République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 4
ARRÊT DU 13/09/2018
N° de MINUTE :
N° RG 17/03915 - N° Portalis DBVT-V-B7B-QZC5
Jugement (N° 14-000041) rendu le 1er Juillet 2016
par le tribunal paritaire des baux ruraux d'Arras
APPELANT
Monsieur Philippe X...
né le [...] à Rivière (62173) - de nationalité française
demeurant [...]
Représenté par Me Philippe Y..., avocat au barreau de Douai constitué aux lieu et place de Me Philippe Z..., avocat au barreau de Douai
INTIMÉ
Monsieur Philippe A...
né le [...] à Dainville (62000)
demeurant [...]
Représenté par Me Jean-Philippe B..., avocat au barreau d'Arras
DÉBATS à l'audience publique du 31 Mai 2018 tenue par Louise C... et Bénédicte D... magistrates chargées d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, ont entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Elodie Recloux
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Hélène Tapsoba-Château, première présidente de chambre
Louise C..., conseillère
Bénédicte D..., conseillère
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 Septembre 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Hélène G..., présidente et Elodie Recloux, greffière, auquel la minute a été remise par la magistrate signataire.
Rappel de procédure
Suivant un acte notarié en date du 24 septembre 1997, M. Paul X... et Mme Simone E... épouse X... ont consenti à M. Philippe A..., un bail à ferme sur les parcelles sises commune de Rivière, cadastrées :
- ZE8 pour 98ca 10ca
- ZE9 pour 98ca 30ca
- ZE10 pour 1ha 39a 10ca
- ZE 11 pour 2ha 87a 50ca
soit un total de 6ha 23a
Ce bail consenti pour une durée de 9 années entières a débuté le 1er octobre 1997 pour se finir le 30 septembre 2006. A défaut de congé, il a été tacitement renouvelé jusqu'au 30 septembre 2015.
Par acte extrajudiciaire en date du 20 mars 2014, M. Philippe X... agissant en qualité de nu-propriétaire et de curateur de M. Paul X... a donné congé à M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L.411-64 du code rural et de la pêche maritime et à titre subsidiaire pour reprise aux fins d'exploitation par le petit-fils du bailleur.
M. Paul X... est depuis décédé et M. Philippe X... dispose désormais desdites parcelles en pleine propriété.
Par requête en date du 2 juillet 2004, M. A... a attrait M. Philippe X... devant le tribunal paritaire des baux ruraux d'Arras aux fins de voir annuler le congé délivré le 20 mars 2014 et aux fins de se voir autorisé à céder à sa fille, Mme Amandine A..., le bail qu'il détenait un vertu de l'acte authentique en date du 24 septembre 1997.
Par ordonnance en date du 2 février 2015, Mme la présidente du tribunal paritaire des baux ruraux d'Arras a commis Maître Samuel F..., huissier de justice, pour qu'il se rende à la direction départementale des territoires et de la mer pour se faire communiquer une copie de l'intégralité des dossiers déposés dans le cadre de la PAC par l'EARL A... au titre des années 2011 à 2014.
La décision frappée d'appel
Par jugement en date du 1er juillet 2016, le tribunal paritaire des baux ruraux d'Arras a :
- autorisé M. Philippe A... à céder le droit au bail qu'il détient sur les parcelles, commune de Rivière, cadastrées, ZE 8, d'une contenance de 98 a 10 ca, ZE 9, d'une contenance de 98 a 30 ca, ZE 10, d'une contenance de 1 ha 39 a 10 ca et, ZE 11, d'une contenance de 2 ha 87 a 50 ca, à sa fille, Mme Amandine A...,
- dit que Mme Amandine A... bénéficiera du droit au renouvellement de son bail,
- annulé le congé délivré par le ministère de la SCP Waterlot, le 20 mars 2014, à la requête de M. Philippe X..., agissant en qualité de nu-propriétaire et de tuteur de M. Paul X..., ce dernier étant décédé et M. Philippe X... étant désormais pleinement propriétaire, sur le fondement des dispositions de l'article L 411-64 du Code rural, et subsidiairement, pour reprise aux fins d'exploitation par M. Frédéric X..., fils de Monsieur Philippe X...,
- condamné M. Philippe X... à payer à M. Philippe A... la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. Philippe X... aux entiers dépens de l'instance,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
La procédure d'appel
Par déclaration au greffe en date du 19 juin 2016, M. X... a interjeté appel de cette décision.
Dans ses conclusions visées par le greffe et soutenues à l'audience du 31 mai 2018, M. Philippe X... demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de :
- valider avec toutes conséquences de droit le congé signifié à Monsieur Philippe A... le 20 mars 2014 et dire qu'il devra libérer les quatre parcelles en cause dès notification de l'arrêt à intervenir,
subsidiairement et si néanmoins, la cour venait à autoriser Monsieur Philippe A... à céder son bail à sa fille,
- valider avec toutes conséquences de droit le congé qui a été signifié à Monsieur Philippe A... le 20 mars 2014 aux fins de reprise d'une superficie de 6 hectares et 23 centiares au profit de Monsieur Frédéric X...,
en conséquence,
- dire que Monsieur Philippe A... devra libérer lesdites parcelles dès signification de l'arrêt à intervenir.
- voir condamner Monsieur Philippe A... au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- voir condamner Monsieur Philippe A... aux entiers dépens en ce compris les frais et honoraires de Maître Samuel F... - huissier de justice commis - arrêtés à la somme de 449.87 euros.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir qu'il a délivré un congé à M. A... en raison de son atteinte de l'âge de la retraite, étant observé que ce dernier a manqué à ses obligations en n'informant pas son bailleur qu'il avait mis son bail à disposition de l'EARL A..., la lettre recommandée avec accusé réception produite aux débats à cette fin n'étant pas probante - celle-ci n'étant qu'un projet de lettre qui aurait été adressé avant l'établissement des statuts et l'immatriculation de ladite EARL. Il ajoute que M. A... a d'autant plus manqué à ses obligations qu'il a procédé à un échange de jouissance de plusieurs parcelles sans en aviser son père qui ne pouvait en être informé, étant placé en maison de retraite, ce qui lui a nécessairement causé un préjudice.
Il soutient enfin que le congé a été délivré, à titre subsidiaire, aux fins de reprise du bail au profit de son fils, M. Frédéric X..., qui remplit l'ensemble des conditions posées à l'article L.411-59 du code rural et de la pêche maritime.
Dans ses conclusions visées par le greffe et soutenues à l'audience du 31 mai 2018, M. Philippe A... demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de :
- condamner M. X... à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers frais et dépens.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que le congé délivré sur le fondement de l'article L.411-64 du code rural et de la pêche maritime doit être annulé puisque sa fille, Mme Amandine A... remplit toutes les conditions posées à l'article L.411-59 de ce même code pour se voir céder ledit bail.
Il affirme que M. Paul X... a bien été informé par lettre recommandée avec accusé réception en date du 19 mars 1997 de la mise à disposition des terres louées au profit de l'EARL A... et que concernant l'échange de jouissance, le bailleur ne pouvait l'ignorer comme il résidait de son vivant sur la commune où se situent les terres.
Il explique que si le formalisme de l'article L.411-39 du code rural et de la pêche maritime n'a pas été respecté, c'est en raison des bonnes relations entretenues avec M. Paul X..., qu'au demeurant et comme en atteste la PAC 2014, cet échange n'a plus cours et qu'en tout état de cause, M. Philippe X... ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice résultant de cet échange, les parcelles ayant été parfaitement exploitées et entretenues.
Il souligne que le congé aux fins de reprise par le petit-fils du bailleur n'a pas lieu d'être examiné, M. X... ayant délivré, à titre principal, ledit congé pour atteinte de l'âge à la retraite.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
A l'issue de l'audience de plaidoirie, l'affaire a été mise en délibéré au 13 septembre 2018.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la cession du bail au profit de Mme Amandine A... et l'annulation du congé délivré sur le fondement de l'article L.411-64 du code rural et de la pêche maritime
Selon l'article L.411-64 du code rural et de la pêche maritime, .../... dans les cas mentionnés aux deuxième et troisième alinéas, le bailleur doit prévenir le preneur de son intention de refuser le renouvellement du bail ou d'y mettre fin par acte extrajudiciaire signifié au moins dix-huit mois à l'avance. [...]. Le preneur évincé en raison de son âge peut céder son bail à son conjoint, ou au partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité, participant à l'exploitation ou à l'un de ses descendants ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipé, dans les conditions prévues à l'article L. 411-35. Le bénéficiaire de la cession a droit au renouvellement de son bail.
L'article L.411-35 de ce même code, sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial prévues au chapitre VIII du présent titre et nonobstant les dispositions de l'article 1717 du code civil, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire.
En l'espèce, M. Philippe X... agissant en qualité d'usufruitier et de curateur de M. Paul X..., bailleur en titre, a délivré à M. A... un congé pour atteinte de l'âge légal à la retraite concernant le bail à ferme consenti pour les parcelles décrites en début de cet arrêt.
M. A... a sollicité, comme l'article L.411-64 du code rural et de la pêche maritime précité lui permet, que ce bail soit cédé à sa fille, Mme Amandine A....
La faculté de cession exceptionnelle est réservée au preneur de bonne foi, qui s'est constamment acquitté de ses obligations et les juges du fond apprécient souverainement si les manquements du preneur à ses obligations sont assez graves pour refuser la cession du bail à un descendant.
Il est acquis aux débats que M. A... a mis à disposition les terres, objets du bail, à l'EARL A... mais il ne rapporte pas la preuve d'avoir informé en temps utile son bailleur ; la pièce produite à cet effet n'est pas signée et elle est datée du 19 mars 1997 alors que les statuts de l'EARL A... ont été établis le 1er avril 1997 et qu'elle n'a été immatriculée que le 13 mai 1997 soit bien postérieurement à la lettre visant à informer de cette mise à disposition. Toutefois et malgré ce qu'affirme M. X..., il appert que cette absence d'information, ne suffit pas à caractériser un manquement suffisant de nature à justifier un refus à la cession du bail.
Par ailleurs, il ressort des déclarations PAC pour la période allant des années 2010 à 2013 que manifestement M. A... a procédé à un échange de jouissance en ce qui concerne les parcelles, objet du bail querellé, sans pour autant avoir avisé M. Paul X... de cette situation, étant observé que M. A... ne saurait valablement affirmer que M. Paul X... était nécessairement informé de cette situation puisqu'il résidait sur la même commune que celles où les parcelles sont localisées, ce moyen étant inopérant et non justifié. Par contre, il est incontestable qu'il a été mis fin à cette situation en 2014.
Cet échange occulte ne peut constituer un manquement grave justifiant le refus de la cession sollicitée à défaut de démonstration par le bailleur d'un préjudice résultant de cet échange, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, M. X... ne rapportant pas la preuve d'un défaut d'exploitation ou d'une dégradation desdites parcelles.
M. X... échoue donc à rapporter la preuve de la mauvaise foi de M. A... en sa qualité de preneur.
Enfin, il ressort des pièces produites aux débats que Mme Amandine A... justifie remplir les conditions prévues à l'article L.411-59 du code rural et de la pêche maritime pour pouvoir bénéficier de la cession de bail, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par l'appelant. En effet, il est justifié qu'elle est titulaire d'un brevet professionnel de responsable d'exploitation agricole, qu'elle dispose de tout le matériel nécessaire pour exploiter les parcelles querellées dans le cadre de l'EARL A... par reprise des parts sociales de son père et pour laquelle elle n'est pas tenue d'obtenir une autorisation émanant de la préfecture du Pas de Calais.
Dès lors et au regard de l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que le tribunal paritaire des baux ruraux d'Arras a annulé le congé délivré sur le fondement de l'article L.411-64 du code rural et de la pêche maritime et a autorisé M. A... à céder son droit au bail qu'il détient sur les parcelles commune de Rivière - ZE8 pour 98ca 10ca - ZE9 pour 98ca 30ca - ZE10 pour 1ha 39a 10ca - ZE 11 pour 2ha 87a 50ca, d'une contenance totale de 6ha 23a à sa fille, Mme Amandine A....
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ces chefs.
Sur la nullité du congé délivré subsidiairement sur le fondement de l'article L.411-58 du code rural et de la pêche maritime
La cour ayant annulé le congé délivré à M. A... en raison de l'atteinte de l'âge de retraite et autorisé la cession dudit bail au profit de la fille du preneur, il ne saurait être fait droit au congé pour reprise délivré subsidiairement par M. X... sur le fondement des dispositions de l'article L.411-58 du code rural et de la pêche maritime, Mme A... en tant que bénéficiaire de cette cession disposant d'un droit personnel au renouvellement du bail.
Le congé délivré pour reprise aux fins d'exploitation par le fils du bailleur sera donc annulé et le jugement entrepris confirmé.
Sur les demandes accessoires
Partie perdante, M. X... sera condamné aux dépens d'appel.
L'équité commande de le condamner à verser à M. A... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux d'Arras en date du 1er juillet 2016,
Y ajoutant
Condamne M. Philippe X... à verser à M. Philippe A... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. Philippe X... aux dépens d'appel.
La greffière,La présidente,
E. ReclouxH. G...