ARRÊT DU
28 Février 2019
N 356/19
No RG 17/00297 -
No Portalis DBVT-V-B7B-QOTF
BR/VM
RO
AJ
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DUNKERQUE
en date du
31 Janvier 2017
(RG F 16/00036 -section 5)
GROSSE :
aux avocats
le 28/02/19
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. T... X...
[...]
Représenté par Me Pierre CORTIER, avocat au barreau de DUNKERQUE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178002/17/01995 du 28/02/2017 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉE :
SARL D2 PRO
[...]
Représentée par Me Guillaume GUILLUY, avocat au barreau de DUNKERQUE
DÉBATS : à l'audience publique du 08 Janvier 2019
Tenue par Béatrice REGNIER
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Aurélie DI DIO
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Sabine MARIETTE : PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Béatrice REGNIER : CONSEILLER
Patrick REMY : CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 28 Février 2019,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Sabine MARIETTE, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 03 Mai 2017, avec effet différé jusqu'au 10 Décembre 2018
M. T... X... a été engagé le 3 novembre 2008 par la SARL D2'PRO en qualité d'ouvrier polyvalent.
Le siège social de l'entreprise a été transféré de Saint Pol sur Mer à Steenvoorde en mai 2010.
M. X... a été sanctionné d'une mise à pied de deux jours le 25 août 2014.
Courant 2015, des courriers et SMS ont été échangés entre les parties, la SARL D2'PRO se plaignant d'absences injustifiées du salarié et celui-ci réclamant l'indemnisation de ses trajets entre son domicile et le siège social de l'entreprise ainsi qu'entre le siège social et les chantiers.
Le 17 décembre 2015, M. X... a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Saisi par M. X... le 27 janvier 2016 de demandes tendant notamment à l'allocation de dommages et intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail, le conseil de prud'hommes de Dunkerque a, par jugement du 31 janvier 2017, débouté le salarié de ses prétentions et rejeté la demande de la SARL D2'PRO sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 10 février 2017, M. X... a interjeté appel du jugement.
Par conclusions enregistrées le 27 février 2017, M. X... demande à la cour de dire que la prise d'acte s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de :
- condamner la SARL D2'PRO à lui payer les sommes de :
- 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
- 2 961,23 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 5 287,92 euros, outre 528,80 euros de congés payés, à titre de rappel de salaire pour la période du 1er octobre au 17 décembre 2015,
- 4 230,34 euros, outre 423,03 euros de congés payés, à titre d'indemnité de préavis,
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- enjoindre sous astreinte à la SARL D2'PRO de lui remettre une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie conformes à l'arrêt à intervenir.
Il soutient que :
- en transférant le siège social dans un lieu situé à 40 km de l'ancien siège - lui-même localisé à proximité de son domicile - et en s'abstenant de prendre financièrement en charge les nouveaux trajets induits par ce transfert, la SARL D2'PRO a modifié unilatéralement son contrat de travail ;
- il n'a jamais été indemnisé conformément aux dispositions de la convention collective des déplacements professionnels qu'il effectuait ;
- les manquements de l'employeur susvisés justifient sa prise d'acte ;
- alors qu'il était à la disposition de son employeur, il n'a pas été réglé de ses salaires pour la période du 1er octobre au 17 décembre 2015.
Par conclusions enregistrées le 2 mai 2017, la SARL D2'PRO demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner M. X... à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- un simple changement du lieu de travail - non contractualisé - ne constitue pas une modification du contrat de travail ; qu'en outre la distance entre l'ancien et le nouveau siège social n'était que de 37,3 km, soit un trajet en voiture de 32 minutes ; qu'enfin M. X... avait donné son accord pour le transfert, le gérant ayant demandé à chaque salarié s'il entendait poursuivre la relation contractuelle suite au changement de localisation du siège ;
- un véhicule était mis à la disposition des salariés à l'entreprise pour se rendre sur les chantiers ; que par ailleurs le temps de trajet entre le domicile et l'entreprise ne constitue pas un temps de travail effectif ; que M. X... a été rempli de ses droits en matière d'indemnités de déplacement ;
- elle n'a donc commis aucun manquement et la prise d'acte doit produire les effets d'une démission.
SUR CE :
1) Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail :
Attendu qu'il résulte de la combinaison des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ; que cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission ;
Attendu que M. X... invoque deux manquements de l'employeur pour justifier sa prise d'acte : une modification de son contrat de travail et un défaut d'indemnisation des déplacements siège social / chantiers ;
Attendu que, si le premier grief n'est pas constitué en ce que le nouveau lieu du siège social de la société - et partant du lieu à partir duquel les déplacements pour les différents chantiers étaient organisés ou indemnisés - est situé dans le même secteur géographique que l'ancien, le second reproche est quant à lui matériellement établi ;
Attendu en effet que, contrairement à ce que relève la SARL D2'PRO, le grief porte sur la seule indemnisation des déplacements professionnels entre le siège social et les chantiers, et non également entre le domicile du salarié et le siège de l'entreprise, et qu'il ressort des pièces du dossier que la société ne respectait de ce chef pas les dispositions de la convention collective des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment non visées par le décret du 1er mars 1962 (c'est à dire occupant plus de 10 salariés) du 8 octobre 1990 ;
Que la convention détermine en son article 8 les différentes indemnités à verser par l'employeur en cas de déplacements du salarié pour se rendre sur les chantiers ; qu'est ainsi prévu le règlement d'indemnités de petit déplacement, dont le montant varie en fonction de l'éloignement du chantier, décomposées en trois indemnités dénommées de repas, de frais de transport et de trajet ; que la convention met également à la charge de l'employeur le paiement d'indemnités de grand déplacement lorsque l'ouvrier travaille sur un chantier métropolitain dont l'éloignement lui interdit - compte tenu des moyens de transport en commun utilisables - de regagner chaque soir son lieu de résidence ; que le montant de ces dernières indemnités est fixé comme suit: "1. Pour les heures comprises dans son horaire de travail non accomplies en raison de l'heure de départ ou de l'heure d'arrivée, une indemnité égale au salaire qu'il aurait gagné s'il avait travaillé ; / 2. Pour chaque heure de trajet non comprise dans son horaire de travail, une indemnité égale à 50 % de son salaire horaire, sans majoration ni prime compensatrice des frais complémentaires que peut impliquer le voyage de déplacement, sauf si ces frais sont directement remboursés par l'entreprise." ;
Que, si M. X... ne conteste pas expressément avoir été indemnisé de ses frais de repas et si la SARL D2'PRO organisait à ses dires le transport des ouvriers entre le siège de l'entreprise et les chantiers, il ressort toutefois de l'examen des bulletins de paie du salarié que l'intéressé n'a perçu qu'à deux reprises une indemnité de trajet (en mai et juin 2015) et n'a jamais perçu d'indemnité de grand déplacement, alors même qu'il était très fréquemment en déplacement et qu'il a également à plusieurs reprises été amené à travailler sur des chantiers dont l'éloignement lui interdisait de regagner chaque soir son lieu de résidence ; que, sur ces derniers points, la cour observe que les feuilles de pointage - non signées du salarié - versées aux débats par la SARL D2'PRO sur injonction du bureau de conciliation, lesquelles établissent en tout état de cause que M. X... était très souvent en déplacement, ne correspondent pas aux feuilles de pointage produites par l'appelant - sur lesquelles sont mentionnés plusieurs chantiers éloignés (Soissons, Strasbourg, Metz) ; que la société ne fournit aucune explication sur ces différences, alors même que pour sa part le salarié verse plusieurs documents de nature à confirmer la réalité des mentions portées sur les feuilles qu'il communique (tickets de caisse concernant des achats alimentaires des frais de restauration dans le Bas-Rhin et dans l'Oise à des dates correspondant aux périodes de déplacement dans ces deux départements) ;
Attendu qu'en s'abstenant de régler l'intégralité des indemnités de déplacement conventionnellement prévues auxquelles son salarié pouvait prétendre, la SARL D2'PRO a gravement manqué à ses obligations ; que ce manquement a empêché la poursuite du contrat de travail de l'intéressé, qui, déjà contraint d'effectuer des trajets pour se rendre de son domicile à son lieu de travail, n'a pu financièrement supporter l'absence de paiement de toutes les indemnités qui lui étaient dues ; que la prise d'acte doit dès lors produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu que M. X... a droit à une indemnité compensatrice de préavis de 4 230,34 euros, outre 423,03 euros de congés payés, ainsi qu'à une indemnité de licenciement de 2 961,23 euros ;
Qu'il peut également prétendre, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ; qu'en considération de son ancienneté, de sa rémunération mensuelle brute, de son âge, de sa formation et de sa capacité à retrouver un emploi, de la durée de sa période de recherche d'emploi ou de reconversion professionnelle et des aides dont il a pu bénéficier, son préjudice est évalué à la somme de 13 000 euros ;
Attendu qu'en application de l'article L. 1235-4 du code du travail il y lieu d'ordonner le remboursement par la SARL D2'PRO des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à M. X... postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois ;
2) Sur le rappel de salaire :
Attendu que, si la SARL D2'PRO a pu à une reprise - fin septembre 2015 - demandé à M. X... de justifier de son absence avant de réintégrer l'entreprise, elle a dès le 8 octobre, par le biais de plusieurs courriers successifs, enjoint l'intéressé de rejoindre son poste de travail - ce que ce dernier a toujours refusé ; que, faute d'accomplir sa prestation de travail, M. X... ne peut prétendre à la rémunération correspondante, sans qu'il puisse valablement arguer de ce que les manquements commis par l'employeur l'autorisaient à ne plus travailler ; que sa demande de rappel de salaire et de congés payés afférente à la période du 1er octobre au 17 décembre 2015 durant laquelle il était absent est dès lors rejetée ;
3) Sur la remise des documents sociaux :
Attendu que, compte tenu de la décision retenue, il est fait droit à cette réclamation dans les conditions fixées au dispositif ;
4) Sur les frais irrépétibles :
Attendu qu'il convient pour des raisons tenant à l'équité d'allouer à M.X... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. T... X... de sa demande de rappel de salaire et des congés payés y afférents et rejeté la demande de la SARL D2'PRO sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant,
Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de M. T... X... produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SARL D2'PRO à payer à M. T... X... les sommes de :
- 4 230,34 euros, outre 423,03 euros de congés payés, à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 2 961,23 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 13 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel,
Ordonne le remboursement par la SARL D2'PRO des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à M. T... X... postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois,
Ordonne à la SARL D2'PRO de remettre à M. T... X... une attestation pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie conformes au présent arrêt,
Dit qu'à défaut d'exécution volontaire dans le mois de la signification du présent arrêt, elle sera contraints de s'exécuter sous astreinte provisoire de 30 euros par jour de retard et par document, passé ce délai, l'astreinte étant limitée à six mois,
Condamne la SARL D2'PRO aux dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER
A. LESIEURLE PRÉSIDENT
S. MARIETTE