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29/03/2019 | FRANCE | N°17/008548

France | France, Cour d'appel de Douai, A3, 29 mars 2019, 17/008548


ARRÊT DU
29 Mars 2019

N 556/19

No RG 17/00854 - No Portalis DBVT-V-B7B-QS53

PR/AG

RO

Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
13 Décembre 2016
(RG 15/01525 -section 5)

GROSSE :

aux avocats

le 29/03/19

République Française
Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme E... F...
[...]
[...]
Représentée par Me Yazid LEHINGUE, avocat au barreau de DOUAI

INTIMÉE :

SARL SOCIETE N

OUVELLE DES ETS WALLAERT
[...]
[...]
Représentée par Me Jean-françois CORMONT, avocat au barreau de LILLE
substitué par Me HIETTER

DÉBATS : à l'audience publique du 12 Mar...

ARRÊT DU
29 Mars 2019

N 556/19

No RG 17/00854 - No Portalis DBVT-V-B7B-QS53

PR/AG

RO

Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
13 Décembre 2016
(RG 15/01525 -section 5)

GROSSE :

aux avocats

le 29/03/19

République Française
Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme E... F...
[...]
[...]
Représentée par Me Yazid LEHINGUE, avocat au barreau de DOUAI

INTIMÉE :

SARL SOCIETE NOUVELLE DES ETS WALLAERT
[...]
[...]
Représentée par Me Jean-françois CORMONT, avocat au barreau de LILLE
substitué par Me HIETTER

DÉBATS : à l'audience publique du 12 Mars 2019

Tenue par Patrick REMY
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Valérie COCKENPOT

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Sabine MARIETTE : PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Béatrice REGNIER : CONSEILLER
Patrick REMY : CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2019,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Sabine MARIETTE, Président et par Annick GATNER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 12 juin 2017, avec effet différé jusqu'au 12 février 2019

Mme E... F... a travaillé pour la société Nouvelle des Ets Wallaert (ci-après la société) à compter du 2 novembre 2010, d'abord en missions d'intérim et dans le cadre de deux contrats à durée déterminée puis, à compter du 1er juin 2012, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité d'assistante administrative.

Sa rémunération brute mensuelle s'élevait à la somme de 2 275,05 euros.

En février 2014, Mme F... s'est portée candidate aux élections professionnelles et elle a été élue déléguée du personnel suppléant.

Le 10 juin 2014, il a été confirmé à Mme F... qu'elle s'était vue retirer un certain nombre de tâches.

Le 9 juillet 2014, Mme F... a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur.

Le 22 août 2014, Mme F... a saisi le conseil de prud'hommes de Lille pour lui faire dire que sa prise d'acte avait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et, en conséquence, faire condamner la société à lui verser plusieurs sommes, dont des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Par jugement du 13 décembre 2016, auquel il y a lieu de se reporter pour l'exposé des faits, prétentions et moyens antérieurs des parties, le conseil de prud'hommes de Lille a :

Dit que la rupture du contrat de travail de Mme F... devait être considérée comme une démission,

Débouté Mme F... de sa demande au titre du harcèlement moral,

Débouté la société de ses demandes reconventionnelles,

Laissé aux parties la charge des entiers frais et dépens de l'instance.

Mme F... a interjeté appel de ce jugement par déclaration enregistrée le 5 avril 2017.

Une ordonnance du 12 juin 2017 a fixé un calendrier de procédure, une clôture différée au 12 février 2019 et l'audience de plaidoirie au 12 mars 2019.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 10 juin 2017, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, Mme F... demande à la cour de :
In rmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Lille rendu le 13 décembre 2016,

Fixer son salaire brut à la somme de 2.275,05 euros par mois,

Requali er sa démission en prise d'acte et ce à la date du 9 juillet 2014,
Condamner l'employeur au paiement de la somme de 45.500 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamner l'employeur au paiement de la somme de 4.550 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

Condamner l'employeur au paiement de la somme 1.820 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

Condamner l'employeur au paiement de la somme de 22.750 euros à titre de dommages et intérêts,

Condamner l'employeur au paiement de la somme de 3.000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

En outre, Mme F... a transmis de nouvelles conclusions et pièces par RPVA le 7 mars 2019.

Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 11 juillet 2018, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, la société Nouvelle des Ets Wallaert demande à la cour de :
Débouter Madame F... de l'ensemble de ses demandes.

Y ajoutant

Condamner Madame F... au paiement de la somme de 4.550 € au titre du préavis,

La condamner reconventionnellement au paiement d'une somme de 1.200 € sur le fondement de l'article 700 du CPC.

En outre, la société a transmis par RPVA le 8 mars 2019 des conclusions procédurales aux fins de rejet des conclusions et pièces de l'appelant signifiées le 7 mars 2019.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la recevabilité des conclusions

En application des dispositions de l'article 783 du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.

Il résulte de l'ordonnance du 12 juin 2017, prise sur le fondement de l'article 905 du code de procédure civile que la clôture a été fixée au 12 février 2019.

En conséquence, les nouvelles conclusions et pièces transmises par Mme F... le 7 mars 2019 par RPVA, sont irrecevables.

La cour en conclut que seules doivent être prises en compte les conclusions et pièces que Mme F... a signifiées par RPVA le 10 juin 2017.

Sur le harcèlement moral et de la discrimination invoqués à l'appui de la prise d'acte:

Mme F... fait valoir que c'est à partir du moment où elle s'est portée candidate aux élections professionnelles et qu'elle a été élue déléguée du personnel suppléant que son employeur lui a retiré une bonne partie, en fait l'essentiel de ses fonctions au motif selon l'employeur qu'elle ne puisse divulguer des informations confidentielles.
En outre, c'est au même moment que les délégués du personnel ont mis en lumière les 30 minutes d'heures supplémentaires que les salariés effectuent, sans qu'elles leur soient payées.
Mme F... ajoute qu'elle a saisi l'inspection du travail devant laquelle l'employeur a reconnu qu'il lui avait retiré, sans raison, des fonctions.
Ainsi, elle a été « mise au placard » pour avoir dénoncé des pratiques illégales de la société. L'employeur l'a ensuite harcelée en claquant violemment la porte de son bureau, en ne lui permettant plus d'entretenir des relations avec ses collègues. Moyennant quoi, elle a développé un syndrome dépressif.
Enfin, le 9 juillet 2014, elle s'est retrouvée seule face à plusieurs personnes lors d'un entretien au cours duquel il lui a été demandé de démissionner et au terme duquel elle est sortie en pleurant.

La société soutient au contraire que seule la réception, la vérification et la transmission des fiches de paie a été retirée à Mme F..., c'est à dire une tâche qui ne lui prenait tout au plus que deux heures par mois et que pour le reste elle continuait à assumer les tâches qui étaient les siennes, de telle sorte que sa prise d'acte doit être assimilée à une démission.
En l'espèce, Mme F... n'apporte aucun élément de preuve permettant d'apporter un commencement de preuve du harcèlement moral, elle n'a d'ailleurs jamais alerté son employeur de faits de cette nature.
Quant à la discrimination syndicale, Mme F... ne s'est jamais présentée sous une étiquette syndicale et en tout état de cause, la simple allégation d'une discrimination par un salarié sans la production d'aucune pièce susceptible d'étayer sa demande n'est évidemment pas suffisante.

• S'agissant de la discrimination syndicale

Mme F... fait valoir que la discrimination syndicale s'applique aussi aux délégués du personnel et qu'en ce qui la concerne, elle a commencé à subir le harcèlement moral, c'est à dire une suppression de ses tâches, à partir du moment où elle a été, en février 2014, candidate et élue délégué du personnel suppléant.

La société intimée objecte qu'il semblerait que Mme F... ne se soit jamais portée candidate sous étiquette syndicale en sachant qu'en tout état de cause, elle n'apporte pas la preuve de la discrimination syndicale.

Il résulte des articles L.1132-1 et L.2141-5 du code du travail que l'employeur ne peut prendre en considération l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions, notamment en matière de conduite et de répartition du travail, l'exercice d'une activité syndicale incluant également le fait de se présenter comme candidat aux élections professionnelles et d'exercer un mandat, y compris d'élu du personnel, que ce soit à titre de titulaire ou de suppléant. En revanche, la méconnaissance par l'employeur des attributions des institutions représentatives du personnel ne constitue pas en soi une discrimination syndicale au sens de l'article L.1132-1 du code du travail.

Aux termes de l'article L.1134-1 du code du travail, le salarié qui se prétend victime d'une discrimination présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi no 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, la cour relève que la société a reconnu dans ses écritures et lors de la réunion no1 des délégués du personnel du 10 juin 2014 avoir, à tout le moins, retiré à Mme F... « la réception, la vérification et la transmission des fiches de paie » et ceci parce que c'est mieux pour la confidentialité de l'entreprise.
Il est matériellement établi que Mme F... s'est vue retirer ces tâches après qu'elle eut été candidate aux élections de délégué du personnel et élue délégué du personnel suppléante en février 2014.
En outre, il ressort des pièces versées aux débats que les délégués du personnel ont réclamé à la direction le paiement aux salariés de 30 minutes d'heures supplémentaires qui ne leur étaient pas payées, au vu de leurs bulletins de paie, ce qui a amené l'inspection du travail à exercer un contrôle dans l'entreprise en avril 2014.

La cour déduit de l'ensemble des éléments soumis à son appréciation que ces faits sont suffisamment précis et concordants pour laisser supposer que Mme F... s'est vu retirer des tâches au motif qu'elle avait été candidate aux élections, élue suppléant et réclamé le respect des droits des salariés.

En réponse, l'employeur se contente d'affirmer que Mme F... n'étaye pas suffisamment la discrimination et pour justifier sa décision de retrait de tâches, il affirme que ces tâches relatives aux fiches de paie ne prenaient à Mme F... que deux heures par mois, que les fiches de paie étaient élaborées par le cabinet d'expertise comptable et que ce retrait est justifié pour des raison de confidentialité.
La cour relève que peu importe du point de vue de la discrimination l'importance des tâches qui ont été supprimées et que le motif tiré de la confidentialité au sujet de données qui ne sont pas par nature confidentielles renforce au contraire l'existence d'un lien entre le retrait de ces tâches et l'exercice de l'activité syndicale de Mme F....

La cour en conclut que faute pour la société intimée de prouver que sa décision de retirer des tâches à Mme F... était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la discrimination syndicale est en l'espèce établie.

• S'agissant du harcèlement moral :

Selon l'article L.1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1154-1 du Code du travail que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail, en sachant qu'ils peuvent s'être déroulés sur une brève période. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien du harcèlement moral dont elle se prétend victime, Mme F... verse aux débats les éléments suivants :
– une fiche de « liste de mes tâches avant élection des DP »
– une fiche « liste de mes tâches après élection des DP »
– le compte-rendu de réunion du personnel no1 du 10 juin 2014 signé à la fois par X..., délégué titulaire, Mme F..., délégué suppléante et D..., Directeur et qui mentionne à la fin le fait que « nous avons également évoqué le fait qu'on a retiré à Mme F... son travail. E... F... nous dit ne plus avoir de travail depuis mars et s'ennuyer aujourd'hui au point qu'elle envisage de quitter la société. Il nous est répondu qu'elle ne récupèrera pas ce qui lui a été enlevé. La direction et le gérant ne lui reconnaissent aucune faute, mais restent sur leur position. En évoquant que c'est mieux pour la confidentialité de l'entreprise. Elle perd donc la majeure partie de son travail, la vérification de la banque, paie, intempérie...par contre elle récupèrera les factures qu'y étaient depuis confiée à Thibaut K... ».
– un courrier du 4 août 2014 adressé par l'inspection du travail à Mme F... qui fait état du contrôle qu'elle a exercé le 9 juillet 2014 dans l'entreprise, suite à la sa saisine par Mme F... le 3 juillet 2014 : « Interrogé sur les missions qui vous ont été retirées, M. D... indique qu'il a agi par souci de confidentialité. Cependant, D... n'a pas pu m'apporter d'élément concret justifiant cette décision à votre égard. Au regard de la liste des tâches accomplies avant et après les élections, document que vous m'avez remis lors du contrôle, j'ai pu constater que : - les bulletins de salaire ne sont plus dans votre bureau depuis le mois de février 2014, - les derniers documents traités relatifs aux intempéries datent de mars 2014, - il n'y a pas de courrier sur votre bureau, - vous n'avez reçu aucun appel en ma présence (plus d'une heure d'entretien), - un salarié interrogé a confirmé établir les factures et s'occuper des appels d'offre depuis le mois de février 2014 (en plus de son travail)
Vous m'avez, en outre, indiqué que le travail préparatoire à l'établissement des bulletins de salaires et à leur vérification représentait 40% de votre travail. Le retrait de ces missions a, par ailleurs, été reconnu par la Direction lors de la réunion des délégués du personnel du 10 juin 2014 et notifié dans le compte rendu (...) ».
– une attestation manuscrite du 10 juillet 2014 de Mme X... Z..., femme d'entretien dans la société, qui certifie que Mme F... est sortie perturbée et en pleurs de l'entretien qu'elle a eu à huit clos dans le bureau du directeur avec le gérant et deux autres personnes étrangères à la société.
– Une déclaration de main courante de Mme F... du 10 juillet 2014 qui affirme avoir été prise à partie le 9 juillet par 4 personnes, dont le gérant et le comptable de la société, qui l'ont interrogée et harcelée pour établir une rupture conventionnelle.
– Un certificat médical du Dr Y... du 10 juillet 2014 qui affirme que Mme F... lui a dit avoir subi depuis début mars 2014 un harcèlement, retrait de responsabilité et qu'elle constate un syndrome anxio-dépressif entraînant crise d'angoisse, insomnie...
– plusieurs échanges par courriers entre l'inspection du travail et la société SN Wallaert suite au contrôle que l'inspection a réalisé dans les locaux de l'entreprise le 24 avril 2014, notamment en matière de durée du travail par rapport au fait que les salariés commençaient à travailler effectivement à partir de 7 h 30, alors que leur horaire indiquait 8 h 00.
– une fiche descriptif assistant de direction
– plusieurs mails et documents attestant des tâches que Mme F... réalisait et de la procuration postale dont elle disposait,
– des photos de son bureau avant et après le retrait essentiel de ses fonctions,

S'agissant d'abord du retrait des fonctions de Mme F..., la cour rappelle qu'un employeur peut retirer des tâches à un salarié ordinaire par son pouvoir de direction sans avoir à justifier ce changement des conditions de travail.
La cour relève toutefois que ce retrait de certaines tâches, qui est en l'espèce matériellement établi pour être reconnu par l'employeur, est discriminatoire comme cela a été vu.
La cour ajoute que Mme F... étant déléguée du personnel suppléante, un tel changement des conditions de travail, comme un retrait de tâches seulement ponctuelles, ne pouvait de toute façon pas lui être imposé, indépendamment de toute discrimination.
La cour relève enfin qu'en plus de concerner la réception, la vérification et la transmission des fiches de paie comme le reconnaît l'employeur lui-même dans ses écritures, ce retrait des tâches a également porté, comme l'atteste l'inspection du travail, sur la gestion des intempérie et les appels d'offres.
Même à supposer que ces différentes tâches ne représentaient qu'une faible partie du temps de travail de Mme F... et qu'elles aient donc pu lui être retirées, sans modifier sa qualification, donc par le pouvoir de direction de son employeur, il ressort des pièces versées au débat que ce retrait a eu sinon pour objet et en tout cas pour effet de la pousser à partir de l'entreprise.

La cour en conclut que cet agissement du retrait des tâches doit être retenu indépendamment même de savoir si d'autres tâches lui ont été retirées et donc indépendamment même de savoir si Mme F... a été effectivement « mise au placard » comme elle le soutient à l'appui de listes de tâches (avant et après) et de photos de son bureau qui ne sont pas, en elles-mêmes, probantes.

S'agissant, ensuite, de l'entretien du 9 juillet 2014 en début d'après-midi, il n'y a pas de raison de douter de la valeur probante de l'attestation fournie par Mme X.... Il ressort donc de cette attestation et des autres éléments versés aux débats que Mme F... a été reçue par quatre personnes en vue de lui faire comprendre, par des menaces diverses, qu'elle devait quitter l'entreprise, soit par une démission, soit par une rupture conventionnelle.

La cour en conclut que contrairement à ce que soutient la société, l'agissement du retrait des tâches n'est donc pas isolé et que les faits matériellement établis constituent des agissements répétés qui, pris dans leur ensemble, avec le certificat médical produit, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, même si ces agissements se sont déroulés sur une courte période.

La cour relève que la société intimée se contente d'invoquer de simples contrariétés relevant du quotidien de la relation de travail et le fait que Mme F... n'apporte aucun élément de preuve, qu'elle n'a jamais fait état d'un harcèlement moral avant sa prise d'acte.

Ce faisant, la société intimée ne prouve pas que ses agissements, qui sont matériellement établis, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

La cour estime que Mme F... a subi un préjudice spécifique du fait de ce harcèlement moral et des circonstances vexatoires de la rupture de son contrat qu'il convient d'évaluer à la somme de 5 000 euros.

Il y a donc lieu de condamner la société SN Wallaert à payer à Mme F... la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et conditions vexatoires de la rupture.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la prise d'acte :

• S'agissant des effets de la prise d'acte
Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d'acte par laquelle le salarié rompt son contrat de travail aux torts de son employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque les manquements qu'il reproche à son employeur sont suffisamment graves au point d' empêcher la poursuite du contrat de travail ; à défaut, elle produit les effets d'une démission.
Il appartient au salarié d'établir que les manquements de l'employeur sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

En l'espèce, la cour considère que le harcèlement moral dont Mme F... a été victime constitue un manquement suffisamment grave qui l'a empêché de poursuivre l'exécution de son contrat de travail.

La cour en conclut que la prise d'acte par Mme F... de la rupture de son contrat de travail au 9 juillet 2014 produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

• S'agissant des conséquences financières

Il convient de condamner la société Nouvelle des Ets Wallaert à payer à Mme F... la somme qu'elle réclame de 4 550 euros, et dont le quantum n'est pas contesté par la société, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, ainsi que la somme qu'elle réclame de 1 820 euros, dont le montant n'est pas davantage contesté par la société, au titre de l'indemnité légale de licenciement.

En outre, en considération de l'ancienneté de Mme F... (près de 4 ans), de sa rémunération brute mensuelle (2 275,05 euros), de son âge (48 ans au moment de la rupture), de sa formation et de sa capacité à retrouver un nouvel emploi, mais aussi du fait qu'elle ne justifie ni de ses recherches d'emploi, ni de sa situation au regard de l'emploi, il convient de lui allouer la somme de 15 930 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il y a donc lieu de condamner la société Nouvelle des Ets Wallaert à payer à Mme F... la somme de 15 930 euros.

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail il y lieu d'ordonner le remboursement par la société intimée des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à Mme F... postérieurement à sa prise d'acte, dans la limite de six mois.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Le jugement sera infirmé de ces deux chefs et compte tenu de l'issue du litige, la société Nouvelle des Ets Wallaert sera en outre condamnée à payer à Mme F... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'elle a engagés en première instance et en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare irrecevables les conclusions et pièces déposées et notifiées par Mme E... F... le 7 mars 2019 postérieurement à l'ordonnance de clôture ;

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Lille du 13 décembre 2016 en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et Y ajoutant,

Dit que le harcèlement moral et la discrimination syndicale sont établis,

Dit que la prise d'acte par Mme E... F... de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne en conséquence la société Nouvelle des Ets Wallaert à payer à Mme E... F... les sommes suivantes :
– 5 000 euros de dommage et intérêts au titre du harcèlement moral et des conditions vexatoires de la rupture,
– 4 550 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
– 1 820 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
– 15 930 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne à la société Nouvelle des Ets Wallaert de rembourser les indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à Mme E... F... postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois,

Déboute Mme E... F... du surplus de ses demandes,

Déboute la société Nouvelle des Ets Wallaert de l'ensemble de ses demandes,

Condamne la société Nouvelle des Ets Wallaert aux entiers dépens.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

A. GATNER. S. MARIETTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : A3
Numéro d'arrêt : 17/008548
Date de la décision : 29/03/2019
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.douai;arret;2019-03-29;17.008548 ?
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