République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 27/09/2018
***
N° de MINUTE : 18/
N° RG : 16/05542 - N° Portalis DBVT-V-B7A-QCNP
Jugement (N°2015003976) rendu le 23 août 2016 par le tribunal de commerce de Valenciennes
APPELANTE
SA du Hainaut prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [...]
représentée et assistée par Me Valéry X..., avocat au barreau de Lille, substituée à l'audience par Me Guillaume Y..., avocat au barreau de Lille
INTIMÉE
SA Cabre prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [...]
représentée et assistée par Me Emmanuel Z..., avocat au barreau de Lille, substitué à l'audience par Me Guillaume A..., avocat au barreau de Lille
DÉBATS à l'audience publique du 12 juin 2018 tenue par Nadia B... magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie-Laure Dallery, président de chambre
Nadia B..., conseiller
Isabelle Roques, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Marie-Laure Dallery, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 11 avril 2018
La S.A. du Hainaut et la société Cabre ont signé le 19 novembre 2010 un contrat portant sur l'exécution de travaux d'isolation thermique de 111 logements. Ce contrat est intitulé « marché forfaitaire non utilisable et non révisable pour la tranche ferme, actualisable et non révisable pour les tranches conditionnelles ».
La première tranche a été réceptionnée sans réserve le 16 juillet 2012.
Le 29 octobre 2014, la SA du Hainaut reçoit de la société Cabre deux documents intitulés «décompte général et définitif ». Deux tranches conditionnelles sont réceptionnées sans réserve le 1er décembre 2014.
Le 21 janvier 2015, les parties signent un avenant numéro 3 portant le montant total du marché à. la somme de 1 195 696,18 € HT.
Le 16 février 2015, la société Cabre adresse au maître d'oeuvre deux documents intitulés « situation » et procède à l'actualisation du prix du marché.
Le 18 février 2015, le maître d'oeuvre envoie les documents au maître d'ouvrage qui doit établir le solde définitif du marché.
Sans réponse du maître d'ouvrage, la société Cabre, par courrier recommandé avec accusé de réception, réclame le paiement de la somme de 143 820.43 €.
La SA du Hainaut paie la somme de 57 825,05 € mais refuse de payer l'actualisation du marché.
Suivant requête de la SA Cabre en date du 1er juin 2015, le président du tribunal de Commerce de Valenciennes, a, par ordonnance en date du 5 juin 2015, enjoint la SA du Hainaut de payer, en deniers ou quittances, la somme principale de 143 820, 43 euros avec intérêt au taux légal à compter du 27 avril 2015, 4, 64 euros de frais accessoires, 52, 80 euros de frais de présentation de requête, outre 60 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens.
L'ordonnance d'injonction de payer a été signifiée à la SA du Hainaut le 23 juin 2015.
Par courrier du 8 juillet 2015 reçu au greffe le 10 juillet 2015, la SA du Hainaut a formé opposition à ladite ordonnance.
Par jugement contradictoire et en premier ressort en date du 23 août 2016, le tribunal de commerce de Valenciennes a :
- dit que la créance de la SA Cabre est certaine, liquide et exigible ;
- constaté que la SA du Hainaut a réglé la somme de 57.825,05 € TTC sur les 143 820.43 euros ;
- en conséquence
- infirmé l'ordonnance d'injonction de payer en date du 5 juin 2015 ;
- dit que la présente décision se substitue à l'ordonnance d'injonction de payer en date du 5 juin 2015 et ce conformément aux dispositions de l'article 1420 du code de procédure civile;
- statuant de nouveau,
- condamné la SA du Hainaut à régler à la société Cabre la somme de quatre-vingt-cinq mille neuf cent quatre-vingt-quinze euros et trente-huit centimes (85 995.38 €) ;
- condamné la SA du Hainaut à régler à la société Cabre la somme de deux mille cinq cents euros (2.500 €) au titre de 1'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de la société Cabre relative aux dommages et intérêts,
- dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire
- condamné la SA du Hainaut aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration d'appel en date du 7 septembre 2016, la SA du Hainaut a interjeté appel.
MOYENS ET PRETENTIONS :
Par conclusions signifiées par voie électronique en date du 5 décembre 2016, la SA Hainaut demande à la cour, au visa des dispositions de l'article 1134, 1382 et 1793 du code civil, des dispositions de l'article 73, 74 et 122 du code de procédure civile, de la norme NF 03.001 P, de :
-dire bien appelé, mal jugé et en conséquence :
- infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Valenciennes du 23 août 2016 sauf en ce qu'il a infirmé l'ordonnance d'injonction de payer en date du 5 juin 2015
- par l'effet dévolutif de l'appel :
- accueillir la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la demande formulée par la société Cabre, Débouter la société Cabre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
-à titre subsidiaire, constater, dire et juger la société Cabre mal fondée dans ses demandes, la Débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions. - en tous les cas, condamner la société Cabre à verser à la SA du Hainaut une somme de 5.000 euros au titre de la procédure abusive et vexatoire, outre une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- la condamner également aux entiers frais et dépens d'instance dont le recouvrement sera assuré par Me X..., avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle fait valoir l'irrecevabilité de la demande de la société Cabre, à raison de l'absence de consultation du maître de l'ouvrage sur l'opportunité d'un arbitrage, qui est un préalable à toute action en justice.
Elle souligne que :
- les décomptes transmis le 16 février 2015, intitulé 'Situations', ne peuvent être qualifiés de mémoire définitif,
- la société Cabre a fait parvenir le 29 octobre 2014 deux décomptes portant sur les travaux des tranches conditionnelles de travaux, documents qui correspondent parfaitement aux exigences de l'article 19-5 de la norme NF 03001,
-le seul fait qu'ils seraient intervenus un mois avant la réception des travaux, ne modifie pas leur nature et la société Cabre ne peut se prévaloir de sa propre turpitude et de l'acceptation et du paiement du solde des travaux sur leur base, pour après les estimer non avenus et nuls.
- il n'était fait état d'aucune actualisation du prix et la société Cabre ne peut imaginer transmettre trois situations pour obtenir ainsi une actualisation du prix, alors même qu'elle avait précédemment transmis ses décomptes et qu'un avenant de solde avait été signé,
- la lettre envoyée par la société Cabre ne peut constituer la mise en demeure de l'article 19.6.2 laquelle doit mettre en demeure le maître de l'ouvrage de produire le décompte définitif et non de payer ce qui est réclamé,
- il n'est pas de plus justifié de l'envoi de ce courrier au maître d'oeuvre,
Sur le fond, elle fait valoir que :
- le marché conclu est global et forfaitaire, actualisable et non révisable pour les tranches conditionnelles,
- le tribunal a pu déduire que le cocontractant pouvait à l'issu du marché actualiser ses prix pour les tranches conditionnelles dans la mesure où ces dernières ont été déclenchées postérieurement à l'OS ordonnant le démarrage des travaux de la tranche ferme,
- il existe ainsi une erreur entre la révision des prix et leur actualisation et une confusion entre la notion de marché avec tranches conditionnelles avec celles de marchés indépendants,
- l'Os de démarrage des travaux a été émis postérieurement à plus de 120 jours de la date limite de remise de l'engagement,
- doit être retenu l'OS de démarrage des travaux et non celui de chaque tranche conditionnelle,
Par conclusions signifiées par voie électronique en date du 26 janvier 2017, la société Cabre demande à la cour , au visa des dispositions des articles 1134 et 1147 suivants du Code civil, de :
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Valenciennes le 23 août 2016 sauf en ce qu'il a rejeté la demande de la société Cabre relative aux dommages et intérêts,
- et, vu l'effet dévolutif de l'appel, statuant de nouveau,
- dire et juger la créance de la société Cabre certaine, liquide et exigible,
- en conséquence,
- condamner la SA du Hainaut à payer à la société Cabre la somme de 85 995,38 euros TTC correspondant à l'actualisation des tranches conditionnelles, avec intérêts au taux légal à compter de l'ordonnance portant injonction de payer du 1 er juin 2015,
- condamner la SA du Hainaut à payer à la société Cabre la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- condamner la SA du Hainaut aux entiers frais et dépens, avec distraction au profit de Me Z..., avocat aux offres de droit, sur le fondement de l'article 699 du Code de procédure civile,
- condamner la SA du Hainaut à verser à la société Cabre la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
- les sommes demandées correspondent à la simple mise en oeuvre de la formule d'actualisation des tranches conditionnelles, conformément aux dispositions contractuelles,
- la créance de 85 995, 38 euros TTC est certaine, liquide et exigible,
Elle estime les moyens opposés par la société Cabre non fondées, aux motifs que :
- la clause prévoit uniquement une consultation des parties en vue de soumettre leur différend à l'arbitrage mais n'institue pas une procédure de conciliation obligatoire, préalable à la saisine du juge, dont le non-respect entraînerait l'irrecevabilité de la demande,
- une tentative de conciliation a bien eu lieu entre les parties le 30 juin 2015,
- le décompte en date du 29 octobre 2014, qui serait intangible selon la société Cabre, n'est aucunement un décompte général au sens des dispositions du CCAG, pour avoir été émis avant la réception des travaux et pour émaner de l'entrepreneur lui-même,
- le décompte général provient du maître d'oeuvre, lequel l'établit après remise par l'entrepreneur d'un mémoire définitif des sommes qu'il estime lui être dû en application de ce marché,
- il ne s'agit que de décompte provisoire, la réception des travaux étant intervenue le 1er décembre 2014
- les situations transmises le 16 février 2015 constituent les mémoires définitifs tels que visés à l'article 19-5 du CCAG,
- la SA du Hainaut, en sa qualité de maître d'ouvrage, devait notifier à la société Cabre après réception des mémoires un DGD dans les 45 jours, sinon elle est réputée avoir accepté le mémoire définitif, ce qui est le cas en l'espèce, puisqu'elle a mis en demeure la société Cabre de lui payer le montant visé dans son décompte définitif,
- à aucun moment, la société Cabre n'a eu l'intention de renoncer au bénéfice du mécanisme de l'actualisation,
- l'article 1793 n'a pas à recevoir application en l'espèce, puisque le marché à explicitement et très précisément fixé les conditions de rémunération de l'entrepreneur en ce compris l'actualisation,
- l'actualisation n'est prévue sur les tranches conditionnelles et non sur la tranche ferme, ce qui ne permet pas de prendre en compte l'ordre de service initial, mais celui des tranches conditionnelles de travaux,
- la seule date de référence qui doit être retenue est l'ordre de service prescrivant le début des travaux des tranches conditionnelles.
Elle s'oppose aux demandes reconventionnelles de la SA du Hainaut.
MOTIVATION :
- Sur les fins de non recevoir :
En vertu des dispositions de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
- sur l'irrecevabilité tirée de l'absence de consultation sur l'opportunité d'un arbitrage:
S'il résulte des articles 122 et 124 de ce code que les fins de non-recevoir ne sont pas limitativement énumérées et que, licite, la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire ou consultation sur l'opportunité d'un arbitrage - et préalable à la saisine du juge - constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent, encore faut-il que la clause précise les modalités procédurales de la conciliation préalable obligatoire.
Comme l'ont justement apprécié les premiers juges, la clause du cahier des clauses administratives particulières, prévoyant en son article 8-6, que 'si un différend survient entre les parties contractantes, celles-ci conviennent de se consulter pour examiner l'opportunité de soumettre leur différend à un arbitrage ; chacune des parties désigne un arbitre, les arbitres ainsi désignés en choisissent un autre de manière que le tribunal arbitral soit constitué en nombre impair', lequel ne fait que reprendre les clauses d la norme NFP 21-2, ne constitue pas une procédure de conciliation obligatoire, préalable à la saisine du juge, dont le non-respect caractérise une fin de non-recevoir s'imposant à celui-ci.
Il ne s'agit que d'une clause de conciliation préalable invitant ou obligeant les parties à rechercher une solution négociée laquelle ne porte aucunement manifestation de manière non équivoque de la volonté des parties de renoncer à l'action en justice faute de respect de la disposition contractuelle, et donc de faire de cette saisine préalable une condition de recevabilité de l'action en justice.
Au surplus, la cour observe que n'est pas contesté par la SA Hainaut qu'une réunion, à sa demande ait eu lieu le 30 juin 2015 entre les parties sur les points de divergence existant entre les parties, et notamment la 'demande d'actualisation établie après les décomptes généraux définitifs', selon les termes de son propre courrier du 17 juin 2015, démontrant ainsi, à supposer que cette clause puisse s'interpréter comme instituant une fin de non recevoir que la procédure avait, faute de conciliation et d'accord sur le recours à un arbitre, été régularisée au jour où le juge statue, quand bien même une requête en injonction de payer avait été déposée antérieurement à cette réunion.
La décision de première instance doit être confirmée en ce qu'elle a rejeté cette fin de non-recevoir.
- sur l'intangibilité du décompte général définitif :
Phase ultime de l'exécution contractuelle, le décompte général du marché récapitule l'ensemble des éléments actifs et passifs résultant des obligations des cocontractants.
Son solde détermine ainsi la situation créancière ou débitrice de l'entrepreneur à l'égard du maître de l'ouvrage.
Le décompte général constitue un tout unique et indivisible de sorte qu'aucune obligation contractuelle ne saurait produire des effets financiers entre les parties en dehors de ce compte terminal et exclusif.
À l'issue des travaux, l'entrepreneur doit établir un mémoire définitif comprenant l'intégralité des sommes qu'il estime lui être dû en application du marché.
Pour les marchés soumis à la norme Afnor, ce mémoire définitif doit être établi dans un délai de soixante jours (norme Afnor NF P. 03-001, art. 19-5-1).
Passé ce délai, le maître d'ouvrage peut, après mise en demeure infructueuse, le faire rédiger par le maître d'oeuvre aux frais de l'entrepreneur.
Par la suite, ce mémoire définitif fait l'objet d'une même vérification par le maître d'oeuvre que les états de situation.
Le maître d'oeuvre établit un décompte définitif qu'il transmet au maître d'ouvrage. Ce dernier le notifie alors à l'entrepreneur dans un délai de soixante jours à compter de la réception du mémoire définitif par le maître d'oeuvre, ou si le mémoire définitif a été établi par ce maître d'oeuvre, en cas de carence de l'entrepreneur, dans un délai de six mois à compter de la réception des travaux.
L'entrepreneur dispose alors, en vertu de l'article 19-6-3 de la norme Afnor, de trente jours pour présenter, par écrit, ses observations éventuelles au maître d'oeuvre et au maître de l'ouvrage. Son silence vaut acceptation tacite.
En cas de remarques de l'entrepreneur, le maître d'ouvrage dispose, à son tour, de trente jours pour prendre position.
Son silence vaut également acceptation.
La contestation par l'entrepreneur du décompte définitif qui lui a été notifié n'a d'ailleurs pas pour effet de repousser le moment concret du paiement. En toute hypothèse, en effet, le maître d'ouvrage doit payer les sommes qui découlent du décompte définitif notifié dans un délai de trente jours (norme Afnor NF P. 03-001, art. 20.4.1) à compter de la notification du décompte général).
Il est donc primordial au regard de l'ensemble des principes ci-dessus rappelés et au vu de l'emploi par les parties des termes sans distinction pour les différents documents qu'ils se sont adressés, de qualifier lesdits documents, sans s'arrêter à la dénomination éventuellement choisie par les parties mais en fonction de la réalité qu'ils recouvrent.
Au vu de la Norme NF 01-003 dont se prévaut la SA Hainaut elle-même qui définit le décompte général comme 'le décompte établi par le maître d'oeuvre qui fixe le montant du règlement' en fonction du mémoire définitif (article 19-6-1) lequel est établi à compter d'un délai à date de la réception ou de la résiliation ( article 19-5-1), le document du 29 octobre 2014, adressé, avant toute réception des travaux, laquelle est intervenue le 1er décembre 2014, par l'entrepreneur lui-même au maître d'oeuvre, concernant les tranches 5 et 6, et non réalisé par le maître d'oeuvre lui-même à partir des mémoires définitifs transmis par l'entrepreneur, ne peut recevoir la qualification de décompte général définitif au sens des dispositions du CCAP/CCAG, quand bien même la société Cabre l'aurait par erreur intitulé ainsi, s'agissant dès lors d'un décompte provisoire.
Aucun décompte général définitif n'a été effectué par le maître d'oeuvre, lequel s'est contenté de transférer au maître d'ouvrage les documents intitulés 'situations' par la société Cabre, adressés le 16 février 2015.
L'étude de ces documents permet de constater toutefois qu'il ne peut s'agir, comme l'ont justement noté les premiers juges, que de mémoires définitifs, puisqu'ils reprennent les sommes que l'entrepreneur estime lui être dû pour les tranches 2, 3 et 4, après réception des travaux, l'actualisation des travaux et sont signés par le maître d'oeuvre lequel les a fait parvenir au maître de l'ouvrage.
La SA Hainaut ne peut pas plus raisonnablement opposer à la société Cabre la signature d'un avenant en date du 21 janvier 2015 qu'elle qualifie de 'solde de marché' renforçant le caractère intangible des sommes réclamées et du décompte général, alors même qu'une simple lecture de l'exposé de cet avenant permet de constater qu'il s'agit de la rémunération pour des 'Travaux supplémentaires et modificatifs, à la demande du maître d'ouvrage, et suivant détail établi par la maîtrise d'oeuvre'.
Le décompte définitif général, qui se devait de prendre en compte ces modifications, ne pouvait dès lors être intervenu antérieurement.
Le moyen de la société Hainaut relatif à l'absence de mise en demeure par l'entrepreneur du maître de l'ouvrage, conformément à l'article 19-6-2 ne peut qu'être disqualifié en simple argument, à supposer d'ailleurs que cette mise en demeure ne soit pas suffisante pour répondre aux conditions de l'article précité, la SA Hainaut ne tirant aucune conséquence juridique de l'omission de cette formalité, laquelle de toute façon ne rend pas irrecevable la demande en paiement mais conduirait uniquement à offrir au maître d'ouvrage la possibilité de contester les montants visés par l'entrepreneur dans son mémoire au stade de l'action en justice.
En conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la fin de non recevoir opposée par la société SA Hainaut, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
Les premiers juges ayant toutefois omis de reprendre expressément ce chef dans leur dispositif, il sera statué par le présent arrêt en ajoutant à la décision déférée.
- Sur la demande en paiement de la SA Cabre :
' Le tribunal, saisi suite à l'opposition formée par la SA Hainaut à injonction de payer, conformément aux dispositions de l'article 1420 du code de procédure civile, se devait de constater la mise à néant de l'ordonnance d'injonction de payer, et de statuer à nouveau, sans que la SA Hainaut ne puisse tenter de tirer argument du terme impropre d'infirmation de l'ordonnance, utilisé par la juridiction de première instance.
La décision doit donc être confirmée en ce qu'elle a reçu l'opposition et dit que la présente décision se substituait à l'ordonnance, en statuant à nouveau, étant précisé que l'ordonnance d'injonction de payer sera mise à néant et non infirmée.
' En vertu des dispositions de l'article 1134 ancien du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
Aux termes des dispositions de l'article 1156 ancien du code civil, on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes.
L'article 1157 ancien précise que lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, l'on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait produire aucun, l'article 1161 ancien stipulant que toutes les clauses des conventions s'interprétant les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier.
L'article 1793 du code civil prévoit que lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire.
Il ne peut y avoir forfait que si le prix constitue un engagement irrévocable des parties.
La conclusion d'un marché forfaitaire n'est pas incompatible avec une clause de révision du prix dès lors, du moins, que cette clause aboutit elle-même à un calcul précis et définitif de la révision, ni avec une actualisation contractuelle du prix, dès lors que celle-ci est très précisément envisagée par le contrat.3
Si les parties discutent de la compatibilité des clauses relatives à l'actualisation des prix et à la révision du prix avec un marché à forfait, aucune ne remet en cause la qualification de marché à forfait pour la présente opération, la cour ne pouvant que constater que ce point ne fait donc pas partie des termes du litige.
En l'espèce, le contrat n° 2010/334 signé entre les parties le 19 novembre 2010 se définit comme un 'Marché forfaitaire non actualisable et non révisable pour la tranche ferme, Actualisable et non révisable pour les tranches conditions'.
Les clauses du contrat précisent expressément le caractère ferme de la première phase de travaux, les suivantes étant définies comme conditionnelles, et n'ouvrant droit à 'aucun dédommagement pour l'entrepreneur dans le cas où une tranche conditionnelle ne pourrait se réaliser'.
L'article 3-1-1 du cahier des clauses administratives particulières stipule que 'le marché est passé à prix forfaitaire global... hormis l'accord des parties contractantes pour la modification du prix par voie d'avenant au présentant marché, le prix ne peut varier qu'aux conditions fixées au présent CCAP, notamment pour cause de variation économique'.
Cependant, l'article 3-8-2 définit précisément la formule d'actualisation des prix contractuellement acceptée par les parties, applicable aux trois tranches conditionnelles.
Ainsi, il s'ensuit que si la première tranche de travaux, définie comme la tranche ferme, est non révisable non actualisable dans le cadre d'un marché à forfait pur, les parties ont expressément soumis les tranches fermes à un régime différent permettant l'actualisation des prix.
Contrairement à ce que laisse sous-entendre, dans ses écritures, la SA Hainaut, cette soumission a un tel mécanisme d'actualisation n'était pas soumis à un accord préalable du maître d'ouvrage, étant expressément envisagé pour les tranches conditionnelles dans le contrat, sous réserve que ces conditions d'application soient réunies, et n'a aucunement été remis en cause par la conclusion de l'avenant du 21 janvier 2015, lequel a modifié le marché en raison de travaux supplémentaires et modificatifs, tout en précisant formellement que les autres clauses du marché initial ne sont pas modifiées.
Quant aux conditions de mise en oeuvre de ce mécanisme d'actualisation, la cour retient que :
- selon l'article 1-1-2, 'les prestations visées à l'article 1-1 font l'objet d'une tranche ferme et de trois tranches conditionnelles, savoir : tranche ferme en 2010 : réhabilitation de 29 logements individuels, tranche conditionnelle en 2011 réhabilitation de 30 logements individuels, tranche conditionnelle en 2012, réhabilitation de 3" logements individuels, tranche conditionnelle en 2013 réhabilitation de 19 logements individuels.
- le même article précise que 'chaque tranche forme un ensemble cohérent et parfaitement défini. Le maître d'ouvrage notifie à l'entrepreneur, avec copie au maître d'oeuvre, le début de chaque tranche avec le délai d'exécution y afférant....
- l'article 3-8-2 prévoit l' actualisation des prix, ainsi envisagée : Tranche ferme non actualisable, pour les trois tranches conditionnelles, si la date d'effet de l'ordre de service prescrivant le commencement des travaux est postérieure de plus de 120 jours à la date limite fixée pour la remise de l'acte d'engagement ou à la date effective de remise dudit acte dans le cas de marché négocié, il est procédé pour tous les corps d'état à l'actualisation des prix par application de la formule suivante.
- l'article 3-8-3 du CCAP stipule que 'pour l'application des dispositions de l'article 3-8-2, la date d'effet de l'ordre de service de commercer les travaux s'entend de la date d'ouverture du chantier fixée pour l'ordre de service général',
Le terme même d'ordre de service général ne peut s'entendre, au vu de l'économie du contrat et de la commune intention des parties que comme l'ordre de service émis pour chaque tranche, et notamment pour chacune des tranches conditionnelles, lesquelles comme l'ont justement noté les premiers juges, qui ne sauraient se voir reprocher une quelconque dénaturation du contrat, sont expressément envisagées par les parties comme des 'ensembles cohérents et parfaitement définis', et donc des chantiers autonomes conformément aux dispositions de l'article 1-2-2 du cahier des clauses administratives particulières.
Retenir l'ordre de service de commencement des travaux de la tranche ferme priverait la disposition d'actualisation ci-dessus souscrite d'un commun accord par les parties pour les seules tranches conditionnelles de toute réalité.
Seule prévue pour ces dernières tranches, l'actualisation vise à lisser l'effet du décalage dans le temps lié à l'exécution successive sur plusieurs années des travaux prévus par tranches initialement conclues, sur des bases économiques que les parties ne pouvaient qu'ignorer lors de la souscription du contrat, sans que puisse être légitimement soutenu par la SA Hainaut qu'il appartenait à la société Cabre en 2010 de prendre en compte cet effet du temps dans la fixation de ces prix en 2010 pour les tranches conditionnelles, dont les travaux ont été réalisés sur plus de 4 années.
Ainsi, c'est à juste titre que les premiers juges ont fait application des dispositions précitées de l'article 3-8-2 dès lors que l'ordre de service de la tranche ferme a été donné le 22 novembre 2010 et ceux pour les tranches conditionnelles le 11 octobre 2011, soit plus de 120 jours pour ces trois derniers ordres de service après la remise de l'acte d'engagement le 2 octobre 2010.
Aucune critique n'étant portée sur le montant arrêté pour les tranches conditionnelles après application de la formule d'actualisation, et après déduction du versement partiel de 57 825,05 euros TTC intervenus sur les 143 820,43 euros dus, il convient de confirmer la condamnation de la SA Hainaut à payer à la société Cabre le solde du marché soit la somme de 85 995,38 euros.
- Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive :
Aux termes des dispositions de l'article 1153 alinéa 4 ancien du code civil, le créancier auquel son débiteur a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.
En vertu des dispositions des articles 6 et 9 du code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.
Faute pour la SA Cabre d'invoquer les faits nécessaires au soutien de sa prétention et notamment de caractériser et prouver le préjudice distinct qu'elle aurait pu subir du fait du retard dans le paiement, elle ne peut qu'être déboutée de sa demande.
La décision de première instance sera confirmée.
- Sur la demande reconventionnelle de la SA Hainaut :
En vertu des dispositions de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et nécessite que soit caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice pour que puissent être octroyés des dommages et intérêts à titre de réparation.
En vertu des dispositions des articles 6 et 9 du code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.
La Sa Hainaut, qui se trouve déboutée de ses demandes, n'invoque aucun fait concluant au soutien de sa demande de dommages et intérêts.
La décision de première instance sera donc confirmée. Toutefois il sera statué en ajoutant à la décision déférée qui a omis de reprendre ce chef dans le dispositif de son jugement.
- Sur les dépens et accessoires :
En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la SA Hainaut succombant en ses prétentions, il convient de la condamner aux dépens.
Les chefs de la première décision relatifs aux dépens et à l'indemnité procédurale seront confirmés.
Le sens du présent arrêt commande de condamner la SA Hainaut à payer à la SA Cabre la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
REJETTE les fins de non recevoir opposées par la SA Hainaut ;
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes en date du 23 août 2016 en toutes ses dispositions, sauf à préciser que l'ordonnance d'injonction de payer en date du 5 juin 2015 n'est pas infirmée mais mise à néant ;
y ajoutant,
REJETTE la demande de la SA Hainaut en dommages et intérêts pour procédure abusive ;
CONDAMNE la SA Hainaut à payer à la SA Cabre la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
LA DEBOUTE de sa demande d'indemnité procédurale ;
LA CONDAMNE aux dépens d'appel.
Le greffier Le président
V. Roelofs M.L.Dallery