République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 13/09/2018
***
N° de MINUTE : 18/
N° RG : 16/02059 - N° Portalis DBVT-V-B7A-PV67
Jugement (N° [...]) rendu le 15 mars 2016 par le tribunal de commerce de Lille Métropole
Arrêt avant dire droit rendu le 15 mars 2018 par la cour d'appel de Douai
APPELANTE
SARL Liftec prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social 1 avenue - 2ème Rue
Bâtiment 7
[...]
représentée par Me Virginie X..., avocat au barreau de Douai
assistée de Me Sandrine Y..., avocat au barreau de Lille
INTIMÉE
SARL Liftop prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social [...]
représentée par Me Eric Z..., de la SELARL Eric Z..., avocat au barreau de Douai
assistée de Me Yann A... de la SELARL Aseven, avocat au barreau de Paris
DÉBATS à l'audience publique du 29 mai 2018 tenue par Marie-Laure B... magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Valérie Roelofs
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie-Laure B..., président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Isabelle Roques, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 septembre 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Marie-Laure B..., président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 22 mai 2018
***
FAITS ET PROCÉDURE
La société Liftec a pour objet social, la 'conception, fabrication, commercialisation et la location d'équipements de manutention, de levage et de manipulation de charges pour ateliers, chantiers, et installations scéniques, conseil à la clientèle dans le cadre de cette activité'.
Courant 2007, elle a développé un produit, dénommé 'Retourneur manuel'.qui a été vendu à la société Liftop pour un montant de 90 000 euros.
La société Liftop a pour activité ' produits industriels import export, négoce et commercialisation de produits industriels' .
Constatant que Liftop présentait sur son site internet le produit dénommé 'Retourneur de bobines', en utilisant le produit développé par elle, Liftec a fait dresser un procès verbal de constat 19 mars 2014, aux fins d'établir que Liftop a reproduit des produits créés, fabriqués et commercialisés par elle.
Par exploit du 11 juin 2014, Liftec a fait assigner Liftop devant le tribunal de commerce de Lille Métropole afin d'obtenir réparation du préjudice qu'elle subit.
Par jugement contradictoire rendu le 15 mars 2016, le tribunal de commerce de Lille Métropole a:
- dit qu'aucun acte de concurrence déloyale n'a été commis par la société Liftop à l'encontre de la société Liftec en ce qui concerne son approvisionnement en retourneurs de bobines, sauf en ce qui concerne la publication sur son site internet d'une vidéo de démonstration appartenant à la société Liftec et concernant le 'retourneur manuel' de bobines qu'elle ne lui achetait plus;
en conséquence,
- condamné Liftop à payer à Liftec la somme de 1 euro au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral;
- débouté Liftec de toutes ses autres demandes en matière de concurrence déloyale à l'encontre de Liftop;
- condamné Liftec à payer Litop la somme de 4 552, 96 euros au titre de deux factures restées impayées, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure;
- condamné Litop à payer à la société Liftec la somme de 2 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile;
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du présent jugement;
- condamné la société Liftop aux entiers dépens de la présente instance, taxés et liquidés à la somme de 81, 12 euros en ce qui concerne les frais de greffe;
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires au présent jugement.
Liftec a interjeté appel de ce jugement par une déclaration du 1 avril 2016.
Par arrêt du 15 mars 2018, la cour d'appel a:
- infirmé le jugement;
Et statuant à nouveau et y ajoutant,
- dit que la société Liftop a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Liftec ;
- condamné la société Liftec à payer à la société Liftop la somme de 1 187,96 euros TTC
au titre de la facture du 31 octobre 2013 avec intérêts au taux légal à compter de la mise
en demeure du 14 avril 2013 ;
- débouté la société Liftop de sa demande en paiement de la facture du 14 avril 2014 d'un
montant de 3 365 euros ;
- avant dire droit sur les autres demandes présentées;
- invité les parties à faire valoir leurs observations sur la perte de chance éventuellement subie par la société Liftec ;
- ordonné la réouverture des débats à l'audience du 29 mai 2018 à 9 heures 30 ;
- révoqué en conséquence l'ordonnance de clôture ;
- dit que la nouvelle clôture interviendra le 15 mai 2018 ;
- sursoit à statuer sur les autres demandes présentées ;
- réserve les dépens.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 22 mai 2018, la SARL Liftec prie à la cour de :
vu l'article 1382 du code civil,
- infirmer le jugement et de :
- interdire à la société Liftoc d'utiliser le produit litigieux à compter de la signification de l'arrêt et ordonner la destruction des produits litigieux en stocks en justifiant par constat d'huissier sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée ;
- condamner la société Liftop à payer à la société Liftec :
A titre principal:
- la somme de 123 000 euros en réparation du manque à gagner;
A titre subsidiaire:
- la somme de 94 020 euros en réparation du manque à gagner;
A titre infiniment subsidiaire:
- la somme de 98 400 euros au titre de la perte de chance.
En tout état de cause:
- autoriser la société Liftec à publier la décision en totalité ou par extrait dans trois journaux ou revues françaises à caractère professionnel, aux frais de Liftoc, pour un montant maximum de 5 000 euros HT pour chacune des publications ;
- faire injonction à Liftop d'avoir à publier des extraits de la décision sur la page d'accueil de son site pendant deux mois à compter de la signification de l'arrêt, et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
- condamner la société Liftop aux entiers dépens;
Liftec soutient que le nombre de retourneurs produit par Liftop est à minima de 30 par an, soit 150 de la mi-mai 2013 à la mi-mai 2018, que le manque à gagner s'élève de 81 000 euros en ce que la marge moyenne de Liftec était de 40%., outre le manque à gagner relatif aux chariots, d'une montant de 42 000 euros correspondant à 25 chariots, au motif que les clients ne pouvant se fournir chez Liftop, se seraient rapprochés d'elle.
Sur une approche fondée sur le chiffre d'affaires, elle soutient que le chiffre d'affaires lié à la vente de retourneurs et chariots s'établit en 2011 et 2013 à environ 160 000 euros et le chiffre d'affaires manquant de 2014 à 2017 est donc de 392 405 euros auquel on applique une marge de 40% soit 156 962 euros.
A titre subsidiaire; elle calcule la marge manquée sur la quantité vendue sur 5 ans soit 115 retourneurs et 19 chariots, soit 94 020 euros.
À titre subsidiaire, sur l'indemnisation d'une perte de chance, elle sollicite que sa perte de chance soit évaluée à 80% pour tenir compte de la qualité d'ancien distributeur de Liftop qui continue à distribuer les produits Liftec auprès de ses clients, soit une indemnisation de 98 400 euros.
Par des conclusions notifiées par voie électronique le 22 mai 2018, la SARL Liftop demande à la cour de :
vu le principe de liberté du commerce et de l'industrie à valeur constitutionnelle,
vu les dispositions de l'artic1e 1382 ancien du code civil,
vu1'artic1e 1134 ancien du code civil,
vu les pièces versées aux débats,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a «débouté la société Liftec de toutes
ses autres demandes en matière de concurrence déloyale à l'encontre de la société Liftop » ;
- constater que la société Liftec ne rapporte pas la preuve d'un préjudice subi réel et personnel et direct ;
- constater l'absence de préjudice subi par la société Liftec lié d'un lien de causalité avec une quelconque faute de la société Liftop ;
en conséquence,
- débouter la société Liftec de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions telles que formulées à l'encontre de la société Liftop au titre de son prétendu préjudice financier ;
en tout état de cause,
- condamner la société Liftec à payer à la société Liftop la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner enfin la société Liftec aux entiers dépens.
Liftop soutient qu'en l'absence d'engagement contractuel, elle est parfaitement libre de pouvoir s'approvisionner auprès d'un autre fabricant et que la société Liftop ne dispose d'aucun droit de propriété industrielle ou intellectuelle sur ces retourneurs.
Elle invoque l'absence de préjudice réel, direct et personnel de Liftec et d'un lien de causalité avec une quelconque faute de sa part.
Elle estime que la société Liftec ne caractérise pas de détournement de clientèle, de vente manquées et n'établit pas l'existence d'un préjudice matériel, certain et personnel, que le calcul de la marge manquée est artificiel en ce que l'analyse du chiffre d'affaires ne permet pas d'identifier une baisse de ce chiffre après l'arrêt de leurs relations contractuelles.
Elle dit que pour le calcul d'un éventuel préjudice, il faut prendre en compte la marge brute des retourneurs de bobines vendues par la société Liftec à hauteur de 20% et non la marge brute totale de la société Liftec, que la demande complémentaire de 42 000 euros faite par la société Liftec est infondée en ce que la société Liftop n'a jamais acheté de chariot à la société Liftec, que la baisse du chiffre d'affaires en 2012 n'est pas de son fait, puisque la société Liftec fournissait déjà la société Liftop en 2011 et que le choix de retenir l'année 2013 ne se justifie pas car les commandes de retourneurs se sont arrêtés en 2012.
SUR CE
Sur la demande de réparation au titre du 'manque à gagner' et la perte de chance
Il convient de réparer le préjudice subi par Liftec du fait du risque de confusion créé dans l'esprit du public par la volonté délibérée de Liftop avec le produit qu'elle commercialise.
Liftec sollicite réparation de son 'manque à gagner'qu'elle actualise de la moitié de l'année 2013 à la moitié de l'année 2018 à 81 000 euros sur la base de 150 retourneurs vendus par Liftop pour un prix moyen de 1350 euros avec une marge de l'ordre de 40% , somme à laquelle elle ajoute la somme de 42 000 euros au titre de la vente de 20 chariots au prix de 4200 euros avec une marge de 40 %, soit la somme de 123 000 euros et subsidiairement au vu des chiffres communiqués par Liftop la somme de 94 020 euros, soit 52 600 euros pour 115 retourneurs et 31 920 pour 19 chariots.
Cette demande s'analyse en une perte de chance en raison du gain manqué.
Liftec est donc déboutée de sa demande tendant à la réparation du gain manqué.
Le préjudice se mesure à la seule chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
Elle suppose, pour être réparable, la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, ce qui est le cas en l'espèce.
La réparation du dommage résultant de la perte de chance ne présente pas un caractère forfaitaire mais correspond à une fraction des différents préjudices subis.
Liftec estime qu'un coefficient de 80% sur les gains manqués de 123 000 euros doit être retenu pour tenir compte de la qualité d'ancien distributeur de Liftop et de la probabilité pour cette dernière de continuer à distribuer ses produits Liftec à ses anciens clients.
Liftop rétorque que si Liftec invoque des relations commerciales avec elle antérieures à l'an 2000, celle-ci reconnaît que Liftop a acquis le retourneur à partir de 2011. Elle ajoute que les relations entre elles ayant pris fin en 2012, la probabilité de la vente par Liftop des retourneurs manuels de Liftec est nulle, de sorte qu'aucune perte de chance n'est démontrée.
Il est constant que Liptop a acquis le retourneur litigieux en 2011 et qu'il résulte des pièces produites que Liftop a acquis pendant plusieurs années auprès de Liftec des machines 'retourneur manuel mandrin 9 griffes, bras oscillant'; que selon une attestation de Regor, fabricant de Liftop, 47 mandrins ont été fabriqués sur la période fin 2013-2015 (pièce 20).
En l'absence d'autres éléments, la perte de chance en lien direct avec la faute commise, s'évalue en tenant compte des 47 retourneurs vendus par Liftop entre 2013 et 2015.
La marge brute de Liftec résultant de la vente des retourneurs vendus à Liftop peut être fixée à 30 % au vu des pièces 6 et 26 de Liftec. Ainsi la valeur des gains manqués (1 350€ x 47 x 30% ) ressort à 19 035 euros.
La demande tendant à voir ajouter la perte de marge de chariots que les clients de Liftop auraient pu acheter à Liftec, ne peut être prise en compte ne s'agissant pas d'un préjudice direct.
Enfin, la probabilité de l'événement favorable avant la survenance du fait générateur peut être évaluée à 60 % .
Il en résulte un préjudice indemnisable au titre de la perte de chance de 11 421 euros
Sur le préjudice moral
Elle invoque un préjudice moral en particulier d'image en ce que la capacité du mandrin Liftop est de 60 kg alors que son produit a une capacité de 90 kg, de sorte qu'elle offre, en sa qualité d'ancien revendeur de produits Liftec, un produit moins qualitatif et potentiellement dangereux
Si Liftec n'établit pas le caractère potentiellement dangereux du produit offert par Liftop, elle subit néanmoins un préjudice commercial moral que lui cause son ancien revendeur qui propose un produit ne présentant pas les mêmes qualités alors qu'il existe un risque de confusion avec le sien dans l'esprit du public.
La somme de 10 000 euros lui sera allouée en réparation de son préjudice moral.
Sur la mesure d'interdiction
La demande de la société Liftec tendant à interdire à la société Liftoc d'utiliser le produit litigieux à compter de la signification de l'arrêt et d'ordonner la destruction des produits litigieux en stock justifiée par constat d'huissier sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée ne peut prospérer au regard du principe de la liberté de commerce.
Sur les mesures de publication
En revanche, il y a lieu d'autoriser la société Liftec à publier un extrait de l'arrêt dans trois journaux ou revues françaises à caractère professionnel, aux frais de Liftop, pour un montant maximum de 5 000 euros HT pour chaque publication, à titre de dommages-intérêts complémentaires
La demande complémentaire tendant à faire injonction à Liftop d'avoir à publier des extraits de la décision sur la page d'accueil de son site pendant deux mois à compter de la signification de l'arrêt, et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard n'apparaît pas justifiée dès lors que Liftop a supprimé la vidéo élaborée par Liftec au moyen de laquelle elle commercialisait sa propre machine.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Liftop qui succombe, est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et est condamnée à payer la somme de 5 000 euros sur ce fondement à Liftec.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Vu son arrêt du 15 mars 2018,
Déboute la société Liftec de sa demande en réparation du manque à gagner ;
Condamne la société Liftop à payer à la société Liftec la somme de 11 421 euros au titre de la perte de chance subie par celle-ci ainsi que la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;
Autorise la société Liftec à publier un extrait de l'arrêt dans trois journaux ou revues françaises à caractère professionnel, aux frais de Liftop, pour un montant maximum de 5 000 euros HT pour chaque publication, à titre de dommages-intérêts complémentaires;
Déboute la société Liftec de sa demande complémentaire tendant à faire injonction à Liftop d'avoir à publier des extraits de la décision sur la page d'accueil de son site pendant deux mois à compter de la signification de l'arrêt, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
Déboute la société Liftec de sa demande tendant à interdire à la société Liftop d'utiliser le produit litigieux à compter de la signification de l'arrêt et d'ordonner la destruction des produits litigieux en stock sous astreinte de 5 000 euros par infraction ;
Déboute la société Liftop de ses demandes ;
Condamne la société Liftop aux dépens et à payer à la société Liftec la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société Liftec de ses demandes plus amples.
Le greffierLe président
V. RoelofsM.L.B...