République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 13/06/2019
***
N° de MINUTE :19/
N° RG 17/05977 - N° Portalis DBVT-V-B7B-RCOE
Jugement (N° 2016J57) rendu le 19 septembre 2017 par le tribunal de commerce de Dunkerque
APPELANTE
SA Technifrance représentée par son Président Directeur Général , M. [S] [U] domiciliée en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me François Wibaut, avocat au barreau de Lille
INTIMÉE
SA Societe d'Expertise Comptable de Dunkerque société anonyme prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
ayant son siège social [Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Bertrand Meignié, avocat au barreau de Douai
DÉBATS à l'audience publique du 20 mars 2019 tenue par Véronique Renard magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Stéphanie Hurtrel
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Véronique Renard, présidente de chambre
Anne Molina, conseiller
Nadia Cordier, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 juin 2019 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Véronique Renard, présidente et Stéphanie Hurtrel, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 février 2019
***
Vu le jugement contradictoire rendu le 19 septembre 2017 par le tribunal de commerce de Dunkerque qui a :
- débouté la société Technifrance de l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de la société d'Expertise Comptable de Dunkerque,
- condamné la société Technifrance aux dépens, dont frais de greffe liquidés pour débours et formalités sur la décision à la somme de 77,08 euros.
Vu l'appel interjeté le 9 octobre 2017 par la SA Technifrance,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le
3 juillet 2018 par la société Technifrance qui demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 19 septembre 2017 par le tribunal de commerce de Dunkerque,
Statuant à nouveau,
- juger que la responsabilité civile contractuelle de la Société d'Expertise Comptable de Dunkerque est engagée à raison de la méconnaissance des devoirs d'information, de conseil et de mise en garde de l'expert-comptable,
- condamner la société d'Expertise Comptable de Dunkerquee à lui payer une somme de 59.420 euros en principal, majorée des intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2016, date de réception de la mise en demeure,
- ordonner la capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du Code civil,
- rejeter l'intégralité des demandes présentées par la société d'Expertise Comptable de Dunkerque,
- condamner la société d'Expertise Comptable de Dunkerquee à lui payer une somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de la société Wiblaw, avocat constitué.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 5 avril 2018 par la société d'Expertise Comptable de Dunkerque qui demande à la cour de :
- dire bien jugé, mal appelé,
- confirmer la décision rendue en première instance sauf à lui octroyer à la société d'Expertise Comptable de [Localité 1] un article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Technifrance à lui régler la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens tant de première instance que d'appel.
Vu l'ordonnance de clôture du 25 février 2019,
SUR CE,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que la société Technifrance et ses deux filiales, les sociétés Technifrance Hainaut et Technifrance Atlantique, avaient chargé la Société d'Expertise Comptable de Dunkerque (ci-après la SECD) d'établir la comptabilité desdites sociétés, notamment celle des exercices clos les 31 décembre 2005 et 31 décembre 2006 ainsi que des exercices ultérieurs, postérieurs à la dissolution anticipée par transmission universelle de patrimoine des sociétés Technifrance Atlantique et Technifrance Hainaut au profit de la société Technifrance intervenue au cours de l'exercice 2006.
A la suite d'une vérification de comptabilité du 18 février 2014 portant sur l'ensemble des opérations relatives à la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, l'administration fiscale a notifié à la société Technifrance, suivant proposition de rectification n°3924 du 23 mai 2014, des rappels de TVA, d'impôt sur les sociétés et de cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises.
Par lettre n°3926 du 4 juillet 2014, l'administration fiscale a maintenu partiellement, à concurrence de 142.977 euros, les rappels envisagés.
Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée relatifs à la période du 1er janvier au
31 décembre 2011 ont fait l'objet, le 15 décembre 2014, d'une mise en recouvrement suivant avis n°141200135 pour un montant de 20.607 euros (soit 18.466 euros de droits et 2.141 euros d'intérêts de retard à 11,6%).
Suite aux recours hiérarchiques exercés par la société Technifrance, l'administration fiscale a abandonné partiellement, à concurrence de 49.751 euros en base, le rappel notifié en matière d'impôt sur les sociétés à raison de la réintégration des provisions non justifiées sur les créances clients.
La société Technifrance a saisi la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, laquelle, à l'issue de son avis rendu le 7 septembre 2015, s'est déclarée incompétente pour connaître du désaccord opposant la société Technifrance à la Direction Générale des Finances Publiques, à l'exception du rappel portant sur l'imputation du déficit fiscal antérieur inexistant, pour lequel ladite commission a émis un avis favorable.
L'administration fiscale a alors notifié le 15 octobre 2015 à la société Technifrance des rappels de droits et intérêts de 125 530 euros qui ont fait l'objet d'une mise en recouvrement le 30 octobre 2015 suivant selon avis n°151005134 pour un montant total de 104.923 euros déduction faite de la cotisation supplémentaire de TVA relative à la période du 1er janvier au 31 décembre 2011.
C'est dans ces conditions que la société Technifrance a, par lettre recommandée du
18 avril 2016, mis en demeure la SECD d'avoir à lui régler la somme de 59.420 euros correspondant au préjudice fiscal résultant des fautes commises par elle, avant de la faire assigner devant le tribunal de commerce de Dunkerque, selon acte d'huissier du 24 mai 2016, pour obtenir paiement, avec exécution provisoire, de ladite somme de 59.420 euros en principal, majorée des intérêts se capitalisant par année au taux légal à compter du
20 avril 2016, et celle de 3.000 euros pour frais exposés outre les dépens.
L'appelante fait grief au tribunal d'avoir rejeté l'ensemble de ses demandes, alors que selon elle la responsabilité contractuelle de la SECD est engagée au visa de l'article 1147 ancien du Code civil à raison du préjudice fiscal résultant de ses fautes commises dans l'exécution de son devoir d'information, de conseil et de mise en garde en matière fiscale et en vertu duquel elle devait mettre en 'uvre toutes les diligences qui lui sont dictées par les normes professionnelles, mais également toutes celles que l'on est en droit d'attendre d'un professionnel diligent.
Elle explique qu'en sus de la mission de présentation des comptes annuels, la SECD était notamment chargée d'une mission d'établissement et de souscription des déclarations fiscales, en particulier des déclarations dites 'CA3', destinées à la liquidation mensuelle de la taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des déclarations n°2065, destinées à la liquidation de l'impôt sur les sociétés et que dès lors, le jugement doit être infirmé en ce que les premiers juges ont retenu qu'elle ne démontrait pas avoir confié à la SECD une mission plus large que celle de présentation des comptes annuels.
En substance, la SECD conteste tout manquement de sa part et tout lien de causalité direct et exclusif avec le dommage allégué par la société Technifrance.
Il n'est pas contesté que la société Technifrance a fait appel à la SECD au moins au cours des années 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2011 et 2012 sans qu'aucun contrat ou lettre de mission n'ait été établi entre les parties. Il appartient en conséquence à la cour de définir le cadre et l'étendue de la mission confiée à l'expert comptable au regard des notes d'honoraires versées aux débats.
Il résulte des pièces produites que la SECD a été chargée des missions suivantes :
* note d'honoraires n° 408 (pièce 6) :
interventions de février 2005 à mars 2005
- budget d'exploitation,
- budget de trésorerie,
- situation active et passive au 31.01.2005,
- préparation bilan au 31.12.2004
- assistances diverses.
*note d'honoraires n° 1235 (pièce 7)
- interventions diverses,
- prévisionnel d'activité,
- compte de résultat au 30.04 et 31.05.2005.
- note d'honoraires n° 1646 (pièce 8)
interventions durant le 3ème trimestre 2005,
- modification du bilan au 31.12.2004,
- situation au 31.08.2005,
- prévisionnel d'activité.
* note d'honoraires n° 328 (pièce 9)
interventions durant le 4ème trimestre 2005,
- situation des comptes au 30.09.2005,
- assistance plan de continuation - prévisionnel,
- compte de résultat mensuel,
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 748 (pièce 10)
honoraires pour interventions durant le 1er trimestre 2006,
- compte de résultat 31/11/05 et 01/06 et 02/06,
- assistance contrôle fiscal, établissement bilan au 31/12/2005,
- déclarations fiscales,
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 1515 (pièce 11)
honoraires 2ème trimestre 2006
- établissement du bilan au 31 12 2005 et du compte de résultat mars et avril 2006,
- déclarations fiscales,
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 1961 (pièce 12)
- modification du bilan au 31/12/2005,
- assistance conseil d'administration et assemblée,
- situation arrêtée au 31/08/2006,
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 324 (pièce 13)
- interventions durant le 4ème trimestre 2006.
* notes d'honoraires n° 792 (pièce 14)
honoraires du 1er trimestre 2007
- établissement des bilans au 31-12-2006,
- déclarations fiscales,
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 1277 (pièce 15)
honoraires du 2ème trimestre 2007
- établissement du bilan au 31-12-2006,
- déclarations fiscales,
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 1694 (pièce 16)
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 317 (pièce 17)
honoraires du 4ème trimestre 2007
- mise à jour de la comptabilité,
- établissement d'une situation au 31.10.2007,
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 749 (pièce 18)
- établissement du bilan au 31-12-2007,
- établissement des déclarations fiscales,
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 1293 (pièce 19)
- interventions diverses durant le 2ème trimestre 2008.
* note d'honoraires n° 1730 (pièce 20)
honoraires du 3ème trimestre 2008
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 2116 (pièce 21)
interventions 4ème trimestre 2008
- vérifications du tableau de bord,
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 2572 (pièce 22)
honoraires du 1er trimestre 2009
- mise à jour de la comptabilité,
- établissement d'une situation au 31.10.2008,
- établissement des déclarations fiscales,
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 3072 (pièce 23)
honoraires du 2nd trimestre 2009
- situation dans comptes au 31 mai 2009,
- établissement des déclarations fiscales,
- préparation assemblée générale.
* note d'honoraires n° 7593 (pièce 24)
honoraires du 4ème trimestre 2011
- différentes interventions.
* note d'honoraires n° 8060 (pièce 25)
honoraires du 1er trimestre 2012
- vérification de la comptabilité au 31.12.2011,
établissement du bilan au 31.12.2011,
- établissement des déclarations fiscales,
- interventions diverses,
- frais de télétransmission.
* note d'honoraires n° 8660 (pièce 26)
honoraires du 2nd trimestre 2012
- assistance et interventions diverses,
- déclarations fiscales.
* note d'honoraires n° 5760 (pièce 38)
honoraires du 4ème trimestre 2010
- différentes interventions.
* note d'honoraires n° 6202 (pièce 39)
honoraires du 1er trimestre 2011
- vérification de la comptabilité au 31.12.2010,
- établissement du bilan au 31.10.2010,
- établissement des déclarations fiscales,
- interventions diverses.
* note d'honoraires n° 6202 (pièce 40)
honoraires du 2nd trimestre 2011
- suivi et interventions diverses,
- établissement des déclarations fiscales,
- préparation assemblée générale.
La responsabilité de la société SECD doit donc être appréciée au regard de ces missions.
La demande en paiement de la société Technifrance est relative, en ce qui concerne le redressement relatif à l'impôt sur les sociétés, à l'impôt sur les sociétés pour
51.443,00 euros, et aux majorations sur cet impôt pour 3.933,00 euros, et en ce qui concerne le redressement relatif à la TVA, aux intérêts de retard sur rappels de taxe sur la valeur ajoutée (2.141 + 1.826 = 3.967 euros) et aux intérêts de retard sur rappel de cotisation sur la valeur ajoutée pour 77 euros, soit un total de 59.420 euros.
Concernant le premier chef de demande, il est constant que le supplément d'impôt sur les sociétés réclamé par l'administration fiscale est lié à la prise en compte des déficits des deux filiales de la société Technifrance qui ont fait l'objet d'un transfert universel de patrimoine en 2006 au profit de ladite société et que cette dernière reproche à l'intimée de ne pas avoir fait de demande d'agrément qui aurait permis le transfert des déficits fiscaux de ses filiales à son profit et ainsi de bénéficier d'un abattement d'impôt sur les sociétés.
Cependant, aucun élément ne permet de retenir la participation de la société SECD dans le cadre de la transmission universelle de patrimoine, le fait que cette dernière ait assisté en 2006 à deux assemblées générales, aux côtés du commissaire aux comptes et de l'un des avocats de la société Technifrance, étant insuffisant à démontrer, en dehors de tout autre élément, une quelconque obligation de conseil dans le cadre de l'opération concernée, ce d'autant et ainsi que l'a justement relevé le tribunal, que les comptes annuels de l'exercice clos le 31.12.2006 ont été approuvés par le commissaire aux comptes.
Il en résulte que la société Technifrance ne peut rechercher la responsabilité de la société SECD de ce chef de demande.
Concernant le redressement relatif à la TVA, la société Technifrance réclame à la SECD le remboursement des intérêts de retard sur les rappels de TVA. Ces rappels font suite à la perception par l'appelante d'une indemnité transactionnelle venant d'un client douteux, la société Segula, les sommes perçues correspondant pour partie à une indemnité non soumise à la TVA et pour partie au paiement de travaux effectués soumis à la TVA.
Or aucun élément contenu dans les notes d'honoraires en dehors de la mention générale 'déclarations fiscales' ne permet de retenir que la société SECD était effectivement chargée d'établir les diverses déclarations de TVA.
Il résulte d'ailleurs d'un courriel adressé par la société Technifrance à la société SECD le 2 février 2011, dont l'objet est 'TVA' que suite à une consultation de Me Soulier, avocat, la société Technifrance a décidé d'appliquer un coefficient de taxation de 0.32 (et non pas de 0.35 comme appliqué par l'administration fiscale), le dirigeant de la société Technifrance, M. [S], indiquant expressément : ' nous devons conserver notre méthodologie afin de pouvoir répondre en cas de contrôle des impôts. Il pourrait interpréter autrement l'accord mais au moins nous avons payé ce que nous estimons. Le reste est affaire d'interprétation et de consensus.'
La société Technifrance n'est donc pas plus fondée à reprocher à la société intimée de ne pas lui avoir suggérer un autre coefficient de taxation et de rechercher sa responsabilité du chef des intérêts de retard sur les rappels de TVA.
L'appelante, partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.
Enfin la société SECD a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge. Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 septembre 2017 par le tribunal de commerce de Dunkerque.
Y ajoutant,
Condamne la société Technifrance à payer à la Société d'Expertise Comptable de Dunkerque la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamne la société Technifrance aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le greffierLa présidente
Stéphanie HurtrelVéronique Renard