ARRÊT DU
29 Mars 2019
N 561/19
No RG 16/02074 - No Portalis DBVT-V-B7A-PZ4W
PR/AL
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
12 Février 2016
(RG F13/01462 -section )
GROSSE
le 29/03/19
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
Mme O... V...
[...]
[...]
Présente et assistée de Me Mario CALIFANO, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
SAS LABORATOIRES DERMATOLOGIQUE DUCRAY
[...]
[...]
Représentée par Me Jean-Sébastien CAPISANO, avocat au barreau de PARIS substitué par Me POUILLEY
DÉBATS : à l'audience publique du 12 Février 2019
Tenue par Patrick REMY
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Serge LAWECKI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Sabine MARIETTE : PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Béatrice REGNIER : CONSEILLER
Patrick REMY : CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2019,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Sabine MARIETTE, Président et par Annick GATNER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme O... V... a été engagée par la société Pierre Fabre Dermatologie à compter du 19 avril 2004 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité de visiteuse médicale, statut cadre.
Mme V... était en charge de la promotion des produits de la marque auprès des praticiens et pharmaciens du secteur Nord (59) et Pas de Calais (62).
Suite à la reprise des Laboratoires Pierre Fabre Dermatologie par la société Laboratoires Dermatologiques Ducray (ci-après la société Ducray) en 2010, Mme V... a vu son contrat repris, selon les modalités d'un avenant du 16 avril 2010, par la société Ducray.
A compter du 1er mai 2010, Mme V... a exercé ses fonctions de visiteur médical pour la société Ducray, avec une gamme de produits différents, sur le secteur géographique suivant :
- Aisne (02)
- Ardennes (08)
- Marne (51)
- Nord (59)
Mme V... a alors dépendu de Mme A..., nouvelle Directrice Régionale.
Du 10 avril 2012 au 11 mai 2012, Mme V... a été en arrêt maladie.
Suite à un séminaire national organisé par la société Ducray en août 2012, Mme V... s'est vu assigner un plan de retour à performances (plan d'actions), afin de l'aider à remédier à ses carences et à redynamiser son secteur.
Le 15 mars 2013, Mme V... a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, lequel s'est tenu le 26 mars 2013.
Le 5 avril 2013, Mme V... s'est vu notifier son licenciement pour insuffisance professionnelle.
Le 15 juillet 2013, Mme V... a saisi le conseil de prud'hommes de Lille pour contester son licenciement, soutenir qu'il est nul car prononcé en réaction à une dénonciation de harcèlement moral, à titre subsidiaire, qu'il est sans cause réelle et sérieuse et demander des dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, pour harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité de résultat pour absence de visite médicale de reprise, ainsi que des rappels de salaire sur rémunération variable.
Par jugement rendu en départage du 12 février 2016, auquel il y a lieu de se reporter pour l'exposé des faits, prétentions et moyens antérieurs des parties, le conseil de prud'hommes de Lille a :
Rejeté la demande de nullité du licenciement sur le fondement des article L.1152-1 et suivants du code du travail,
Dit que le licenciement pour insuffisance professionnelle de Mme V... repose sur une cause réelle et sérieuse,
Condamné la société Ducray à payer à Mme V... la somme de 1 000 euros au titre de dommages et intérêts pour absence de visite médicale de reprise,
Précisé le point de départ des intérêts légaux,
Condamné Mme V... à payer à la société Ducray la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Débouté les parties de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au présent dispositif.
Mme V... a interjeté appel de ce jugement par déclaration enregistrée le 24 mai 2016.
Aux termes de ses conclusions soutenues oralement à l'audience du 12 février 2019, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, Mme V... demande à la cour de :
Constater que les conclusions et la pièce communiquée no35 par les Laboratoires Dermatologiques DUCRAY ne lui ont pas été communiquées en temps utile.
Ecarter en conséquence la pièce et les conclusions produites par les Laboratoires Dermatologiques DUCRAY.
En tout état de cause retenir l'affaire à plaider à l'audience du 12 février 2019 à 9 heures.
Infirmer le jugement entrepris dans sa totalité,
Dire et juger que son licenciement est nul,
En conséquence, donner acte à Mme V... de ce qu'elle ne demande pas sa réintégration,
Subsidiairement, dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence, condamner la société Laboratoires Dermatologiques Ducray à lui verser en tout état de cause une somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts,
En tout état de cause, condamner la société Laboratoires Dermatologiques Ducray à lui payer :
- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et violation par la société Ducray de son obligation de sécurité de résultat,
- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de visite de reprise après un arrêt de travail supérieur à 21 jours,
- 4 005,61 euros à titre de rappel de salaire sur rémunération variable outre 400,56 euros au titre des congés payés s'y rapportant,
Condamner la société Laboratoires Dermatologiques Ducray à lui payer une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Laboratoires Dermatologiques Ducray aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, la société Ducray demande à la cour de :
Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Lille du 12 février 2016 en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
A titre principal :
Constater la réalité des insuffisances professionnelles reprochées à Mme V...,
Constater l'absence de harcèlement moral à l'égard de Mme V... ;
En conséquence,
Dire et juger que le licenciement pour insuffisance professionnelle de Mme V... est bien fondé,
Dire et juger que la demande de nullité de la rupture du contrat de travail de Mme V... est infondée,
Dire et juger que les Laboratoires Dermatologiques Ducray n'ont pas manqué à leur obligation de sécurité,
Débouter Mme V... de ses demandes indemnitaires à ce titre,
A titre subsidiaire
Dans l'hypothèse où la cour considérerait que le licenciement de Mme V... est nul ou dénué de cause réelle et sérieuse, ramener à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêst alloués à Mme V...,
En tout état de cause,
Dans l'hypothèse où la cour considérerait que les demandes de dommages et intérêts formulées par Mme V... sont fondées, dire et juger que les dommages et intérêts alloués à ce titre s'entendent comme des sommes brutes avant CSG, CRDS,
Débouter Mme V... de sa demande de rappel de salaire sur rémunération variable,
Débouter Mme V... de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner Mme V... à verser aux Laboratoires Dermatologiques Ducray la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner Mme V... aux dépens.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande de rejet de Mme V... visant à écarter les conclusions et la pièce no35 de la société Ducray
Mme V... fait valoir qu'un calendrier de procédure a été fixé par la cour de céans, avec pour l'appelant un dépôt des pièces et conclusions pour le 29 juillet 2016, pour l'intimé un dépôt des pièces et conclusions le 31 octobre 2016, qu'elle a signifié ses conclusions le 1er septembre 2016, des conclusions récapitulatives no2 ainsi que les pièces le 20 octobre 2016 par RPVA le 20 octobre 2016, alors que la société Ducray n'a adressé que par mail du 1er février 2019, soit quelques jours avant l'audience, un « projet de conclusions » et une pièce complémentaire numérotée 35.
Aussi, Mme V... demande à la cour de constater que l'employeur n'a pas respecté le principe du contradictoire et donc d'écarter les conclusions et la pièce, produites tardivement par la société.
En l'espèce, la cour relève d'abord que le calendrier de procédure dont se prévaut Mme V... se présente comme une ordonnance prononcée par le magistrat chargé d'instruire l'affaire et prise sous couvert des dispositions de l'article 940 du code de procédure civile, mais qui ne comporte nullement l'identification et la signature du magistrat qui en serait l'auteur.
Elle ne peut en conséquence être considérée comme une décision émanant de la juridiction.
Il s'agit d'un simple calendrier de procédure adressé par le greffe avant la convocation des parties devant la cour, destiné à faciliter les échanges entre les parties et la cour et qui, faute d'émaner de la juridiction ne répond pas aux exigences de l'article R 1452-9, de telle sorte qu'il ne fait pas courir le délai de péremption, ni d'autre délai.
Aux termes de l'article 135 du code de procédure civile, dont les dispositions s'appliquent devant les juridictions statuant en matière prud'homale, le juge peut écarter du débat les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile.
Il ressort toutefois de l'article R 1453-3 du code du travail que le caractère oral de la procédure permet de suppléer à la remise tardive des conclusions et pièces.
En l'espèce, la cour relève que Mme V... n'a pas demandé le renvoi de l'affaire à une audience ultérieure et, que ce faisant, elle a accepté de débattre des moyens développés dans les conclusions écrites et de la pièce déposées par la société Ducray quelques jours avant l'audience, de telle sorte que les moyens soutenus et la pièce produite on pu être contradictoirement débattus.
La cour en conclut qu'il n'y a donc pas lieu d'écarter la pièce et les conclusions produites par la société Ducray.
Sur le harcèlement moral :
Mme V... soutient que son licenciement pour insuffisance professionnelle est nul dans la mesure où il n'a été que l'aboutissement du processus de harcèlement moral dont elle faisait l'objet depuis deux ans et qu'elle a dénoncé.
La société Ducray fait au contraire valoir que le licenciement de Mme V... est justifié par son insuffisance professionnelle et que les éléments qu'elle verse aux débats ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
Selon l'article L.1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il résulte des dispositions de l'article L. 1154-1 du Code du travail que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail, en sachant qu'ils peuvent s'être déroulés sur une brève période.
Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Enfin, il résulte des articles L.1152-1, L.4121-1 et L.4121-2 du même code que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
Ainsi, il convient d'examiner les différents éléments que présente Mme V..., dont les documents médicaux, d'apprécier si les faits qu'elle invoque sont matériellement établis et de voir ensuite, si pris dans leur ensemble, ces faits matériellement établis permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Enfin, il convient de vérifier si l'employeur a pris toutes les mesures pour prévenir les agissements de harcèlement moral.
Mme V... présente les éléments de faits suivants :
- De nombreux mails que lui adressait régulièrement Mme A... la nuit ou le week-end et qui, d'après elle, exigeaient de sa part des réactions ou mises en applications immédiates.
Analysant l'ensemble des mails versés aux débats, la cour relève qu'un nombre important de ces mails sont envoyés à un horaire tardif par Mme A..., mais que le ton employé par celle-ci est toujours cordial et, surtout, qu'ils n'imposent aucun ordre, ni aucune demande de réaction ou application immédiates à Mme V....
Ainsi, et à titre d'exemples, en reprenant les mails censés être le plus significatifs d'après Mme V... :
• Le mail du 30 septembre 2010 envoyé à 00 :17 (jeudi) donne « quelques points clés » à Mme V... pour « améliorer ses visites » et lui précise à la fin « A vendredi », mais sans nullement exiger d'elle quoi que ce soit pour le lendemain, Mme V... disposant en outre de toute sa journée du jeudi pour prendre connaissance de ces indications.
• De même le mail par lequel Mme A... envoie à Mme V... la trame de l'entretien annuel « de jeudi » lui précise « si tu veux commencer à y réfléchir » et est envoyé certes à 21 heures 16, mais le 6 février 2012 à savoir un lundi, ce qui impose d'autant moins une réaction immédiate à Mme V... que l'entretien est programmé le jeudi ; il en va de même donc pour l'autre mail envoyé également le 6 février 2012, donc un lundi, certes à 21 h 45, mais pour le jeudi et lui demandant, sur un ton au demeurant non comminatoire et très cordial, si elle pourrait faire le point sur plusieurs éléments.
• Quant au mail envoyé le 3 avril 2012 à 22 : 25 heures, Mme A... remercie Mme V... de faire une « première analyse afin que nous puissions en discuter ensemble », sans lui indiquer un quelconque délai, une quelconque échéance.
• Enfin, s'agissant du mail du 11 avril 2012 envoyé à 8 h 36, Mme A... reconnaît d'emblée que Mme V... est en arrêt maladie » et qu'elle la remercie de lui envoyer les éléments du déjeuner qu'elle même avait programmé avant son arrêt pour qu'elle puisse s'organiser.
Si le contrat de travail est suspendu en cours de maladie, il laisse subsister des obligations accessoires, dont l'obligation de loyauté, et la demande de Mme A... s'inscrit dans le cadre de ces obligations subsistantes, sans nullement les excéder. Il en va de même des autres mails qui ont été envoyés à Mme V... pendant son arrêt maladie, soit parce qu'il s'agissait de mails collectifs qui devaient lui être communiqués pour information comme cela a été fait, soit parce qu'il s'agissait de mails personnels, mais destinés par exemple à calculer ses frais et donc à assurer leur remboursement dans les meilleures conditions.
Au terme de l'examen de l'ensemble de ces mails versés aux débats, il ressort que Mme A... a, comme c'est le cas dans de nombreuses professions en l'absence d'obligation de déconnexion imposée aux salariés, envoyé de nombreux mails à des horaires très tardifs ou le week-end à Mme V.... Il ressort toutefois de leurs contenus que ces mails, au demeurant rédigés sur un ton toujours cordial parfois chaleureux même, n'imposaient à Mme V... aucune réaction ni application immédiate, de telle sorte que Mme V... n'avait aucune obligation d'en prendre connaissance en dehors de ses horaires de travail.
La cour en conclut sur ce point que si le caractère tardif de l'envoi de nombreux mails par Mme A... est établi, ceux-ci n'imposant aucune réaction ou application immédiate à Mme V..., ils ne révélaient aucune attitude « intrusive » de Mme A..., de telle sorte que l'élément invoqué n'est pas établi et ne saurait donc être retenu.
- des méthodes brutales de management de Mme A... qui dénigrait Mme V..., avec une tentative de la déstabiliser et de l'humilier
A cet égard, Mme V... verse aux débats :
• plusieurs mails ou courriers adressés par Mme V... et dans lesquels elle évoque le harcèlement moral dont elle a été victime par Mme A... : dans la mesure où ces mails et courrier émanent de Mme V... elle-même et qu'ils sont en outre postérieurs à la date de notification du licenciement, ils n'ont pas de valeur probante de sorte qu'ils doivent être écartés des débats.
• Une attestation de Mme F... du 28 juin 2013 qui évoque notamment le fait que Mme V... subissait une forte pression de son employeur. Mme F... dit exercer la profession de « responsable antenne chérie FM » ; dans la mesure où elle ne précise pas le contexte dans lequel elle a constaté de tels faits, lesquels ne sont au demeurant pas circonstanciés, son attestation n'est pas probante et doit être écartée des débats.
• Une attestation de M. E... du 31 mai 2013, ancien collègue de travail de Mme V..., qui témoigne de la difficulté qu'il a eue à travailler avec Mme A... du 18 mai 2010 au 7 janvier 2011 ; la cour relève que M. E... fait surtout état du comportement de Mme A... à son égard et qu'il se contente d'observations très générales, très peu circonstanciées voire même hypothétiques quand il s'agit de relater le comportement de Mme A... à l'égard de Mme V..., notamment son agressivité ; en outre, le fait que M. E... ait rapidement quitté l'entreprise et conservé une amertume évidente vis-à-vis de son ancien employeur rend son attestation peu crédible. Dénuée de valeur probante, elle sera écartée des débats.
• Une attestation de Mme R... du 24 avril 2013, collègue de travail de Mme V... qui évoque des problèmes de comportements de Mme A... vis à vis des déléguées médicales en général (crise d'hystérie en public, comportement inadéquats vis à vis des médecins, coupures de paroles, agacement...) et le fait que Mme A... prenait systématiquement pour cible Mme V... en « lui faisant des remarques, lui lançant des regards persistants, lui interdisant des choses qu'elle accordait aux autres ».
La cour relève que de nombreux de ces agissements sont mentionnés de façon très générale sans concerner Mme V... en particulier (crise d'hystérie en public...) et que quand ils sont censés concerner Mme V..., ils ne sont le plus souvent pas datés avec précision, ni précis (Mme A... interdisait des choses à Mme V... qu'elle accordait aux autres, mais quelles choses, et de façon injustifiée ?), ni circonstanciés (harcèlement par rapport aux résultats), et empreints d'une certaine subjectivité (« des regards persistants »). La cour ajoute que quand ces faits sont datés avec précision, comme pour le 3 janvier 2013 (dérangements pendant la pause générale pour lui réclamer des explications sur ses résultats), Mme R... se contente d'en déduire que Mme A... harcelait régulièrement Mme V... à propos de ses résultats.
La cour déduit de cette attestation l'existence de difficultés relationnelles entre Mme A... et plusieurs visiteuses médicales, dont Mme V..., qui acceptaient mal de voir leur travail évalué et contrôlé par Mme A.... La cour ajoute que cette attestation ne suffit pas à établir que la hiérarchie de Mme A... et la direction de la société ont été informées des difficultés relationnelles que rencontraient les visiteuses médicales avec Mme A..., ni que la direction ne leur aurait pas répondu sur celles des difficultés qui lui seraient remontées.
• Une attestation sur papier libre, non datée et produite pour la première fois en cause d'appel en 2016, du docteur I... qui témoigne de ce que « lorsque sa directrice régionale l'accompagnait en visite, celle-ci coupait régulièrement la parole à Mme V... ou l'interrompait...de plus, elle lui faisait littéralement « réciter » les argumentaires devant mes patients en salle d'attente ».
La cour relève que le docteur I... commence par préciser que « lors des différentes visites de Mme V..., je n'ai pas eu d'élément me permettant de comprendre une mise à l'écart professionnelle » et que pour ce qu'il mentionne ensuite (« réciter » en salle d'attente (...)), il ne ressort pas de son attestation qu'il a assisté personnellement à ces scènes. La cour en conclut que les faits ayant consisté pour Mme A... à faire réciter Mme V... devant les patients en salle d'attente ne sont pas établis.
• une attestation du docteur Y... datée du 16 octobre 2016 qui précise que Mme V... « m'a paru gênée uniquement lorsqu'elle a été accompagnée par sa directrice régionale qui l'interrompait souvent ».
• une attestation du docteur W... C... qui a « repensé aux dernières visites faites en compagnie de sa directrice régionale : elles avaient une toute autre tonalité ; elle était sans cesse reprise par cette directrice, souvent contredite, toute la visite était très mécanique, créant un climat de tension très gênant, sans sa spontanéité et son objectivité habituelle, ce qui rendaient les présentations nettement moins agréables pour moi comme pour Mme V... ». La cour relève que les agissements décrits par le docteur C... le sont de façon très générale.
• un compte rendu non signé de M. Q... N... du 24 avril 2013, donc postérieur au licenciement de Mme V..., qui relate une série d'éléments, dont le fait qu'un dermatologue témoigne du comportement outrageant de Mme A..., de ce que plusieurs médecins ont refusé, suite à ses visites avec Mme V..., de recevoir Mme A..., mais sans donner aucune précision sur ce dermatologue et ces autres médecins. La cour considère que cette attestation non circonstanciée n'est pas probante et qu'elle doit être écartée des débats.
• Un mail de Mme D..., Responsable RH du 12 juin 2013 et une réponse de M. N... lui indiquant « nous vous avons pourtant communiqué les témoignages écrits de médecins, de représentants du personnel, de collaborateurs » et que « devant votre refus de prendre en compte ces faits, vous comprendrez que je me retourne auprès de l'inspection du travail ». La cour considère qu'en l'absence de toute précision sur les auteurs de ces témoignages écrits et leur teneur exacte, ce mail n'a pas de valeur probante.
• Un mail de M. N... à Mme D... notamment du 6 juin 2013 indiquant que « le comité a encore reçu une plainte de la région vm ducray Paris, à propos du comportement déplacé et outrancier de Mme A... ». La cour considère qu'en l'absence de précision sur l'auteur de cette plainte et sur sa teneur exacte, ce mail est dépourvu de valeur probante.
• Une « lettre » datée du 25 avril 2012, que Mme V... a adressée pendant son arrêt de travail à M. N..., mais non signée de sa main, qui fait part à M. N... en particulier des situations de profonde humiliation dont elle est victime de la part de Mme A.... Dans la mesure où l'on ne peut se constituer de preuve à soi-même, cette pièce est dépourvue de toute valeur probante par rapport aux agissements qui y sont répertoriés. Elle doit être écartée des débats.
• L'absence de visite de reprise auprès de la médecine du travail après l'arrêt de travail de plus de 21 jours de Mme V... : ce fait est établi.
La cour relève en outre que Mme V... a été en arrêt de travail du 10 avril 2012 au 11 mai 2012, et que le certificat médical qu'elle verse aux débats relativement à cet arrêt a été établi postérieurement à son licenciement, le 4 juillet 2013, par le docteur J..., lequel certifie que Mme V... a présenté un syndrome dépressif majeur du 10 avril 2012 au 11 mai 2012, sans toutefois indiquer un quelconque lien avec un harcèlement moral, ni que cet état dépressif serait réactionnel à une quelconque situation professionnelle.
Au terme de l'analyse de l'ensemble des éléments qui sont sont soumis à son appréciation, la cour considère que la plupart des faits et agissements que Mme V... invoque ne sont pas établis et que, pour ceux qui le sont, ils révèlent des difficultés relationnelles entre Mme V... et sa supérieur hiérarchique, Mme A..., dans un contexte où Mme V... avait été soumise par sa hiérarchie à un plan d'accompagnement destiné à pallier ses carences réelles ou supposées dans ses fonctions ; la cour relève que Mme A... aurait pu attendre la fin des présentations aux médecins pour faire à Mme V... ses observations, mais que le fait de l'interrompre, voire de la contredire pendant certaines des présentations en duo, destinées à redresser ses résultats, a été exclusif de toute brimade, attitude ou propos humiliant, dégradant ou vexatoire de sa part.
La cour considère que si Mme A... a pu manquer d'un certain tact vis à vis de Mme V... en présence de certains médecins lors de certaines de ces présentations en duo, elle n'a fait preuve, lors du contrôle et de l'évaluation de son travail, d'aucune méthode de management brutale ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail. Si le contrôle de Mme A... a pu avoir pour effet, comme le soulignent des médecins, de rendre moins agréables et plus tendues certaines des présentations de Mme V... lorsqu'elles étaient faites en duo, à la fois pour elle-même et pour les médecins, cette tension et cette gêne n'étaient en revanche susceptibles ni de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, ni d'altérer sa santé physique ou mentale, mais étaient susceptibles de sauvegarder son avenir professionnel. La cour ajoute que les agissements invoqués par Mme V..., essentiellement lors des visites en duo, doivent être mis en relation avec les nombreux mails que Mme A... lui a adressés et qui étaient parfois chaleureux, toujours cordiaux, à l'écoute et prévenants face aux difficultés dont Mme V... pouvait lui faire part.
La cour en conclut qu'en tenant compte des certificats médicaux de Mme V..., de son absence de visite de reprise au terme de son seul arrêt de travail du 10 avril au 11 mai 2012, ainsi que, parmi tous les faits présentés, de ceux qui sont matériellement établis, ceux-ci ne permettent pas, même appréciés dans leur ensemble, de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.
Il y a donc lieu de débouter Mme V... de sa demande au titre du harcèlement moral et donc également de sa demande de voir juger son licenciement nul.
Le jugement sera confirmé de ces chefs.
Sur la violation de l'obligation de sécurité de résultat :
La cour précise d'abord qu'à supposer même que Mme V... ait alerté M. N... par son courrier du 25 avril 2012 des agissements dont elle aurait été victime de la part de Mme A..., il n'est pas établi, contrairement à ce qu'affirme Mme V... en forme de pétition de principe, que la société Ducray a été informée avant l'entretien préalable de Mme V... des agissements que celle-ci reprochait à Mme A.... Contrairement à ce qu'affirme M. N..., il n'est pas établi que celui-ci aurait informé les représentants de la société de difficultés que rencontraient Mme V... avec Mme A....
La cour déduit de l'ensemble des éléments soumis à son appréciation que la société Ducray n'a été informée, par le biais de ses représentants, que lors de l'entretien préalable de Mme V... des agissements que celle-ci reprochait à Mme A....
La cour ajoute que les correspondances qui ont été échangées, à compter de l'entretien préalable entre les principaux protagonistes, dont Mme V..., des représentants du personnel, d'un côté, et les représentants de la société, de l'autre, que la société Ducray a alors, et aussitôt, tout mis en oeuvre pour faire le point sur les agissements reprochés et pour prévenir des agissements de harcèlement moral éventuels.
La cour en conclut que contrairement à ce qu'affirme Mme V..., la société Ducray n'a pas violé son obligation de sécurité de résultat à cet égard.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur l'absence de visite de reprise :
Mme V... soutient qu'après une absence de 21 jours, tout salarié doit bénéficier auprès du médecin du travail et à l'initiative de l'employeur d'une visite médicale de reprise. Or, elle n'a pas bénéficié d'une telle visite et après qu'elle en eut informé l'employeur, celui-ci n'a pas réagi. Il ne lui appartenait pas de solliciter cette visite et compte tenu de la finalité de cette visite de reprise, elle a subi en l'espèce un préjudice, car si l'employeur l'avait organisée, le médecin aurait pu constater l'altération de sa santé au regard de ses conditions de travail, voire préconiser un aménagement de son poste et faire en sorte qu'elle ne soit plus exposée à Mme A.... En tout état de cause, elle aurait pu exprimer les difficultés qu'elle éprouvait et dont elle avait fait état à M. N....
La société Ducray fait valoir que l'absence de visite médicale de reprise relève d'une négligence de sa part, mais qu'elle ne saurait s'inscrire dans une quelconque démarche de harcèlement moral et que si Mme V... avait considéré cette négligence intolérable, elle en aurait informé son employeur. La société intimée ajoute que Mme V... aurait pu prendre l'initiative d'une telle visite et qu'en tout état de cause n'ayant pas été placée en arrêt de travail après le 11 mai 2012, le lien entre ses conditions de travail et son état de santé altéré est tout relatif.
Il résulte de l'article L.4121-1 du code du travail que la méconnaissance par l'employeur de son obligation d'organiser la visite médicale de reprise, lorsque celle-ci est obligatoire, constitue un manquement à son obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés de l'entreprise.
La cour relève que la société Ducray a manqué à son obligation d'organiser une visite de reprise qui était obligatoire, ce qu'elle ne conteste pas, et que, ce faisant, elle a manqué à son obligation de sécurité de résultat.
La cour considère que même si Mme V... n'a accompli aucune démarche suite à cette absence de visite de reprise et même si elle n'a pas connu de nouvel arrêt de travail par la suite, cette absence de visite de reprise lui a, en l'espèce, causé un préjudice, notamment en ce qu'elle l'a privée de la possibilité d'évoquer avec le médecin du travail les difficultés qu'elle rencontrait éventuellement dans son travail, notamment avec Mme A..., et des incidences, selon elle, de ces difficultés sur son état de santé, nonobstant l'absence de tout harcèlement moral de Mme A....
La cour en conclut que la société Ducray doit verser à Mme V... une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'absence de visite de reprise.
Le jugement sera confirmé, par ces motifs substitués, sur l'existence d'un préjudice et infirmé sur son quantum.
Sur le licenciement pour insuffisance professionnelle
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est libellée dans les termes suivants:
« (
) Au cours de cet entretien, qui a eu lieu en présence de Monsieur Z... X... (Directeur de l'information médicale Ducray) le 26 mars 2013, nous vous avons exposé les motifs de la décision que nous envisagions de prendre à votre égard. De votre côté, assistée de M. Q... N..., vous avez été entendue dans vos explications. Les explications recueillies auprès de vous lors de cet entretien, l'analyse des documents transmis et les échanges avec certains dermatologues de votre secteur, ne nous ont cependant pas permis de modifier notre appréciation.
Aussi, nous avons le regret de vous informer que nous avons décidé de donner suite à notre projet de vous licencier. Nous vous rappelons que ce licenciement pour insuffisance professionnelle est motivé par les raisons rappelées ci-après.
A l'issue du séminaire du mois d'août 2012, vous avez été mise sous plan de retour à la performance avec des objectifs qui vous ont été présentés par votre manager lors d'un entretien en date du 29 août 2012 (confirmé par écrit : mail du 10 septembre 2012). Ce plan de retour à la performance a été mis en place dans un premier temps sur les mois de septembre et octobre 2012 afin d'en mesurer les effets sur les mois de novembre et décembre 2012. En janvier 2013, nous avons conclu à l'absence d'indicateurs positifs, aussi nous avons décidé de poursuivre l'analyse des effets de ce plan sur les mois de novembre et décembre 2012. Malgré l'accompagnement en découlant (accompagnement de votre manager pour les présentations, tournées duo avec celui-ci, mise à disposition de moyens moteurs...) nous déplorons :
- un niveau de compétence professionnelles qui n'est pas à la hauteur de nos attentes en termes de :
1. préparation de la visite,
2. maîtrise des techniques de communication, d'introduction et d'évaluation des besoins des médecins,
3. capacité à développer la sortie produit qui reste majoritairement à confirmer, alors que vous avez près de 9 années d'expérience en qualité de visiteuse médicale.
- un sens réduit du résultat et des qualités de persuasion limitées (compétences cotées à 2 sur une échelle allant de 1 à 5 lors de l'entretien annuel précité) se traduisant par un discours descendant qui n'est pas en phase avec les orientations de la marque Ducray,
- enfin, une tenue de poste considérée comme insuffisante qui se traduit cumulativement par :
1. un niveau de performance inacceptable. En effet, alors que vous êtes sur un secteur à fort potentiel, votre classement en termes de prescriptions, se dégrade depuis trois années consécutives passant de 18ème sur 22 en 2010, à 20ème sur 22 en 2011 et enfin dernière au classement 2012. Par ailleurs, votre secteur enregistre sur l'année 2012 la plus forte évolution France (11,1%) et affiche un décrochage complet par rapport à sa région qui connaît une bonne dynamique (+1,1%). Le niveau de performance enregistré à fin février 2013 (Q.V = 54) confirme la dégradation de vos résultats et votre classement en dernière position.
2. Une absence d'utilisation des moyens mis à disposition (utilisation de 62% du budget mis à disposition sur la période de septembre à octobre 2012).
En conséquence, l'ensemble des éléments rappelés ci-dessus rend impossible la poursuite de notre relation contractuelle et justifie votre licenciement.
La date de première présentation de ce courrier fixe le début de votre préavis, qui est de 3 mois. Cependant, nous vous précisions que nous vous dispensons d'effectuer ce préavis qui vous sera néanmoins rémunéré aux échéances normales de paie (
) ».
Mme V... fait valoir qu'avant d'être confrontée à Mme A..., elle a toujours eu d'excellents résultats et que même après la modification de son secteur en 2010, elle a toujours bénéficié d'une excellente réputation auprès des médecins, que les attestations démentent les accusations qui lui sont faites d'incompétence professionnelle, de sens réduit du résultat et de qualités de persuasion limitées. En outre, l'utilisation que fait l'employeur des entretiens d'évaluation et de performance est déplacée, ceux-ci ne révélant pas son incompétence, au contraire souvent. De même, le plan d'action mis en oeuvre avait des objectifs irréalisables et une durée trop courte, même s'il a été prolongé de 2 mois dans des conditions discutables. Les objectifs chiffrés de nature commerciale étaient en contradiction avec la charte de la visite médicale et rien ne prouve qu'elle ait été soutenue par Mme A... lors des plans d'action. Quant au niveau de « performance inacceptable », les chiffres invoqués doivent être mis en relation avec non seulement la dimension et la nature du secteur qui lui était confié, mais aussi avec le fait que les produits présentés n'étaient pas remboursés et un système d'évaluation qui tenait moins compte des prescriptions par les médecins que des ventes effectuées par les pharmaciens, ce qui ne permettait pas d'évaluer son travail de persuasion, uniquement réalisé auprès des médecins. Quant aux résultats enregistrés par ses successeurs sur le secteur, ils sont soit inexacts, soit pas fiables. Enfin, Mme V... fait valoir qu'en l'absence de visite de reprise obligatoire, son contrat de travail était demeuré suspendu de telle sorte que même si elle a repris son travail, elle ne pouvait être licenciée pour insuffisance professionnelle, que pour des faits d'insuffisance antérieurs à ladite suspension. Or, la lettre de licenciement s'appuie essentiellement sur des faits postérieurs à l'arrêt de travail, notamment la non atteinte des objectifs prévus au plan de retour à la performance prévu à compter du mois d'août 2012.
La société Ducray soutient que l'insuffisance professionnelle de Mme V... a été caractérisée pendant de nombreux mois avant son licenciement et que malgré les moyens mis en oeuvre dans le plan de retour à la performance (plan d'actions), Mme V... est demeurée en situation d'insuffisance professionnelle pendant près de trois années consécutives, comme l'attestent ses entretiens annuels d'évaluation dès 2010, toutes les carences qui lui sont reprochées dans la lettre de licenciement étant par ailleurs prouvées. La société Ducray fait en outre valoir que le niveau de performance insuffisant est bien imputable à Mme V... et non aux caractéristiques de son secteur, dont le potentiel de prescriptions est au contraire fort, comme le montre la personne qui lui a succédé qui a atteint de bons résultats. En outre, les autres arguments invoqués par Mme V... pour justifier ses résultats (comme l'absence de remboursement) ne sont pas convaincants dès lors qu'ils concernent tous les visiteurs médicaux. De même, le système d'évaluation ne saurait être contesté dès lors qu'il est utilisé par l'ensemble des laboratoires pharmaceutiques et que les ventes en paraphamacies représentent une part minime du chiffre. De surcroît, les résultats commerciaux ne sont invoqués que pour mesurer l'impact des carences personnelles de Mme V.... Les attestations qui attestent des qualités professionnelles de Mme V... ne représentent qu'un nombre faible de praticiens de son secteur. Non seulement, Mme V... n'a pas satisfait aux objectif du plan d'action, mais en plus, elle ne s'y est pas soumise bien volontiers comme elle le prétend. Les entretiens d'évaluation attestent depuis 2010 de l'absence d'évolution de ses compétences malgré l'accroissement de son expérience. Enfin, Mme V... ne saurait se prévaloir du fait que son contrat de travail était demeuré suspendu en l'absence de visite de reprise en mai 2012, car son insuffisance professionnelle préexistait de toute façon depuis 3 ans. En outre, Mme V... est de mauvaise foi, car elle n'a jamais fait état d'une absence de visite de reprise. Et en tout état de cause, l'argumentation de Mme V... ne vaut que pour la suspension suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Or, s'agissant d'un arrêt de travail consécutif à une maladie non professionnelle, le licenciement est possible pendant la suspension pour une cause étrangère à l'état de santé.
La cour relève d'abord qu'il ne ressort pas de la lettre de licenciement que sous couvert d'insuffisance professionnelle, Mme V... aurait été licenciée pour avoir dénoncé les agissements de harcèlement moral dont elle aurait été victime, en sachant que dans ce cas peu importe que le harcèlement moral que le salarié dénonce soit caractérisé ou non.
La cour en déduit que Mme V... doit être déboutée de sa demande de nullité de licenciement à ce titre et qu'il convient de vérifier si son licenciement pour insuffisance professionnelle est justifié.
S'agissant de l'insuffisance professionnelle
L'insuffisance professionnelle du salarié, dès lors qu'elle est établie, peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement alors même qu'aucune faute personnelle n'est établie à son encontre.
L'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l'emploi.
Quant à l'insuffisance de résultats, elle ne peut constituer en soi une cause de licenciement. Il appartient au juge de rechercher si les mauvais résultats d'un salarié procèdent soit d'une insuffisance professionnelle, soit d'une faute imputable au salarié.
Le motif inhérent à la personne du salarié, dont celui de l'insuffisance professionnelle, doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L'article L1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Sur l'incidence de l'absence de visite de reprise sur le licenciement pour insuffisance professionnelle
Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail et des articles R. 4624-22 et R. 4624-23, en leur rédaction applicable au litige, du même code, qu'en l'absence de visite médicale de reprise à l'issue d'un arrêt de travail pour maladie y compris non professionnelle, le contrat de travail demeure suspendu, de telle sorte que seuls des manquements à l'obligation de loyauté peuvent être reprochés au salarié, y compris si celui-ci a repris son travail. Le salarié qui a manqué à son obligation de loyauté pendant la suspension de son contrat peut alors être licencié pour faute, voire pour faute grave. Si le salarié peut aussi être licencié pour insuffisance professionnelle pendant que le contrat est encore suspendu pour maladie non professionnelle, c'est à la condition que les faits d'insuffisance professionnelle soient antérieurs à la suspension du contrat. En effet, tant que le contrat de travail est suspendu, le salarié ne peut se voir imputer des faits d'insuffisance professionnelle dès lors que, faute de visite de reprise pourtant obligatoire, son aptitude à reprendre son emploi n'a pas été contrôlée par le médecin du travail.
- En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Ducray n'a pas fait passer la visite de reprise obligatoire à Mme V... à son retour d'arrêt maladie le 11 mai 2012, de telle sorte que même si elle a repris son travail, son contrat est demeuré suspendu jusqu'à son licenciement, peu important qu'elle n'ait pas fait état de cette absence de visite de reprise avant son licenciement.
Il en résulte que la société Ducray pouvait la licencier pour insuffisance professionnelle pendant que son contrat de travail demeurait suspendu pour maladie non professionnelle, mais uniquement en se prévalant d'insuffisances constatées avant son arrêt maladie.
Or, il ressort des termes mêmes de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que la société Ducray a licencié Mme V... pour insuffisance professionnelle en raison d'une non réalisation des objectifs (quantitatifs ou qualitatifs) de son « plan de retour à la performance » qui lui ont été présentés par son manager lors d'un entretien du 29 août 2012, c'est à dire pour des faits qui sont tous postérieurs à son retour d'arrêt maladie et qui concernent donc tous une période pendant laquelle son contrat de travail demeurait suspendu en l'absence de visite de reprise.
Ainsi, la société Ducray ne se prévalant à l'appui de l'insuffisance professionnelle de Mme V... que d'éléments qu'elle a constatés alors que le contrat de travail de Mme V... était encore suspendu en l'absence de visite de reprise, la cour en déduit que la société Ducray ne peut s'en prévaloir pour établir l'insuffisance professionnelle de Mme V....
La cour ajoute que c'est vainement que la société Ducray affirme dans ses écritures que l'insuffisance professionnelle de Mme V... existait de toute façon depuis trois ans, que ses lacunes et carences dans l'exercice de ses fonctions prévalaient depuis sa prise de poste en 2010. Outre que la lettre de licenciement ne fait état que de faits postérieurs au plan d'accompagnement de septembre 2012, si l'insuffisance professionnelle de Mme V... avait déjà été caractérisée en 2010, 2011 et 2012 au point de pourvoir justifier son licenciement, la société Ducray n'aurait pas manqué de la licencier pour insuffisance professionnelle avant son départ en arrêt maladie. De surcroît, elle n'aurait pas soumis Mme V... à un plan de retour à la performance quelques semaines après son retour d'arrêt maladie et n'aurait pas prolongé ce plan pour pouvoir notamment constater une dégradation de ses performances depuis trois années consécutives.
La cour en conclut que l'insuffisance professionnelle de Mme V... étant uniquement justifiée par des éléments constatés après son retour d'arrêt maladie, pendant une période où son contrat de travail demeurait suspendu faute de visite de reprise, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse pour ce seul motif.
Sur, si besoin était, l'insuffisance professionnelle de Mme V...
C'est donc de façon surabondante que la cour relève que les entretiens annuels du 10 février 2011 et du 9 février 2012, mais aussi celui du 8 février 2013 ne révèlent aucune insuffisance professionnelle de Mme V....
En effet, sur 12 compétences professionnelles évaluées en 2011 (3 sur 15 étant « sans objet »), 1 est dite « maîtrisée », 6 sont dites « acquise », 5 sont dites « à confirmer » et aucune est mentionnée comme étant « non acquise ». En outre, la «tenue du poste » est dite maîtrisée et le manager a donné son avis favorable sur le projet professionnel de Mme V... de poursuivre sur son poste actuel.
En outre, sur 11 compétences professionnelles évaluées en 2012 (4 sur 15 étant « sans objet »), 3 sont dites « à confirmer », 7 sont dites « acquise » et 1 est dite maîtrisée.
Enfin, sur 12 compétences professionnelles évaluées lors de l'entretien de 2013, 6 sont dites « acquise », 2 sont dites « maîtrisée », 4 sont dites « à confirmer » et aucune n'est dite « non acquise ».
Il en résulte que contrairement à ce qu'accrédite la société Ducray, Mme V... a vu ses compétences professionnelles s'améliorer et non pas se dégrader au cours de ces trois années. Certes, s'agissant de l '« appréciation globale sur la tenue du poste » (qui inclut les résultats individuels de l'année, les compétences professionnelles et comportementales), la tenue du poste n'est plus dite « maîtrisée » comme en 2011, mais « à développer » en 2012 et « insuffisante » en 2013.
Dès lors que les « compétences comportementales » ont, pour l'essentiel, reçu la même évaluation d'une année sur l'autre, la cour en déduit que cette modification d'appréciation globale sur la tenue du poste est surtout due à une non atteinte des objectifs, comme le confirme la conclusion de l'entretien annuel de février 2013.
La cour relève à cet égard que cette non atteinte des objectifs renvoie au grief du « niveau de performance inacceptable » qui est détaillé dans la lettre de licenciement et qui, à l'instar de toute insuffisance de résultat, ne saurait en lui-même constituer une cause de licenciement. La cour relève qu'un nombre non négligeable de médecins, que Mme V... a démarchés y compris lorsqu'elle était employé par la société Ducray, ont attesté de ses qualités professionnelles lors de la présentation des produits.
Appréciant l'ensemble des éléments versés aux débats par les deux parties, la cour considère qu'ils ne permettent pas d'établir que les résultats insuffisants sont imputables à Mme V..., à son insuffisance professionnelle, et non pas - à la fois ou séparément - aux caractéristiques de son secteur, à la nature des produits (essentiellement non remboursés), au système de pondération des produits, au système d'évaluation de la performance (outil Sel-out et non plus Gers).
En effet, la cour estime qu'il subsiste à tout le moins un doute sur l'imputabilité de ces mauvais résultats à Mme V... et, en l'occurrence, à son insuffisance professionnelle, les résultats obtenus par certains de ses successeurs n'étant pas suffisamment probants pour permettre de modifier cette appréciation.
La cour ajoute qu'au delà même de l'appréciation diachronique des compétences de Mme V... au travers de ses entretiens d'évaluation sur trois ans (ci-dessus), la société Ducray ne peut se contenter d'invoquer des compétences qui restent « à confirmer » de Mme V... en 2013 (en terme de préparation des visites, de maîtrise des techniques de vente de communication notamment) et des compétences comportementales qui restent déficientes en 2013 (persuasion, sens du résultat) pour justifier son insuffisance professionnelle dès lors que le plan d'action qu'elle a mis en place a uniquement visé à améliorer ses résultats chiffrés (gagner des points ratios), en concentrant son activité sur des UGA, en ciblant des dermatologues, en organisant un certain type de rendez-vous/ petits-déjeuners, et non pas à lui permettre précisément d'améliorer ces compétences professionnelles ou comportementales supposées déficientes de façon récurrente.
Si le comportement de Mme A... a été exclusif de tout harcèlement moral, notamment lors des visites duo, l'accompagnement qu'elle a réalisé est demeuré plus une forme de contrôle qui, aussi légitime fût-il, n'était pas adapté pour permettre à Mme V... d'améliorer ses compétences.
Enfin, la cour rappelle, si besoin était, que la société Ducray ne pouvait de toute façon se contenter, comme elle l'a pourtant fait, de constater l'insuffisance professionnelle de Mme V... à compter de la mise en oeuvre de ce plan en septembre 2012, c'est à dire alors que son contrat de travail demeurait suspendu pour maladie non professionnelle en l'absence de visite de reprise.
Au terme de l'analyse de tous les éléments soumis à son appréciation, la cour conclut que l'insuffisance professionnelle de Mme V... n'est en tout état de cause pas établie.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
S'agissant des incidences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse
En considération de l'ancienneté de Mme V... (9 ans), de sa rémunération brute mensuelle (3 385 euros), de son âge (37 ans au moment du licenciement), de sa formation et de sa capacité à retrouver un nouvel emploi, de ce qu'après avoir été indemnisée au titre de l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 6 novembre 2013, elle a retrouvé un emploi dès le 16 décembre 2013 dans le cadre d'un CDD avec un terme au 31 juillet 2014, mais aussi de ce qu'elle ne justifie pas de sa situation ultérieure au regard de l'emploi, il convient de lui allouer la somme de 34 700 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société Ducray sera donc condamnée à verser à Mme V... la somme de 34 700 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y lieu d'ordonner le remboursement par la société Ducray des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à Mme V... postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois.
Sur la demande de rappel de salaire :
Mme V... fait valoir que suite à un changement de système de calcul de la part variable de rémunération en 2012, il a été convenu une garantie de la rémunération variable sur la base de la même part variable de rémunération payée l'année précédente, engagement qui lui a été rappelé par la suite et qui la fonde à réclamer pour 2013 la somme de 4 005,61 euros. En tout état de cause, une telle garantie s'impose dès lors que la rémunération ne peut être modifiée sans l'accord du salarié.
La société Ducray soutient au contraire que Mme V... n'étaye nullement sa demande de rappel de salaire, de telle sorte qu'elle doit être déboutée de sa demande.
Il ressort des différents éléments versés aux débats, et notamment du mail que Mme A... a adressé à Mme V... le 28 février 2013, que suite au changement de système de calcul de rémunération, les salariés, dont Mme V..., devaient bénéficier d'une garantie de rémunération pour le cas où la comparaison entre deux moyennes mensuelles leur serait défavorable.
La cour relève que le mail que Mme D... a adressé à Mme V... le 3 mai 2013 montre que sur la base des éléments de comparaison retenus et qui ne sont pas utilement contestés par Mme V..., celle-ci a été remplie de ses droits.
La cour ajoute que Mme V... ne peut se prévaloir du seul mail de Mme A... pour contester les éléments de calculs qui ont été valablement retenus par la société.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme V... de sa demande de rappel de salaire.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le jugement sera infirmé de ces deux chefs et compte tenu de l'issue du litige, la société Ducray sera en condamnée à payer à Mme V... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'elle a engagés en première instance et en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement de départage du conseil de prud'hommes de Lille du 12 février 2016, sauf en ce qu'il a :
- dit qu'il n'y avait ni harcèlement moral, ni violation de l'obligation de sécurité de résultat et rejeté la demande de nullité du licenciement et de dommages et intérêts,
- débouté Mme O... V... de sa demande de rappels de salaires sur rémunération variable,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,
Dit que le licenciement de Mme V... pour insuffisance professionnelle est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Laboratoires Dermatologiques Ducray à payer à Mme O... V... les sommes suivantes :
- 34 700 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- 3 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice que Mme V... a subi du fait de l'absence de visite de reprise.
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonne à la société Laboratoires Dermatologiques Ducray de rembourser les indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à Mme O... V... postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois,
Déboute Mme O... V... du surplus de ses demandes,
Déboute la société Laboratoires Dermatologiques Ducray du surplus de ses demandes,
Condamne la société Laboratoires Dermatologiques Ducray aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
A. GATNER S. MARIETTE