ARRÊT DU
29 Mars 2019
N 527/19
No RG 17/00354 - No Portalis DBVT-V-B7B-QPCU
CPW/AG
RO
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de ROUBAIX
en date du
19 Janvier 2017
(RG 16/00062 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 29/03/19
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
Mme O... T...
[...]
Représentée par Me Jean-luc WABANT, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE
[...]
Représentée par Me Jean-luc HAUGER, avocat au barreau de LILLE
substitué par Me BONNEVALLE
DÉBATS : à l'audience publique du 10 Janvier 2019
Tenue par Caroline PACHTER-WALD
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Nadine BERLY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Véronique SOULIER : PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Leila GOUTAS : CONSEILLER
Caroline PACHTER-WALD : CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2019,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Véronique SOULIER, Président et par Annick GATNER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 3 mai 2017, avec effet différé jusqu'au 10 décembre 2018
EXPOSE DU LITIGE :
Mme T... O... a été embauchée par la société Distribution Casino France (ci-après dénommée société Casino) suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (28 heures par semaine) à compter du 28 septembre 2002, en qualité d'employée commerciale confirmée (correspondant à un poste d'hôtesse de caisse) niveau 2 échelon B de la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire. A compter du 1er juin 2003, la durée du travail a été portée à 30 heures par semaine.
Le 1er mars 2007, Mme T... a bénéficié d'une promotion en qualité de responsable commerciale, correspondant aux fonctions de première hôtesse de caisse.
La salariée a été placée en arrêt de travail de droit commun :
- du 8 octobre 2007 au 8 juin 2008,
- du 3 octobre 2008 au 8 novembre 2009,
- du 25 janvier au 2 février 2011,
- puis du 28 mai 2011 au 30 juin 2013.
A l'issue d'une première visite de reprise du 1er juillet 2013, le docteur M..., médecin du travail a conclu de la façon suivante : " Inapte au poste de responsable commerciale à prévoir. A revoir à l'issue du délai légal des 2 semaines pour avis définitif. CAPACITÉS RESTANTES : peut effectuer un travail :
- assis sous réserve d'une étude et d'un aménagement ergonomique adapté,
- à temps partiel de l'ordre d'un mi-temps par exemple,
- sans manutention de charges lourdes,
- en évitant toute sollicitation du rachis dorsolombaire (pas de travaux penchée en avant)."
A l'issue de la seconde visite de reprise du 19 juillet 2013, le docteur I..., médecin du travail a confirmé l'inaptitude de la façon suivante : " Inapte au poste, apte à un autre (art. R. 4624-31 du CT). Après étude de poste de responsable commerciale réalisée le 11/7/2013. Inaptitude à ce poste confirmée. Capacités restantes : apte à un poste assis sous réserve d'une étude et d'un aménagement ergonomique adapté, au maximum à 70% du temps de travail, sans manutention de charges lourdes, sans manutention répétée, en évitant toute sollicitation du rachis dorsolombaire (pas de travaux en position penchée en avant ou avec torsion du tronc)".
Par courrier du 24 juillet 2013, l'employeur a informé Mme T... de la mise en oeuvre d'une recherche de reclassement à son profit, auquel la salariée a répondu le 30 juillet suivant en précisant qu'elle entendait étudier "toute proposition au niveau régional, pourvu qu'elle soit compatible avec [son] état de santé et à un avis médical en ce sens."
Par lettre du 19 août 2013, l'employeur l'a informée de l'impossibilité de la reclasser au sein de la société et du groupe, et l'a convoquée à un entretien préalable fixé au 27 août 2013. Son licenciement lui a été notifié le 30 août 2013 pour inaptitude à son poste de travail et impossibilité de reclassement.
Contestant cette mesure et réclamant diverses sommes au titre des indemnités de rupture et à titre de dommages et intérêts, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Roubaix qui, par décision du 19 janvier 2017, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et a débouté la société Casino de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Par déclaration adressée par la voie électronique le 17 février 2017, Mme T... a interjeté appel de cette décision dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées par les parties.
Par ordonnance en date du 3 mai 2017, l'affaire a été fixée selon la procédure de l'article 905 du code de procédure civile et la clôture de la procédure a été prononcée avec effet différé au 10 décembre 2018.
Mme T... demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de :
- dire son licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, et condamner la société Casino à lui payer les sommes suivantes :
1/ 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail ;
2/ 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination ;
3/ 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat ;
4/ 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2 721,52 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 272,15 euros au titre des congés payés afférents ;
5/ 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrats ;
6/ 3 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonner la capitalisation des intérêts dûs sur une année entière ;
- condamner la société Casino aux dépens.
La société Casino demande à la cour de confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et de condamner Mme T... à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions qui ont été déposées :
- le 2 août 2017 pour Mme T... ;
- le 16 octobre 2017 pour la société Casino.
MOTIFS :
1 / Sur le manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail:
Mme T... invoque la non exécution de bonne foi du contrat de travail par l'employeur, au motif qu'à une époque contemporaine de son licenciement, il aurait organisé le licenciement "d'un certain nombre de salariés" de l'entreprise pour inaptitude et ce, sur la base d'avis d'inaptitude de complaisance délivrés par le docteur I... à sa demande, afin de "réguler l'effectif du magasin tout en évitant une procédure de licenciement économique".
Toutefois, au soutien de ses allégations, elle se contente de produire une attestation de M. J... non circonstanciée, qui ne fait état d'aucun fait précis et objectif, et qui est en outre rédigée sans la mesure et l'impartialité crédibilisant ce type de témoignage dès lors que l'intéressé expose son appréciation personnelle de la situation.
De plus, il y a lieu de relever que :
- Mme T... fonde sa demande sur l'existence de nombreux licenciements mais sans les chiffrer et sans évoquer d'autres situations que celle de M. X... ; à ce titre, la production sollicitée du registre des entrées et sorties du personnel n'est pas pertinente dès lors que le motif de sortie de l'entreprise n'y figure pas ;
- la proximité des dates de licenciement pour inaptitude de Mme T... et M. X... s'expliquent par le fait que les deux salariés, tous deux placés en arrêt de travail longue durée, ont sollicité une visite de reprise à seulement quelques semaines d'intervalle ;
- la salariée ne produit pas le moindre document établissant l'existence de difficultés économiques permettant de valider sa thèse portant sur des licenciements économiques évités au moyen de licenciements pour inaptitude.
Il s'y ajoute que :
- compte tenu de la demande formulée par la salariée, l'employeur avait l'obligation d'organiser une visite de reprise puis, sur la base de l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail, sans être ensuite maître du calendrier ;
- le médecin du travail n'est pas employé par la société Casino, et il n'existe aucun lien de subordination entre eux ;
- Mme T... ne produit pas le moindre élément justifiant de faits datés et précis de nature à établir l'existence d'une pression exercée par la société sur le médecin du travail pour le déterminer à établir des avis d'inaptitude ;
- l'examen de ses avis d'inaptitude permet de constater que le docteur I..., ciblé par Mme T..., n'est intervenu que dans le cadre de la seconde visite de reprise en ne faisant que confirmer l'avis donné par le docteur M... lors de la première visite ;
- la salariée n'a pas exercé de recours à l'encontre de l'avis d'inaptitude, qu'elle n'a pas même en son temps contesté auprès de l'employeur, de sorte qu'il s'imposait aux parties.
Il se déduit de ces éléments l'absence d'un manquement fautif de l'employeur à ses obligations contractuelles. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme T... de sa demande de dommages et intérêts.
2/ Sur les dommages et intérêts pour discrimination :
L'article L.1132-1 du code du travail prohibe toute discrimination en raison, notamment, de ses activités syndicales, de son état de santé ou de son handicap.
Selon l'article L2141-5 du même code en sa version applicable au litige, "il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail".
En vertu de l'article L.1134-1 du même code, il appartient au salarié qui se prétend lésé de soumettre au juge les éléments de fait de nature à caractériser la discrimination. Il appartient alors à l'employeur d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur l'appartenance syndicale.
L' article L2141-8 du code du travail ajoute que les dispositions des articles L.2141-5 à L.2141-7 sont d'ordre public et que "toute mesure prise par l'employeur contrairement à ces dispositions est considérée comme abusive et donne lieu à dommages et intérêts", et l'article L1134-5 alinéa 3 ajoute que les dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice résultant d'une discrimination réparent l'entier préjudice résultant de cette discrimination pendant toute sa durée.
En l'espèce, Mme T... estime avoir fait l'objet d'une discrimination de la part de la société Casino en raison de son affiliation au syndicat CFDT et en raison de son état de santé. Dans le cadre de sa demande de dommages et intérêts, elle reproche précisément à son employeur d'avoir délibérément choisi les salariés dont il souhaitait se séparer sur la base de ces deux critères. Elle explique avoir ainsi été licenciée pour inaptitude en même temps que M. X..., également adhérant au syndicat CFDT.
Au soutien de ses affirmations, elle produit :
- les documents afférents à son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement intervenu le 30 août 2013 ;
- sa carte justifiant de son adhésion au syndicat CFDT pour l'année 2015, mentionnant une adhésion au 1er janvier 2006 ;
- un courrier de l'inspection du travail du 2 août 2016 indiquant ne pouvoir confirmer son élection en 2006 au comité d'entreprise Géant Casino de Roubaix sur la liste CFDT mais précisant disposer d'une simple copie de convocation à une réunion de CE du 23 avril 2009 ;
- les documents de fin de contrat de M. X..., licencié pour inaptitude d'origine non professionnelle le 18 septembre 2013.
Ces éléments peuvent laisser présumer l'existence d'une discrimination.
Toutefois :
- aucun des documents ainsi produits n'établit la réalité d'un mandat, d'une activité syndicale de Mme T... au-delà de 2009, ni même que l'employeur aurait été postérieurement informé du maintien de son adhésion au syndicat CFDT ;
- la salariée ne justifie pas que M. X... était comme elle le prétend, à l'époque de son licenciement, adhérent au syndicat CFDT ni qu'il aurait exercé une activité syndicale ou même le cas échéant, que l'employeur aurait été informé de son affiliation ou de son activité syndicale.
Il s'y ajoute que :
- rien au dossier ne permet de remettre en cause le bien fondé de l'avis d'inaptitude rendu par la médecine du travail à l'égard de M. X..., ou même la rupture de son contrat de travail ;
- Mme T... n'a elle-même pas exercé de recours contre l'avis d'inaptitude dont le bien fondé n'est dès lors pas sérieusement remis en cause ;
- la proximité entre les deux licenciements pour inaptitude des deux salariés s'explique par la date proche à laquelle ils ont tous deux sollicité la visite de reprise à l'issue d'arrêts de travail de longue durée.
Au vu de ces avis rendus à la suite de visite de reprise sollicitées à des dates proches par les salariés, la société Casino était ainsi contrainte de mettre en oeuvre la procédure pouvant conduire à leur licenciement pour inaptitude, sans avoir aucune prise sur le calendrier.
Reste ainsi uniquement l'absence de reclassement trouvé pour les deux salariés, qui ne saurait cependant suffire à caractériser la discrimination alléguée.
Le licenciement des deux salariés est ainsi fondé sur des avis d'inaptitude qui n'ont fait l'objet d'aucun recours, et aucun des éléments du dossier n'accrédite la théorie d'un choix exercé par l'entreprise à leur égard tant à raison de l'état de santé qu'à raison d'une activité syndicale.
En l'absence de preuve d'une discrimination quelconque, le jugement qui a rejeté la demande indemnitaire sera confirmé.
3 / Sur les dommages et intérêts pour non respect des mesures de sécurité et de prévention:
Mme T... prétend que l'employeur a méconnu les prescriptions du médecin du travail, ce qui a conduit à une dégradation de son état de santé puis à son inaptitude, ce que la société Casino conteste.
Il résulte de l'article L.4121-1 du code du travail que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent les actions de prévention des risques professionnels, les actions d' information et de formation et la mise en place d 'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Les éléments communiqués font apparaître que Mme T... a fait l'objet de plusieurs arrêts de travail de droit commun prolongés à compter d'octobre 2007.
Tout d'abord, il ne saurait sérieusement être reproché à l'employeur d'avoir, sur une période de cinq années ponctuée de nombreux arrêts de travail, sollicité deux contre-visites en août 2009, après une période totale d'environ dix mois d'un arrêt de travail prolongé, précision faite que la seconde de ces visites faisait suite à l'avis négatif rendu quelques jours avant par le médecin contrôleur qui estimait l'arrêt non justifié. Ce comportement légitime de l'employeur ne démontre aucunement que, comme le prétend Mme T..., il "n'aurait pas pris au sérieux" son état de santé.
Le médecin du travail a rendu les avis suivants concernant la salariée :
- le 15 mars 2007 : apte ;
- le 3 juillet 2008, un avis d'aptitude avec réserve : "apte à la reprise à mi-temps thérapeutique pour 1 mois. Le travail doit être effectué le matin. A revoir début septembre 2008." ;
- le 18 septembre 2008, une aptitude à la reprise : "au poste d'hôtesse de caisse (possibilité de s'asseoir sans marche prolongée)" ;
- le 24 novembre 2009, dans le cadre d'une visite de reprise : "apte à la reprise en temps partiel thérapeutique, en limitant au maximum le port de charges. A revoir lors du passage à temps plein." ;
- le 11 février 2010, dans le cadre d'une visite occasionnelle à la demande de la salariée : "apte à ce poste sans marche prolongée en limitant au maximum le port de charges, sans exposition au froid, en temps partiel thérapeutique. Le travail doit être effectué le matin (maximum jusque 14h30) pendant 1 mois" ;
- le 19 mars 2010 : "apte à ce poste sans marche prolongée, en limitant au maximum le port de charges, sans exposition au froid, en temps partiel thérapeutique. Le travail doit être effectué le matin (maximum jusque 14h30) pendant un mois."
- le 22 décembre 2010, dans le cadre d'une visite périodique : apte "avec restriction : pas de marche prolongée, limiter au maximum le port de charges, pas d'exposition au froid."
Mme T... est restée affectée à une caisse comme le permettaient les restrictions médicales.
L'employeur justifie qu'il a respecté les préconisations du médecin du travail en ce qui concerne le temps partiel thérapeutique et le travail le matin (Cf: pièces 5 et 7).
Il ne ressort pas du dossier qu'elle aurait dans ce cadre été soumise au froid ou à un port de charges ne correspondant pas aux restrictions médicales à compter de février 2010.
A compter de septembre 2008, alors que Mme T... occupait déjà le poste de première hôtesse de caisse dans un établissement "Géant", le médecin du travail a préconisé l'absence de marche prolongée. La société, qui reconnaît que le poste de première hôtesse de caisse nécessite que la salariée vienne en aide à des caissières en difficulté placées à distance de sa propre caisse, ne justifie pourtant pas avoir pris la moindre mesure pour limiter la marche à la suite des préconisations du médecin du travail. Aucune précision n'a par ailleurs été demandée par l'employeur au médecin du travail. La société Casino se contente d'alléguer, ce qui est contesté par la partie adverse, qu'il s'agissait là uniquement de déplacements ponctuels et limités. Malgré les contestations, la société ne communique pas le moindre document justifiant du nombre de caisse dans l'établissement dans lequel Mme T... était affectée, de la fréquence de ses déplacements et de la distance parcourue quotidiennement par la salariée.
Il s'ensuit que le non respect des mesures de sécurité et de prévention par la société Casino est établi.
Le lien entre une dégradation de l'état de santé de Mme T... et ce manquement ressort des arrêts de travail de la salariée et des avis rendus par le médecin du travail en septembre 2008 puis à compter de février 2010 reprenant la difficulté liée à la marche prolongée. L'existence d'un lien certain entre ce manquement et l'inaptitude de la salariée n'est en revanche pas évident à la lecture des avis du médecin du travail de juillet 2013. Or, Mme T... ne produit pas d'autre élément médical ou technique permettant d'établir ce lien, qui ne sera donc pas retenu.
Le manquement établi a causé un préjudice à Mme T..., qui n'a pas été mise en mesure de se protéger dans l'exercice de ses fonctions, qui sera intégralement réparé par l'attribution de dommages et intérêts à hauteur d'une somme de 2 000 euros. Le jugement sera infirmé de ce chef.
4 / Sur le licenciement :
Il résulte des développements qui précèdent que le licenciement n'a pas été prononcé en violation des dispositions relatives à la non discrimination. En conséquence, Mme T... ne peut qu'être déboutée de sa demande tendant à en voir prononcer la nullité. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Par ailleurs, le lien entre l'inaptitude et le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat n'est pas établi.
Mme T... invoque cependant également le manquement de l'employeur à son obligation de recherche loyale et sérieuse de reclassement, ce qu'il conteste.
En vertu de l'article L.1226-2 du Code du travail dans sa version applicable au litige, le reclassement du salarié déclaré inapte à son poste doit être recherché en tenant compte des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise, dans un emploi approprié à ses capacités, et aussi comparable que possible à celui précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.
Si l'obligation de reclassement n'est qu'une obligation de moyens, pour que l'employeur justifie avoir satisfait à cette obligation, encore faut-il qu'il rapporte la preuve qu'il a mis en oeuvre tous les moyens nécessaires et utiles pour y répondre
Il appartient à l'employeur de procéder à une recherche effective de reclassement au sein de son entreprise, compatibles avec les préconisations du médecin du travail, y compris ceux exercés en contrats de travail à durée déterminée ou qui impliquent une modification du contrat de travail du salarié déclaré inapte si celui-ci l'accepte, et de prouver les démarches effectuées en ce sens. En outre, lorsqu'il fait partie d'un groupe, il doit produire tous éléments de preuve permettant de déterminer si un reclassement du salarié était possible au sein d'une entreprise de ce groupe dont les activités l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. Sauf fraude, les possibilités de reclassement s'apprécient à la date du licenciement.
Le non respect de ces dispositions entraîne la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, la société Casino se contente d'affirmer dans la lettre de licenciement et dans ses conclusions qu'elle ne disposait d'aucun poste disponible au sein de l'entreprise, sans pour autant fournir ni le registre du personnel ni même son organigramme, mettant ainsi la cour dans l'impossibilité de vérifier ses affirmations.
Dans ces conditions, la société ne prouve pas avoir satisfait à son obligation de recherche sérieuse et loyale de reclassement. La rupture du contrat de travail motivée par une impossibilité de reclassement suite à inaptitude, n'est donc pas fondée.
En conséquence, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués, le licenciement sera déclaré sans cause réelle et sérieuse. Le jugement entrepris ayant débouté Mme T... de ses demandes sera dès lors réformé.
La salariée est fondée à réclamer, dans les limites de sa demande, la somme de 2 721,52 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 272,15 euros au titre des congés payés afférents.
Compte tenu de l'ancienneté de Mme T... de près de 11 ans, de sa rémunération moyenne (1 360,76 euros), de son âge au moment de la rupture (comme étant née en 1959), des difficultés à retrouver un nouvel emploi compte tenu de son handicap, et de l'absence d'éléments sur sa situation postérieure à la rupture, le préjudice résultant de la perte injustifié de son emploi sera évalué à la somme de 10 000 euros en application de l'article L.1235-3 du code du travail. Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.
5/ Sur la demande indemnitaire pour remise tardive des documents de fin de contrat :
Mme T... fait valoir qu'alors qu'elle a été licenciée le 30 août 2013, que le certificat de travail et l'attestation destinée à Pôle emploi n'ont été éditées que les 17 et 18 septembre, et que le solde de tout compte ne lui a été remis que début octobre 2013, ce qui a eu pour effet d'une part de l'empêcher de finaliser son dossier d'ouverture des droits à l'indemnisation chômage malgré ses démarches débutées le 2 septembre, Pôle emploi l'ayant d'ailleurs relancée le 24 septembre 2013 faute de production du solde de tout compte, et d'autre part d'être embauchée par M. N....
Pour prouver que la remise tardive de documents de fin de contrat alléguée aurait empêché son embauche, elle produit une attestation de M. N... qui ne saurait cependant être retenue en l'absence de tout document justifiant de l'identité du rédacteur.
Pour démontrer que la remise tardive alléguée aurait retardé la perception des allocations, elle verse aux débats un courrier de Pôle emploi du 9 octobre 2013 lui confirmant l'ouverture de ses droits à l'allocation retour à l'emploi à compter du 21 novembre 2013 et un relevé de situation dont il ressort qu'elle a effectivement été indemnisée à compter de cette date.
Toutefois, il convient de relever que :
- aucun des documents communiqués ne justifie de la date à laquelle Mme T... a déposé son dossier auprès de Pôle emploi ;
- la salariée ne justifie pas non plus de la relance alléguée de l'organisme relativement à un document manquant émanant de l'employeur ;
- il ressort du document provenant du site internet de Pôle emploi produit par l'employeur que pour le traitement du dossier, Mme T... devait uniquement communiquer l'attestation de l'employeur, sa carte vitale et le relevé d'identité bancaire;
- le solde de tout compte ne figure pas parmi les pièces réclamées pour le traitement du dossier alors que le certificat de travail et l'attestation destinée à Pôle emploi sont mis à disposition et datés des 17 et 18 septembre 2013, ce qui est un délai raisonnable.
Mme T... ne justifie d'aucun retard dans l'ouverture de ses droits imputable à l'employeur.
A supposer même cet élément établi, elle ne démontre pas la réalité d'un préjudice en étant découlé, de sorte que le jugement déféré qui l'a déboutée de sa demande indemnitaire sera confirmé.
6/ Sur les autres demandes :
Les créances de nature salariale allouées porteront intérêts à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à partir de la décision qui les prononce.
Les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.
Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.
La société Casino, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et sera débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles. L'équité commande de la condamner à payer à la salariée la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme T... de ses demandes de:
- dommages et intérêts pour discrimination, pour manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail, et pour remise tardive des documents de fin de contrat;
- nullité de son licenciement ;
L'infirme sur le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Distribution Casino France à payer à Mme T... les sommes suivantes:
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 2 721,52 au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 272,15 euros au titre des congés payés afférents ;
- 2 000 euros au titre du manquement à l'obligation de sécurité de résultat ;
Rappelle que les créances de nature salariale allouées porteront intérêts à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à partir de la décision qui les prononce ;
Dit que les intérêts échus dus au moins pour une année entière seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil ;
Condamne la société Distribution Casino France à payer à Mme T... la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Distribution Casino France aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
A. GATNER. V. SOULIER.