République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 31/05/2018
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N° de MINUTE : 18/224
N° RG : 17/05716
FIVA du 01 Août 2017
DEMANDERESSE
Madame Mauricette X... épouse Y...
née le [...] à Corbehem (62112)
de nationalité française
[...]
Assistée de Me Romain Z..., avocat au barreau de Paris substituant Me Michel A..., avocat au barreau de Paris
DÉFENDEUR
Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante
[...]
[...]
Assisté de Me Mario B..., avocat au barreau de Lille
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Benoît Pety, conseiller faisant fonction de président
Sara Lamotte, conseiller
Claire Bertin, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé
DÉBATS à l'audience publique du 22 Mars 2018
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Benoît Pety, conseiller faisant fonction de président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
3 ème chambre civile- RG : 17/5716
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Exposé du litige, de la procédure et des prétentions des parties:
M. Joseph Y..., né le [...], a été exposé aux poussières d'amiante au cours de son activité professionnelle. Un diagnostic de mésothéliome a été posé le 25 juin 2003. Le décès de M. Y... est survenu le [...].
Son organisme social, la CPAM d'Arras, a pris en charge sa maladie au titre de la législation professionnelle et imputé son décès à cette pathologie en servant une rente d'ayant droit à son épouse.
Les consorts Y... ont saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (ci-après dénommé le FIVA) d'une demande d'indemnisation des préjudices subis par M. Y... de son vivant ainsi que de leurs préjudices personnels.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 8 juin 2007, le FIVA leur a fait parvenir l'offre d'indemnisation suivante :
- Au titre de l'action successorale :
Préjudice fonctionnel: néant
Préjudice moral : 70 000 euros
Préjudice physique : 24 000 euros
Préjudice d'agrément: 22 000 euros
- A titre personnel :
Pour Mme Mauricette Y..., sa veuve: 30 000 euros
Pour M. David Y..., son fils : 8 000 euros
Pour M. Liam Y..., son petit-fils : 3 000 euros
Pour M. Théo Y..., son petit-fils : 3 000 euros
Les Consorts Y... ont accepté cette offre sans réserve.
Par suite, par lettre adressée au FIVA le 6 juin 2017, Mme Mauricette Y... a de nouveau saisi le FIVA d'une demande de remboursement des frais funéraires.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 1er août 2017, le FIVA lui a adressé une décision de rejet d'indemnisation s'agissant de ce poste de préjudice, estimant que la demande était prescrite.
Mme Mauricette Y... a saisi la cour d'appel de Douai par déclaration au greffe le 29 septembre 2017 suite à cette décision de rejet du FIVA.
A l'audience de la cour du 22 mars 2018, Mme Mauricette Y..., représentée par son conseil, développant oralement ses écritures, sollicite de la cour de:
-Dire que le délai de prescription de dix ans opposable à leur demande d'indemnisation de l'intégralité des préjudices subis par M. Joseph Y... de son vivant et par ses ayants-droit suite à son décès a été interrompu par l'offre présentée par le FIVA le 8 juin 2007,
-Constater que leur demande d'indemnisation déposée le 6 juin 2007 au titre du remboursement des frais funéraire n'est pas prescrite,
A titre subsidiaire,
-Dire que le délai de prescription de dix ans opposable à leur demande d'indemnisation des préjudices subis par leur auteur de son vivant a été interrompu par le règlement des sommes proposées par le FIVA dans son offre en date du 8 juin 2007,
-Constater que leur demande d'indemnisation déposée le 6 juin 2007 au titre du remboursement des frais funéraires n'est pas prescrite,
En tout état de cause,
-Fixer à la somme de 2 667,49 euros le remboursement des frais funéraires,
-Dire que la somme allouée portera intérêts au taux légal à compter de la date à intervenir;
-Condamner le FIVA au paiement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs prétentions, Mme Mauricette Y... expose qu'elle ne conteste pas la fixation par le Fonds au 1er janvier 2004 du point de départ du délai de prescription de sa demande de remboursement des frais funéraires. Toutefois, le délai décennal de prescription a été interrompu selon les causes d'interruption de droit commun. Ce délai a en l'espèce été interrompu par la présentation de l'offre du FIVA du 8 juin 2007, laquelle vaut reconnaissance par le Fonds du droit à la réparation intégrale des préjudices subis par M. Y... de son vivant et en lien avec son mésothéliome, comme des préjudices personnellement éprouvés par ses ayants droit. La reconnaissance par le débiteur du droit de son créancier ne peut se fractionner de sorte qu'une reconnaissance partielle revêt assurément un effet interruptif pour la totalité de la créance. Mme Y... énonce également que le fait de remplir un formulaire du FIVA vaut demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil et interrompt la prescription.
En l'occurrence, le FIVA a émis une offre d'indemnisation en faveur des consorts Y... le 8 juin 2007 de sorte que le délai a été interrompu et un nouveau délai de dix ans a commencé à courir à compter de cette date. En formant une demande de remboursement des frais funéraires, Mme Y... est bien recevable en son action. A titre subsidiaire, si la loi du 31 décembre 1968 devait s'appliquer en l'espèce, un nouveau délai de dix ans a commencé à courir à compter du 12 juillet 2007, date à laquelle ils ont accepté l'offre du Fonds.
Mme Y... précise que les frais d'obsèques se sont élevés à la somme totale de 2 667,49 euros et qu'elle n'a obtenu à cet égard aucun remboursement, cette somme restant à sa charge exclusive.
* * *
Le FIVA, se référant également à ses écritures, sollicite de la cour de:
- Prendre acte de l'accord des parties sur le point de départ du délai de prescription, soit le 27 octobre 2003,
-Constater que le Fonds été mis en mesure ni d'identifier l'existence ni d'évaluer le préjudice afférent au remboursement des frais d'obsèques lors du dépôt de la demande d'indemnisation formulée par les requérants en 2006,
-Dire que l'offre formulée par le Fonds le 8 juin 2007 ne constitue pas une cause interruptive du délai de prescription,
-En conséquence, confirmer la décision du Fonds du 1er août 2017, la demande de Mme Y... étant prescrite,
-Subsidiairement, constater l'accord des parties selon lequel ce préjudice est justement indemnisé par une somme de 2 667,49 euros,
- Dire que cette somme sera versée directement entre les mains du notaire en charge de la succession.
Au soutien de ses prétentions, le FIVA avance, contrairement à son dispositif, que le point de départ du délai de prescription est le 1er janvier 2004, ce sur quoi les parties sont d'accord. Sur ce point, le FIVA rappelle que la date de l'attestation de l'assurance maladie reconnaissant le lien entre le décès de M. Y... et son exposition à l'amiante étant antérieure au 1er janvier 2004, il y a lieu de repousser ce point de départ au 1er janvier 2004 conformément à l'article 92 de la loi du 20 décembre 2010. Ainsi, les consorts avaient jusqu'au 1er janvier 2014 pour saisir le Fonds. Leur saisine du 6 juin 2017 (et non du 6 juin 2007 comme dans le dispositif des conclusions de Mme Y...) est donc tardive et leur demande prescrite. Les causes d'interruption de l'article 2240 du code civil ne sauraient trouver à s'appliquer en l'occurrence.
Le FIVA rappelle qu'il est un établissement public national doté d'un comptable public. Il relève donc de la prescription instituée par la loi du 31 décembre 1968. A défaut de précision dans l'article 53 III bis de la loi du 23 décembre 2000, les causes interruptives et suspensives du délai de prescription relèvent des articles 2 et 3 de la loi du 31 décembre 1968. La loi de financement de la sécurité sociale du 20 décembre 2010 n'a pas modifié la nature de la prescription ni les autres éléments de son régime, notamment les motifs d'interruption. La loi du 4 mars 2002 sur la responsabilité du service public hospitalier n'a fait qu'allonger le délai de prescription de 4 à 10 ans. Il n'a pas modifié les causes interruptives prévues par la loi du 31 décembre 1968.
Le FIVA précise encore que, par son offre du 8 juin 2007, il n'a nullement reconnu le droit des consorts Y... à être remboursés des frais funéraires exposés lors du décès de M. Y.... Ces derniers l'ont saisi au moyen d'un formulaire qui ne contenait aucune demande explicite du chef des frais funéraires. Aucune des pièces transmises par lla requérante ne permettait de présumer l'existence de ce poste de préjudice. Les pièces permettant d'identifier la demande d'indemnisation des frais d'obsèques ne lui ont été adressées que plus de onze ans après leur demande d'indemnisation initiale. Dans ces conditions, une demande non chiffrée et pour laquelle le Fonds n'a pas été mise en état d'évaluer le ou les préjudices déjà révélés ne peut présenter un caractère interruptif. Son offre du 8 juin 2007 n'a aucunement pu interrompre le délai de prescription. La demande de Mme Y... relative aux frais funéraires est donc prescrite pour avoir été formée pour la première fois le 6 juin 2017.
A titre subsidiaire, le FIVA fait falloir que, s'il ne s'oppose pas au montant des frais funéraires, il considère que cette somme doit être versée au notaire en charge de la succession. En effet, si les factures produites sont effectivement établies à son nom, rien ne permet néanmoins d'affirmer que les règlements ont été réalisés par la seule requérante, ou encore à partir du compte personnel de cette dernière, et non d'un compte commun des époux Y..., auquel cas la moitié des sommes présentes sur ce compte au jour du décès serait susceptible d'entrer dans la succession.
* * *
Motifs de la décision:
Sur la demande de remboursement des frais d'obsèques :
La loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics énonce que
« Article 1er : Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements, et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n 'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de I 'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.
Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public.
Article 2 - La prescription est interrompue par :
Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n est pas celle qui aura finalement la charge du règlement ".
Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance.
Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance.
Toute émission de moyen de règlement, même si ce règlement ne couvre qu'une partie de la créance ou si le créancier n 'a pas été exactement désigné.
Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. » ;
L'article 53 III bis de la loi du 23 décembre 2000, créé par la loi n°2010-1594 du 20 décembre 2010, dispose que « les droits à l'indemnisation des préjudices mentionnés au I se prescrivent par dix ans à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante. Toutefois, le délai de prescription ne court :
1 ° Pour l'indemnisation des préjudices résultant de l'aggravation d 'une maladie dont un certificat médical a déjà établi le lien avec l'exposition à l'amiante, que de la date du premier certificat médical constatant cette aggravation ;
2° Pour l'indemnisation des ayants droit d'une personne décédée, quand son décès est lié à l'exposition à l'amiante, que de la date du premier certificat médical établissant le lien entre le décès et celle exposition. » ;
En l'espèce, la cour observe que les parties s'accordent sur le fait que la date de l'attestation de l'assurance maladie reconnaissant le lien entre le décès de M. Y... et son exposition à l'amiante étant antérieure au 1er janvier 2004, à savoir le 27 octobre 2003, il y a lieu de repousser ce point de départ au 1er janvier 2004 conformément à l'article 92 de la loi du 20 décembre 2010, et contrairement à ce que le FIVA mentionne dans le dispositif de ses conclusions.
La précision apportée par la loi du 20 décembre 2010 permet d'aligner la prescription de l'action en indemnisation portée devant le FIVA sur celle du droit commun de l'article 2226 du code civil relatif à l'action en responsabilité fondée sur des faits ayant engendré un dommage corporel.
Il n'est pas douteux que ces dispositions de la loi du 20 décembre 2010 particulièrement favorables aux victimes de l'exposition à l' amiante et à leurs ayants droit pour ce qui a trait à la prescription de leur action indemnitaire, dispositions postérieures à la jurisprudence développée en application de la loi du 31 décembre 1968, doivent s'appliquer en l'occurrence, à commencer par les dispositions sur les causes interruptives du délai de prescription, de sorte qu'il importe de faire application au présent litige des dispositions des articles 2240 à 2242 du code civil.
Sur ce, le formulaire de demande d'indemnisation approuvé par le conseil d'administration du FIVA et rempli par les consorts Y..., daté du 23 septembre 2005 par cet organisme, est assimilable à une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil et a donc interrompu le délai de prescription décennale courant depuis le 1er janvier 2004.
Or, s'il est exact que ce formulaire ne mentionnait pas explicitement une demande de remboursement des frais funéraires engagés lors du décès de M. Y..., le FIVA est tenu au principe de la réparation intégrale du préjudice, avec cette précision que le formulaire mis à la disposition des consorts Y... pour expliciter leur demande indemnitaire n'énumère aucun chef de préjudice particulier et rien n'obligeait les demandeurs à transmettre au Fonds une lettre jointe au formulaire pour préciser leurs chefs de demande.
Force est de constater que la demande de remboursement des frais funéraires a le même objet et la même cause que celle présentée antérieurement, le fait générateur étant le même s'agissant du décès de M. Y... des suites de sa maladie professionnelle liée à l'exposition aux poussières d'amiante.
La cour rappelle que la demande d'indemnisation établie le 23 septembre 2005 par les consorts Y... a provoqué le 8 juin 2007 de la part du FIVA une proposition indemnitaire, proposition que les demandeurs ont acceptée.
Dès lors, cette offre partielle doit être considérée comme interruptive du délai de prescription au sens de l'article 2240 du code civil, un nouveau délai de 10 ans ayant en cela commencé à courir à compter du 8 juin 2007, de sorte que la demande de remboursement des frais funéraires présentée le 6 juin 2017 (et non le 6 juin 2007) par Mme Mauricette Y... est assurément recevable comme régularisée dans le délai décennal de prescription.
S'agissant du montant des frais d'obsèques de M. Y..., le FIVA ne conteste pas la somme alléguée à hauteur de 2 667,49 euros telle qu'elle est en outre établie par les factures versées au dossier.
Mme Y... justifie de ce qu'elle n'a perçu ni de la sécurité sociale ni de la mutuelle du défunt une quelconque allocation au titre du décès de ce dernier.
Cependant, alors que Mme Y... énonce avoir personnellement avancé ces frais, les pièces versées aux débat ne permettent pas de l'établir, de sorte qu'il convient de prévoir que cette somme sera versée au notaire chargé de la succession aux fins qui lui appartiendront, Mme Y... ne formulant en outre aucune observation sur ce point.
Sur les frais irrépétibles:
Le sens du présent arrêt conduit à faire droit à la demande de Mme Y... au titre des frais irrépétibles et de fixer en sa faveur une somme de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
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Par ces motifs,
la cour, statuant publiquement, contradictoirement,
-Dit recevable la demande de Mme Mauricette Y... aux fins de remboursement des frais funéraires exposés lors du décès de M. Joseph Y... ;
-Fixe à la somme de 2 667,49 euros l'indemnisation au titre de ces frais funéraires ;
- Dit que cette somme sera versée au notaire chargé de la succession aux fins qui lui appartiendront;
-Dit que cette somme indemnitaire produira intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
-Précise que toute provision le cas échéant versée par le FIVA sera déduite de cette somme ;
-Fixe à la somme de 800 euros l'indemnité de procédure revenant à Mme Mauricette Y...;
-Laisse au FIVA la charge des entiers dépens de l'instance.
Le GreffierLe Conseiller faisant fonction de Président
F. DufosséB. Pety