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28/02/2019 | FRANCE | N°17/001908

France | France, Cour d'appel de Douai, B1, 28 février 2019, 17/001908


ARRÊT DU
28 Février 2019

N 368/19

No RG 17/00190 - No Portalis DBVT-V-B7B-QNJC

MD/AL

RO

Jugement du
Conseil de Prud'hommes de HAZEBROUCK
en date du
21 Décembre 2016
(RG F 15/00150 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 28/02/19

République Française
Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme I... W...
[...]
[...]
Représentée par Me François DELEFORGE de la SCP FRANCOIS DELEFORGE-BERNARD FRANCHI, avocat au barreau de DOUAI a

ssisté de Me Cédric RUMEAUX, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

SCA MARCHE DE PHALEMPIN VENANT AUX DROITS DE LA SOCIETE SCA DE LA REGION NORD DUNKERQUE SIPEN...

ARRÊT DU
28 Février 2019

N 368/19

No RG 17/00190 - No Portalis DBVT-V-B7B-QNJC

MD/AL

RO

Jugement du
Conseil de Prud'hommes de HAZEBROUCK
en date du
21 Décembre 2016
(RG F 15/00150 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 28/02/19

République Française
Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme I... W...
[...]
[...]
Représentée par Me François DELEFORGE de la SCP FRANCOIS DELEFORGE-BERNARD FRANCHI, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Cédric RUMEAUX, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

SCA MARCHE DE PHALEMPIN VENANT AUX DROITS DE LA SOCIETE SCA DE LA REGION NORD DUNKERQUE SIPENORD
MARCHE DE PHALEMPIN
[...]
[...]
Représentée par Me Stéphane JANICKI, avocat au barreau de LILLE substitué par Me CHEVALIER

DÉBATS : à l'audience publique du 04 Décembre 2018

Tenue par Monique DOUXAMI
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Audrey CERISIER

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Monique DOUXAMI : PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Patrick SENDRAL : CONSEILLER
Caroline PACHTER-WALD : CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 28 Février 2019,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monique DOUXAMI, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 03 Avril 2017, avec effet différé jusqu'au 05 Novembre 2018
EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE, DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Madame I... W... a été embauchée par l'URAME, une union de coopératives agricoles, en qualité de comptable en 1996.

En 1999, elle a été transférée à la SCA coopérative agricole de la région Nord Dunkerquoise Sipenord (SCA Sipenord), qui a pris son indépendance par rapport à l'URAME.

Les 17, 23 et 26 juin 2015, elle a fait l'objet de trois avertissements.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 juillet 2015, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé au 5 août suivant et a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 septembre 2015, elle s'est vue notifier son licenciement pour faute grave.

Contestant les avertissements et le licenciement, se disant victime de harcèlement moral, estimant ne pas avoir été remplie de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail et sollicitant la condamnation de la SCA Sipenord au paiement de diverses sommes au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, dommages et intérêts consécutifs à l'annulation des trois avertissements, indemnité compensatrice de préavis, indemnité de licenciement, dommages et intérêts pour durée abusive de la mise à pied conservatoire, dommages et intérêts pour harcèlement moral, rappel de salaire sur heures supplémentaires et congés payés y afférents, rappel de salaire sur repos compensateurs, rappel de salaire sur RTT 2014 et 2015, rappel de salaire sur 13ème mois et congés payés y afférents, dommages et intérêts pour remise tardive de l'attestation Pôle Emploi et frais irrépétibles, Madame I... W... a saisi le conseil de prud'hommes d'Hazebrouck qui, par jugement du 21 décembre 2016, a :
-prononcé l'annulation des trois avertissements ;
-dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse ;
-condamné la SCA Sipenord au paiement, outre des dépens, des sommes suivantes :
-25 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
-20 940,34 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
-6209,48 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 602,95 euros au titre des congés payés y afférents,
-2761,33 euros au titre du repos compensateur,
-270,34 euros au titre des RTT,
-2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-rejeté le surplus des demandes.

Par déclaration d'appel transmise au greffe par voie électronique le 26 janvier 2017, Madame I... W... a relevé appel de ce jugement.

Elle demande à la cour de :
-confirmer le jugement déféré sur les condamnations prononcées, sauf à les mettre à la charge de la SCA Marché de Phalempin, qui vient désormais aux droits de la SCA Sipenord ;

-le réformer sur le surplus et condamner la SCA Marché de Phalempin aux sommes supplémentaires suivantes :
-65 000 euros au titre de dommages et intérêts supplémentaires pour licenciement abusif,
-3000 euros au titre de dommages et intérêts consécutifs à l'annulation des trois avertissements,
-1000 euros au titre de dommages et intérêts pour durée abusive de la mise à pied conservatoire,
-30 000 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
-1317,90 euros au titre d'heures supplémentaires 2015 et 131,79 euros au titre des congés payés y afférents,
-473,10 euros au titre des RTT 2014,
-1220 euros au titre de rappel de 13e mois et 122 euros au titre des congés payés y afférents,
-3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-débouter la SCA Marché de Phalempin de toutes ses demandes ;
-condamner la SCA Marché de Phalempin aux dépens de première instance et d'appel.

La SCA Marché de Phalempin, qui vient désormais aux droits de la SCA Sipenord, demande à la cour de :
-débouter Madame I... W... de l'intégralité de ses demandes ;
-condamner Madame I... W... au paiement, outre des dépens, de la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions de :
-Madame I... W... transmises par voie électronique le 31 octobre 2018 ;
-La SCA Marché de Phalempin transmises par voie électronique le 26 octobre 2018.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 avril 2017 avec effet au 5 novembre 2018.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les avertissements et leurs éventuelles conséquences

Selon l'article L 1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

Au nombre des dites sanctions, figurent l'avertissement et la mise à pied.

II résulte des dispositions de l'article L 1333-1 du même code qu'en cas de litige, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction ce, au vu des éléments fournis par l'employeur ainsi que de ceux fournis par le salarié à l' appui de ses allégations et après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d'instruction utiles.

Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par trois mails des 17, 23 et 26 juin 2015, Madame P... C..., directrice de la SCA Sipenord a décerné successivement à Madame I... W... trois avertissements pour sanctionner les quatre faits suivants :
-remise tardive d'une pièce comptable (demandée le vendredi 5 juin 2015 et obtenue le lundi 8 juin 2015) et attitude hostile à son égard (élever le ton, s'adresser à elle avec agressivité et mépris) ;
-retard dans la transmission de la déclaration de TVA à l'administration fiscale (le 23 juin 2015 au lieu du 22 juin) ;
-transfert de données professionnelles sur sa messagerie personnelle.

L'attitude hostile n'est pas suffisamment démontrée par l'attestation de la seule salariée, Madame X... Y..., ne présentant pas de garanties suffisantes alors qu'elle ne correspond pas aux prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile et qu'elle n'est pas corroborée par d'autres éléments.

En conséquence, ce fait ne saurait justifier une sanction.

La matérialité des trois autres faits sanctionnés est établie.

Toutefois,
-la responsabilité de Madame I... W... dans le retard de transmission de la pièce comptable n'est pas étayée au regard des circonstances différentes y ayant contribué, avancées dans l'échange de mails du 8 juin 2015 avec Madame P... C.... De surcroît, ce retard apparaît minime et sans aucune incidence par rapport aux commissaires aux comptes auxquels le document était destiné ;
-le retard de transmission de la déclaration de TVA a également été sans conséquence car la SCA Sipenord était créditrice. Madame P... C... était d'ailleurs informée de cette situation lorsqu'elle a notifié la sanction. De surcroît, cette tâche était nouvelle pour Madame I... W.... Elle lui avait été dévolue, à la faveur d'une nouvelle organisation mise en place en janvier 2015, lui retirant l'établissement des fiches de paie mais lui attribuant d'autres fonctions, dont la déclaration de TVA, réalisées par l'aide comptable ayant été licenciée pour motif économique en décembre 2014. Elle avait eu peu de temps pour se familiariser avec elle, ayant été placée en arrêt de travail pour maladie du 11 février 2015 au 10 mai 2015 puis ayant pris des congés du 11 au 18 mai 2015, du 20 au 30 mai 2015 et les 2 et 4 juin 2015 ;
-le transfert de données sur la boite personnelle de Madame I... W... a été fait à la vue de Madame P... C..., au moyen d'une copie apparente d'un mail adressé à cette dernière, et son seul effet justifié a été de permettre à Madame I... W... de finaliser, à son domicile, alors qu'elle était en RTT, un travail inachevé le matin sur son lieu de travail.

Il en résulte qu'un doute subsiste sur l'imputabilité à Madame I... W... du retard de la transmission de la pièce comptable et qu'en tout état de cause, ce fait, tout comme les deux autres, ne présente pas un caractère de gravité suffisant pour justifier la sanction prononcée.

En conséquence, les trois avertissements seront annulés et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Il sera également confirmé en tant qu'il a débouté Madame I... W... de sa demande de dommages et intérêts, l'intéressée ne démontrant pas l'existence d'un préjudice qui serait la conséquence du prononcé des trois avertissements injustifiés.

Sur le licenciement et ses éventuelles conséquences

La faute grave, telle qu'énoncée dans la lettre de licenciement dont les termes fixent les limites du litige, se définit comme étant un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié, caractérisant de sa part, un manquement tel aux obligations découlant de la relation de travail que son maintien dans l'entreprise, pendant la durée du préavis, s'avère impossible.

La charge de la preuve de la faute grave incombe à l'employeur.

Dans la lettre de licenciement, qui est reprise quasi in extenso dans le jugement déféré, la SCA Sipenord articule les griefs suivants à l'encontre de Madame I... W...:
-retard de saisie constaté le 2 juillet 2015,
-non transmission aux clients du relevé de la deuxième décade constatée le 2 juillet 2015,
-erreur concernant les factures K... et Total le 8 juin 2015 et Lezieur,
-erreur dans les virements aux établissements Sautejeau le 22 juin 2012, aux producteurs Hennion le 23 juin 2015 et à Monsieur O... le 30 juin 2015,
-non établissement le 7 juillet 2015 d'une facture d'eau au locataire sollicité le 22 juin 2015 ,
-non transmission des codes et mots de passe du logiciel de paie et absence de classement des documents comptables au moment de l'arrêt maladie ayant débuté le 1er juillet 2015,
-paiement d'une facture annulée au garage Beun découvert le 13 juillet 2015,
-erreur dans le paiement de la facture EARL Dequidt le 23 juin 2015,
-erreur dans l'établissement de la déclaration de TVA établie en juin 2015 ;
-attitude oppositionnelle et hostile pendant l'entretien préalable.

Il ne ressort pas des éléments du dossier que ces faits ont été découverts par l'employeur avant la notification, le 27 juin 2015, du dernier avertissement de telle sorte que Madame I... W... invoque à tort une purge du droit disciplinaire à cette date.

Les éléments communiqués suffisent à en démontrer la réalité à l'exception de ceux relatifs au retard de saisie, à la non communication des codes et mots de passe du logiciel paie au moment du congé maladie qui a débuté le 1er juillet 2016, au paiement des factures du garage Beun et de la facture de l'EARL Dequidt ainsi qu'à l'attitude de Madame I... W... lors de l'entretien préalable.

Les faits établis relèvent des fonctions de comptable de Madame I... W.... Ils ont été commis alors que, comme indiqué plus haut, l'intéressée a eu peu de temps pour se familiariser avec les nouvelles tâches qui lui ont été attribuées dans le cadre de l'organisation mise en place en janvier 2015.

De surcroît, Madame I... W..., justifie :
-avoir pris à la fin du mois de juin 2015, avec l'accord de Madame P... C..., des RTT qu'elle devait solder, ce qui accrédite ses allégations sur un manque de temps pour accomplir l'ensemble de ses attributions ;
-avoir été placée en arrêt de travail pour maladie à partir du 1er juillet 2015, ce qui étaye ses dires sur l'impossibilité de procéder à la revue comptable de fin de mois, à l'occasion de laquelle sont opérées de nombreuses rectifications.

Enfin, la SCA Marché de Phalempin ne démontre aucun préjudice découlant de ces faits.

Il résulte de ce qui précède qu'en dépit de leur répétition, les faits établis procèdent, non d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée de Madame I... W... mais, d'erreurs ou d'oublis non intentionnels. Au demeurant, ils sont véniels, étant régularisables et sans incidence justifiée.

Dès lors, ils ne sont ni suffisamment graves pour rendre impossible le maintien de Madame I... W... dans l'entreprise ni suffisamment sérieux pour justifier la rupture du contrat de travail.

En conséquence, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Madame I... W... est fondée à obtenir :
-l'indemnité de préavis et les congés payés y afférents qu'elle sollicite et dont les montants ne sont pas discutés ;
-l'indemnité de licenciement qu'elle sollicite dont le montant n'est pas discuté.

Le jugement déféré sera confirmé de ces chefs.

Compte tenu de l'ancienneté de Madame I... W... au moment du licenciement (19 ans), de son âge (55 ans), de sa situation personnelle et professionnelle postérieure, justifiant de son indemnisation par Pôle emploi, de ses recherches d'emploi et de son embauche en intérim pendant 6 semaines, le préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi sera entièrement réparé par l'attribution de dommages et intérêts à hauteur de 59 000 euros.

Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Madame I... W... a bénéficié pendant la mise à pied conservatoire du paiement des IJSS et d'un complément par la prévoyance de sorte qu'elle n'a pas subi de préjudice financier.

Elle sollicite l'attribution de dommages et intérêts en invoquant un autre préjudice consécutif à la durée de la mise à pied qu'elle qualifie d'excessive.

Quand bien même la durée de la mise à pied serait excessive, elle ne justifie pas de ce préjudice qui en serait la conséquence.

En conséquence, Madame I... W... sera déboutée de sa demande et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le harcèlement moral

Selon l'article L.1l52-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des dispositions de l'article L1154-2 du code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Selon Madame I... W..., les faits constitutifs de harcèlement moral ressortent de ce qui suit :
-début 2015, elle a commencé à recevoir des demandes péremptoires et pressantes d'un prestataire n'appartenant pas à la SCA Sipenord. Elle n'avait reçu aucune information de la direction à ce titre. Il lui a été demandé d'envoyer à quelqu'un d'extérieur à la SCA Sipenord des documents comptables donc confidentiels ;
-Madame P... C... lui a adressé de manière totalement gratuite des reproches sans avoir pris la peine de cerner les contours de son poste ;
-le 17 février 2015, elle s'est rendue à la médecine du travail et il lui a été diagnostiqué un burn out consécutif à un épuisement professionnel. En 2014, elle a effectué 719 heures supplémentaires dont 506 ont été payées. En janvier 2015, 51 heures supplémentaires avaient été réalisées ;
-le 19 mai 2015, lors de la reprise, à l'issue de son congé maladie et d'une semaine de congé, elle s'est retrouvée face à un véritable tribunal (composé de la directrice, du président et du vice président de la SCA Sipenord) qui l'attendait pour l'empêcher de reprendre son poste. On lui a proposé une rupture conventionnelle dans des conditions inadmissibles et elle a été contrainte de signer une demande de congé. La majeure partie de la discussion a tourné autour des heures supplémentaires que le président a fait mine de découvrir alors qu'il les avait validées et que Madame P... C... lui avait indiqué dans un courrier du 26 mars 2015 : « L'ensemble du bureau a reconnu votre implication en 2014 et vous a exprimé leur reconnaissance. A ce titre, il vous a gratifié d'une prime exceptionnelle, justifiée, pour compenser le surcoût de travail sur cette année (pour information le coût salarial de votre poste s'est élevé en 2014 à environ 79496 euros contre habituellement un coût aux alentours de 58491 euros). Le bureau a donc pleinement reconnu votre travail et personne ne vous a adressé me semble-t-il de reproches. »;
-le 1er juin 2015, elle a tenté une nouvelle reprise mais s'est retrouvée devant le même tribunal et a été de nouveau contrainte de signer une demande de congé ;
-les 3 et 4 juin 2015, le président de la SCA Sipenord l'a appelée chez elle à trois reprises ;
-le 5 juin 2015, elle a été confrontée au même scénario mais a refusé de se laisser faire et a appelé son conseil qui a eu en ligne le président de la SCA Sipenord qui s'est montré incohérent et irrationnel avec une constante dans son discours : il ne voulait plus de d'elle et voulait qu'elle rentre chez elle ;
-à compter de cette date, elle a subi en permanence les invectives de Madame P... C... dont l'unique objectif était de la pousser à l'erreur pour ensuite le lui reprocher de manière particulièrement méprisante et humiliante (mails des 5,8 et 11 juin 2015). Le président de la SCA Sipenord y a également mis du sien (mail du 8 juin 2015). Les 9 et 11 juin, la directrice a voulu lui faire signer une fiche de poste ;
-elle s'est vue décerner 3 avertissements injustifiés en 9 jours, dont certains sur sa boite personnelle, en termes particulièrement inadmissibles ;
-durant l'entretien préalable, le président est revenu sur les heures supplémentaires 2014 et a indiqué « les administrateurs veulent que je porte plainte à la gendarmerie mais je n'ai pas encore pris ma décision. Tu en connais les conséquences » ;
-les conséquence sur son état de santé décrites par le sophrologue qui la suit et son médecin traitant.

Les documents communiqués par Madame I... W... ne suffisent pas à établir la réalité de l'intégralité de ces éléments. Il en ressort toutefois qu'elle s'est vue notifier au cours du mois de juin 2015, en l'espace de 9 jours, les trois avertissements rappelés ci-dessus dans un contexte de tensions avec la directrice et le président de la SCA Sipenord, sur fond de contestation des heures supplémentaires payées en 2014 et revendiquées pour 2015, qui s'est manifesté même au moment de l'entretien préalable. Monsieur Jean Caillau, conseiller de Madame I... W..., confirme dans le résumé de cet entretien les propos attribués par la salariée à Monsieur M... L... et conclut « Je mets fin à l'entretien à 8 h40, tout semble avoir été dit et le climat devient de plus en plus désagréable, y a-t-il des menaces dans l'air... ?».

Madame I... W... produit également les attestations de Monsieur Eric J..., sophrologue, et un certificat du médecin traitant du 30 juillet 2015 attestant de l'altération de sa santé ayant justifié un arrêt de travail notamment à compter du 1er juillet 2015.

Le médecin traitant indique qu'elle souffre d'une symptomatologie anxiodépressive liée aux conditions de travail rapportées, troubles du sommeil, perte de l'élan vital, angoisses, sentiment de dévalorisation confinant à la perte d'espoir.

L'ensemble de ces éléments établit la matérialité de faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il résulte des développements qui précèdent que les trois avertissements décernés par Madame P... C... sur un très court laps de temps, en juin 2015, ne sont pas justifiés.

De surcroît, la SCA Marché de Phalempin ne fournit aucun document de nature à démontrer que le comportement de Monsieur M... L... à l'égard de Madame I... W... (qui s'est manifesté par le mail du 8 juin 2015, les propos tenus à son égard à son conseil le 5 juin 2015 et lors de l'entretien préalable) est étranger à tout harcèlement.

Enfin, la SCA Marché de Phalempin se borne à souligner qu'il existe un doute sur la cause de l'état de santé de Madame I... W..., notamment au regard des antécédents familiaux, sans pour autant établir que les agissements à son encontre seraient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Il en résulte que la SCA Marché de Phalempin ne satisfait pas à la charge de la preuve qui lui incombe de sorte que les agissements dont a été victime Madame I... W... sont constitutifs de harcèlement moral.

Le préjudice découlant du harcèlement moral subi sera entièrement réparé par l'attribution de dommages et intérêts à hauteur de 5000 euros.

En conséquence, la SCA Marché de Phalempin sera condamnée au paiement de cette somme à Monsieur Philippe H... et le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Sur les heures supplémentaires

Selon l'article L3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif au nombre d'heures accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Ainsi en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production de tous éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en apportant le cas échéant la preuve contraire.

Madame I... W... soutient avoir réalisé 51 heures supplémentaires entre le 26 décembre 2014 et le 26 janvier 2015 dont le paiement lui a été refusé par la SCA Sipenord.

Elle produit aux débats :
-un décompte des heures supplémentaires pour la période du 26 décembre 2014 au 26 janvier 2015 qu'elle a renseigné et signé et qui ne comporte aucun visa de l'employeur,
-des listes de mails qu'elle a adressés à différents destinataires dans le cadre de ses fonctions classés par ordre chronologique et par tâche,
-des mails qu'elle a envoyés de son adresse professionnelle à son adresse personnelle, dont la majorité n'a pas de contenu,
-la liste des tâches qui lui étaient confiées,
-une attestation de Monsieur K... indiquant « J'ai rencontré très fréquemment le soir Madame W... I..., comptable Sipenord qui sortait de la coopérative avec son véhicule... ou en train de fermer le portail de son entreprise durant les années 2013-2014 et début 2015 dans la tranche horaire 19h30-20 h » avec les disques chronotachygraphes du camion qu'il conduisait afin de justifier de ses propres horaires de travail ;
-le mail qu'elle a adressé le 28 janvier 2015 à Monsieur M... L... et à Madame P... C... pour réclamer le paiement des heures supplémentaires en cause.

Contrairement à ce que la SCA Marché de Phalempin prétend, ces éléments sont suffisamment précis pour étayer sa demande de sorte qu'il lui appartient de se conformer à son obligation de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par la salariée.

Or, pour tenter d'échapper à cette demande, la SCA Marché de Phalempin fait valoir que:
-Madame I... W... n'a jamais demandé à effectuer des heures supplémentaires et tous les éléments de preuve apportés démontrent que si de telles heures ont été exceptionnellement effectuées, ce n'est qu'à son initiative personnelle ;
-Madame I... W... justifie des heures supplémentaires réalisées en janvier 2015 par une liste des tâches inhérentes à ses fonctions et par des modifications informatiques qui ont été réalisées par un prestataire ;
-Madame I... W... n'a jamais fait valider ses prétendues heures supplémentaires ni par Monsieur M... L... avant 2015 ni par Madame P... C... à compter de janvier 2015 alors qu'elle l'a fait pour d'autres salariés et particulier, Messieurs A... et R....

Toutefois, il ressort de ses propres pièces que Madame I... W... a été payée pour des heures supplémentaires effectuées entre le mois d'octobre 2013 et le mois de décembre 2014 (163,50 heures entre le 1er octobre et le 31 décembre 2013 et 506 heures durant l'année 2014). Il n'est pas démontré que, comme la SCA Marché de Phalempin le sous-entend, ce paiement des heures supplémentaires est intervenu à son insu, à la faveur d'une absence de contrôle journalier par le directeur alors que Madame I... W... avait la responsabilité de la paie. Il s'en déduit que ces heures supplémentaires ont été réalisées avec son accord implicite et que cette situation a perduré jusqu'à la fin du mois de janvier 2015, époque à laquelle elle a exprimé un refus explicite de payer les heures supplémentaires.

A défaut pour la SCA Marché de Phalempin de justifier des horaires effectivement réalisés par la Madame I... W..., il sera fait droit aux demandes de cette dernière.

En conséquence, la SCA Marché de Phalempin sera condamnée à lui payer la somme de 1317, 90 euros au titre des heures supplémentaires et 131, 79 euros au titre des congés payés y afférents et le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Sur le repos compensateur concernant les heures supplémentaires payés en 2014

Le jugement déféré sera confirmé sur la somme due par la SCA Marché de Phalempin au titre du repos compensateur qui n'est contestée ni dans son principe ni dans son montant.

Sur les RTT

Le jugement déféré sera confirmé au titre de la somme due au titre de l'indemnité due pour les RTT non pris en 2015 qui n'est contestée ni dans son principe ni dans son montant.

S'agissant des RTT pour l'année 2014, Madame I... W... prétend que la somme de 473,70 euros, correspondant à une journée et 5 demi journées de RTT non prises en 2014 du fait de la charge de travail et donc de l'employeur, lui est due.

La SCA marché de Phalempin se réfère à l'accord d'entreprise du 22 décembre 2000 et fait valoir qu'il n'y a jamais eu de report de RTT en son sein.

L'absence de prise des jours de RTT n'ouvre pas droit à indemnité, sauf si cette situation est imputable à l'employeur ou si un accord collectif le prévoit.

En l'espèce, la réalité et le quantum des RTT que Madame I... W... n'a pas pris en 2014 ne sont pas contestés.

L'accord d'entreprise sur l'aménagement-réduction du temps de travail du 22 décembre 2000 ne comporte pas de dispositions prévoyant une contre partie financière à la non prise des jours de RTT.

En revanche, il se déduit du nombre important d'heures supplémentaires payées à Madame I... W... en 2014 que sa charge de travail l'a empêchée de prendre ces jours de RTT, cette situation étant imputable à la SCA Sipenord responsable de l'organisation du travail.

Partant, Madame I... W... est en droit d'obtenir l'indemnité qu'elle sollicite correspondant aux jours de RTT non pris en 2014 dont le montant n'est pas contesté.

En conséquence, la SCA Marché de Phalempin sera condamnée à lui payer la somme de 473,10 euros à ce titre et le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Sur le 13e mois

Madame I... W... soutient qu'elle a droit à un prorata de 13e mois au regard de la période travaillée équivalente à 5 mois si l'on prend en compte le préavis théorique et les périodes de maladie.

La SCA Marché de Phalempin ne discute pas l'existence d'une prime de 13e mois mais fait valoir que :
-elle est versée en décembre si le salarié est présent le 31 décembre ;
-il n'existe pas d'usage d'entreprise permettant l'application d'un prorata temporis à cette prime.

Les bulletins de paie de salariés ayant quitté la société au cours d'une année produits aux débats ne confirment pas le versement systématique à tout le personnel ou au moins à une catégorie du personnel d'un prorata de prime de 13ème mois de sorte qu'ils sont insuffisants à établir l'existence d'un usage d'entreprise permettant l'application d'un prorata temporis à cette prime.

En conséquence, Madame I... W... sera déboutée de ses demandes au titre de la prime de 13e mois et des congés payés y afférents.

Sur les autres demandes

La SCA Marché de Phalempin sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et condamnée à payer à Madame I... W... la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel qui s'ajoutera aux frais irrépétibles de première instance qui sont confirmés.

La SCA Marché de Phalempin sera condamnée aux dépens d'appel, sa condamnation aux dépens de première instance étant confirmée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire mis à disposition par les soins du greffe,

Infirme le jugement rendu le 21 décembre 2016 par le conseil de prud'hommes d'Hazebrouck sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dommages et intérêts pour le harcèlement moral, le rappel sur les heures supplémentaires pour la période du 26 décembre 2014 au 26 janvier 2015 et les congés payés y afférents et l'indemnité au titre des RTT non pris en 2014 et statuant à nouveau,

Condamne la SCA Marché de Phalempin à payer à Madame I... W... les sommes suivantes:
-59 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-5000 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
-1317,90 euros au titre d'un rappel sur heures supplémentaires pour la période du 26 décembre 2014 au 26 janvier 2015 et 131,79 euros au titre des congés payés y afférents,
-473, 10 euros au titre d'indemnité pour les RTT non pris en 2014;

Confirme le surplus ;

Y ajoutant,

Déboute la SCA Marché de Phalempin de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SCA Marché de Phalempin à payer à Madame I... W... la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamne la SCA Marché de Phalempin aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

A. LESIEUR M. DOUXAMI


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : B1
Numéro d'arrêt : 17/001908
Date de la décision : 28/02/2019
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.douai;arret;2019-02-28;17.001908 ?
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