ARRÊT DU
29 Mars 2019
N 529/19
No RG 16/02249 - No Portalis DBVT-V-B7A-P2VF
SM/SM
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARRAS
en date du
29 Mars 2019
(RG 15/203 -section 4)
GROSSE
le 29/03/19
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. P... O...
[...]
Représenté par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI et assisté de Me Jean-Charles SCALE, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Société KIDILIZ GROUP venant aux droits de la Société Q... K...
[...]
Représentée par Me Jérôme BENETEAU, avocat au barreau de LYON
DÉBATS : à l'audience publique du 12 Février 2019
Tenue par Sabine MARIETTE
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Séverine STIEVENARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Sabine MARIETTE : PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Béatrice REGNIER : CONSEILLER
Patrick REMY : CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2019,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Sabine MARIETTE, Président et par Annick GATNER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
M. P... O... a été engagé le 1erseptembre2010, avec reprise d'ancienneté au 1er juin 2010, par la société Q... K... aux droits de laquelle vient la société KIDILIZ GROUP, en qualité de directeur de marque Levis Kid, statut cadre, position B.
Au dernier état de la relation contractuelle, sa rémunération brute annuelle s'élevait à 150 000euros, à laquelle s'est ajoutéé à compter de l'exercice 2012 une prime annuelle sur objectifs d'un montant maximal de 30 000euros.
Après avoir été autorisé à utiliser son véhicule personnel à des fins professionnelles, la société, à compter du 27 février 2015, a mis à sa disposition un véhicule de fonctions et l'a invité à présenter l'original de son permis de conduire.
Par lettre recommandée du 26 mars 2015, M. P... O... s'est vu notifier son licenciement pour faute grave pour avoir dissimulé l'invalidation de son permis de conduire et avoir fait usage de son véhicule de fonction malgré la suspension de cet usage ordonnée par l'entreprise.
Il a saisi, le 11 mai 2015, la juridiction prud'homale pour contester ce licenciement et obtenir paiement de diverses sommes. Par jugement du 12 mai 2016, le conseil de prud'hommes d'Arras l'a débouté de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné à verser à la société Q... K... la somme de 1 500euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Par lettre recommandée expédiée le 30 mai 2016, M. P... O..., représenté par son conseil, a relevé appel de cette décision, dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées entre les parties. L'affaire, appelée à l'audience du 11 décembre 2018, a fait l'objet d'un renvoi à l'audience du 12 février 2019, date à laquelle elle a été plaidée.
M. O..., par conclusions écrites développées oralement à l'audience demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de condamner la société Q... K... aux droits de laquelle vient la société KIDILIZ GROUP à lui verser les sommes suivantes :
- 24 6000euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 41 000euros à titre d'indemnité de préavis, et 4 100euros à titre de congés payés y afférents ;
- 150 00euros au titre du rappel de sa prime 2014 ;
- 4 022euros au titre du rappel de salaire durant la période de mise à pied, et 402,30euros à titre de congés payés y afférents ;
- 13 666,67euros au titre de son indemnité légale de licenciement ;
- 1 496,67euros au titre de la régularisation des frais de déplacement et de voiture pour 2015 ;
- 5 000euros sur le fondement de l'article 700 du code civil, outre le paiement des dépens de l'instance.
A l'appui de ses prétentions, il soutient que :
- le licenciement pour faute grave, qui s'appuie principalement sur l'annulation de son permis de conduire, est mal fondé ;
- s'il a effectivement restitué son permis de conduire invalidé pour solde de points nul auprès des services administratifs compétents, à la suite de faibles excès de vitesse, ces faits relèvent de sa vie privée et l'employeur ne démontre pas de trouble objectif au sein de l'entreprise permettant de fonder un licenciement disciplinaire ;
- il n'a jamais caché à sa hiérarchie et à ses équipes l'invalidation de son permis de conduireet n'a pas davantage refusé d'obtempérer aux demandes de justification de la situation de permis, alors que la demande initiale, datée du 10 mars 2015, l'invitait à présenter son permis le vendredi 13 mars 2015 à Paris ; il n'a pas non plus dérogé à l'instruction de suspendre l'usage et la conduite du véhicule de fonction mis à sa disposition le 27 février 2015, l'avis de contravention relatif à ce véhicule, daté du 27 mars 2015, concernant en réalité son épouse, autorisée à conduire le véhicule ; que par ailleurs , cet avis de contravention est postérieur à la lettre du licenciement datée du 26 mars 2015, et doit être rejeté ;
- le licenciement a en réalité pour cause l'arrivée de son remplaçant, M. V... A... au même poste durant la semaine du 23 au 27 mars 2015, recruté courant du mois de janvier, soit bien antérieurement à la procédure objet du litige.
La société Q... K..., aux droits de laquelle vient la société KIDILIZ GROUP, par conclusions développées oralement à l'audience demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner M. O... à lui verser la somme de 5 000euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle soutient que M. P... O... a sciemment dissimulé l'invalidation de son permis de conduire, et a conduit un véhicule soit lui appartenant, soit appartenant à la société, pendant son temps de travail malgré l'interdiction expresse qui lui avait été donnée ; qu'il s'agit de faits relevant de la sphère professionnelle, et par conséquent soumis au pouvoir disciplinaire de l'employeur ; que ces faits sont contraires à l'exécution de bonne foi du contrat de travail et sont incompatibles avec la confiance mutuelle devant exister entre le salarié et l'employeur ; qu'il ressort par ailleurs des pièces produites que M. O... a reçu l'interdiction administrative de conduire à partir du 28 décembre 2013 et ne pouvait être titulaire d'un nouveau permis de conduire avant le 6 mai 2015 ; qu'au surplus, l'examen du contrat de travail démontre qu'il était astreint à la conduite automobile et que par conséquent, il devait disposer d'un permis de conduire en cours de validité ;
Elle ajoute que les demandes indemnitaires formulées par M. P... O... sont excessives et infondées, ce compris le versement de la prime relative à l'année 2014, exercice au cours duquel il n'a pas atteint les objectifs fixés par son supérieur hiérarchique conformément à l'article 5 du contrat de travail ; que la demande relative au remboursement des prétendus frais de déplacement n'est pas justifiée.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le bien fondé du licenciement :
L'article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.
La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute grave privative du préavis prévu à l'article L.1234-1 du même code résulte d'un fait ou d'en ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d'une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige reproche à M. O... d'avoir dissimulé à son employeur qu'il n'était plus en possession de son permis de conduire depuis quatre ans alors qu'il était amené à conduire régulièrement dans le cadre de votre travail et d'avoir refusé d'obtempérer aux demandes de justification de la situation de son permis de conduire et de suspension de l'usage et de la conduite de son véhicule de fonction le temps de cette justification.
L'article 8 du contrat de travail de M. P... O... stipule que le salarié «s'engage pendant la durée de son contrat, à respecter les instructions qui pourront lui être données par la société et à se conformer aux règles régissant le fonctionnement interne de celle-ci.
M. P... O... s'engage par ailleurs à consacrer professionnellement toute son activité et tous ses soins à la société et au Groupe auquel elle appartient, l'exercice de toute autre activité professionnelle, soit pour son compte, soit pour le compte de tiers lui étant en conséquence interdite.
M. P... O... s 'oblige également à informer la société sans délai de tout changement qui interviendrait dans les situations qu'il a signalées lors de son engagement (adresse, situation familiale..).»
La procédure concernant le véhicule de société du groupe Zannier racheté par Q... en 2010 prévoit en son article 7 que le collaborateur et les ayant droits doivent être titulaire d'un permis de conduire en cours de validité et que les collaborateurs doivent prévenir immédiatement le Groupe de tout retrait ou suspension quelque soit la raison.
Il résulte par ailleurs des pièces produites et des explications des parties que depuis son embauche en 2010, M. O... utilisait son véhicule personnel pour ses déplacement professionnels ; qu'il a bénéficié d'un véhicule de société à compter du 27 février 2015 pour lequel il a été invité à présenter le 13 mars 2015 l'original de son permis de conduire afin de régulariser l'engagement pris auprès du loueur ; qu'il a fini par admettre ne plus être en possession de son permis de conduire lors d'une réunion le 16 mars 2015 ; que le même jour, il a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 23 mars 2015 par lettre remise en main propre et a a reçu l'instruction par mail de suspendre l'usage du véhicule de fonction, ainsi que d'éventuels véhicules de location pour les besoin de l'entreprise ; que le 17mars2015, il a néanmoins conduit un véhicule dans le cadre professionnel et a transporté plusieurs salariés de la société pour déjeuner.
De ces éléments il ressort que M. O... non seulement, a caché à son employeur, le fait qu'il avait été contraint de restituer, le 6 novembre 2014, son permis de conduire à la suite de la perte de tous ses points, alors que ce fait était en rapport avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice, mais encore, alors que son employeur lui avait demandé de ne plus conduire le véhicule de fonction dans l'attente de la justification de son permis de conduire, n'a pas obtempéré et a transporté plusieurs salariés dans ce véhicule.
Cette dissimulation et ce refus d'exécuter une consigne constituent un manquement à la loyauté à laquelle il était tenu envers son employeur et sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail eu égard aux risques encourus par l'entreprise lors de l'utilisation par un salarié pour les besoins de son activité professionnelle, d'un véhicule sans permis.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il déboute M. O... de ses demandes.
Sur la demande tendant au versement d'une prime au titre de l'année 2014 :
L'article 5 du contrat de travail prévoit qu' «A compter de l'année 2012, M. P... O... bénéficiera d'une prime annuelle sur objectifs d'un montant maximal de 30 000euros brut.
Le montant de cette prime sera déterminé selon le niveau d'atteinte des objectifs fixés par son supérieur hiérarchique lors de l'établissement et de la validation des budgets, soit au plus tard au mois de décembre de l'année qui précède l'exercice considéré. Elle sera versée sur la paie du mois de mars de l'exercice suivant celui concerné.»
Il résulte de cette clause que les objectifs n'étaient pas fixés d'un commun accord entre les parties mais étaient déterminés unilatéralement par l'employeur. Or lorsque les objectifs sont fixés par l'employeur en vertu de son pouvoir de direction, ils doivent être non seulement réalistes et réalisables mais également fixés en début d'exercice.
Sur ce point, la société KIDILIZ GROUP venant aux droits de la société Q... K..., qui soutient que M. O... n'a pas réalisé les objectifs qui lui avaient été assignés en 2014, ne justifie pas de la détermination de ces objectifs par le supérieur hiérarchique en début d'exercice et de leur notification au salarié.
Il ne peut donc être reproché au salarié, comme l'ont dit les premiers juges, de ne justifier d'aucun document relatif aux objectifs alors qu'il appartient à la société de démontrer qu'elle a fixé les objectifs en début d'exercice.
L'employeur ayant manqué à son obligation, aucune diminution de la part variable ne peut être décidée et la rémunération variable doit être versée dans son intégralité.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement sur ce point et de condamner la société KIDILIZ GROUP à payer à M. O... la somme de 15 000 euros à titre de rappel de rémunération variable.
Sur la demande de remboursement des frais de voiture :
Selon l'article 6 du contrat de travail, «les frais professionnels que M. P... O... sera amené à engager pour l'exercice de sa mission lui seront remboursés sur justificatifs et selon le barème évolutif en vigueur dans l'entreprise. Les notes de frais devront être contre-signées par la Direction Générale.
Les frais kilométriques que M. P... O... exposera dans l'exercice de sa fonction lui seront remboursés selon le barème "FORFAIT GRAND ROULEUR", en vigueur et éventuellement modifiable, applicable aux patrons de marque qui procure une avance mensuelle versées durant onze mois de chaque année de 762,25 euros compte tenu d'un forfait kilométrique annuel de 25 000 km et régularisé au vu du kilométrage annuel effectivement réalisé par le bénéficiaire. La société remettra à M. P... O... une carte TOTAL pour la prise en charge des frais de carburant diesel et de péage.»
M. O... sollicite le paiement de la somme de 1 496,67 euros retenue sur son solde de tout compte au titre de la régularisation des frais de voiture 2015, sans toutefois fournir de précision sur cette demande alors que la société expose que cette régularisation était justifiée par l'avance d'un montant de 914,69 euros versée chaque mois à M. O... lorsqu'il effectuait ses déplacements professionnels avec son véhicule personnel, et conforme au kilométrage professionnel déclaré par l'intéressé sur la fiche de régularisation des frais kilométriques.
C'est dont à juste titre que les premiers juges ont rejeté cette demande.
Sur les demandes accessoires :
La société KIDILIZ GROUP venant aux droits de la société Q... K... succombant partiellement en appel, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. O... la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il déboute M. O... de sa demande en paiement d'un rappel de rémunération variable et le condamne à payer à la société Q... K... aux droits de laquelle vient la société KIDILIZ GROUP la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
Condamne la société KIDILIZ GROUP venant aux droits de la société Q... K... à payer à M. P... O... les sommes suivantes :
- 15 000 euros à titre de rappel de commissions pour l'année 2014,
- 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société KIDILIZ GROUP venant aux droits de la société Q... K... aux dépens.
LE GREFFIER
A. GATNER LA PRESIDENTE
S. MARIETTE