ARRÊT DU
29 Mars 2019
N 473/19
No RG 17/00844 - No Portalis DBVT-V-B7B-QS2X
BR/AG
RO
AJ
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS
en date du
20 Mars 2017
(RG 15/00557 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 29/03/19
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
Mme Z... F... épouse M...
[...]
[...]
Représentée par Me Gérald VAIRON, avocat au barreau de BETHUNE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 5917800217/004040 du 18/04/2017 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉ :
SARL O2 ARRAS
[...]
[...]
Représentée par Me Franck TREFEU, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l'audience publique du 12 Mars 2019
Tenue par Béatrice REGNIER
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Sophie DELVALLEE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Sabine MARIETTE : PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Béatrice REGNIER : CONSEILLER
Patrick REMY : CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2019,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Sabine MARIETTE, Président et par Annick GATNER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 12 Juin 2017, avec effet différé jusqu'au 12 février 2019
Mme S... F... épouse M... a été engagée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps partiel le 15 décembre 2012 par la SARL O 2 Arras en qualité d'assistante de vie et de garde d'enfants.
Elle a fait l'objet d'un avertissement le 23 mai 2013.
Après avoir été convoquée le 9 mai 2014 à un entretien préalable fixé au 2 juin suivant, elle a été licenciée pour faute grave le 17 juin 2014.
Contestant le bien-fondé de cette mesure, elle a saisi le 17 mars 2015 le conseil de prud'hommes de Lens qui, par jugement du 20 mars 2017, l'a déboutée de l'ensemble de ses prétentions et a rejeté la demande de la SARL O 2 Arras sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 4 avril 2017, elle a interjeté appel du jugement.
Par conclusions enregistrées le 10 octobre 2017, elle demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de :
- "reconnaître" la nullité du contrat de travail ;
- dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
- de condamner la SARL O 2 Arras à lui payer les sommes de :
- 493,75 euros à titre de rappel de salaire 2012,
- 13 734,60 euros à titre de rappel de salaire 2013,
- 7 896 euros à titre de rappel de salaire 2014,
- 11 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2 927,23 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 585,44 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner sous astreinte la SARL O 2 Arras à lui remettre une attestation Pôle emploi et un certificat de travail rectifiés.
Elle soutient que :
- son contrat de travail est nul et doit être requalifié en ce qu'il ne contient aucune précision sur les horaires de travail, la laissant ainsi dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle doit travailler ; qu'elle a donc droit à un rappel de salaire sur la base d'un travail à temps complet ;
- l'abandon de poste qui a motivé son licenciement était justifié par l'impossibilité de poursuivre la relation contractuelle compte tenu des manquements de la SARL O 2 Arras et de sa situation de précarité ; que la société s'est en effet abstenue de lui payer ses congés payés et ses frais de déplacement, l'a contrainte à se tenir constamment à sa disposition et lui a confié des missions incompatibles avec le contrat de travail.
Par conclusions enregistrées le 26 juin 2018, la SARL O 2 Arras demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner Mme M... à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- le contrat à temps partiel choisi dont bénéficiait Mme M... était parfaitement conforme aux dispositions du code du travail ; que la demande tendant à sa nullité ne peut prospérer dès lors qu'aucune condition requise pour sa validité n'est méconnue ; qu'il ne peut davantage être requalifié en contrat à temps plein dans la mesure où les irrégularités soulevées ne sont pas constituées et dans la mesure où, en tout état de cause, Mme M... savait à l'avance à quel rythme elle devait travailler et n'était pas tenue de se tenir constamment à la disposition de son employeur ;
- l'abandon de poste commis par Mme M... est caractérisé et constitue une faute grave ; que la salariée ne peut valablement exciper de manquements de la part de l'entreprise, non établis et en tout état de cause ne justifiant pas une exception d'inexécution ; que, bien qu'invitée à le faire, elle n'a pas pris ses congés correspondant à la période du 1er mai 2013 au 31 mai 2014 et a par ailleurs perçu l'indemnité de congés payés pour la période postérieure (équivalente à 13 jours) ; qu'elle n'a nullement demandé à bénéficier de congés payés à l'été 2013 ; que ce n'est que par erreur que le siège social de l'agence n'a pas été inclus dans le secteur géographique de Mme M... et qu'en tout état de cause la prestation en cause date de juin 2013 ; que les tâches de ménage-repassage relevaient de ses attributions ;
- si elles devaient être allouées, l'indemnité de licenciement ne saurait dépasser 14,93 euros et l'indemnité de préavis 47,26 euros.
SUR CE :
1) Sur la régularité du contrat de travail :
Attendu, d'une part, qu'aucune disposition conventionnelle applicable à la SARL O 2 Arras ne prévoit la possibilité de recourir au contrat à temps partiel choisi; que le texte élaboré dans le cadre des négociations de la convention collective nationale des entreprises de services à la personne produit en pièce 28 par la société a en effet donné lieu à une opposition d'une partie des syndicats et n'est donc pas entré en vigueur, les organisations d'employeurs et de salariés ayant simplement convenu, selon accord du 20 septembre 2012, de poursuivre les négociations entreprises à ce titre ;
Attendu, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 3123-14 du code du travail dans sa rédaction applicable : "Le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit. / Il mentionne : / 1o La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et les salariés relevant d'un accord collectif de travail conclu en application de l'article L. 3122-2, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ; / 2o Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ; / 3o Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d'aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ; / 4o Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixée par le contrat. (...)" ; que la non-conformité du contrat à temps partiel entraîne une présomption simple de l'existence d'un contrat de travail à temps complet ; qu'il incombe alors à l'employeur, pour combattre cette présomption, de rapporter la preuve, d'une part de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur ;
Attendu qu'en l'espèce le contrat de travail de Mme M... précise que la salariée exercera ses fonctions à temps partiel choisi, compte tenu de la spécificité de son travail dont le volume est entièrement dépendant de sa volonté ; qu'il ajoute que la salariée indiquera librement la durée mensuelle de travail qu'elle souhaite adopter sur le mois considéré, au regard des missions à pourvoir au sein de la société, l'employeur garantissant toutefois un horaire mensuel de 8 heures ; qu'il indique enfin que la salariée a une totale autonomie dans la répartition de sa durée mensuelle de travail, le nombre d'heures journalier, les jours de travail et les horaires de travail étant fixés de sa propre initiative sans que la société ne puisse intervenir sur les modalités de répartition de la durée du travail ;
Qu'il ne mentionne donc pas la durée hebdomadaire ou le cas échéant mensuelle prévue, la seule référence à un horaire mensuel garanti étant à cet égard insuffisante ; qu'en effet la durée garantie ne constitue pas la durée convenue entre les parties et au delà de laquelle toute heure effectuée par le salarié est une heure complémentaire, comme telle soumise à la majoration prévue à l'article L. 3123-17 du code du travail ; que la cour rappelle à ce titre que toutes les heures accomplies au-delà de la durée prévue par le contrat de travail à temps partiel sont des heures complémentaires, qu'elles soient imposées ou non par l'employeur, et qu'il n'est pas possible de déroger aux dispositions d'ordre public des articles L. 3123-14 et L. 3123-17 du code du travail susvisées ; que le contrat de travail fondé sur le "libre choix" par le salarié de son temps d'activité revient à éluder les dispositions d'ordre public du code du travail relatives à la durée du travail à temps partiel et à la rémunération des heures complémentaires accomplies dans ce cadre ;
Attendu que le contrat litigieux est donc présumé à temps complet et qu'il appartient à la SARL O 2 Arras de rapporter la preuve de la durée exacte du travail convenue, ce qu'elle ne fait pas dès lors qu'elle reconnaît elle-même que seul un minimum garanti avait été prévu ;
Attendu que, par suite, il est fait droit, non à la demande de nullité du contrat dès lors qu'aucune des conditions de validité édictée par l'article 1108 du code civil dans sa rédaction applicable n'est remise en cause, mais à la demande de requalification en contrat à temps complet ; que les demandes de rappel de salaire portant sur la différence entre la rémunération à temps plein et la rémunération effetivement perçue au cours des années 2012, 2013 et 2014 est également accueillie ;
2) Sur le licenciement :
Attendu qu'il convient de rappeler que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ;
Que par ailleurs la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis, la charge de la preuve pesant sur l'employeur ;
Attendu qu'en l'espèce Mme M... a été licenciée pour faute grave par lettre du 17 juin 2014 pour abandon de poste et absence injustifiée à compter du 11 avril 2014 en dépit d'une mise en demeure du 26 avril suivant, la société ajoutant que cette situation engendre une grave désorganisation de ses services et entraîne une mécontentement de ses clients ainsi que des difficultés de gestion ;
Attendu que Mme M... ne conteste pas son absence depuis le 11 avril 2014 mais l'estime non fautive en raison des manquements commis par la SARL O 2 Arras empêchant la poursuite du contrat de travail ;
Attendu toutefois qu'aucun des manquements imputés par la salariée à son employeur, à les supposer établis, ne l'autorisait à abandonner son poste et à s'abstenir de répondre à la mise en demeure qui s'en est suivie, alors même que l'entreprise invitait Mme M... à fournir des nouvelles ; que l'appelante ne s'est pas davantage présentée à l'entretien préalable, au cours duquel elle aurait eu tout le loisir d'évoquer les difficultés rencontrées au sein de l'entreprise ; que ce n'est qu'un mois après la rupture de son contrat de travail qu'elle a fait part de ses doléances ; que la cour retient dès lors que le licenciement pour faute grave de Mme M... est justifié et déboute la salariée de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts ;
3) Sur la remise des documents de rupture :
Attendu que, compte tenu de la solution donnée au litige, la demande est accueillie concernant la seule attestation Pôle emploi ;
4) Sur les frais irrépétibles :
Attendu que Mme M..., qui a bénéficié de l'aide juridictionnelle totale tant en première instance qu'en cause d'appel et ne justifie d'aucun frais particulier, est déboutée de sa demande d"indemnité formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- débouté Mme Z... M... de ses demandes tendant à voir prononcer la nullité du contrat de travail, dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et condamne la SARL O 2 Arras au paiement des indemnités de rupture, de dommages et intérêts pour licenciement abusif et d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de la SARL O 2 Arras sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant,
Requalifie le contrat de Mme Z... M... en contrat à temps complet,
Condamne la SARL O 2 Arras à lui payer les sommes de :
- 493,75 euros à titre de rappel de salaire 2012,
- 13 734,60 euros à titre de rappel de salaire 2013,
- 7 896 euros à titre de rappel de salaire 2014,
Ordonne à la SARL O 2 Arras de remettre à Mme Z... M... une attestation Pôle emploi rectifiée,
Dit qu'à défaut d'exécution volontaire dans les quinze jours de la signification du présent arrêt, elle sera contrainte de s'exécuter sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard, passé ce délai, l'astreinte étant limitée à six mois passé lequel il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir le juge de l'exécution pour qu'il soit de nouveau fait droit,
Déboute Mme Z... M... de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,
Condamne la SARL O 2 Arras aux dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
A. GATNER. S. MARIETTE.