République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 11/10/2018
***
N° de MINUTE :18/
N° RG : 17/01103
Jugement (N° [...]) rendu le 25 janvier 2017 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
APPELANTE
X... Besnard SAS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
ayant son siège social [...]
[...]
représentée par Me François Y..., de la SCP François Y...-Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai
assistée de Me Philippe D..., avocat au barreau de Rennes
INTIMÉE
SAS Tape à l'Oeil prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [...]
représentée par Me Eric Z..., de la SELARL Eric Z..., avocat au barreau de Douai
assistée de Me Benjamin A..., avocat au barreau de Lille, substitué à l'audience par Me Camille B..., avocat au barreau de Lille
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Marie-Annick Prigent, président de chambre
Elisabeth Vercruysse, conseiller
Marie-Laure Aldigé, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Stéphanie Hurtrel
DÉBATS à l'audience publique du 12 avril 2018 après rapport oral de l'affaire par Marie-Annick Prigent
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2018 après prorogation du délibéré initialement prévu le 28 juin 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Marie-Annick Prigent, président et Stéphanie Hurtrel, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 10 avril 2018
***
FAITS ET PROCEDURE
La X... Besnard exerce une activité de négoce d'habillement et de chaussures.
La société Tape à l'Oeil ( TAO) a pour activité la vente d'articles d'habillement, de chaussures et d'accessoires pour enfants.
Le 30 août 2013, la société Besnard a approuvé en les signant les conditions générales d'achat et le cahier des charges de la société TAO.
Le 4 septembre 2013, la société Tape à l'Oeil a passé commande auprès de la société Besnard de chaussures pour enfants, dont 19 559 paires de chaussures du modèle « BRASIL » décliné en plusieurs coloris.
La société Tape à l'Oeil a réceptionné les chaussures le 12 février 2014, sans réserve, et les a commercialisées.
La société Tape à l'Oeil a avisé le 14 avril 2014 la société Besnard qu'elle constatait des retours produits et des mécontentements sur le modèle de chaussures Brasil.
La société Tape à l'Oeil a fait procéder à un constat d'huissier le 29 avril 2014 faisant état de décollements de la semelle au niveau de l'avant des chaussures.
Les 25 juin et 5 juillet 2014, la société Besnard a mis en demeure la société Tape à l'Oeil de payer les quatre factures dues pour un montant de 147'866,04 euros. Par courrier du 30 juillet 2014, la société Tape à l'Oeil a refusé de payer les factures.
Par acte d'huissier du 2 octobre 2014, la société Besnard a fait assigner la société Tape à l'Oeil en paiement des factures devant le tribunal de commerce de Rennes. Par jugement du 1er décembre 2015, celui-ci s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Lille Métropole.
Par jugement en date du 25 janvier 2017, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :
- dit que la société Besnard a manqué à son obligation de délivrance conforme ;
- prononcé la résolution de la vente aux torts exclusifs de la société Besnard ;
- condamné la société Tape à l'Oeil ( TAO) à payer à la société Besnard la somme de 29 477,70 euros ;
- ordonné la restitution à la société Besnard, en port dû des chaussures « Brasil » non vendues par la société Tape à l'Oeil , dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement,
- condamné la société Besnard à payer à la société Tape à l'Oeil la somme de 179 006,40 € ;
- débouté la société Tape à l'Oeil de ses demandes au titre d'un préjudice commercial et des frais d'analyses ;
- condamné la société Besnard à payer à la société Tape à l'Oeil la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les frais et dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 81.12 € (en ce qui concerne les frais de Greffe) ;
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;
-débouté les parties de toutes leurs autres demandes, plus amples ou contraires. »
La société Besnard a interjeté appel de cette décision par déclaration du 14 février 2017.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 30 mars 2018, la société Besnard demande à la cour d'appel de :
-infirmer le jugement dans toutes ses dispositions ;
-condamner la société TAO à verser à la société Besnard la somme de
147.866,04 € au titre du solde du prix de vente ; cette somme sera majorée du taux
de retard de 1,5 % par mois, à dater du 12 avril 2014;
-condamner la société TAO à verser à la société Besnard la somme de
22.179,90 € au titre de la clause pénale; cette somme sera majorée au taux d'intérêt
légal plus 3 %, à dater du 25 juin 2014;
- débouter la société Tape à l'Oeil de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Tape à l'Oeil à lui verser la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux dépens ;
- à titre extrêmement subsidiaire, si la cour confirmait le principe de la résiliation de la vente et celui de l'indemnisation de la société Tape à l'Oeil , le préjudice devrait être fixé à une somme pour chaque paire de chaussures restituée à la société Besnard ; cette restitution devrait être constatée par voie d'huissier, désigné par la cour ; le nombre de paires restituées serait celui sur la base duquel la condamnation serait exécutée par la société Besnard. »
La société Besnard fait valoir que :
- l'acceptation sans réserve de la marchandise par l'acheteur lui interdit de se prévaloir du défaut de conformité,
-Aucune réserve n'a été formulée par la Société TAO lors de la livraison alors que la preuve de la non-conformité à la commande du matériel livré lui incombe,
-la société Tape à l'Oeil a fait procéder à des essais sur les chaussures par un laboratoire ne figurant pas dans le cahier des charges et selon une procédure ne répondant pas à la norme contractuelle,
-les chaussures n'étaient pas adaptées à un usage sportif,
-le prix de revente était trop élevé pour un article d'entrée de gamme, le client attendant en conséquence une prestation de qualité supérieure,
-la société Tape à l'Oeil a vendu 10'960 paires de chaussures Brasil,
-la preuve n'est rapportée que d'un retour de 30 paires de chaussures, dans le meilleur des cas 67 paires, soit à un taux inférieur au 1 % invoqué comme étant une norme professionnelle,
-la société Tape à l'Oeil n'a pas respecté ses propres conditions générales d'achat ni celles du fournisseur la société Besnard,
-la société Tape à l'Oeil n'a contesté la qualité des chaussures qu'après l'exigibilité des factures,
- la garantie des vices cachés suppose que la chose soit impropre à l'usage auquel on la destine,
-l'usage de la chose vendue ne s'apprécie pas, au regard de l'article 1641 du code civil, selon la définition commerciale qu'un vendeur intermédiaire pourrait lui donner (réaliser une marge), mais selon l'utilisateur qui porte les chaussures,
- ce produit était adapté à la marche, pas au sport, encore moins au football,
-la société Tape à l'Oeil ne rapporte pas la preuve du nombre de paires vendues, et par comparaison du nombre de paires restant en stock sur les 19.559 paires livrées.
Le préjudice ne doit pas être calculé exclusivement sur la base du prix initial.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 6 avril 2018, la société Tape à l'Oeil demande à la cour d'appel sur le fondement des articles 5, 232 et 564 et suivants du code de procédure civile et les articles 1582, 1603, 1604, 1610, 1611, 1641, 1644, 1645 du code civil de :
A titre liminaire,
-infirmer le jugement déféré sur la restitution, par la société TAO à la société Besnard, des chaussures « Brasil » non vendues, en ce qu'il a statué ultra petita ;
A titre principal,
-confirmer le jugement sur les points suivants :
- juger que la société Besnard a manqué à son obligation de délivrance conforme ;
-en conséquence, prononcer la résolution de la vente aux torts exclusifs de la société Besnard;
-débouter la société Besnard de l'intégralité de ses demandes ;
-donner acte à la société concluante de ce qu'elle reconnait devoir à la société Besnard la somme de 29 477,70 euros correspondant au prix des marchandises par elle revendues sous déduction des marchandises qui lui ont été retournées ;
-condamner la société Besnard à lui payer la somme de 179 006,40 euros au titre du préjudice pour perte de bénéfices ;
-réformer le jugement pour le surplus,
-condamner la société Besnard à payer à la société Tape à l'Oeil la somme de 50 000 euros au titre du préjudice commercial et moral ;
-condamner la société Besnard à payer à la société Tape à l'Oeil la somme de 4000 euros correspondant au coût des rapports, constats et analyses rendus nécessaires par les manquements de la société Besnard ;
Subsidiairement,
- juger que la société Besnard est tenue de la garantie à raison des vices cachés de la commande litigieuse ;
- en conséquence, prononcer la résolution de la vente ;
- débouter la société Besnard de l'intégralité de ses demandes ;
- donner acte à la société concluante de ce qu'elle reconnait devoir à la société Besnard la somme de 29 477,70 euros correspondant au prix des marchandises par elle revendues sous déduction des marchandises qui lui ont été retournées ;
-condamner la société Besnard à payer à la société Tape à l'Oeil :
la somme de 203 707,20 euros au titre du préjudice pour perte de bénéfices ;
la somme de 50 000euros au titre du préjudice commercial et moral ;
la somme de 4000 euros correspondant au coût des rapports, constats et analyses rendus nécessaires par les manquements de la société Besnard ;
A titre très subsidiaire,
- donner acte à la société Tape à l'Oeil de ce qu'elle ne s'oppose pas à l'instauration d'une expertise aux frais avancés de la société Besnard portant sur la conformité ou l'absence de conformité, subsidiairement l'existence ou l'absence de vice des stocks de chaussures de modèle « BRASIL » ;
A titre infiniment subsidiaire et en toute hypothèse,
- débouter la société Besnard de sa demande au titre d'une indemnité de retard de 1,5 % par mois en application des conditions générales de vente ainsi que de sa demande en paiement d'une clause pénale ;
Et en toutes circonstances,
- condamner la société Besnard à lui verser une indemnité de procédure de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de la présente instance ;
La société Tape à l'Oeil réplique que :
-les conditions générales ne s'appliquent que si elles ont été valablement acceptées par les deux parties avant la formation de la relation contractuelle principale,
- la société Besnard n'établit nullement que la société TAO, avant toute prise de
commande, avait pris connaissance de ce document et l'avait valablement accepté,
- la commande des lots de chaussures BRASIL, objet du présent litige, constitue la toute première commande passée par la société TAO auprès de la société Besnard et les parties n'étaient pas en relations d'affaires depuis plusieurs années au moment de cette commande,
-Il n'était pas du ressort de la société TAO d'effectuer les contrôles une fois les produits livrés mais bien du ressort de la société Besnard de s'assurer de la conformité des produits avant leur livraison, conformément au cahier des charges,
- la société TAO était en droit d'invoquer un défaut de conformité des lots achetés à partir du moment où un tel défaut était décelable, de par la constatation d'un taux de retour inhabituel
- le fait pour la société Besnard d'évoquer un contrat qu'elle aurait passé avec un autre client, ou encore des chaussures dont la société TAO aurait confié la fabrication à un autre acteur économique est totalement indifférent au présent litige, du fait du principe de l'effet relatif des contrats,
-le fait que les spécifications techniques ont été déterminées avec un laboratoire plutôt qu'un autre n'efface pas la clarté des critères figurant sur le cahier des charges : il était exigé un test EN 17708 concluant, ce qui n'est aucunement le cas en ce qui concerne les tests produits,
- les caractéristiques attendues des chaussures litigieuses ont été convenues en amont de la commande, lors de la signature par la société Besnard du référentiel qualité de TAO (cahier des charges) ainsi que des conditions générales d'achat de TAO, le 30 août 2013,
-le nombre de retours parmi les chaussures vendues s'élève quant à lui, au dernier pointage, à 150 et le taux de retour est de 3,1 %, soit bien au-delà de l'usage admis dans le commerce,
-la défectuosité des chaussures ne résulte en aucun cas d'un mauvais usage du client, preuve en est du nombre de retours importants et du même défaut retrouvé sur toutes les paires retournées,
-le vice constaté sur la chaussure BRASIL ' son taux de défauts anormalement élevé- n'a pu être découvert qu'au moment de l'usage des stocks livrés, c'est-à-dire après revente au détail,
-ce vice était donc indécelable lors de la livraison,
- la commercialisation de ces produits à des fins sportives n'est nullement rapportée par
la société Besnard,
-la société Besnard étant vendeur professionnel, elle est tenue de dédommager la société
TAO des préjudices directs et indirects subis du fait des vices cachés.
La cour d'appel renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
La société Besnard sollicite le paiement de la facture des chaussures livrées et la société
TAO lui oppose un défaut de conformité ou l'existence d'un vice caché relatif aux chaussures livrées.
Seront d'abord examinés les moyens développés par la société TAO pour s'opposer au paiement des marchandises.
Les moyens des parties seront examinés au regard des conventions passées entre elles et non en fonction de commandes opérées en faveur d'autres clients du marché et qui ne peuvent être utilisées dans le cadre du présent litige.
Sur le caractère nouveau de la demande de la société Besnard relative à la restitution des marchandises
L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Il est complété par les articles 565, 566 et 567 du même code, selon lesquels :
-les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent,
-les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément,
-les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.
La société TAO reproche au tribunal de commerce d'avoir statué ultra petita en ce qu'il a ordonné la restitution à la société Besnard des chaussures Brasil non vendues alors qu'aucune demande de cette nature n'avait été formée par l'une des parties et que la demande de la société Besnard de restitution formée en appel constitue une demande nouvelle.
Dès lors que la société TAO a sollicité la résolution de la vente et l'a obtenue auprès du tribunal de commerce, même en l'absence de demande des parties, la résolution de la vente entraîne d'une part, la restitution des marchandises sauf impossibilité matérielle résultant de la vente, et d'autre part, la restitution du prix.
En prononçant la résolution de la vente et en ordonnant la restitution des chaussures 'brasil' le tribunal n'a fait qu'appliquer les dispositions légales. Le fait que la société Besnard sollicite que le préjudice subi par la société TAO doit être évalué en fonction du nombre de paires de chaussures restituées ne caractérise pas une demande nouvelle puisqu'il s'agit d'une conséquence d'une éventuelle résolution de la vente.
La demande de la société Besnard relative à la restitution des chaussures par la société TAO n'est pas une demande nouvelle.
Enfin, cette restitution suppose que la vente soit résolue, demande qui doit être examinée de nouveau dans le cadre de la procédure d'appel.
Sur le défaut de conformité
Sur le fondement des articles 1604 et suivants du code civil, le vendeur est tenu d'une obligation de délivrance de la chose, c'est-à-dire de fournir à l'acheteur un bien conforme à l'objet de la commande.
Le défaut de délivrance s'entend ainsi de la remise à l'acheteur d'un bien qui ne correspond pas aux spécifications contractuelles convenues.
En vertu de l'article 1134 du code civil, les conditions générales de vente ne peuvent être invoquées à l'encontre d'une partie à un contrat que si celle-ci en a eu pleine et entière connaissance et qu'elle en a accepté le contenu avant de conclure le contrat.
S'agissant de relations commerciales entre professionnels, cette acceptation peut découler, suivant les circonstances, de l'existence de relations d'affaires et notamment de la réception préalable de factures comprenant les conditions générales pour des commandes antérieures sans protestation de la part du professionnel.
Les parties versent aux débats trois pièces contractuelles
- le cahier des charges de la société TAO
- les conditions d'achat de la société TAO
-les conditions de vente de la société Besnard
Les bons de commande versés aux débats ne font pas mention des conditions générales de vente de la société Besnard, lesquelles sont transmises sur papier libre ce qui ne caractérise pas la preuve de leur communication.
La société Besnard verse aux débats les bons de livraison, les factures postérieures à la commande sur lesquelles apparaissent au verso les conditions générales de vente ; cependant, le client doit avoir connaissance de celles-ci au moment où il contracte soit lorsqu'il passe commande et non lors de la réception de la livraison et des factures.
Il n'est pas démontré l'existence entre les deux sociétés, d'un courant d'affaires antérieur à la présente commande et de la réception de factures justifiant de la connaissance par la société TAO, des conditions générales de vente de la société Besnard.
En conséquence, la société Besnard ne rapportant pas la preuve de la communication à la société TAO, de ses conditions générales de vente, celles-ci ne sont pas entrées dans le champ contractuel et lui sont inopposables.
Quant aux conditions générales de vente en date du 30 août 2013 de la société TAO, il est versé aux débats un accusé de réception de celles-ci en date du 8 novembre 2013 par la société Besnard qui déclare en avoir pris connaissance et être en possession d'un exemplaire. Ces conditions générales de vente sont opposables à la société Besnard.
La commande a été passée sur la base du cahier des charges établi par la société TAO.
L'action en résolution étant fondée sur l'existence d'un défaut de conformité de la marchandise, il y a lieu de vérifier que les chaussures livrées correspondent aux dispositions prévues par le cahier des charges établi par le client.
Il résulte de ce cahier des charges que les chaussures doivent être soumises à des tests physiques à réaliser obligatoirement pour chaque référence chaussures à montage classique. Les rapports devront être transmis systématiquement à la société TAO.
Ces tests sont à la charge du fournisseur...
Il est prévu les tests physiques suivants :
- liaisons tige semelle
-résistance fixation bally flex
-abrasion semelle
-déchirure
Aux termes des normes à respecter par le cahier des charges, la liaison tige-semelle des chaussures devait répondre à la norme EN 17 708 $gt;daN/cm, le résultat devant être au minimum de 3 daN/cm.
Les laboratoires habilités à vérifier la conformité au cahier des charges étaient mentionnés en page 10 du cahier des charges.
Des courriels ont été échangés les 20 et 30 septembre 2013 entre la société Besnard et la société TAO aux termes desquels il était demandé à celle-ci de valider le modèle élaboré.
Les prototypes ont été soumis à des tests de conformité par l'un des laboratoires mentionnés dans le cahier des charges, le CTC de SHANGAI., tests qui ont été communiqués à la société TAO par mail du 24 octobre 2013.
Pour une valeur moyenne requise de résistance de 3 daN/cm pour la liaison tige-semelle, la valeur mesurée par ce laboratoire a été de 3,7 daN/cm, selon la norme EN ISO 17708 : 2003.
La société TAO a ensuite passé commande de 19 559 paires de chaussures. Les chaussures ont été livrées au mois de février 2014, sans réserve lors de la réception.
Par courrier en date du 14 avril 2014, la société TAO a fait part à la société Besnard de retours produits et mécontentement de la part de sa clientèle avec la chaussure Brasil depuis sa commercialisation au sein de ses magasins.
La société TAO verse aux débats un procès-verbal de constat en date du 13 août 2014 aux termes duquel l' huissier de justice a constaté le retour d'articles défectueux :
-39 pour la Pologne
-111 pour la France
L'huissier de justice ajoute que 'l'ensemble des articles qui me sont présentés sont dégradés, essentiellement un décollement de la semelle à l'avant du pied.'
Il a été dressé un tableau annexé au procès-verbal reprenant le code pays, le code magasin, le jour de vente, le numéro du ticket, le code de l'article.
Ce procès-verbal établit le retour de 150 paires de chaussures présentant toutes un défaut similaire.
La société TAO verse aux débats trois rapports d'analyses de deux laboratoires différents, datés des 28 avril, 7 mai et 28 mai 2014. Deux séries de tests sont issus d'un laboratoire turc situé à Istanbul et un rapport émane d'un laboratoire français situé à Lyon.
La société Besnard oppose le fait que les laboratoires ne figurent pas dans la liste des laboratoires homologués par le cahier des charges et que la nature des tests ne correspond pas à celle imposée par le cahier des charges.
Si le cahier des charges impose aux fournisseurs le recours à des laboratoires déterminés pour procéder à des tests préalables à la fabrication des chaussures, aucune obligation n'existe à ce titre pour vérifier la conformité des chaussures fabriquées ce qui permettait à la société TAO d'avoir recours à un laboratoire de son choix.
Cependant compte tenu des normes mentionnées dans le cahier des charges, la conformité des chaussures fabriquées doit être évaluée par rapport aux prescriptions de celui-ci et notamment les tests doivent être réalisés selon les mêmes modalités pour évaluer la résistance de la chaussure dans des conditions similaires.
Aux termes d'un mail en date du 14 février 2017, le laboratoire français chargé de contrôler la conformité des chaussures formule les observations suivantes en réponse à une demande d'explication de la société Besnard :
'Le rapport réalisé à CTC-Shanghaï a été réalisé suivant la norme EN ISO 17708 dont vous trouverez une explication ci-dessous:
Objectif : Cet essai permet d'évaluer la tenue des assemblages par collage entre divers éléments: tige/semelle, tige/intercalaire, intercalaire/semelle.
Principe: L' essai consiste à prélever un échantillon représentatif de l' assemblage à tester et à le soumettre à une traction à vitesse constante en vue de mesurer les forces de séparation.
Une éprouvette en forme de fer à cheval est prélevée sur l'avant du pied et deux essais de traction sont réalisés au niveau de l'axe de flexion.
Le résultat correspond à la résistance au décollement exprimée en daN/cm.
La zone testée se situe donc au niveau de la zone flexion (côté gauche et droit) pour ce rapport de tests S13100529
Concernant le rapport de tests réalisé à CTC-Lyon et pour TAO, les informations liées à ce rapport de tests sont confidentielles puisque le rapport a été émis à TAO pour TAO.
Nous pouvons cependant vous indiquer que le test réalisé est un test de résistance de la liaison tige/semelle zones suite à une demande spécifique.
Pour ce test, 6 zones sur la chaussure sont testées : 2 essais au niveau de la zone de flexion (identiques à la norme EN ISO 17708) et 4 essais supplémentaires un au niveau du talon, un au niveau du bout de la chaussure (toecap) et 2 essais supplémentaires au niveau de l'arrière de la chaussure.
Vous pouvez constater ces 6 zones sur les schémas du rapport de tests.
Sur ce rapport de tests 1405-8214, vous pouvez constater le test de plusieurs pointures avec des résultats de liaison tige/semelle 6 zones présentant des résultats inhomogènes entre les pointures.'
Le seul fait que la société TAO se prévale que les tests sont réalisés selon la norme EN 17708 est insuffisant ; le recours à cette méthode n'est pas mentionné dans le test réalisé par le laboratoire français. Dans les deux rapports de tests issus de laboratoires turcs la méthode utilisée est la suivante : ISO 17708 : 2003 (page 4 des deux rapports) et est donc similaire à celle du cahier des charges.
Les résultats se présentent sous les appellations suivantes dans le rapport du 28 avril 2014 (page 4) :
Average margin width (daN/cm)
Lowest peak value (daN/cm)
Highest peak value (daN/cm)
Average curve value (daN/cm)
Specified Requirement Min. 3,0 (daN/cm)
Dans le rapport du 28 avril 2014, les résultats Average curve value (daN/cm) sont de 1,67 ; 2,88 ; 4,2 ; 2,9
Les résultats se présentent sous les appellations suivantes dans le rapport du 28 mai 2014 (page 4) :
Average margin width (mm)
Lowest peak value (N/mm)
Highest peak value (N/mm)
Average curve value (N/mm)
Specified Requirement Min. 3,0 (daN/cm)
Dans le rapport du 28 mai 2014, les résultats Average curve value (N/mm) sont de 1,8 ; 2,3 ; 2,6 ; 2,7
Les rapports des laboratoires turcs sont rédigés en anglais ce qui ne permet pas d'obtenir un résultat certain comparable avec les prescriptions du cahier des charges.
Il n'est donné aucun élément probant quant au modèle, au nombre de chaussures soumises aux différents tests. Sur le rapport du 28 avril 2014, figure une photographie d'une paire de tennis, sans référence. Sur le rapport en date du 28 mai 2014, en page cinq est reproduite la photographie de quatre chaussures et en page 1, quatre numéros de référence avec la mention des modèles baskets Brasil 1, baskets Brasil 2, baskets Brasil 3, baskets Brasil 4.
Ces références reposent sur les indications du laboratoire ou de la société TAO ce qui est insuffisant pour établir l'origine des modèles testés et donc leur appartenance au lot de chaussures livrées.
Seuls des tests physiques préalables à la fabrication des chaussures étaient imposés à la société Besnard et soumis à la validation de la société TAO. Dès lors que celle-ci conteste la conformité des chaussures livrées, il lui appartient d'en rapporter la preuve au regard du cahier des charges qu'elle a établi pour son fournisseur.
Ces rapports de tests réalisés les 28 avril, 7 mai et 28 mai 2014 qui délivrent des résultats bruts sans analyse, sans explication, et sans force probante quant aux modèles soumis au contrôle sont insuffisants pour caractériser le défaut de conformité des chaussures livrés le 12 février 2014 à la société TAO.
La société TAO opposant à la société Besnard que la norme sur le plan de l'insatisfaction d'un produit est caractérisée par un taux de retour inférieur à 1% de la marchandise, la société Besnard verse aux débats deux courriers aux termes desquels M. C..., délégué général de la Fédération française des entreprises de distribution, importation, exportation, chaussures, jouet, textiles indique :
Aux termes du courrier en date du 1er septembre 2014 :
Il est d'usage d'admettre dans la profession, que les livraisons ne comportant pas plus de 1 % d'article défectueux, sont considérées comme normales.'
Aux termes du courrier en date du 2 mars 2017 :
« Comme je vous l'ai indiqué le 1er septembre 2014 « il est d'usage d'admettre dans la profession que les livraisons ne comportant pas plus de 1% d'articles défectueux sont considérées comme normales ».
Toutefois, ce taux de 1% doit être compris comme un ordre de grandeur.
Ce pourcentage indique que le nombre d'articles défectueux doit être très limité pour ne pas remettre en cause la validité de la vente.
Il s'agit d'un usage commercial, qui se traduit souvent concrètement par des remises accordées par le vendeur, de façon à couvrir les frais de retour des produits défectueux.
Cet usage commercial n'est en rien une norme technique.
Pour annuler une vente, il faut connaître les causes de la défectuosité et savoir si elles relèvent bien de la responsabilité du fournisseur, ou par exemple, d'un mauvais usage du client consommateur.'
Ces courriers évoquent l'existence d'un usage mais non d'une norme.
Il est établi que 150 paires de chaussures ont été retournées et que la commande porte sur 19 559 paires de chaussures. Or, la société TAO qui fait état de la vente de 4829 paires de chaussures ne verse aucune pièce comptable pour corroborer les chiffres qu'elle mentionne dans un tableau sur papier libre.
Alors que la société TAO indique avoir arrêté la vente des chaussures, elle ne justifie pas ni même allègue qu'elle a en stock les paires restantes.
La société TAO ne fournissant pas d'éléments probants quant aux ventes réellement réalisées, il est impossible de retenir que seules 4829 paires de chaussures ont été vendues ce qui ne permet pas d'obtenir une évaluation exacte quant au pourcentage du taux de retour alors que le nombre de paires de chaussures livrées s'élève à 19 559.
En conséquence, ni les tests effectués ni la démonstration d'un retour anormal des chaussures présentant toutes le même défaut de fabrication ne caractérisent un défaut de conformité de la marchandise livrée.
Sur l'existence d'un vice caché
Cette garantie régie par les articles 1641 et suivants du code civil est due en raison des vices cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Il incombe à l'acquéreur d'apporter la preuve du vice caché et de ses différents caractères au sens de l'article 1641 du code civil, à savoir que la chose vendue est atteinte d'un vice':
- inhérent à la chose et constituant la cause technique des défectuosités,
- présentant un caractère de gravité de nature à porter atteinte à l'usage attendu de la chose,
- existant antérieurement à la vente, au moins en l'état de germe,
- n'étant, au moment de la vente, ni apparent ni connu de lui, le vendeur n'étant pas tenu 'des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même' conformément à l'article 1642 du code civil.
En application de l'article 1648 du code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
En l'espèce, l'article litigieux est une paire de baskets enfant achetée au prix de 6,90 euros vendue dans le cadre de la coupe du monde de football 2014. Compte tenu de ces éléments, bien que les chaussures ne soient pas vendues comme des chaussures de sport, dans la mesure où elles sont destinées à des enfants, ceux-ci peuvent être amenés à pratiquer des sports dans le cadre de leur jeux et notamment le football. Les chaussures sont dégradées à l'avant établissant qu'elle ont été utilisées pour des jeux sportifs ; il résulte des deux constats d'huissier versées aux débats que certaines d'entre elles sont usagées démontrant une utilisation intensive ce qui correspond à l'usage d'une paire de chaussures par un enfant.
Au vu des éléments développés sur le fondement du défaut de conformité et repris quant au pourcentage de retour de la marchandise par la société TAO au titre de la théorie des vices cachés, il n'est pas davantage démontré l'existence d'un vice caché ayant fait obstacle à l'usage auquel étaient destinées les chaussures soit un usage limité dans le temps d'une chaussure enfant de bas de gamme où l'aspect marketing prédomine sur la qualité de fabrication.
Il n'est pas rapporté la preuve d'un défaut intrinsèque de la chaussure la rendant impropre à l'usage auquel elle était destinée mais une usure conforme à l'usage qui devait en être attendue.
Les éléments du débat suffisent à statuer sur le différend opposant les parties sans qu'il y ait lieu de recourir à une expertise ; la société TAO sera déboutée de sa demande de ce chef présentée subsidiairement.
En conséquence, le jugement du tribunal de commerce sera infirmé et la société TAO sera déboutée de sa demande de résolution de la vente sur le fondement de la non-conformité ou des vices cachés ainsi que de ses demandes d'indemnisation.
Sur la demande en paiement des factures
À la suite de la commande en date du mois de février 2014, la société Besnard a émis quatre factures d'un montant total de 147'866,04 euros.
La société Besnard a adressé à la société TAO plusieurs mises en demeure de payer cette somme dont une par lettre recommandée en date du 22 juillet 2014 avec avis de réception.
Il est mentionné sur les factures produites que les pénalités de retard s'élèvent au taux de 1,5 % par mois à compter du jour suivant la date d'échéance inscrite sur la facture soit le 12 avril 2014.
La société Besnard est fondée à réclamer à la société TAO le paiement de cette somme outre les pénalités de retard de 1,5 % par mois à compter du 12 avril 2014.
Les conditions générales de vente de la société Besnard ayant été déclarées inopposables à la société TAO, la société Besnard n'est pas fondée à réclamer le paiement de la clause pénale prévue à l'article 13 de celles-ci et correspondant à 15 % des sommes dues.
Sur les frais irrépétibles
Il y a lieu de condamner la société TAO à verser à la société Besnard la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ; l'intimée sera déboutée de sa demande ce chef .
PAR CES MOTIFS
Dit que la demande de la société Besnard relative à la restitution des chaussures par la société Tape à l'Oeil n'est pas une demande nouvelle,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déboute la société Tape à l'Oeil de sa demande en résolution de la vente pour manquement de la société Besnard à son obligation de délivrance conforme de la marchandise livrée,
Déboute la société Tape à l'Oeil de sa demande en résolution de la vente sur le fondement des vices cachés,
Déboute la société Tape à l'Oeil de ses demandes d'indemnisation,
Condamne la société Tape à l'Oeil à verser à la société Besnard la somme de 147'866,04 euros avec intérêts de retard au taux de 1,5 % par mois à compter du 12 avril 2014,
Condamne la société Tape à l'Oeil à verser à la société Besnard la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société Tape à l'Oeil aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffierLe président
Stéphanie HurtrelMarie-Annick Prigent