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31/05/2018 | FRANCE | N°17/05923

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 31 mai 2018, 17/05923


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 31/05/2018



***





N° de MINUTE : 18/240

N° RG : 17/05923



Offre FIVA du 04 Août 2017



DEMANDEURS



Madame Christiane X... épouse Y...

née le [...] à Coudekerque-Branche (59210)

de nationalité française

[...]

59210 Coudekerque-Branche



Monsieur Vincent Y...

né le [...] à Dunkerque (59140)

d

e nationalité française

496 Verone Straete

[...]



Monsieur Fabrice Y...

né le [...] à Dunkerque (59140)

de nationalité française

[...]



Madame Sophie Y...

née le [...] à Dunkerque (59140)

de nationalité française

[......

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 31/05/2018

***

N° de MINUTE : 18/240

N° RG : 17/05923

Offre FIVA du 04 Août 2017

DEMANDEURS

Madame Christiane X... épouse Y...

née le [...] à Coudekerque-Branche (59210)

de nationalité française

[...]

59210 Coudekerque-Branche

Monsieur Vincent Y...

né le [...] à Dunkerque (59140)

de nationalité française

496 Verone Straete

[...]

Monsieur Fabrice Y...

né le [...] à Dunkerque (59140)

de nationalité française

[...]

Madame Sophie Y...

née le [...] à Dunkerque (59140)

de nationalité française

[...]

Assistée de Me Romain Z..., avocat au barreau de Paris substituant Me Michel A..., avocat au barreau de Paris

DÉFENDEUR

Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante

[...]

[...]

Assisté de Me Mario B..., avocat au barreau de Lille

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Benoît Pety, conseiller faisant fonction de président

Sara Lamotte, conseiller

Claire Bertin, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 22 Mars 2018

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Benoît Pety, conseiller faisant fonction de président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé du litige

Roger Y..., né le [...], a été exposé aux poussières d'amiante au cours de son activité professionnelle.

Le diagnostic de cancer broncho-pulmonaire a été posé le 4 octobre 2006.

Par décision du 9 février 2007, la caisse primaire d'assurance maladie de Dunkerque (ci-après CPAM) a reconnu le caractère professionnel de la pathologie, et fixé un taux d'incapacité à 100% à compter du 6 octobre 2006.

Roger Y... est décédé des suites de sa pathologie le [...].

La CPAM de Dunkerque a reconnu le caractère professionnel du décès et alloué à Mme X... veuve Y... une rente de conjoint survivant à compter du 1er avril 2008.

Par courrier du 29 avril 2009, les ayants-droit ont saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (ci-après le FIVA) d'une demande d'indemnisation des préjudices subis par Roger Y... de son vivant, ainsi que d'une demande d'indemnisation de leurs préjudices personnels.

Par lettre du 7 décembre 2009, le Fonds leur a notifié une offre d'indemnisation se décomposant comme suit:

- à titre personnel

32 600 euros au titre du préjudice moral et d'accompagnement de Mme X... veuve Y...,

8 700 euros au titre du préjudice moral et d'accompagnement de chaque enfant,

3 300 euros au titre du préjudice moral et d'accompagnement de chaque petit-enfant,

- au titre de l'action successorale

préjudice d'incapacité fonctionnelle

(100% à compter du 4 octobre 2006)447,26 euros

préjudice moral 69 700 euros

préjudice physique 24 500 euros

préjudice d'agrément 22 800 euros

préjudice esthétique 3 000 euros

remboursement des frais funéraires 2 894,35 euros

Le 11 et 13 janvier 2010, les consorts Y... ont expressément accepté cette offre.

Par courriel du 23 juin 2017, les consorts Y... ont relancé le Fonds sur la demande d'indemnisation au titre du préjudice lié à l'assistance tierce personne subi par Roger Y... de son vivant.

Par lettre recommandée reçue le 11 août 2017, le Fonds a rejeté comme prescrite la demande des consorts Y....

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 octobre 2017 reçue au greffe le 12 octobre 2017, les consorts Y... ont contesté le rejet devant la cour de céans.

***

Dans leurs conclusions du 14 mars 2018 développées oralement à l'audience, les consorts Y... demandent à la cour de:

- dire que le délai de prescription de 10 ans opposable à la demande tendant à l'indemnisation de l'intégralité des préjudices subis par les ayants droit de Roger Y... du fait de son décès a été interrompu par l'offre présentée par le FIVA le 7 décembre 2009,

- constater que leur demande d'indemnisation au titre du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne subi par Roger Y... de son vivant n'est pas prescrite,

à titre subsidiaire,

- dire que le délai de prescription de 10 ans opposable à la demande tendant à l'indemnisation du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne subi par Roger Y... de son vivant a été interrompu par le règlement des sommes proposées par le FIVA dans son offre présentée le 7 décembre 2009,

- constater, que Ia demande d'indemnisation des consorts Y... déposée le 5 juillet 2017 au titre du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne subi par Roger Y... de son vivant n'est pas prescrite,

en tout état de cause,

- dire qu'il convient de retenir un besoin en tierce personne de 12 heures par jour du 15 janvier 2007 au 7 mars 2008,

- dire qu'il convient de retenir un taux horaire de 20 euros, charges sociales comprises,

- fixer l'indemnisation du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne à la somme de 97 200 euros,

- dire que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt à intervenir,

- condamner le Fonds à leur payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, les consorts Y... ne contestent pas la fixation du point de départ du délai de prescription décennale au 4 octobre 2006, date du certificat médical établissant le lien entre la pathologie de la victime et son exposition à l'amiante.

Ils soutiennent que le FIVA confond la prescription de la créance en tant que telle, et la prescription de l'action, c'est à dire la possibilité de le saisir d'une demande d'indemnisation. Ils ajoutent que le délai décennal de prescription a été interrompu selon les causes interruptives de droit commun prévues à l'article 2240 du code civil, notamment par la présentation de l'offre partielle d'indemnisation du FIVA en date du 7 décembre 2009, laquelle vaut reconnaissance par le Fonds du droit à la réparation intégrale des préjudices subis par Roger Y... de son vivant, et en lien avec son cancer broncho-pulmonaire, comme des préjudices personnellement éprouvés par ses ayants droit. Ils prétendent que la reconnaissance par le Fonds du droit de ses créanciers ne peut pas se fractionner, et qu'une reconnaissance partielle revêt un effet interruptif pour la totalité de la créance. Ils ajoutent enfin que le fait de remplir un formulaire du FIVA vaut demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil et interrompt la prescription.

Ils énoncent que le Fonds a émis une offre d'indemnisation le 7 décembre 2009, de sorte que le délai décennal de prescription a été interrompu et qu'un nouveau délai de dix ans a commencé à courir à cette date, expirant au 7 décembre 2019 pour saisir le Fonds d'une demande d'indemnisation complémentaire.

A titre subsidiaire, les consorts Y... font valoir qu'en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 relatif à la prescription quadriennale des créances de l'Etat, le règlement de l'offre présentée par le Fonds le 7 décembre 2009 a interrompu le délai de prescription.

S'agissant de l'indemnisation du recours à une tierce personne, les requérants assurent que l'état de santé de Roger Y... a nécessité l'assistance de son épouse, à compter du 15 janvier 2007 jusqu'au 7 mars 2008, à temps plein pour les soins quotidiens, tels que la toilette, les repas, les actes de la vie courante et le suivi paramédical, ce qui est attesté par le docteur C.... Ils précisent que la justification des frais d'assistance n'a pas à être rapportée, et évaluent le besoin en tierce personne à 12 heures par jour pendant 416 jours, dont à déduire 11 jours d'hospitalisation. Ils sollicitent la fixation du taux horaire à 20 euros, ce qui correspond au tarif horaire moyen des services à la personne, les charges sociales devant être prises en compte. Ils évaluent le montant du préjudice à la somme de 97 200 euros correspondant à (416 jours ' 11 jours) x 20 euros x 12 heures.

***

Dans ses conclusions déposées et soutenues par son conseil le jour de l'audience, le FIVA demande à la cour de:

- prendre acte de l'accord des parties sur le point de départ du délai de prescription, soit le 4 octobre 2006,

- constater que le Fonds n'a pas été mis en mesure d'identifier l'existence ni d'évaluer le préjudice prétendument subi par Roger Y... lié à l'assistance d'une tierce personne lors du dépôt de la demande d'indemnisation formulée par les requérants en 2009,

- constater que les requérants ne justifient pas avoir déposé une telle demande d'indemnisation auprès du Fonds avant le 5 juillet 2017,

- dire que l'offre formulée par le Fonds le 7 décembre 2009 ne constitue pas une cause interruptive du délai de prescription,

- en conséquence, confirmer la décision de rejet du Fonds du 9 août 2017, la demande des consorts Y... étant prescrite,

- subsidiairement, rejeter la demande formulée par les consorts Y... en réparation du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne, celle-ci étant non fondée,

- débouter les requérants de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, le FIVA rappelle que le délai de prescription est de dix ans, les consorts Y... retenant comme lui la date du 4 octobre 2006 comme point de départ de ce délai, c'est-à-dire la date du premier certificat médical reconnaissant le lien entre le décès et l'exposition à l'amiante. Il énonce que les causes interruptives et suspensives du délai de prescription applicables aux demandes d'indemnisation formulées auprès du Fonds ne relèvent pas du droit commun. Ainsi, les consorts Y... avaient jusqu'au 4 octobre 2016 pour le saisir. Leur saisine du 5 juillet 2017 est donc tardive et leur demande prescrite. Les causes d'interruption de l'article 2240 du code civil ne sauraient trouver à s'appliquer en l'espèce.

Le FIVA rappelle qu'il est un établissement public national doté d'un comptable public. Il relève donc de la prescription instituée par la loi du 31 décembre 1968. A défaut de précision dans l'article 53 III bis de la loi du 23 décembre 2000, les causes interruptives et suspensives du délai de prescription relèvent des articles 2 et 3 de la loi du 31 décembre 1968. La loi de financement de la sécurité sociale du 20 décembre 2010 n'a pas modifié la nature de la prescription ni les autres éléments de son régime, notamment les motifs d'interruption. La loi du 4 mars 2002 sur la responsabilité du service public hospitalier n'a fait qu'allonger le délai de prescription de 4 à 10 ans. Il n'a pas modifié les causes interruptives prévues par la loi du 31 décembre 1968.

Le FIVA soutient encore que, s'il a pour mission la réparation intégrale des préjudices subis par les requérants, il n'a jamais été mis en mesure d'identifier l'existence même d'un préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne, lorsque les requérants ont manifesté leur volonté d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis suite au décès de leur auteur. Ces derniers l'ont saisi au moyen d'un formulaire qui ne contenait aucune demande explicite du chef de l'assistance par une tierce personne. Aucune des pièces transmises par les demandeurs ne permettait de présumer l'existence de ce poste de préjudice. Les pièces, datées d'octobre 2017, permettant d'identifier la demande d'indemnisation de l'assistance par une tierce personne, lui ont été adressées plus de huit ans après la demande d'indemnisation initiale. Dans ces conditions, une demande non chiffrée et pour laquelle le Fonds n'a pas été mis en état d'évaluer le ou les préjudices déjà révélés ne peut présenter un caractère interruptif. Son offre du 7 décembre 2009 n'a aucunement pu interrompre le délai de prescription. La demande des consorts Y... relative à l'assistance par tierce personne est donc prescrite pour avoir été formée pour la première fois le 5 juillet 2017.

Le FIVA ajoute que seul le paiement d'une partie d'une créance déterminée interrompt le cours de la prescription en application de l'article 2 alinéa 1er de la loi du 31 décembre 1968, et qu'il n'a pas procédé au paiement partiel, mais au paiement intégral de son offre.

Relativement à l'indemnisation de la tierce personne, le FIVA rappelle que le besoin d'assistance du malade ne peut résulter de la seule nature de la pathologie dont il souffre ni de considérations d'ordre général. Ce besoin d'aide doit donc être documenté médicalement à partir d'une description précise des activités nécessitant l'aide en question, de leur importance et de la période considérée. Aucun certificat médical contemporain du besoin d'aide n'est produit aux débats. Les documents rédigés par le docteur C... sont datés du 5 octobre 2009 et 23 octobre 2017, soit très postérieurement au décès de Roger Y... survenu le [...], de sorte qu'ils revêtent une force probante très limitée, leur établissement l'étant aux dires des seules affirmations de la veuve. Ces certificats ne sont du reste pas suffisamment précis, de sorte qu'ils ne permettent pas de quantifier, de qualifier et de dater le préjudice.

Le FIVA relève en outre que le dossier médical de Roger Y... et la grille AGGIR renseignée le 7 mars 2008, soit la veille du décès, ne corroborent aucunement les dires du docteur C... sur la nécessité d'une tierce personne dès le 15 janvier 2007, et ne caractérisent pas une perte d'autonomie en lien avec la maladie déplorée. Au contraire, Roger Y... a conservé jusqu'en janvier 2008 un état général correct lui permettant d'assumer les actes essentiels de la vie courante. L'accompagnement compassionnel et affectif de son épouse, déjà indemnisé au titre du préjudice moral, doit être distingué de l'assistance par tierce personne. Par ailleurs, la nécessité d'une aide médicale de 12 heures par jour n'est pas non plus médicalement étayée, et il convient de déduire de l'indemnisation les 11 jours d'hospitalisation de la victime.

Motifs

Sur la prescription de la demande d'indemnisation

Attendu que la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 relative, à la prescription des créances sur l' Etat, les départements, les communes et les établissements publics énonce que :

«Article 1er : sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements: et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.

Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public.

Article 2: la prescription est interrompue par :

Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n 'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement;

Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance;

Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s 'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ;

Toute émission de moyen de règlement, même si ce règlement ne couvre qu'une partie de la créance ou si le créancier n 'a pas été exactement désigné.

Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. »

L'article 53 III bis de la loi du 23 décembre 2000, créé par la loi n°2010-1594 du 20 décembre 2010, dispose que « les droits à l'indemnisation des préjudices mentionnés au I se prescrivent par dix ans à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante. Toutefois, le délai de prescription ne court :

1° pour l'indemnisation des préjudices résultant de l'aggravation d'une maladie dont un certificat médical a déjà établi le lien avec l'exposition à l'amiante, que de la date du premier certificat médical constatant cette aggravation;

2° pour l'indemnisation des ayants droit d'une personne décédée, quand son décès est lié à l'exposition à l'amiante, que de la date du premier certificat médical établissant le lien entre le décès et cette exposition. »

Selon l'article 92 de la loi du 20 décembre 2010, ce délai décennal s'applique immédiatement, point sur lequel les parties s'accordent, ces dernières ne discutant pas davantage le point de départ du délai, à savoir le 4 octobre 2006, date du certificat médical établissant le lien entre le carcinome épidermoïde bronchique dont souffrait Roger Y... et l'exposition à l'amiante.

La précision apportée par la loi du 20 décembre 2010 permet d'aligner la prescription de l'action en indemnisation portée devant le FIVA sur celle du droit commun de l'article 2226 du code civil relatif à l'action en responsabilité fondée sur des faits ayant engendré un dommage corporel.

Il n'est pas douteux que ces dispositions de la loi du 20 décembre 2010, particulièrement favorables aux victimes de l'exposition à l' amiante et à leurs ayants droit pour ce qui a trait à la prescription de leur action indemnitaire, dispositions postérieures à la jurisprudence développée en application de la loi du 31 décembre 1968, doivent s'appliquer en l'espèce, à commencer par les dispositions sur les causes interruptives du délai de prescription, en sorte qu'il importe de faire application au présent litige des dispositions des articles 2240 à 2242 du code civil.

La cour observe que le formulaire de demande d'indemnisation approuvé par le conseil d'administration du FIVA, et rempli par les consorts Y..., daté du 30 avril 2009 par cet organisme, est assimilable à une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil et a donc interrompu le délai de prescription décennale courant depuis le 4 octobre 2006. S'il est exact que ce formulaire ne mentionnait pas explicitement une demande de remboursement de l'assistance par une tierce personne, le FIVA est tenu au principe de la réparation intégrale du préjudice, avec ces précisions que le formulaire mis à la disposition des consorts Y... pour expliciter leur demande indemnitaire n'énumère aucun chef de préjudice particulier, et que rien n'obligeait les demandeurs à transmettre au Fonds une lettre jointe au formulaire pour préciser leurs chefs de demande.

La cour relève en outre que, dans leur courrier d'accompagnement en date du 29 avril 2009, les requérants entendent expressément obtenir du Fonds l'indemnisation intégrale des préjudices conformément à l'article 53 de la loi n°2000-1257 du 23 décembre 2000.

La cour retient que la demande d'indemnisation au titre de l'assistance par une tierce personne a le même objet et la même cause que celle présentée le 30 avril 2009, le fait générateur étant le même s'agissant du décès de Roger Y... des suites de sa maladie professionnelle liée à l'exposition aux poussières d'amiante.

Il en résulte que la demande d'indemnisation établie le 30 avril 2009 par les consorts Y... a provoqué le 7 décembre 2009 de la part du FIVA une proposition indemnitaire afférente à la réparation du préjudice personnel de la veuve, des enfants et petits-enfants de Roger Y..., au remboursement des frais funéraires, à l'indemnisation du préjudice d'incapacité fonctionnelle, et des préjudices physique, moral, d'agrément et esthétique, proposition que les demandeurs ont acceptée.

Il s'ensuit que cette offre partielle doit être considérée comme interruptive du délai de prescription au sens de l'article 2240 du code civil, un nouveau délai de 10 ans ayant en cela commencé à courir à compter du 7 décembre 2009, en sorte que la demande de remboursement de l'assistance par tierce personne présentée le 13 juillet 2017, de l'aveu même du FIVA dans sa lettre de rejet d'indemnisation en date du 9 août 2017, est assurément recevable comme régularisée dans le délai décennal de prescription.

Sur l'indemnisation de l'assistance par tierce personne

Il est constant que Roger Y..., dont le cancer broncho-pulmonaire a été diagnostiqué le 4 octobre 2006, est décédé le [...].

Au soutien de leur demande d'indemnisation de l'assistance par tierce personne, les consorts Y... produisent, outre les documents extraits du dossier médical de Roger Y..., un certificat médical du docteur C... en date du 5 octobre 2009, précisant que «Mme Y... Christiane assurait à plein temps les soins quotidiens (paramédicaux...) de Monsieur Y... Roger, son époux, alors très dépendant en raison d'une pathologie néoplasique sévère et fatale. Elle a assuré cette fonction durant toute la maladie de son mari. Elle peut être considérée comme ayant assuré la fonction de tierce personne. »

Dans un certificat médical du 23 octobre 2017, le docteur C... est venue préciser la nature des soins quotidiens assurés par l'épouse, à savoir l'assistance paramédicale, la toilette, le repas et les actes de la vie courante, pendant une durée qu'elle évalue du 15 janvier 2007 au 7 mars 2008, et renseigner une grille d'évaluation AGGIR établissant, à la date du 7 mars 2008, les capacités d'autonomie du patient dans les actes essentiels et ordinaires de la vie.

Il convient d'observer, au delà de leur rédaction succincte et approximative, que ces trois documents médicaux émanant du médecin généraliste, établis plusieurs années après le décès à l'initiative des ayants droit, ne sont pas contemporains du besoin, qu'ils ne décrivent pas avec précision l'état de santé du malade à partir du 15 janvier 2007 pour justifier de ses besoins en assistance par une tierce personne, et ne déterminent pas davantage le temps quotidien nécessaire à la réalisation des tâches énumérées. La cour remarque en outre que le docteur C... ne précise pas avoir elle-même constaté les conditions de vie du malade telles qu'elle les a décrites.

Les autres pièces médicales démontrent au contraire que le 16 janvier, 7, 28 février, 25 avril, 8, 29 octobre 2007, l'état général de Roger Y... est conservé, qu'il va bien, n'émet pas de plainte fonctionnelle, s'alimente normalement et supporte correctement les cures de chimiothérapie.

Dans ces circonstances, il n'est pas démontré que l'état de Roger Y... justifiait l'aide d'une tierce personne à raison de 12 heures par jour dès le 15 janvier 2017 et jusqu'à son décès le [...].

La cour retient un besoin d'assistance par tierce personne, assuré par l'épouse, à partir du troisième mois ayant précédé le décès, soit le [...], en déduisant les périodes d'hospitalisation.

Sur le nombre d'heures d'assistance nécessaire chaque jour, il s'observe que le docteur C... n'apporte aucune précision, de sorte que l'assistance par tierce personne sera indemnisée à raison de deux heures par jour du 9 décembre 2007 au 8 janvier 2008, puis de quatre heures par jour du 9 janvier 2008 au 8 février 2008, et enfin de huit heures par jour du 9 février 2008 au 8 mars 2008.

S'agissant d'une assistance non spécialisée, dont il importe peu qu'elle ait été assurée par un professionnel ou par les proches, le coût horaire sera fixé à 18 euros, incluant les charges sociales.

En l'absence de jours d'hospitalisation relevés durant cette période, le préjudice doit être indemnisé comme suit :

* du 9 décembre 2007 au 8 janvier 2008 (31 jours), 2 heures x 18 euros x 31 jours, soit 1 116 euros,

* du 9 janvier 2008 au 8 février 2008 (30 jours), 4 heures x 18 euros x 30 jours, soit

2 160 euros,

* du 9 février 2008 au 8 mars 2008 (29 jours), 8 heures x 18 euros x 29 jours, soit 4 176 euros,

soit une somme totale de 7 452 euros.

Ce poste de préjudice est majoré de 10 % pour tenir compte des périodes de congés et des jours fériés, soit une somme de 745 euros.

Il s'établit par conséquent à la somme de 8 197 euros qui sera allouée aux consorts Y....

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des consorts Y... suivant modalités prévues au dispositif.

Par ces motifs,

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare recevable la demande des consorts Y... aux fins d'indemnisation de l'assistance par tierce personne,

Alloue aux consorts Y... une indemnisation de 8 197 euros au titre de l'assistance par tierce personne,

Dit que la somme allouée portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Dit que sera déduite, le cas échéant, de ces sommes la provision amiable versée par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante,

Alloue aux consorts Y... une indemnité de procédure de 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens à la charge du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante.

Le GreffierLe Conseiller faisant fonction de Président

F. DufosséB. Pety


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 17/05923
Date de la décision : 31/05/2018

Références :

Cour d'appel de Douai 03, arrêt n°17/05923 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-31;17.05923 ?
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