait dû lui accorder une meilleure progression pour tenir compte de ses évaluations mentionnant l'accomplissement d'un « bon travail » mais ces évaluations, de niveau moyen, n'étaient ni très bonnes ni excellentes de sorte que l'employeur n'était pas privé de la possibilité d'octroyer aux agents mieux notés une accélération de leur carrière. Le fait qu'en 2018 l'employeur ait ouvert une négociation collective afin de permettre aux titulaires de mandats syndicaux de bénéficier à ses dires d'une évolution de coefficient au moins égale à la moyenne de la catégorie ne constitue pas l'aveu ou l'indice d'une discrimination le concernant personnellement.
Conclusion
Il ressort de ce qui précède que certains faits allégués ne sont pas établis et que la différence de traitement avec les collègues des panels de comparaison est justifiée par des considérations objectives de sorte que n'est mise en évidence aucune discrimination ou atteinte à la règle a travail égal/salaire égal. La demande de rappel de salaire pour la période entre juin et septembre 2013 sera donc rejetée. Le seul agissement discriminatoire établi est la mention dans l'entretien d'évaluation de l'exercice d'activités syndicales, ce qui a occasionné au salarié un préjudice moral indemnisable même si dans les évaluations postérieures ce type d'appréciation ne s'est pas renouvelé.Vu l'ancienneté du manquement, son caractère isolé, l'absence de conséquence avérée sur l'état de santé du salarié et sur ses fonctions il lui sera alloué 2000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.
Il serait inéquitable de condamner l'une ou l'autre des parties au paiement d'une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
DÉCLARE les demandes recevables
CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté M.[Z] de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale
statuant à nouveau et y ajoutant
CONDAMNE la société ROQUETTE FRERES à payer à M.[Z] 2000 euros de dommages-intérêts pour discrimination syndicale
AUTORISE la capitalisation des intérêts au taux légal dus pour une année entière, ceux-ci courant à compter du prononcé du présent arrêt
DÉBOUTE M.[Z] du surplus de ses demandes
DIT n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens exposés en appel.
LE GREFFIER
V. COCKENPOT
LE PRÉSIDENT
M. DOUXAMI