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13/02/2020 | FRANCE | N°17/04023

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 8 section 1, 13 février 2020, 17/04023


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 8 SECTION 1

ARRÊT DU 13/02/2020

N° de MINUTE : 20/199

N° RG 17/04023 - N° Portalis DBVT-V-B7B-QZWN

Jugement (N° 16/10159) rendu le 04 avril 2017

par le tribunal de grande instance de Lille

APPELANTS



Monsieur [W] [W]

né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 1] - de nationalité française

[Adresse 1]



Madame [V] [C] Épouse [W]

née le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 2] - Belgique

(8930) - de nationalité française

[Adresse 1]



Représentés par Me Fabien Chirola, avocat au barreau de Lille substitué par Me Lammens, avocat au barreau de Lille

...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 8 SECTION 1

ARRÊT DU 13/02/2020

N° de MINUTE : 20/199

N° RG 17/04023 - N° Portalis DBVT-V-B7B-QZWN

Jugement (N° 16/10159) rendu le 04 avril 2017

par le tribunal de grande instance de Lille

APPELANTS

Monsieur [W] [W]

né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 1] - de nationalité française

[Adresse 1]

Madame [V] [C] Épouse [W]

née le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 2] - Belgique (8930) - de nationalité française

[Adresse 1]

Représentés par Me Fabien Chirola, avocat au barreau de Lille substitué par Me Lammens, avocat au barreau de Lille

INTIMÉE

Sa Crédit Industriel et Commercial prise en la personne de son directeur général domicilié es qualité audit siège

[Adresse 2]

Représentée par Me Ghislain Hanicotte, avocat au barreau de Lille et Me Casa, avocat au barreau de Paris

DÉBATS à l'audience publique du 27 novembre 2019 tenue par Hélène Billieres magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Betty Moradi

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Sylvie Collière, président de chambre

Hélène Billieres, conseiller

Maria Bimba Amaral, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 février 2020 après prorogation du délibéré du 06 février 2020 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Sylvie Collière, président et Betty Moradi, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 21 novembre 2019

LA COUR,

Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C], son épouse, ont interjeté appel le 23 juin 2017 de l'ensemble des dispositions d'un jugement réputé contradictoire du tribunal de grande instance de Lille du 4 avril 2017 qui les a solidairement condamnés à payer au Crédit industriel et commercial la somme de 254 176,95 euros avec intérêts au taux de 2,20 % l'an sur la somme de 253 922,84 euros à compter du 13 avril 2016 en règlement du solde d'un prêt immobilier souscrit à leur nom auprès de cet établissement financier selon une offre préalable acceptée le 13 juin 2015'; qui a débouté le Crédit industriel et commercial de sa demande de capitalisation des intérêts'; qui a condamné in solidum Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] à payer au Crédit industriel et commercial la somme de 750 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile'; qui les a condamnés aux dépens'; et qui a débouté le Crédit industriel et commercial du surplus de ses demandes.

***

Dans leurs dernières conclusions transmises au greffe le 23 octobre 2019, Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C], qui exposent avoir été victimes d'agissements frauduleux de la part de leur frère et beau-frère qui aurait profité de la remise entre ses mains, par le mari, de documents personnels et financiers du couple en vue de garantir une opération immobilière qu'il convoitait pour souscrire, les 27 et 29 mai 2015, à leurs noms et à leur insu une convention de compte courant ainsi qu'un crédit immobilier de 260 000 euros auprès de la société Crédit industriel et commercial, dénient les signatures apposées à leurs noms sur les actes en question et contestent avoir perçu une quelconque somme de la part de l'établissement bancaire.

Ils indiquent n'avoir découvert ces agissements qu'à la suite de la délivrance de l'assignation introductive de la première instance et n'avoir alors rien entrepris, leur frère et beau-frère leur assurant qu'il s'agissait «'manifestement d'une erreur'».

Les époux [W] précisent avoir été informés, au cours de l'année 2019, par le conseil régional des notaires de la cour d'appel de Rennes, «'qu'une instruction correctionnelle voire criminelle serait actuellement en cours au sein du tribunal de grande instance de Lille et porterait notamment sur les agissements de Maître [D]'», notaire à Rennes, depuis lors décédé, information qui leur aurait été confirmée à la suite du dépôt de plainte pour usurpation d'identité d'un tiers, faux et usage de faux qu'ils ont effectuée le 9 janvier 2018 auprès du procureur de la République de Lille, lequel se serait depuis lors dessaisi au profit du parquet de Dieppe, procédure enregistrée sous le numéro de parquet 18/009/249. Ils ajoutent que «'Maître [D] aurait également été impliqué et gravement mis en cause dans le cadre d'un réseau de blanchiment, la procédure pénale afférente ayant été successivement confiée à la brigade financière de Rouen ('), puis à Madame [N] [M], juge d'instruction à Lille'» et que «'certains préposés de la banque CIC (') auraient également été mis en cause dans le cadre de cette procédure pénale'», enregistrée quant à elle sous la référence JI CJIRSEC 1600004, les époux [W] reprochant à la banque d'être totalement taisante sur ces deux procédures actuellement en cours.

Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] font valoir ensuite que ce n'est qu'à la suite d'une sommation de communiquer délivrée à la société Crédit industriel et commercial qu'ils ont découvert que la demande de versement des fonds prêtés émanait de Maître [D], notaire qu'ils n'ont jamais rencontré, ne connaissent pas et n'ont en tout état de cause jamais mandaté pour ce faire et que leur frère et beau-frère a avoué avoir bel et bien souscrit à leur insu «'un ensemble de prêts immobiliers et crédits renouvelables auprès de la banque CIC'».

Ils ajoutent encore que l'ampleur des préjudices causés par les agissements frauduleux reprochés à Maître [D] rend illusoire la perspective d'une succession bénéficiaire alors que celle-ci n'aurait été acceptée qu'à concurrence de l'actif net par ses ayants droits.

Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] reprochent à la banque d'avoir fait preuve d'une négligence fautive en s'abstenant de procéder à une vérification, même sommaire, des signatures apposées sur les actes litigieux, vérification qui lui aurait nécessairement permis de s'apercevoir de leur fausseté, et d'avoir, en tout état de cause, manqué au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à leur égard en s'abstenant d'une part de se renseigner sur l'étendue de leurs facultés de remboursement et en ayant consenti un prêt excessif eu égard à leur situation financière.

Se fondant sur les dispositions des articles 287 et suivants du code de procédure civile et 1108, 1315 et 1304 anciens du code civil, ils demandent en conséquence à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau, de':

«'au préalable, surseoir à statuer dans l'attente de la clôture des procédures pénales enregistrées sous le numéro de parquet 18/009/249 et le numéro d'instruction JI CJIRSEC 16000004 ;

à titre principal':

-dire et juger que la société Crédit industriel et commercial n'apporte pas la preuve de la remise préalable, entre leurs mains, des fonds du prêt immobilier n° 30066 10876 00020211701 et, par suite, de l'existence et la validité de leur obligation au paiement du prêt litigieux';

-dire et juger en tout état de cause qu'ils démontrent de manière formelle, et par voie testimoniale, ne pas avoir reçu les fonds issus du prêt immobilier n°30066 10876 00020211701 ;

-débouter la société Crédit industriel et commercial de toutes ses demandes, fins et conclusions';

à titre subsidiaire,

-dire et juger que les signatures respectivement apposées sur le contrat d'ouverture du compte courant privé n°[Compte bancaire 1] en date du 27 mai 2015 et sur le contrat de prêt immobilier n°30066 10876 00020211701 en date du 29 mai 2015 ne sont pas les leurs';

-dire et juger en tout état de cause qu'ils démontrent formellement qu'ils ne sont pas les signataires du compte courant privé n°[Compte bancaire 1] en date du 27 mai 2015 et du contrat de prêt immobilier n°30066 1087600020211701 en date du 29 mai 2015';

-prononcer la nullité du contrat d'ouverture du compte courant privé n°[Compte bancaire 1] en date du 27 mai 2015 et du contrat de prêt immobilier n°30066 10876 00020211701 en date du 29 mai 2015 pour cause d'absence de consentement ;

-dire et juger que la société Crédit industriel et commercial a commis à leur égard une faute lourde en ne procédant pas à la vérification des signatures et des identités des souscripteurs du compte courant privé n°[Compte bancaire 1] en date du 27 mai 2015 et du contrat de prêt immobilier n°30066 10876 00020211701 en date du 29 mai 2015 ;

-dire et juger qu'ils ne seront tenus à aucune restitution ;

à titre très subsidiaire,

-dire et juger que la société Crédit industriel et commercial a manqué à ses devoirs de conseil et de mise en garde à leur égard en leur octroyant un crédit manifestement excessif au regard de leur faculté de remboursement ;

-condamner la société Crédit industriel et commercial à leur verser la somme de 280 000 euros avec intérêts au taux légal courant à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

-ordonner la compensation judiciaire entre les sommes mises, d'une part, à leur charge et, d'autre part, à la charge de la société Crédit industriel et commercial';

-à titre infiniment subsidiaire, dire et juger que l'exigibilité de la créance bancaire de la banque sera reportée à 24 mois et que les sommes reportées porteront intérêts au taux légal à compter de la décision de justice à intervenir ;

à titre reconventionnel,

-dire et juger que la procédure diligentée par la société Crédit industriel et commercial à leur égard est abusive ;

-condamner la société Crédit industriel et commercial à leur verser la somme de 15 000 euros chacun, en réparation de leur préjudice moral ;

-ordonner, aux frais du Crédit industriel et commercial, la mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire prise sur le bien immobilier cadastré DO [Cadastre 1] leur appartenant et situé [Adresse 1], dans le délai de 15 jours calendaires suivant la signification de l'arrêt à intervenir, et ce, sous astreinte de 200 euros par jour de retard';

-condamner le Crédit industriel et commercial à entreprendre la radiation de leur inscription au Fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers dans le délai de 15 jours calendaires suivant la signification de l'arrêt à intervenir, et ce, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

en tout état de cause,

-débouter la société Crédit industriel et commercial de toutes ses demandes, fins et conclusions';

-condamner la société Crédit industriel et commercial à leur verser la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';

mettre à la charge de la société Crédit industriel et commercial les entiers frais et dépens de l'instance'».

***

Dans ses écritures en réponse transmises au greffe le 8 novembre 2019, la société Crédit industriel et commercial expose qu'elle a consenti, le 29 mai 2015, à Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C], qui avaient ouvert le 27 mai précédant un compte courant privé en son agence du [Adresse 3], un prêt immobilier de 260 000 euros au taux d'intérêts fixe de 2,2 % l'an, remboursable par deux-cent-quarante mensualités successives de 1 436,79 euros chacune'; que ce prêt, destiné à financer l'acquisition, à titre de résidence secondaire, d'un appartement sis au [Adresse 4], était garanti par le Crédit Logement'; et qu'elle a procédé, le 15 septembre 2015, au virement de la somme empruntée sur le compte ouvert dans les livres de la caisse des dépôts et consignation au nom de Maître [K] [D], notaire en charge de la vente, conformément aux instructions de ce dernier du 10 septembre précédent, à l'article 10 des conditions générales de l'offre de prêt consacré à la mise à disposition des prêts et à l'annexe à l'offre de prêt prévoyant le déblocage des fonds sur présentation de l'appel de fonds du notaire.

Elle précise que s'étant aperçue à l'occasion d'un contrôle au sein de son agence de Paris Villiers que certains justificatifs remis par les époux [W] au moment du montage du prêt «'n'étaient pas conformes'» et que les emprunteurs n'étaient en définitive propriétaires d'aucun bien immobilier à Paris en sorte que les fonds prêtés par elle n'avaient pas été utilisés conformément à l'objet du prêt consenti, elle a, par deux courriers recommandés avec demande d'avis de réception du 13 avril 2016, dénoncé immédiatement tous ses concours et s'est prévalue de la déchéance du terme du prêt immobilier en question, mettant ainsi Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] en demeure de lui en régler le solde alors de 254 176,95 euros.

La banque, qui observe que la dénégation de signature est tardive et que les mensualités de remboursement du prêt ont été réglées par prélèvement sur leur compte d'octobre 2015 à avril 2016, fait valoir que, contrairement à ce qu'ils prétendent, les époux [W] sont bien les signataires des contrats litigieux et qu'en remettant à leur frère et beau-frère toutes les pièces nécessaires à l'obtention du crédit, ils ont en tout état de cause «'donné mandat à ce dernier pour réaliser pour leur compte l'opération immobilière contemplée'». Elle considère qu'ils n'apportent par ailleurs pas la preuve qu'ils n'ont pas bénéficié des fonds prêtés, lesquels ont en tout état de cause été débloqués et doivent, partant, être restitués.

Elle soutient encore qu'elle n'a pas manqué à son devoir de mise en garde, que la preuve d'un préjudice moral n'est pas rapportée et que Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C], qui ont déjà obtenu des délais de grâce tacites, ne justifient pas de leur situation financière.

La société Crédit industriel et commercial, au visa des dispositions des articles L. 312-8 du code de la consommation, 2 et 4 du code de procédure pénale, 1134, devenu 1103, et suivants, 1108, devenu 1128, 1154, devenu 1343-2, 1343-5, 1353 et 1984 du code civil, 763, 771 et 907 du code de procédure civile et 17 des conditions générales du contrat de prêt, demande en conséquence à la cour'de':

-«'in limine litis, dire et juger que la demande de sursis à statuer formée par les époux [W] pour la première fois aux termes de leurs conclusions d'appelant n°4 signifiées le 23 octobre 2019 est irrecevable, cette demande n'ayant pas été formulée avant toute défense au fond et dans des conclusions d'incident spécialement adressées au conseiller de la mise en état';

en toute hypothèse,

-dire et juger qu'elle apporte la preuve de la remise des fonds résultant du prêt immobilier litigieux et donc de l'obligation de paiement des consorts [W]';

-dire et juger que le contrat de prêt litigieux a été valablement conclu, les consorts [W] n'apportant à aucun moment la preuve qu'ils ne seraient pas les signataires dudit contrat et qu'ils n'auraient pas bénéficié des fonds prêtés ;

-dire et juger qu'elle n'a pas manqué à son devoir de conseil et de mise en garde à l'encontre des consorts [W], le prêt étant parfaitement proportionné à leurs facultés de remboursement';

-dire et juger que les consorts [W] ne sont pas des débiteurs malheureux et de bonne foi susceptibles de bénéficier de délais de paiement';

en conséquence':

-débouter les consorts [W] de toutes leurs demandes, fins et conclusions';

-confirmer en toutes ses dispositions le jugement [déféré], sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de capitalisation des intérêts';

-ce faisant, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de capitalisation des intérêts';

-statuant à nouveau, ordonner la capitalisation des intérêts dès que dus pour une année entière';

-en toute hypothèse, condamner les consorts [W] solidairement à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens'».

MOTIFS

Sur la demande aux fins de sursis à statuer, il sera rappelé que l'article 74 du code de procédure civile prévoit que les exceptions de procédure doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.

Il résulte par ailleurs de l'article 771 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la procédure, antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, que tenues, à peine d'irrecevabilité, de soulever les exceptions de procédure devant le juge de la mise en état, seul compétent, jusqu'à son dessaisissement, pour statuer sur celles-ci, les parties ne sont plus recevables à les soulever ultérieurement à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge.

La demande de sursis à statuer formée, en défense, par Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C], dans l'instance les opposant à la société Crédit industriel et commercial étant une exception de procédure, elle est donc irrecevable non seulement pour avoir été formée dans des conclusions comportant également les moyens et demandes au fond, adressées à la cour d'appel le 23 octobre 2019, alors qu'elle relevait de la compétence du conseiller de la mise en état jusqu'à l'ordonnance de clôture prononcée le 21 novembre 2019, mais également pour avoir été formée alors que les époux [W] avaient préalablement fait valoir des défenses au fond.

Il convient, partant, d'accueillir la fin de non-recevoir proposée par la société Crédit industriel et commercial.

***

Sur la question du déblocage des fonds, il ressort de l'alinéa 1er de l'article 1315, devenu 1353 du code civil, que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Il suit que le prêt d'argent consenti par un professionnel étant un contrat consensuel, il appartient au prêteur qui sollicite l'exécution d'une obligation de restitution de l'emprunteur d'apporter la preuve de l'exécution préalable de son obligation de remise des fonds dans les conditions prévues au contrat.

Pour prétendre avoir satisfait à son obligation de remise des fonds, la société Crédit industriel et commercial invoque les dispositions de l'article 10 des conditions générales de l'offre de prêt numéro 10876 000202117 qu'elle verse aux débats, consacré à la mise à disposition du prêt, qui prévoit ceci': «'l'ensemble des prêts devra être débloqué totalement dans les trente-six mois de la signature du contrat. Le premier déblocage devra être effectué dans les douze mois de la signature du contrat. Le non-respect des délais ci-dessus fixés entraînera la caducité du présent contrat en cas d'absence totale de déblocage et la réduction à due concurrence des sommes utilisées en cas de déblocage partiel. Par exception à ce qui précède, le décaissement d'un ou plusieurs prêts pourra intervenir ultérieurement si cela été prévu aux conditions particulières ou sur accord exprès du prêteur. Dans tous les cas, le prêt sera mis à la disposition de l'emprunteur, par le débit du compte «'prêt'» ouvert au nom de l'emprunteur dans les livres du prêteur après'régularisation des garanties, remise des pièces justificatives demandées le cas échéant par le prêteur comme condition préalable au déblocage des fonds, agrément de l'assurance, sous réserve, en cas de surprime demandée par l'assureur, que le taux effectif global du prêt reste compatible avec les dispositions de l'article L. 313-36 du code de la consommation, utilisation préalable de l'apport personnel et levée de l'ensemble des conditions suspensives et résolutoires des articles L. 312-7 à L. 312-20 du code de la consommation. Dans le cas où le prêt est destiné à financer une acquisition immobilière, le déblocage sera effectué et les intérêts commenceront à courir à la date à laquelle le prêteur procèdera au virement des fonds au compte du notaire'».

Elle invoque encore l'annexe à l'offre de prêt en question selon laquelle «'le déblocage du prêt sera réalisé sur présentation des originaux des appels de fonds (notaire, constructeurs, artisans') ou des originaux des factures des entreprises effectuant les travaux ou des originaux des factures des matériaux'».

Elle verse par ailleurs aux débats la copie d'une promesse unilatérale de vente sous conditions suspensives qui aurait été conclue le 22 mai 2015 entre des dénommés [T] [N] et son épouse, [G] [N], d'une part, promettants, et Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C], épouse [W], d'autre part, bénéficiaires, portant sur un appartement de type F2 situé au [Adresse 4], moyennant un prix de 315 000 euros, et ce, sous la condition suspensive de l'obtention par les bénéficiaires d'un prêt d'un montant au moins égal à 260 000 euros.

Alors qu'il y est indiqué que «'l'acte authentique (') sera dressé en l'étude de Maître [D], notaire à Rennes, désigné dès à présent pour la rédaction dudit acte'», la société Crédit industriel et commercial communique la copie d'un courriel daté du 10 septembre 2015 à 23 heures 33 adressé au Crédit industriel et commercial en la personne de [Q] [F] et signé de Maître [D], notaire, le remerciant «'de bien vouloir lui adresser les fonds concernant le prêt sous signatures privées ci-dessus référencé, montant 260 000 euros'», l'objet de ce courriel étant «'appel de fonds prêt n° 10876 0002 02 117 01'».

Elle produit enfin un document intitulé «'virements unitaires'» daté du 10 février 2016 faisant état du virement, le 15 septembre 2015, d'une somme de 260 000 euros sur un compte n° [Compte bancaire 2] ouvert au nom de Maître [K] [D] auprès de la Caisse des dépôts et consignations, le motif de l'opération étant «'dossier [W]'».

Cependant, outre que nul ne peut se constituer un titre à soi-même en sorte que ce dernier document, qui émane des propres services de la banque, ne saurait emporter la preuve que Maître [D], notaire, a effectivement été rendu destinataire de la somme prêtée, il ne ressort d'aucun élément de la procédure que le notaire en question ait agi sur instruction de Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C].

La société Crédit industriel et commercial échouant en ces conditions à rapporter la preuve de l'exécution préalable de son obligation de remise des fonds et, par là-même, à rapporter la preuve de sa créance, elle doit, par infirmation du jugement déféré, être déboutée de sa demande en paiement formée à l'encontre de Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C].

Il en est d'autant plus ainsi qu'il résulte des articles 287 et 288 du code de procédure civile que si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée, le juge vérifie l'écrit contesté à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte. Il appartient au juge de procéder à la vérification d'écriture au vu des éléments dont il dispose, après avoir, s'il y a lieu, enjoint aux parties de produire tous documents à lui comparer et fait composer sous sa dictée des échantillons d'écritures. Dans la détermination des pièces de comparaison, le juge peut retenir tous documents utiles provenant de l'une des parties, qu'ils aient été émis ou non à l'occasion de l'acte litigieux, étant entendu que, contrairement à ce que soutient la société Crédit industriel et commercial, c'est à la partie qui invoque l'acte dont l'authenticité est déniée d'en établir la sincérité, soit en l'espèce, l'établissement bancaire.

Force est de constater en l'espèce que cette dernière, pour ce faire, verse aux débats l'exemplaire de l'ouverture du compte courant dont les signatures sont contestées par les époux [W], l'offre de crédit litigieuse comprenant la demande de prêt et la fiche patrimoniale, une copie difficilement lisible du permis de séjour de Monsieur [W] [W] valable à compter du 25 juin 2010, une copie du passeport de Madame [V] [C] délivré le 26 mai 2014, la copie de la promesse unilatérale de vente du bien à financer en date du 22 mai 2015 ainsi que l'avis de réception de la lettre recommandée qu'elle a adressée à Madame [V] [C] le 13 avril 2016, reçue le 15 avril suivant.

Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C], qui n'ont pas comparu devant le premier juge, produisent de leur côté une copie recto verso de la carte nationale d'identité de l'épouse, délivrée par la préfecture du Nord le 11 mai 2004 et valable jusqu'au 10 mai 2014, la copie recto verso du titre de séjour du mari valable à compter du 25 juin 2010 jusqu'au 24 juin 2020 sur laquelle figure, au verso, la signature de l'intéressé, la copie du contrat de travail à durée indéterminée signé par le mari le 1er avril 2011, ainsi qu'un extrait de leur acte de mariage.

La comparaison de ces divers documents permet de constater que si, ainsi que le relève à juste titre la banque, les signatures apposées par l'épouse sur sa carte nationale d'identité et son passeport diffèrent sensiblement l'une de l'autre, ce n'est en réalité qu'en raison de ce que l'intéressée a, à compter de la célébration de son mariage le 16 septembre 2006, abandonné son ancienne signature qui faisait apparaître son nom de jeune fille pour ne plus utiliser qu'une signature réalisée à partir de son nom d'épouse. Il résulte par ailleurs de cette même comparaison que la signature apposée sur l'avis de réception de la lettre recommandée adressée par la banque à Madame [V] [C] le 13 avril 2016 est en tous points semblables à celle du mari et n'est donc pas celle de l'épouse.

Ceci étant précisé, il apparaît que les exemplaires de la signature de chacun des époux [W] présentées comme authentiques, qui figurent sur le titre du séjour et le contrat de travail du mari et sur le passeport de l'épouse, pièces soit contemporaines des actes litigieux soit antérieures, diffèrent très sensiblement, tant dans leur dessin que dans leur tracé et leur mouvement, des signatures, apposées à leur nom sur l'ensemble de ces actes et en particulier sur l'offre de crédit litigieuse, étant de surcroît observé que les signatures apposées au nom des intéressés sur l'offre de crédit en question diffèrent elles-mêmes toutes entre elles, qu'il s'agisse de celles apposées pour acceptation de l'offre ou de celles apposées sur la demande de prêt ou fiche patrimoniale, ce qui suffit à établir que les signatures apposées sur ces documents comme étant celles de Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] ne sont pas de la main de ceux-ci qui n'ont par conséquent pas souscrit d'engagement en qualité d'emprunteurs.

Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] ne sauraient, partant, être condamnés du chef d'un contrat qu'ils n'ont pas signé.

Vainement la société Crédit industriel et commercial invoque-t-elle le prétendu mandat tacite qu'auraient donné Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] à leur frère et beau-frère «'afin de réaliser pour leur compte l'opération immobilière contemplée'» en lui remettant les pièces justificatives de leur situation personnelle et financière dès lors d'une part que pareil mandat ne saurait emporter autorisation de signer les actes à leur place en imitant leurs signatures et qu'un tel mandat tacite non écrit est, d'autre part, en toute hypothèse exclu s'agissant d'actes de disposition.

***

En l'état du rejet de la demande en paiement formée à leur encontre au titre du contrat de crédit litigieux, Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] sont fondés à obtenir de la société Crédit industriel et commercial qu'elle procède dans les quinze jours de la signification du présent arrêt à la mainlevée, à ses frais, de l'hypothèque judiciaire provisoire'qu'elle a fait inscrire sur leur immeuble de Tourcoing, ainsi qu'à la radiation de l'inscription dont ils font l'objet au fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers tenu par la Banque de France, sans qu'il apparaisse utile, en l'absence d'éléments laissant présumer la volonté de la banque de se soustraire aux conséquences du présent arrêt, de recourir à une mesure d'astreinte.

Sur la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive, il a été précédemment démontré que les diverses signatures apposées sur l'offre de prêt du 29 mai 2015 au nom de Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] comme emprunteurs non seulement diffèrent très sensiblement de celles figurant sur les documents d'identité remis à l'occasion de la souscription du prêt litigieux, mais diffèrent même entre elles, soit autant de circonstances de nature à créer, pour un prêteur normalement diligent, un doute sur l'authenticité de ces signatures.

Dès lors que ces signatures présentaient ainsi des signes suspects laissant présumer qu'elles aient pu être falsifiées par un tiers, il appartenait à la société Crédit industriel et commercial de s'assurer de leur authenticité en procédant à des investigations complémentaires ou en exigeant simplement la présence physique des candidats emprunteurs, ce qu'elle n'a manifestement pas fait.

En engageant en ces conditions une action en paiement à l'encontre de Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] sans prendre la précaution de vérifier l'authenticité des signatures apposées au nom de Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] sur le contrat de prêt quand un prêteur normalement diligent aurait eu des raisons de suspecter qu'ils n'en étaient pas les auteurs, la société Crédit industriel et commercial a abusé de son droit d'ester en justice, cette faute étant à l'origine du préjudice subi par les époux [W] qui ont dû faire face à une procédure judiciaire, ont vu leur immeuble grevé d'une inscription, d'hypothèque judiciaire provisoire et ont été inscrits au fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, préjudice qui justifie l'allocation, à leur profit, d'une somme de 1 500 euros en réparation de leur préjudice moral.

Attendu enfin qu'il s'avère équitable de mettre à la charge de la société Crédit industriel et commercial, au titre des frais exposés par Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] et non compris dans les dépens, la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Déclare irrecevable la demande de sursis à statuer formée par Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C]';

Infirme le jugement déféré';

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute la S.A. Crédit industriel et commercial de sa demande en paiement formée contre Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C]';

Ordonne la suppression, à la charge de la S.A. Crédit industriel et commercial, des informations concernant Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] inscrites au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers au titre du crédit immobilier dans le délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt';

Ordonne la mainlevée, aux frais de la S.A. Crédit industriel et commercial, de l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire prise par elle sur l'immeuble de Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] sis [Adresse 1] et cadastré section DO numéro [Cadastre 1], dans le délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt';

Condamner la S.A. Crédit industriel et commercial à payer à Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts';

Condamne la S.A. Crédit industriel et commercial à payer à Monsieur [W] [W] et Madame [V] [C] la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile';

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la S.A. Crédit industriel et commercial aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier,Le président,

B. [A]


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 8 section 1
Numéro d'arrêt : 17/04023
Date de la décision : 13/02/2020

Références :

Cour d'appel de Douai 81, arrêt n°17/04023 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-02-13;17.04023 ?
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