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29/03/2019 | FRANCE | N°17/001538

France | France, Cour d'appel de Douai, B1, 29 mars 2019, 17/001538


ARRÊT DU
29 Mars 2019

N 19/563

No RG 17/00153 - No Portalis DBVT-V-B7B-QM3E

MD / SL

RO

Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARRAS
en date du
22 Décembre 2016
(RG F15/00583 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 29/03/19

République Française
Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. S... P...
[...]
Représentant : Me Marie CUISINIER, avocat au barreau de DOUAI

INTIMÉ :

SAS PANAVI devenue VANDEMO

ORTELE BAKERY PRODUCTS FRANCE
[...]
[...]
Représentant : Me Alice MONROSTY, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l'audience publique du 22 Janvier 2019

Tenue par Mon...

ARRÊT DU
29 Mars 2019

N 19/563

No RG 17/00153 - No Portalis DBVT-V-B7B-QM3E

MD / SL

RO

Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARRAS
en date du
22 Décembre 2016
(RG F15/00583 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 29/03/19

République Française
Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. S... P...
[...]
Représentant : Me Marie CUISINIER, avocat au barreau de DOUAI

INTIMÉ :

SAS PANAVI devenue VANDEMOORTELE BAKERY PRODUCTS FRANCE
[...]
[...]
Représentant : Me Alice MONROSTY, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l'audience publique du 22 Janvier 2019

Tenue par Monique DOUXAMI
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Véronique MAGRO

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Monique DOUXAMI : PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET : CONSEILLER
Patrick SENDRAL : CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2019,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monique DOUXAMI, Président et par Annick GATNER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 30/03/17, avec effet différé jusqu'au 06/08/18, révoquée par ordonnance du 11/09/18 avec une clôture au 18/09/18, révoquée par ordonnance du 18/09/2018 avec une clôture au 22/01/19

EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE, DES PRETENTIONS ET MOYENSDES PARTIES

Monsieur S... P... a été embauché par la société Croustifrance, devenue la SAS PANAVI, à partir du 3 mars 1997.

En dernier lieu, il occupait un poste de responsable production confirmé, cadre, niveau CA2.

La relation de travail est soumise à la convention collective nationale de la boulangerie et pâtisserie industrielles.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 octobre 2015, il a été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 10 novembre 2015.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 novembre 2015, il s'est vu notifier son licenciement.

Contestant bien fondé du licenciement et sollicitant la condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses frais irrépétibles, il a saisi le conseil de prud'hommes d'Arras qui, par jugement du 22 décembre 2016 :
-a dit que le licenciement pour insuffisance professionnelle était justifié ;
-l'a débouté de ses demandes ;
-a débouté l'employeur de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
-l'a condamné aux dépens.

Par déclaration transmise au greffe par voie électronique le 19 janvier 2017, Monsieur S... P... a relevé appel de ce jugement.

Il demande à la cour de :
-infirmer le jugement déféré ;
-condamner la SAS PANAVI au paiement, outre des dépens, des sommes suivantes :
*86.400 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*7000 euros au titre de ses frais irrépétibles;
-débouter la SAS PANAVI de ses demandes.

La SAS PANAVI demande à cour de :
-confirmer le jugement déféré et à titre subsidiaire de limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 19.200 euros;
-débouter Monsieur S... P... de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner au paiement d'une somme de 5000 euros sur ce même fondement.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions transmises par voie électronique :
-le 21 janvier 2019 pour Monsieur S... P...,
-le 28 décembre 2018 pour La SAS PANAVI ;

L'ordonnance de clôture, rendue initialement le 30 mars 2017, avec effet différé au 6 août 2018 a été qreportée successivement au 18 septembre 2018 le 11 septembre 2018 puis au 22 janvier 2019 le 18 septembre 2018.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement et ses éventuelles conséquences financières

Certains faits, bien qu'ils ne soient pas fautifs, peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. Il en est ainsi notamment de l'insuffisance professionnelle. Si l'appréciation de celle-ci relève en principe du seul pouvoir de direction de l'employeur, elle ne le dispense pas d'invoquer des faits objectifs, précis, vérifiables et imputables au salarié.

Dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, La SAS PANAVI invoque en substance les carences suivantes de Monsieur S... P... :
1)des problématiques liées à la gestion de production impactant la performance du site d'Arras 2, à savoir :
-il est chargé de tenir des objectifs de performance de production en termes de quantité, qualité et délai. Pour autant, son bilan d'évaluation sur l'année 2014 démontre que les cibles ne sont pas atteintes du fait notamment de dysfonctionnements importants sur les lignes de production ;
-il ne contrôle pas les stocks : un écart de 40 tonnes de farine a été constaté entre le stock réel et celui enregistré informatiquement ;
-la productivité a été ralentie en octobre 2015 en raison d'une panne de la diviseuse occasionnée par un mauvais nettoyage de l'appareil alors que l'une de ses missions est de contrôler le travail effectué par le service de nettoyage ;
2)un management défaillant des équipes :
-les chefs d'équipe ne sont pas suffisamment autonomes ;
-il n'intervient pas suffisamment pour recadrer les écarts dus à des erreurs ou des défauts de discipline ;
-il ne parvient pas à déléguer les tâches à exécuter et à transmettre ses savoirs ;
-il n'organise pas de réunions mensuelles avec les équipes et c'est le responsable de site, Monsieur V..., qui est contraint de le faire à sa place ;
-sa mauvaise gestion des compétences est aussi à l'origine du manque d'autonomie de ses équipes. Il occulte l'aspect de son métier consistant à proposer les formations nécessaires à l'amélioration du niveau de compétence des salariés ;
3)une mauvaise collaboration avec la maintenance et la collaboration inter-services
la coordination avec le service de maintenance est quasi inexistante : Monsieur V... a du s'entretenir avec lui et le responsable maintenance à 3 reprises entre juillet et octobre 2015 afin de recadrer leur collaboration vers une action commune.

Sur les problématiques liées à la gestion de la production

Les indicateurs de performance communiqués par la SAS PANAVI confirment les allégations de la lettre de licenciement selon lesquelles le bilan d'évaluation de Monsieur S... P... pour l'année 2014, en date du 28 février 2015, démontre que les objectifs de productivité, du taux inefficacité matière et du taux de rendement n'ont pas été atteints (productivité : 332 kg de produits fabriqués par heure et par personne au lieu des 342 kg fixés, taux inefficacité matière: 4,9 % au lieu du 3,4% attendu, taux de rendement : 84,8 % au lieu du 92,1% prévu).

Toutefois, les observations de ce bilan à propos de la productivité et plus généralement de la synthèse des responsabilités soulignent l'engagement de Monsieur S... P... dans la résolution des dysfonctionnements qui ont impacté la performance de la productivité qui ne lui sont pas imputés et dont l'importance est soulignée. Monsieur S... P... s'est d'ailleurs vu attribuer en juin 2014 une prime exceptionnelle d'un montant de 2000 euros en raison de son implication pour
l'installation de la 3ème ligne de production. (partie « objectif productivité » : « Les cibles en termes de production ne sont pas atteints malgré un travail et un engagement important de S.... Il a du faire face à des dysfonctionnements conséquents sur les lignes, l'absence du responsable de maintenance a aussi été pénalisante. Au global, le résultat consolidé sur le plan financier est positif du fait du travail sur les recettes et le process et un gain important sur l'énergie ». partie « synthèse responsabilités » : « Les résultats cibles objectifs sont globalement atteints, en dessous pour les kpi's production mais mieux en terme financier (recette, process, coût de démarrage 3o ligne et énergie). Le démarrage de la troisième ligne s'est réalisé avec succès, S... a aidé pour l'organisation et le traitement des priorités lors de la période d'absence du responsable de ce service. Conforme aux attentes » ).

De surcroît, la lettre de licenciement ne fait pas état de l'évolution des mêmes indicateurs de performance pour l'année 2015, les limitant à une période non contemporaine au licenciement privée de pertinence.

Par ailleurs, La SAS PANAVI produit aux débats un document peu explicite intitulé « l'état des mouvements d'inventaire de farine »qui est insuffisant à établir l'absence de contrôle des stocks de farine alléguée. Monsieur S... P... y oppose l'attestation de Madame X... W..., qui connaît parfaitement la matière pour avoir occupé pendant 20 ans jusqu'au 3 mai 2017 les fonctions de responsables d'approvisionnement des emballages et matières premières dont les farines, qui décrit les mécanismes réguliers de contrôle auxquels il a participé et explique que l'écart de 40 tonnes de farine constaté entre le stock réel et le stock enregistré informatiquement correspond à de la farine non consommable qui avait été retirée des silos mais n'avait pas pu être supprimée du « SAP ». Elle indique : « Tous les services (direction, production, finance, qualité, informatique) étaient au courant de cet écart. Mais le système est fait de sorte que l'on ne peut pas annuler de farine comme ça dans le SAP alors que physiquement elle n'est plus là. J'ai moi même contacter les services finances et informatique afin de trouver une solution mais personne n'a été capable de me donner une réponse. »

Enfin, le mauvais nettoyage de la diviseuse ayant ralenti la production en octobre 2015 n'est pas contesté par Monsieur S... P.... Ce dernier fournit un document insuffisant à établir que l'absence de qualité de cette prestation s'explique voire se justifie par l'insuffisance du personnel qui y était affecté. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un fait qui est isolé dans plusieurs années de collaboration, la SAS PANAVI ne faisant état ni a fortiori n'établissant aucune autre difficulté de même nature.

Sur le management défaillant des équipes

Le bilan d'évaluation pour l'année 2014 de Monsieur S... P... en date du 28 février 2015 mentionne dans la partie « management/organisation » : « les chefs d'équipes ne sont pas au niveau d'autonomie attendu. il y a une irrégularité dans la discipline et la rigueur, trop d'erreurs et de manquements non recadrés. S... est de ce fait trop sollicité la nuit et le week-end, son savoir n'est pas transféré. Les RDV mensuels n'ont pas pu être tenus. Les réunions d'équipe ont été mises en place sous l'impulsion du responsable de site. »

Monsieur S... P... avait déjà été alerté une première fois lors de l'évaluation 2013 en date du 31 janvier 2014 sur la nécessité de laisser plus d'autonomie aux personnes travaillant sous ses ordres.

Les documents produits aux débats ne contredisent pas ces évaluations, en particulier sur le fait que Monsieur S... P... n'a pas mis pas en place les moyens de nature à favoriser l'autonomie des salariés.

Toutefois, il en résulte aussi que les fonctions de manager de Monsieur S... P... se sont grandement complexifiées au cours des dernières années, avec notamment la mise en place du travail 7 jours sur 7 puis l'ouverture d'une troisième ligne de production et les embauches de personnel en conséquence (revue de lecture de direction : « En 2014, 30 créations d'emploi à la suite de l'installation de la nouvelle ligne »). Ainsi au moment de son licenciement, Monsieur S... P... devait encadrer et animer une équipe de 79 personnes pour un travail s'effectuant 7 jours sur 7 sur 3 lignes de production alors qu'au moment de son embauche, il avait 5 salariés sous ses ordres pour un travail réalisé sur une seule ligne de production.

La SAS PANAVI, tenue d'une obligation d'adaptation des salariés, a fait suivre à Monsieur S... P... des formations dans le domaine du management. Celles-ci se sont limitées à 5 jours sur 4 ans entre 2011 et 2014. Puis, elles se sont étoffées en 2015 (accompagnement managérial ; 6,5 jours, conduite d'un entretien professionnel : 1 heure en interne et formation Rademaker 3 jours).

Toutefois, cette augmentation à compter de 2015 des formations de nature à adapter Monsieur S... P... à ses nouvelles fonctions de management ne s'est pas accompagnée du temps nécessaire à lui permettre de porter ses fruits, la procédure de licenciement ayant été engagée le 30 octobre de la même année.

Sur la mauvaise coordination avec la maintenance et la collaboration interservice

Le seul document fourni par La SAS PANAVI consiste en une attestation de Monsieur B... Q..., responsable maintenance, qui explique : « Suite à des différents récurrents relatifs à la ventilation des arrêts de lignes, Mr P... et moi-même avons été convoqués à 3 reprises par Monsieur V... afin que la coordination et la collaboration entre nos deux services s'améliorent ». Cette attestation doit être examinée avec circonspection dans la mesure où son auteur est partie prenante aux difficultés qu'elle relate. En tout état de cause, elle ne démontre pas que Monsieur S... P... est responsable de ces difficultés. De surcroît, Monsieur S... P... fournit l'attestation de Madame A... K... E..., dont la qualité de stagiaire durant les mois de juin à septembre 2015 ne prive pas ses observations de pertinence, qui indique avoir pu constater que Monsieur S... P... « communiquait correctement avec les responsables des divers services et particulièrement le responsable maintenance, en précisant toutes les informations utiles au bon fonctionnement de l'entreprise et en proposant toutes les actions correctives ».

Il résulte de ce qui précède que les manquements invoqués dans le domaine du management ne peuvent être imputés à Monsieur S... P... et que s'agissant des carences dans le domaine de la production et de la communication avec la maintenance, seule la réalité du fait isolé que constitue le mauvais nettoyage de la diviseuse ayant ralenti la production en octobre 2015 est démontrée.

Ce fait est insuffisant pour caractériser l'insuffisance professionnelle de Monsieur S... P... de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du salaire de référence de Monsieur S... P..., de son ancienneté (18 ans), de son âge, pour être né le [...] , et de sa situation postérieure et de l'absence de justificatif de sa situation hormis deux documents médicaux des 29 octobre 2015 et 14 avril 2016 ne permettant pas de les rattacher à la procédure de licenciement, le préjudice résultant de la perte injustifié de son emploi sera exactement réparé par l'attribution de dommages et intérêts à hauteur de la somme de 57.000 euros.

En conséquence, la SAS PANAVI sera condamnée au paiement de cette somme et le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Sur les autres demandes

La SAS PANAVI sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel et condamnée à payer la somme de 3000 euros à ce même titre à Monsieur S... P....

La SAS PANAVI sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant contradictoirement et par arrêt mis à disposition par les soins du greffe,

Infirme le jugement rendu le 22 décembre 2016 par le conseil de prud'hommes d'Arras en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS PANAVI à payer à Monsieur S... P... les sommes suivantes:

-57.000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-3000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Déboute la SAS PANAVI de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SAS PANAVI aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER

A. GATNER LE PRESIDENT

M. DOUXAMI


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : B1
Numéro d'arrêt : 17/001538
Date de la décision : 29/03/2019
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.douai;arret;2019-03-29;17.001538 ?
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