La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/11/2018 | FRANCE | N°17/05261

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 22 novembre 2018, 17/05261


République Française


Au nom du Peuple Français








COUR D'APPEL DE DOUAI





TROISIEME CHAMBRE





ARRÊT DU 22/11/2018








N° de MINUTE : 18/462


N° RG : 17/05261 - N° Portalis DBVT-V-B7B-Q6WM





Jugement (N° 16-003207) rendu le 10 Juillet 2017 par le tribunal d'instance de Lille








APPELANT





Monsieur Julien X...


de nationalité française


demeurant [...]





Représenté par Me Guillaume Y..., avocat au barreau de Lille substitué par Me Z..., avocat au barreau de Lille





INTIMÉE





SA LCL Le Crédit Lyonnais, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés [...]





Représentée par Me Sylvie A....

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 22/11/2018

N° de MINUTE : 18/462

N° RG : 17/05261 - N° Portalis DBVT-V-B7B-Q6WM

Jugement (N° 16-003207) rendu le 10 Juillet 2017 par le tribunal d'instance de Lille

APPELANT

Monsieur Julien X...

de nationalité française

demeurant [...]

Représenté par Me Guillaume Y..., avocat au barreau de Lille substitué par Me Z..., avocat au barreau de Lille

INTIMÉE

SA LCL Le Crédit Lyonnais, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés [...]

Représentée par Me Sylvie A..., avocate au barreau de Douai et par Me Charlotte B..., avocate au barreau de Paris substituée par Me Audrey C..., avocate au barreau de Paris

DÉBATS à l'audience publique du 4 Octobre 2018 tenue par Benoît D... magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIÈRE LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Hélène Château, première présidente de chambre

Benoît D..., conseiller

Sara Lamotte, conseillère

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 Novembre 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Hélène Château, présidente et Fabienne Dufossé, greffière, auquel la minute a été remise par la magistrate signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 11 septembre 2018

Exposé du litige, de la procédure et des prétentions des parties:

M. X... est titulaire d'un compte dans les livres de l'agence de Lambersart du Crédit Lyonnais.

Il est entré en contact courant novembre 2015 avec une personne demeurant [...] , laquelle lui a fait parvenir un chèque de 9827,75 euros à verser sur son compte pour en retirer la somme de 9400 euros et lui adresser les fonds par virement international western Union. M. X... a ainsi remis le chèque de sa correspondante le 19 février 2016 à sa banque aux fins d'encaissement, l'effet étant émis sur le compte de la banque CM-CIC épargne salariale. Le crédit Lyonnais a porté la somme de 9827,75 euros au crédit du compte de M. X.... Ce dernier a procédé le 25 février 2016 à deux retraits de 9000 et 400 euros et adressé les fonds en Côte d'Ivoire. Le 29 février 2016, la banque a notifié à M. X... le rejet pour irrégularité du chèque mis à l'encaissement, ce chèque étant un faux.

M. X... a déposé plainte contre X le 14 mars 2016 pour escroquerie au commissariat de Lomme.

Par acte d'huissier du 4 octobre 2016, M. X... a fait assigner la SA Crédit Lyonnais devant le tribunal d'instance de Lille aux fins de voir cette juridictioncondamner la banque assignée à lui payer la somme de 9884,25 euros en réparation de son préjudice. Il sollicitait aussi en ses dernières écritures une indemnité de procédure de 1500 euros.

Par jugement du 10 juillet 2017, le tribunal d'instance de Lille a débouté M. X... de toutes ses demandes et l'a condamné à verser à la SA Crédit Lyonnais une indemnité de procédure de 1000 euros.

M. X... a interjeté appel de cette décision. [...]

- Dire que la SA Crédit Lyonnais a failli à son devoir de vigilance et de prudence,

- En conséquence, condamner cet établissement bancaire à lui payer la somme de 9844,25 euros au titre de la réparation de son préjudice matériel,

- Condamner le Crédit Lyonnais à lui verser une indemnité de procédure de 2500 euros.

Au soutien de ses demandes, la partie appelante expose que la personne avec laquelle il est entré en contact a profité de sa faiblesse due à un état gravement dépressif et de ses sentiments pour lui soutirer des fonds. La banque a toutefois, contrairement à ce qu'elle affirme, délivré des espèces alors que le chèque mis à l'encaissement était manifestement frauduleux. Ainsi, M. X... entend reprocher à l'agence bancaire l'absence de tout contrôle de cet effet irrégulier. Aucune solution amiable n'a pu être envisagée avec l'agence du Crédit Lyonnais de Lambersart.

M. X... rappelle que le banquier est tenu envers ses clients d'une obligation de vigilance et de prudence. Il doit notamment s'assurer de la régularité formelle du titre qui lui est présenté, notamment s'il s'agit d'un chèque de banque. Il doit en cela vérifier que le chèque ne présente aucune anomalie apparente, celle qui ne doit pas échapper à la vigilance naturelle dont le banquier doit faire preuve. Cela concerne les anomalies matérielles qui engagent systématiquement la responsabilité de la banque en cas d'encaissement, mais aussi celles intellectuelles et présentant une connotation subjective comme le montant anormalement élevé du titre. Ainsi, il est anormal que le formulaire «avis de rejet» dont les mentions se confondent avec la grille de lecture du professionnel vigilant soit daté du 26 février 2016, ce qui est postérieur à la remise des fonds en liquide, soit plus d'une semaine après l'encaissement du chèque.

Le chèque litigieux ne présentait aucun filigrane«haute qualité». Or, depuis juillet 2009, les chèques de banque sont dotés d'un filigrane normalisé, identique en motif et en taille pour l'ensemble des banques opérant en France. Le motif est intégré au papier, reconnaissable à l''il nu par transparence et il comporte la mention chèque de banque, bordée en haut et en bas par deux flammes rayées et de deux semeuses de part et d'autre. Ce filigrane normalisé est un point de contrôle présent sur tous les chèques de [...] depuis 2009, ce qui permet matériellement d'authentifier ce type de titre. Ainsi, un chèque de banque sans filigrane est un faux. Les professionnels de la banque sont parfaitement informés de cette question. La cour constatera que le chèque litigieux ne comporte aucun filigrane, ce qui devait permettre à l'agence du Crédit Lyonnais, si elle avait été normalement diligente, d'en déduire le caractère falsifié de l'effet. La nature de chèque de banque du titre encaissé ne peut être contestée compte tenu de la double signature.

M. X... énonce ensuite que la référence au CM-CIC épargne salariale devait de surcroît attirer l'attention du banquier. Il est en effet très douteux que la filiale en charge de l'épargne salariale du groupe CIC propose à ses clients des chèques de banque. De surcroît, le numéro de téléphone de l'agence est vraisemblablement faux et la référence à «instance chèques émis» comme émettrice est suspecte.

M. X... reproche aussi à l'agence de Lambersart du Crédit Lyonnais de lui avoir remis les fonds pour une somme très importante sans s'assurer de la régularité du chèque déposé auparavant. Il y a là de la part du banquier un manquement au devoir de prudence. La banque ne peut du reste tenter d'échapper à sa responsabilité en reprochant à son client, consommateur non averti, une quelconque faute.

M. X... expose quant à son préjudice que son père a accepté de lui prêter la somme de 8900 euros pour combler le découvert en compte. Son préjudice est considérable et correspondant à la somme injustement encaissée, soit 9827,75 euros, outre 16,50 euros de frais d'impayé que le Crédit Lyonnais a mis à sa charge.

* * * *

Le Crédit Lyonnais conclut à titre principal à la confirmation pure et simple du jugement entrepris. A titre subsidiaire, il sollicite l'exonération de toute condamnation sinon la réduction du préjudice allégué à de plus justes proportions. En tout état de cause, il forme contre M. X... une demande d'indemnisation de ses frais non répétibles à raison de 2000 euros.

Rappelant dans un premier temps les dispositions de l'article L. 131-2 du code monétaire et financier, le Crédit Lyonnais rappelle que le devoir de vigilance du banquier présentateur ne peut s'étendre au-delà de la vérification de l'apparente régularité du chèque remis, laquelle s'entend de l'absence d'anomalie grossière. Il incombe ainsi au bénéficiaire d'un chèque prétendument falsifié et qui recherche la responsabilité contractuelle de la banque, au titre du devoir de vigilance, de prouver que l'apparence matérielle du chèque permettait à un employé de l'agence normalement diligent de déceler la falsification. Cela s'entend de la vérification des mentions obligatoires, de l'absence de surcharge, rature, marque de grattage ou tout autre caractère évident de nature à faire naître dans l'esprit d'un employé un doute quant à la régularité de l'effet émis.

En l'occurrence, la banque défenderesse fait valoir que le chèque litigieux comporte bien toutes les mentions obligatoires visées à l'article L. 131-2 du code monétaire et financier. Le Crédit Lyonnais maintient que le demandeur ne démontre pas que l'effet contesté aurait dû être un chèque de banque et qu'il devait comporter un filigrane. De surcroît, l'absence d'un filigrane de haute qualité sur un chèque ne peut engendrer une anomalie apparente susceptible d'engager la responsabilité d'une banque.

Quant à la référence du chèque litigieux à la CM-CIC épargne salariale, l'employé du Crédit Lyonnais n'avait pas pour obligation d'en vérifier l'exactitude, encore moins de contrôler la réalité du numéro de téléphone, ou encore l'orthographe de l'adresse.

Le Crédit Lyonnais fait ensuite valoir qu'il n'a commis aucune faute en inscrivant immédiatement le chèque litigieux au compte du client. La banque n'avait aucune connaissance de la situation personnelle et de l'état de faiblesse allégués par M. X.... Ce dernier n'établit pas qu'il en aurait informé son banquier. La pratique bancaire impose aux banquiers d'inscrire, dès la réception d'un chèque, le montant de ce dernier au crédit du compte du client en raison de l'obligation de célérité qui pèse sur la banque, laquelle n'est tenue à aucun devoir de prudence à cet égard. Ceci est au demeurant repris dans les conditions générales de la banque, lesquelles sont opposables au demandeur qui le reconnaît. La contre-passation réalisée par le Crédit Lyonnais correspond à la stricte application des règles applicables en la matière. La banque n'a donc pas l'obligation de vérifier le bon encaissement du chèque avant de remettre la somme au bénéficiaire, sa responsabilité pouvant même être engagée dans le cas contraire. Dès lors que le chèque s'est révélé irrégulier, le Crédit Lyonnais était fondé à solliciter le remboursement du montant versé à titre d'acompte. Pour le reste, la banque n'a pas à s'immiscer dans les affaires de son client.

A titre subsidiaire, le Crédit Lyonnais entend mettre en exergue le comportement fautif de M. X..., ce qui doit au moins partiellement l'exonérer d'une éventuelle responsabilité professionnelle. En effet, son client s'est montré très négligent en l'espèce. Les médias se font l'écho régulièrement d'escroqueries sur internet. M. X... n'a jamais rencontré Mme E... et il n'a échangé avec cette personne que sur un site internet. Il a accepté de déposer un chèque d'un montant important sur son compte pour retirer l'équivalent et l'envoyer par virement international. Il aurait dû s'assurer de la régularité du chèque et de son encaissement effectif avant d'envoyer une somme importante à une inconnue. Il aurait pu aussi s'étonner de recevoir un chèque relatif à de l'épargne salariale émis à son nom, par une banque dont il n'est pas le client et en provenance d'une tierce personne demeurant à [...]. Lui seul était informé du contexte suspect dans lequel ce chèque lui avait été transmis. Il a manifestement commis une faute d'imprudence qui exonère la banque de sa propre responsabilité.

* * * *

L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 11 septembre 2018.

Motifs de la décision:

-Sur la responsabilité contractuelle de la banque:

Attendu qu'il est constant qu'une banque présentatrice d'un chèque ne peut voir engager sa responsabilité contractuelle envers son client qu'à la condition que cet effet présente une anomalie apparente, c'est-à-dire une irrégularité aisément décelable par un employé normalement diligent;

Attendu en l'occurrence que M. X... a remis le 19 février 2016 à l'agence de Lambersart du Crédit Lyonnais en vue de son encaissement sur son compte un chèque de 9827,75 euros libellé au bénéfice de X... Julien et tiré sur le compte du CM-CIC Epargne Salariale [...] ;

Que si le Crédit Lyonnais objecte au demandeur que cet effet comporte bien toutes les mentions obligatoires énumérées à l'article L. 131-2 du code monétaire et financier, il doit cependant être relevé que ce chèque qui porte deux signatures et indique, outre le numéro du compte tiré, la mention suivante: «INSTANCE CHEQUES EMIS CM-CIC Epargne Salariale [...] », est émis sur le compte non pas d'un particulier mais d'un établissement financier, ce qui l'apparente à un chèque de banque;

Que le Crédit Lyonnais ne peut ignorer que, depuis juillet 2009, tous les chèques de banque sont dotés d'un filigrane normalisé, identique en taille pour l'ensemble des banques opérant en France, ce filigrane n'apparaissant nullement sur le chèque litigieux versé en copie aux débats, l'absence de filigrane n'étant en soi pas discutée par la partie défenderesse qui conteste seulement qu'il s'agisse d'un chèque de banque;

Que s'il est exact que le contrôle exigé de la banque présentatrice qui reçoit un chèque à l'encaissement porte exclusivement sur les mentions apparentes, force est de relever que le filigrane constitue bien une telle mention de sorte que son absence sur le chèque remis le 19 février 2016 devait forcément attirer l'attention d'un employé normalement diligent et reporter l'écriture sur le compte du client une fois vérifiée la régularité du titre;

Qu'ainsi, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, l'agence du Crédit Lyonnais de Lambersart a bien commis en l'occurrence un manquement à son devoir de vigilance, la faute contractuelle du banquier étant caractérisée;

Que s'il est exact que M. X... s'est montré peu méfiant envers le contact établi sur internet et lui demandant d'encaisser le chèque et de lui envoyer les fonds correspondant, force est de relever que la vigilance attendue de la banque devait la conduire à repérer immédiatement l'irrégularité de l'effet et à émettre toute mise en garde envers le client avant même qu'il procède aux retraits d'espèces, ceux-ci n'intervenant que le 25 février 2016, soit six jours après la présentation à l'encaissement du titre contesté;

Que l'attitude de M. X... ne constitue nullement une faute à l'égard de la banque, laquelle ne peut ainsi chercher à s'exonérer même partiellement de sa responsabilité envers son cocontractant;

Attendu, sur le préjudice de M. X..., que le dommage financier éprouvé par l'intéressé n'est pas du montant figurant sur le chèque litigieux mais bien des retraits d'espèces opérés sur son compte alors qu'il s'avèrera que le chèque en question était falsifié;

Que le préjudice de M. X... est donc d'un montant de 9400 euros, auquel il faut ajouter la somme de 16,50 euros de frais, soit un montant total de 9416,50 euros;

Que le Crédit Lyonnais sera condamné à payer cette somme à M. X..., la décision déférée étant ainsi infirmée en ce qu'elle a débouté le demandeur de son action;

-Sur les frais irrépétibles:

Attendu qu'aucune considération d'équité ne peut en l'état de l'instance justifier l'indemnité de procédure arrêtée par le premier juge au profit de la banque défenderesse, laquelle sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure en première instance et la décision entreprise à ce titre infirmée;

Que l'équité commande en cause d'appel de fixer au bénéfice de M. X... une indemnité pour frais irrépétibles de 2000 euros, la banque débitrice de cette somme étant elle-même déboutée de sa propre prétention indemnitaire à cette même fin;

* * * *

Par ces motifs,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

- Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré;

Prononçant à nouveau,

- Condamne la SA Crédit Lyonnais à payer à M. X... la somme de 9416,50

euros en réparation de son préjudice financier;

- Condamne la SA Crédit Lyonnais aux entiers dépens de première instance et

déboute cet établissement financier de sa demande d'indemnité de procédure en

première instance;

Y ajoutant,

- Condamne la SA Crédit Lyonnais aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à verser en

cause d'appel à M. X... une indemnité pour frais irrépétibles de 2000 euros, la

personne morale débitrice de cette somme étant elle-même déboutée de sa demande

indemnitaire à cette fin.

La Greffière La Présidente

Fabienne Dufossé Hélène Château


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 17/05261
Date de la décision : 22/11/2018

Références :

Cour d'appel de Douai 03, arrêt n°17/05261 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-11-22;17.05261 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award