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28/05/2020 | FRANCE | N°14/03265

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 28 mai 2020, 14/03265


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 1



ARRÊT DU 28/05/2020



****





N° de MINUTE : 20/

N° RG 14/03265 - N° Portalis DBVT-V-B66-OBYP



Jugement (N° 12/01862) rendu le 22 janvier 2013 par le tribunal de grande instance de Béthune

Arrêt (RG 14/3265) rendu le 21 mai 2015 par la Cour d'appel de Douai





APPELANTE



Mme [L] [P] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'hérit

ière de M. [I] [N], né le [Date naissance 6] 1952 à [Localité 12] ( Maroc), décédé à [Localité 9] (Maroc) le [Date décès 7] 2012

née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 12] (Maroc), de na...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 28/05/2020

****

N° de MINUTE : 20/

N° RG 14/03265 - N° Portalis DBVT-V-B66-OBYP

Jugement (N° 12/01862) rendu le 22 janvier 2013 par le tribunal de grande instance de Béthune

Arrêt (RG 14/3265) rendu le 21 mai 2015 par la Cour d'appel de Douai

APPELANTE

Mme [L] [P] agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritière de M. [I] [N], né le [Date naissance 6] 1952 à [Localité 12] ( Maroc), décédé à [Localité 9] (Maroc) le [Date décès 7] 2012

née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 12] (Maroc), de nationalité Marocaine

demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Christophe Loonis, avocat au barreau de Béthune

INTIMÉE

SCI 2B, prise en la personne de son représentant légal ayant élu domicile audit siège

ayant son siège social [Adresse 8]

représentée et assistée par Me Fabien Chirola, avocat au barreau de Lille

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Véronique Renard, présidente de chambre

Anne Molina, conseiller

Geneviève Créon, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Stéphanie Hurtrel

DÉBATS à l'audience publique du 19 décembre 2019 après rapport oral de l'affaire par Geneviève Créon

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 mai 2020 après prorogation du délibéré initialement prévu le 19 mars 2020 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Véronique Renard, présidente et Stéphanie Hurtrel, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 19 septembre 2019

****

FAITS ET PROCÉDURE

Vu le jugement du 22 janvier 2013 du tribunal de grande instance de Béthune qui a :

- débouté Monsieur [N] de l'ensemble de ses demandes ;

- constaté la résiliation de plein droit à la date du 9 mars 2010 du bail commercial liant Monsieur [I] [N] et la SCI 2B portant sur les locaux à usage commercial et d'habitation situés à [Adresse 10] par l'effet de clause résolutoire visée par le commandement de payer du 9 février 2010 ;

- dit que Monsieur [N] est occupant sans droit ni titre des locaux objets du bail résilié ;

- ordonné en conséquence l'expulsion de Monsieur [N] et celle de tous occupants de son chef des locaux situés à [Adresse 10], avec le concours de la force publique si nécessaire, à 1'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date de signification d'un commandement d'avoir à quitter les lieux ;

- condamné Monsieur [N] à payer à la SCI 2B la somme de 3 781 euros au titre des impôts fonciers pour les années 2007, 2008, et 2009, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 février 2010 ;

- condamné Monsieur [N] à payer à la SCI 2B la somme mensuelle de

621,74 euros à titre d'indemnité d'occupation, à compter du 9 mars 2010 jusqu'à la libération effective des lieux ;

- dit n'y avoir lieu à astreinte ;

- dit que viendront en déduction de cette indemnité d'occupation toutes sommes que le locataire justifiera avoir payées à sa bailleresse au titre de l'occupation de l'immeuble pour cette période ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision ;

- condamné Monsieur [N] aux dépens et à payer à la SCI 2B la somme de

2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens;

Vu la déclaration d'appel du 26 mai 2014, par Mme [L] [P], son épouse survivante, et seule héritière, agissant en sa qualité d'ayant droit de M. [N] et en son nom personnel,

Vu l'arrêt du 21 mai 2015 de la cour d'appel de Douai qui a :

- infirmé le jugement ;

- dit que le commandement de payer du 9 février 2010 est nul et non avenu ;

- dit n'y avoir lieu à résiliation du bail, à expulsion, à condamnation du locataire aux impôts fonciers, à indemnité d'occupation ;

- débouté la SCI 2B de l'ensemble de ses demandes ;

- fait droit à la demande d'expertise de Madame [P] [N], venant aux droits de monsieur [N] sur l'état de l'immeuble ;

- désigné Monsieur [Z] [A] (1950), [Adresse 5]: [XXXXXXXX03] - Fax:[XXXXXXXX02] [Courriel 11], pour procéder, avec mission de, au vu des clauses de bail :

déterminer l'ensemble des désordres affectant l'immeuble situé [Adresse 4], objet du bail, ayant trait aux obligations du propriétaire des lieux, en les distinguant des désordres liés au défaut d'entretien imputable à

la locataire ;

les décrire ;

en déterminer les causes ;

dire s'ils rendent les locaux loués impropres à l'usage destiné ;

dire si des travaux urgents doivent être effectués aux frais de qui il appartiendra ;

les chiffrer ;

donner tous éléments de nature à préciser le préjudice de jouissance et le préjudice commercial éventuellement subis ;

donner tous éléments de nature à chiffrer les travaux de réparation nécessaires ;

- fixé la somme de 4 000 euros le montant de la provision sur les frais d'expertise que Madame [P] devra consigner à la Régie d'avance et de recettes de cette cour avant le 9 juillet 2015 ; rappelé qu'à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert est caduque conformément à l'article 271 du Code de procédure

civile ;

- dit que l'expert devra déposer, au Greffe de cette cour, le rapport de ses opérations avant le 20 novembre 2015 ;

- dit qu'au préalable, dès la première réunion, l'expert donnera une estimation la plus détaillée possible de ses honoraires et des débours prévisibles, qu'il fera connaître aux parties;

- désigné le Conseiller de la mise en état de la section un de la deuxième chambre de la cour pour contrôler les opérations d'expertise ;

- débouté Madame [P] de sa demande de provision et de sa demande ayant trait à la consignation des loyers ;

- sursis à statuer sur le surplus;

- renvoyé le dossier à la mise en état du 17 décembre 2015;

Vu les ordonnances des 11 juin et 1er juillet 2015 ayant nommé successivement

M. [O] [A] et Mme [R] [G] en remplacement de M.[Z],

Vu le rapport de l'expert du 09 octobre 2017,

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 janvier 2019 par Mme [P], qui demande à la cour d'appel de :

- débouter la SCI 2B de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- juger irrecevable ou à tout le moins mal fondée la demande de résiliation du bail pour défaut de paiement des taxes foncières ;

- très subsidiairement, dans l'hypothèse où par impossible la cour devait prononcer la résiliation du bail, dire et juger les taxes foncières 2010 à 2015 prescrites et dire et juger que seules seraient dues les taxes foncières 2016, 2017 et 2018 et accorder alors à Madame [P] un délai de paiement de 12 mois, à compter de la décision à intervenir pour s`acquitter des taxes foncières qui seront mises à sa charge et dire et juger que la résiliation du bail ne pourrait intervenir que dans l'hypothèse d'un non respect des délais accordés à Madame [P] par la cour ;

- constater que le local commercial et l'habitation loués présentent d'importants désordres liés à la vétusté de l'immeuble ou à une absence d'entretien de celui-ci imputable au propriétaire en raison de l'absence d'exécution des travaux incombant au bailleur ; dire et juger que le bailleur a engagé sa responsabilité civile contractuelle à l'égard de Madame [P] ;

- en conséquence, condamner la société SCI 2B sous astreinte de 150 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir, à réaliser 1'ensemble des travaux listés comme étant à la charge du bailleur et chiffrés à la somme de 109 024 euros TTC par Madame L'Expert dans son rapport du 10 octobre 2017, pages 33 à 44 du rapport ;

- condamner la société SCI 2B à payer à Madame [P] :

- une somme de 72 000 euros outre une somme mensuelle de 600 euros par mois, de mai 2018 jusqu'à complète réalisation des travaux à charge du bailleur, à titre de dommages et intérêts en réparation de l'impossibilité de pouvoir occuper la partie habitation de l'immeuble loué ;

- une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison d'un exercice rendu plus difficile de l'exploitation de son commerce et en raison d'une atteinte à l`image de son magasin ainsi que du préjudice moral subi ;

- condamner la société SCI 2B à payer à Madame [P] une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dans l'hypothèse où la cour annulerait le rapport d'expertise de Madame [G], ordonner avant dire droit nouvelle expertise technique et dire et juger que les frais de celle-ci seront avancés par la SCI 2B ;

- condamner la SCI 2B au paiement de tous les frais et dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais de l'expertise de Madame [G] ;

Vu les dernières conclusions en réponse notifiées par voie électronique le 29 janvier 2019 par la SCI 2B, qui demande à la cour d'appel de :

- à titre principal, prononcer la nullité du rapport d'expertise du 9 octobre 2017 déposé par Madame [G], expert judiciaire ;

- en conséquence, débouter Madame [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- à titre subsidiaire, constater, dire et juger que le preneur a commis une faute en n'avisant pas le bailleur des travaux lui incombant ;

- en conséquence, débouter Madame [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- à titre infiniment subsidiaire, constater, dire et juger que les demandes de Madame [P] ne sont pas justifiées tant en leur principe qu'en leur quantum ;

- en conséquence, débouter Madame [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions et, à défaut, ramener ses demandes à de plus juste proportion ;

- dire que l'astreinte sera provisoire et la limiter dans le temps ;

- à titre reconventionnel, prononcer la résolution judiciaire du bail commercial du 2 juillet 1987 pour défaut de paiement de la taxe foncière ;

- ordonner l'expulsion de Madame [P] et de tous occupants de son chef des locaux en cause, et sous astreinte définitive de 150 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- condamner Madame [P] au paiement, au profit de la SCI 2B de :

la somme de 16 462 euros ;

la somme de 621,74 euros par mois, à titre d'indemnité d'occupation jusqu'à la libération effective des lieux et la remise des clés ;

la somme de 3 000 euros au titre de l''article 700 du Code de procédure

civile ;

- la condamner aux entiers frais et dépens tant de première instance que d'appel ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 19 septembre 2019 ,

SUR CE,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que par contrat du 2 juillet 1986, M. [Y] [V] a donné à bail commercial à M. [C] [V], une maison à usage de commerce sis à [Adresse 10] pour une durée de neuf années pour y exercer l'activité de commerce d'alimentation, de lait et de boissons.

Par acte authentique du 29 septembre 1987, M. [C] [V] a cédé le fonds de commerce exploité dans cet immeuble à MM [I] [N] et [I] [E], en indivision ; ultérieurement, M. [E] cédait sa part de fonds de commerce le 26 juin 1989 à M. [N].

Par acte authentique du 10 juillet 2007, la société SCI 2B a acquis cet immeuble.

Au cours de l'année 2010, un litige a opposé le bailleur à son locataire à propos du paiement des impôts fonciers des années 2007 à 2009.

La société SCI 2B a délivré commandement de payer le montant de ces impositions, en visant la clause résolutoire. M. [N] a formé opposition au commandement de payer.

C'est dans ce contexte qu'est intervenue la décision dont appel.

M. [N] est décédé le [Date décès 7] 2012 à [Localité 9].

Mme [L] [P], épouse survivante, seule héritière, a poursuivi l'exploitation du fond de commerce et la procédure d'appel.

La cour d'appel, dans son arrêt du 21 mai 2015, a infirmé le jugement, annulé le commandement de payer et sur les demandes d'indemnisation présentées par

Mme [P] a, avant dire droit, ordonné une expertise aux fins d'apprécier les désordres affectant les locaux loués, de déterminer les travaux de reprises nécessaires pour rendre les locaux conformes à leur destination, et les préjudices éventuels subis par le locataire.

Dans son rapport rendu le 9 octobre 2017, l'expert a révélé plusieurs désordres structurels, a estimé le montant total des travaux à 138 625 euros dont

109 024 TTC euros concernant le clos et le couvert, et 29 600 euros TTC concernant les travaux d'entretien.

Il qualifie les locaux d'impropres à leur destination, aussi bien au rez-de chaussée en tant que commerce, qu'à l'étage, en tant qu'habitation. Il s'est déclaré incapable de fixer les préjudices de jouissance concernant le logement en considérant que celui-ci, en raison même de son caractère impropre à sa destination, ne peut précisément être utilisé en tant que logement.

L'activité commerciale ayant fonctionné normalement, malgré les désordres, il n'est pas apparu de préjudice à ce titre.

Au soutien de ses prétentions, Mme [P] fait valoir que :

- l'immeuble est atteint de désordres importants liés à sa vétusté et nécessite d'importantes réparations qui sont à la charge du bailleur ;

- elle a subi un préjudice de jouissance des locaux affectés au logement, qu'elle fixe à 600 euros par mois ;

- la vétusté des lieux a rendu l'exploitation de son commerce plus difficile et a porté atteinte à l'image de son magasin, dissuadant certains de fréquenter le lieu, ce qui lui a causé un préjudice commercial qu'elle évalue à 50 000 euros ;

- la demande de la société SCI 2B relative à la résolution du bail constitue une demande nouvelle irrecevable, sur un point qui a déjà été tranché par l'arrêt du 21 mai 2015 ;

- en réponse à la demande de son adversaire sur ce point, elle soutient qu'il n'y a pas lieu de procéder, comme celui-ci le demande, à l'annulation du rapport d'expertise, au motif que le défaut de réponse allégué à un de ses dires ne lui porte pas grief, portant sur un point de droit et non une constatation technique.

En réponse, la société SCI 2B réplique que :

- le rapport d'expertise est vicié par une nullité résultant de ce que l'expert n'a pas pris en considération les observations qu'il avait faites dans le dire n°2 ;

- elle conteste la responsabilité du bailleur, qui n'est tenu que des grosses réparations dans les termes de l'article 606 du code civil, sous réserve qu'elles ne résultent pas du défaut d'entretien à la charge du preneur, ou de dégradations provoquées par celui-ci ;

- dans l'hypothèse de sa condamnation à réaliser sous astreinte des travaux, celle-ci ne pourrait être que provisoire et pour une durée déterminée ;

- concernant les préjudices allégués, de jouissance ou commercial, aucun élément chiffré n'a été proposé par le preneur à l'expert, et aucune plainte n'a été formée par

M. [N] et son épouse sur ce point avant que n'intervienne le commandement de payer ;

- elle est fondée à demander la résolution du bail commercial pour défaut de paiement des taxes foncières, qui ont été mises à la charge du preneur locataire de l'immeuble par l'acte de vente du 29 septembre 1987.

Sur la demande de résolution judiciaire du bail :

Il convient de rappeler que la cour dans son arrêt du 21 mai 2015 a infirmé le jugement du 22 janvier 2013 du tribunal de grande instance de Béthune, dit que le commandement de payer du 9 février 2010 était nul et non avenu, et dit n'y avoir lieu à résiliation du bail, à expulsion, à condamnation du locataire aux impôts fonciers, à indemnité d'occupation, que ce point est tranché, qu'il a autorité de la chose jugée et qu'en conséquence la demande de la société SCI 2B à cette fin n'a pas à être examinée de nouveau. Les demandes formées par la société SCI2B dans ses dernières conclusions du 29 janvier 2019 visant à la résolution judiciaire du bail pour défaut de paiement de l'impôt foncier se heurtent, à l'autorité de la chose jugée, en ce que la cour a tranché dans le dispositif de son arrêt la question de l'obligation du preneur à la taxe foncière et dit n'y avoir lieu à condamnation de ce chef. En conséquence, les demandes de la SCI2B sont irrecevables.

Sur la nullité du rapport d'expertise :

Il ressort du dossier que le rapport de l'expert a été établi le 9 octobre 2017 et reçu au greffe de la cour le 16 octobre 2017.

Le 10 octobre 2017, l'expert adressait par courrier à maître [D] son rapport définitif.

En retour, le 12 octobre 2017, maître Fabien Chirola communiquait à l'expert

Mme [G] un dire n°2 par lequel il entendait effectuer diverses constatations.

Maître Chirola, au visa de l'article 276 du code de procédure civile, demandait à l'expert d'annexer son dire à son rapport.

Il n'a pas été satisfait à cette dernière demande comme en témoigne en annexe 2 p 43 du rapport la liste des pièces reçues contradictoirement, seul étant cité le dire n°1.

Maître Chirola ne justifie pas qu'un délai pour présenter ses dires à une date plus lointaine que celle du 9 octobre 2017 lui avait été indiquée par l'expert.

Dès lors, le dire ayant été envoyé postérieurement à l'achèvement du rapport, son défaut de prise en compte par l'expert ne constitue pas une cause de nullité, et la demande de la société SCI2B sur ce point sera rejetée.

Sur les désordres ayant trait aux obligations du propriétaire des lieux :

Le bail du 2 juillet 1986 portant sur ' une maison à usage de commerce', régularisé entre M. [S] [V], bailleur et M. [C] [V], preneur, et cédé à MM. [E] et [I] [N] le 29 septembre 1987, stipulait en clause 'Entretien':

'Le preneur aura la charge des réparations locatives et d'entretien et devra rendre les lieux en bon état desdites réparations à l'expiration du bail, le bailleur n'étant tenu qu'à l'exécution des grosses réparations telles qu'elles sont définies par l'article 606 du code civil.

Il devra notamment faire entretenir et remplacer, si besoin est, tout ce qui concerne les installations à son usage personnel, ainsi que les fermetures et serrures des fenêtres, portes et volets, les glaces, vitres, parquets, carrelages, revêtements de sol, boiseries.

Il sera responsable des accidents causé par et à ces objets.

Il prendra toutes précautions contre le gel. Il fera procéder au ramonage annuel des conduits de fumée à son usage.

Le preneur sera également responsable de toutes les réparations normalement à la charge du bailleur, mais qui seraient nécessitées soit par le défaut d'exécution des réparations dont le preneur a la charge comme il est dit ci-dessus, soit par des dégradations résultant de son fait, du fait de son personnel ou de ses visiteurs, soit dans les lieux loués, soit dans d'autres parties de l'immeuble'.

En clause ' Réparations et travaux dans l'immeuble', il était spécifié:

'Le preneur devra aviser immédiatement le bailleur de toute réparation à la charge de ce dernier dont il serait à même de constater la nécessité sous peine d'être tenu responsable de toute aggravation résultant de son silence ou de son retard'.

L'article 606 du code civil dispose que les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières, des digues et des murs de soutènement, de clôture aussi en entier, toutes les autres réparations étant d'entretien.

Au titre des désordres relevant des grosses réparations à la charge du bailleur dans les termes de l'article 606 du code civil, l'expert a identifié les désordres suivants et chiffré les préjudices:

- concernant les désordres structurels affectant le gros oeuvre: une fissure oblique en joints en allège 1er étage fenêtre gauche ; deux fissures à l'étage ; une fissure intérieure sur enduit ; des micro-fissures transversales sur les appuis des vitrines du magasin ; des fissures obliques partant de l'appui de la fenêtre grande chambre ; une fissure au pignon droit au droit du linteau de l'étage, emportant un risque d'effondrement ; la désagrégation de la dalle du balcon ; fissure de la façade arrière, depuis le chéneau jusqu'au linteau de la porte de stockage ;

- concernant la charpente: sablières imbibées d'eau ;

- concernant la couverture: défaut d'étanchéité du chéneau en raison de l'absence de protection ; dégradation de la couverture en zinc au droit de la noue, provoquant des infiltrations d'eau à l'origine de la détérioration des bois de charpente ;

- concernant les menuiseries intérieures: escalier métallique menant au logement de l'étage ne correspondant pas aux normes des escaliers d'habitation ;

- concernant les plâtreries, plafonds et cloisons: au rez-de chaussée, fissures et absence de torchis constituant le revêtement sur briques ; à l'étage, torchis sur brique et plaques de fibre ciment ; aux plafonds: fissures et microfissures sur le lattis du plafond de

l'étage ;

- concernant l'électricité: installation électrique ancienne ne fonctionnant pas ; les travaux sont estimés à 13 200 euros TTC ;

- concernant les sanitaires: ceux du rez-de-chaussée ne fonctionnant pas ;

- concernant le chauffage: absence de chauffage, à l'exception de la salle de bain ;

- concernant les peintures: bois des menuiseries extérieures à nu, ce qui menace la pérennité de l'ouvrage, peintures sur pierre n'ayant pas été refaite depuis de nombreuses années et n'apportant plus l'imperméabilité nécessaire à la protection des murs ;

En tenant comptes de travaux préparatoires du chantier, l'expert a estimé le montant total des travaux de clos couvert à charge du propriétaire à 109 024 euros TTC.

Les désordres constatés par l'expert résultaient généralement de la grande vétusté d'un immeuble construit dans les années 1920 et n'ayant jamais véritablement été entretenu par son propriétaire, en conséquence, le défaut manifeste d'entretien par le locataire et son inertie vis à vis du propriétaire ne constituent pas des causes déterminantes de la dégradation du clos et couvert ; le défaut total d'entretien des lieux par le locataire, la prise de bail par celui-ci d'un immeuble dont l'état, même en absence d'état des lieux permettant de décrire la situation du bâtiment en 1987, était manifestement, au vu des constatations de l'expert, largement dégradé, démontrent que celui-ci s'accommodait de la situation et était incapable de témoigner la vigilance que le contrat mettait à sa charge, concernant l'état du bâtiment, sous peine d'être tenu responsable des aggravations résultant de son silence ou de son retard.

Il n'y a donc pas lieu de réduire les obligations du bailleur aux réparations du clos et couvert au motif de l'inertie du preneur.

En conséquence, la société SCI2B sera condamnée à réaliser les travaux de réparation du clos et du couvert à la charge du bailleur pour la somme de 109 024 euros TTC. Pour garantir la mise en oeuvre des travaux dans un délai raisonnable il apparaît opportun de prononcer cette condamnation sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de trois mois après la notification du présent arrêt.

Sur les préjudices de jouissance du local d'habitation et commerciaux de

Mme [P] :

Les locaux d'habitation et de commerce ont été qualifiés par l'expert d'impropres à leur destination, en raison de l'importance des fissures sur le pignon droit et en façade, de l'absence d'étanchéité du chéneau, désordres structurels, et en absence d'électricité et de chauffage.

L'expert n'a pas chiffré les préjudices de jouissance et commerciaux, au motif d'une part que l'étage du bâtiment, vu son état, ne peut être utilisé comme logement, et que l'activité commerciale ayant fonctionné normalement, il n'apparaît pas de préjudice commercial.

Concernant le préjudice de jouissance, il ressort des termes de l'acte de vente du

29 septembre 1987 que le bailleur a souhaité faire préciser que l'immeuble loué, décrit au bail initial du 2 juillet 1986 comme une maison à usage de commerce, était loué comme immeuble à usage commercial et d'habitation, ce qui l'engageait à respecter les obligations de décence en matière d'habitation. Il n'est pas contestable que la société SCI2B, propriétaire depuis 2007, n'est pas responsable de l'installation à compter de 1987 de M. [N] dans un logement manifestement dépourvu d'électricité fonctionnelle et de chauffage, ce qui générait un préjudice de jouissance manifeste ; cependant elle a pris soin de faire relever par huissier le 2 février 2010 l'état des lieux résultant d'un grave défaut d'entretien par le locataire, sans s'inquiéter de l'incidence sur les conditions de vie de celui-ci de l'absence d'électricité et de chauffage ; s'il n'est justifié au dossier d'aucune protestation du locataire auprès du bailleur, il n'en reste pas moins que celui-ci connaissait les conditions de vie de son locataire et n'a pas pris l'initiative d'entreprendre les travaux urgents que représentaient la mise en place d'installations électrique et de chauffage, ce qui constitue une faute contractuelle au regard de l'obligation de délivrance d'un logement décent l'obligeant à indemniser son locataire d'un préjudice de jouissance dont elle doit répondre à compter de son acquisition des lieux.

A ce titre, Mme [P], venant aux droits de M. [N], est donc fondée à solliciter l'indemnisation d'un préjudice de jouissance subi du fait de la société

SCI2B ; le calcul de son indemnisation peut remonter jusqu'à cinq ans précédant la première demande formée par les dernières conclusions de M. [N] déposées le

28 avril 2011 ; le préjudice sera fixé à la somme de 200 euros par mois, le loyer mensuel de 621,74 euros étant payé pour l'ensemble de l'immeuble, et ce à compter du 1er août 2007, période non prescrite, jusqu'au mois d'avril 2018, soit 25 800 euros. En outre, la société SCI2B sera condamnée à payer à Mme [L] [P] la somme de 200 euros par mois de mai 2018 jusqu'à complète réalisation des travaux à charge du bailleur, à titre de dommages et intérêts en réparation de l'impossibilité de pouvoir occuper la partie habitation de l'immeuble loué.

Concernant le préjudice commercial, il ne peut être soutenu que l'état des lieux a porté préjudice au commerçant dans son activité, celui-ci ayant exploité depuis 30 ans une épicerie dans les locaux tels que décrits au présent dossier, et ce sans qu'il se soit ému des incidences de l'état de l'immeuble sur la prospérité de son magasin ou le profil de sa clientèle. Il ne peut donc être allégué l'existence d'un préjudice moral résultant de l'image défavorable de l'enseigne. La demande de Mme [P] à ce titre sera rejetée.

Sur les indemnités de procédure et les dépens :

Le sens du présent arrêt commande de condamner la société SCI2B à payer à

Mme [L] [P] une indemnité procédurale de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais de l'expertise de Mme [G].

PAR CES MOTIFS

Vu l'arrêt du 21 mai 2015, ayant infirmé le jugement du 22 janvier 2013 du tribunal de grande instance de Béthune, dit que le commandement de payer du 9 février 2010 était nul et non avenu, et dit n'y avoir lieu à résiliation du bail, à expulsion, à condamnation du locataire aux impôts fonciers, à indemnité d'occupation,

Déclare irrecevables en raison de l'autorité de la chose jugée les demandes en résiliation judiciaire du bail formées par la société SCI2B,

Dit n'y avoir de nullité du rapport d'expertise de Mme [K] [G] établi le

9 octobre 2017, et rejette la demande de la société SCI 2B visant son annulation,

Statuant à nouveau,

Condamne la société SCI2B à réaliser les travaux de réparation du clos et du couvert de l'immeuble sis [Adresse 4] à la charge du bailleur, pour la somme de 109 024 euros TTC, tels que décrits par l'expert, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de trois mois après la signification du présent arrêt,

Condamne la SCI 2B à payer à Mme [L] [P] la somme de 25 800 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance, depuis le 1er août 2007 jusqu'au mois d'avril 2018 inclus,

Condamne la SCI 2B à payer à Mme [L] [P] une somme mensuelle de

200 euros par mois, de mai 2018 jusqu'à complète réalisation des travaux à charge du bailleur, à titre de dommages et intérêts en réparation de l'impossibilité de pouvoir occuper la partie habitation de l'immeuble loué,

Déboute Mme [L] [P] de ses demandes d'indemnisation d'un préjudice commercial,

Y ajoutant,

Condamne la société SCI2B à payer à Mme [L] [P] une indemnité procédurale de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société SCI2B aux entiers dépens qui comprendront les frais de l'expertise de Mme [G].

Le greffierLa présidente

Stéphanie HurtrelVéronique Renard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 1
Numéro d'arrêt : 14/03265
Date de la décision : 28/05/2020

Références :

Cour d'appel de Douai 21, arrêt n°14/03265 : Autres décisions constatant le dessaisissement en mettant fin à l'instance et à l'action


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-05-28;14.03265 ?
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