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31/05/2018 | FRANCE | N°17/03308

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 31 mai 2018, 17/03308


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 31/05/2018



***



N° de MINUTE : 18/246

N° RG : 17/03308



Offre FIVA du 24 Mars 2017





DEMANDEURS



Madame Jacqueline X... veuve Y...,

née le [...]

[...]



Madame Chantal Z... épouse Y...

née le [...]

de nationalité française

[...]



Monsieur Jean Luc Y...

né le [...]
>La Castié Basse

[...]

[...]

[...]



Madame Christelle Y... épouse A...

née le [...]

collège Emile Littre

31b avenue Anatole B...

[...]



Assistés de Me Romain C..., avocat au barreau de Paris substituant Me Michel D..., avocat au bar...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 31/05/2018

***

N° de MINUTE : 18/246

N° RG : 17/03308

Offre FIVA du 24 Mars 2017

DEMANDEURS

Madame Jacqueline X... veuve Y...,

née le [...]

[...]

Madame Chantal Z... épouse Y...

née le [...]

de nationalité française

[...]

Monsieur Jean Luc Y...

né le [...]

La Castié Basse

[...]

[...]

[...]

Madame Christelle Y... épouse A...

née le [...]

collège Emile Littre

31b avenue Anatole B...

[...]

Assistés de Me Romain C..., avocat au barreau de Paris substituant Me Michel D..., avocat au barreau de Paris

DÉFENDEUR

Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante

[...]

[...]

Assisté de Me Mario E..., avocat au barreau de Lille

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Benoît Pety, conseiller faisant fonction de président

Sara Lamotte, conseiller

Claire Bertin, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 22 Mars 2018

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Benoît Pety, conseiller faisant fonction de président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé du litige, de la procédure et des prétentions des parties:

Le diagnostic de cancer broncho-pulmonaire a été posé pour M. Y... le 12 avril 2007 alors qu'il était âgé de 76 ans. L'organisme de sécurité sociale auquel il était affilié a reconnu le caractère professionnel de la maladie et attribué à l'assuré un taux d'incapacité de 70 % à compter du 20 avril 2007 indemnisé par l'allocation d'une rente annuelle de 11557,53 euros.

M. Y... a saisi le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (ci-après dénommé le FIVA) d'une demande d'indemnisation de ses préjudices.

Le Fonds lui a notifié l'offre indemnitaire suivantequ'il a contestée :

*préjudice lié à l'incapacité fonctionnelle: 4 446,98 euros + rente

annuelle de 5670,34 euros au 1er janvier 2008,

*préjudice moral: 39500 euros,

*préjudice des souffrances physiques: 15000 euros,

*préjudice d'agrément: 12500 euros,

*préjudice esthétique: pas de préjudice indemnisable.

Par arrêt du 30 octobre 2008, la cour de Douai a majoré l'offre indemnitaire du FIVA dans les proportions qui suivent:

*préjudice lié à l'incapacité fonctionnelle: sursis à statuer,

* préjudice moral: 50000 euros,

* préjudice physique: 22000 euros,

* préjudice d'agrément: 14 000 euros,

* préjudice esthétique: 1500 euros.

Par arrêt du 5 mars 2009, la cour a arrêté au titre du préjudice lié à l'incapacité fonctionnelle la somme de 12505,11 euros avec une rente de 17355 euros par an à compter du 1er janvier 2008, la cour ne pratiquant pas la déduction des prestations servies par l'organisme social au titre de la maladie professionnelle.

Le FIVA a exécuté cette décision tout en régularisant parallèlement un pourvoi en cassation uniquement sur la question de la non-déduction des prestations versées par l'organisme social.

Par décision du 22 juin 2010, le tribunal du contentieux de l'incapacité de Lille a majoré de 70 à 100 % le taux d'incapacité de M. Y... en lien avec sa maladie professionnelle. L'organisme de sécurité sociale a alloué à l'intéressé, au titre de l'indemnisation de ce taux majoré, une rente annuelle de 21013,69 euros à compter du 20 avril 2007.

Par arrêt du 10 février 2011, la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour de Douai du 5 mars 2009 exclusivement en ses dispositions indemnisant le préjudice lié à l'incapacité fonctionnelle et renvoyé la cause et les parties devant la cour de Douai autrement composée.

M. Y... est décédé le [...] des suites de sa maladie. L'organisme de sécurité sociale a reconnu le lien entre le décès et la maladie professionnelle du défunt. Mme Y... s'est vu allouer une rente d'ayant droit d'un montant de 13369,15 euros par an à compter du 1er mai 2011.

Les ayants droit de M. Y... ont saisi le FIVA d'une demande d'indemnisation de leurs préjudices.

Le Fonds leur a notifié par lettres des 24 janvier 2013 et 8 janvier 2014 les propositions indemnitaires suivantes:

*préjudice moral et d'accompagnement de la veuve: 32600 euros,

*préjudice moral et d'accompagnement de chacun des quatre enfantsdu défunt: 8700 euros,

*préjudice moral et d'accompagnement de chacune des deux s'urs du défunt: 5400 euros,

*préjudice moral de chacun des petits-enfants du défunt: 3300 euros,

aggravation des préjudices d'incapacité fonctionnelle, moral, physique et d'agrément: rejet,

*préjudice esthétique: 1000 euros,

*frais funéraires: 5000 euros,

*tierce personne: réservé.

Ces offres d'indemnités ont été acceptées sauf celle relative aux frais funéraires.

Par lettres recommandées du 4 mars 2014, le FIVA a notifié aux héritiers de M. Y... un titre de recette d'un montant de 43616,26 euros tout en les informant de la délégation de compétence donnée à la directrice du Fonds pour mettre en oeuvre les modalités de remises gracieuses éventuelles décidées par délibération du conseil d'administration du 29 octobre 1992. Le FIVA leur notifiait aussi la compensation opérée sur les sommes dues au titre du reliquat de rente entre le versement de la dernière échéance et le décès de M. Y... (802,11 euros).

Par lettre du 30 avril 2014, le FIVA a notifié aux ayants droit du défunt une offre d'indemnisation au titre de la tierce personne d'un montant de 733,81 euros. Les consorts Y... ont contesté cette offre. Ils ont par ailleurs formulé une demande de remise gracieuse au titre des différences d'évaluation selon les modalités décidées par le conseil d'administration du FIVA.

Le Fonds leur a notifié le 1er octobre 2014 les compensations opérées sur les sommes dues au titre de la tierce personne et les frais funéraires.

Par arrêt du 15 janvier 2015, la cour de Douai a majoré à 1620 euros l'offre d'indemnisation de la tierce personne par le Fonds, outre 600 euros d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le FIVA a notifié le 24 mars 2015 aux consorts Y... les compensations opérées sur les sommes dues au titre de la majoration de la tierce personne et des frais irrépétibles précédemment alloués par la cour d'appel.

Par amendement gouvernemental du 2 novembre 2015, adopté aux termes de l'article 171 de la loi de finances du 29 décembre 2015, le législateur a remis en totalité les sommes dont demeuraient redevables un certain nombre de victimes et d'ayants droit tant au titre de la différence de barèmes qu'au titre de la non-déduction des prestations maladie professionnelle.

Par lettres des 20 octobre 2016 et 14 mars 2017, les consorts Y... ont sollicité auprès du FIVA le remboursement de la somme de 7520 euros correspondant aux différentes compensations opérées par le fonds.

Par lettre du 24 mars 2017, le FIVA a informé les consorts Y... de ce qu'il n'envisageait pas de faire droit à leur demande.

Par déclaration enregistrée le 26 mai 2017, les consorts Y... ont contesté la décision du FIVA notifiée le 24 mars auparavant.

* * * *

A l'audience du 22 mars 2018, ils demandent à la cour de condamner le FIVA à leur rembourser la somme de 8322,11 euros correspondant aux trois compensations effectuées par le Fonds au titre des préjudices complémentaires subis par leur auteur de son vivant. Ils formaient aussi une demande d'indemnisation de leurs frais irrépétibles à concurrence de 3000 euros.

Sur leur dette inhérente à la non-déduction des sommes versées par l'organisme social au titre de la rente maladie professionnelle, les consorts Y... rappellent que le conseil d'administration du FIVA a envisagé la possibilité de demander une remise gracieuse partielle ou totale de la dette correspondant à cette question. Le montant de la dette de M. Y... s'élevait à la somme de 43616,26 euros (et non 45911,43 euros). Ils ont demandé le 7 juillet 2014 au Fonds le bénéfice d'une telle remise totale. Aucune réponse ne leur est parvenue avant le 24 mars 2017, date à laquelle le FIVA leur a confirmé le bénéfice de la remise gracieuse légale en vertu de l'article 171 de la loi de finances du 29 décembre 2015. Le législateur est ainsi intervenu pour annuler une dette dont le fait générateur était compris entre le 1er mars 2009 et le 1er mars 2014. Pour M. Y..., ce fait générateur remonte au 10 février 2011, date de l'arrêt prononcé par la Cour de cassation.

C'est sur ce fondement légal qu'ils ont sollicité le remboursement par le FIVA de la somme de 8322,22 euros correspondant aux trois compensations opérées par le Fonds. Ils exposent que c'est à tort que le FIVA entend leur opposer que l'article 171 de la loi de finances du 29 décembre 2015 ne dispose que pour l'avenir. Cette interprétation est incohérente dans le présent cas puisque leur dette a été engendrée antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi. Le législateur ne peut régler une situation passée en se prononçant que pour l'avenir, sauf à réduire à néant la portée du texte. Cela en outre avantagerait des victimes qui n'ont procédé à aucun remboursement au jour de l'entrée en vigueur de l'article 171 en question, ce qui serait inéquitable. Cela serait au surplus contraire aux principes affichés par le FIVA dans la délibération adoptée par son conseil d'administration le 29 octobre 2012.

Les consorts Y... soulèvent en outre la méconnaissance de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et du Protocole additionnel n°12 qui prohibent les discriminations et qui garantissent l'égalité de traitement de la jouissance de tout droit prévu par la loi. Or, la position défendue par le FIVA introduit une discrimination parmi les victimes de l'amiante, au préjudice de celles dont l'état de santé s'est aggravé et à l'égard desquelles le Fonds a procédé par voie de compensations avec des indemnités dues au titre de cette aggravation.

* * * *

Le FIVA pour sa part demande à la cour de constater que la remise légale de dette résultant de l'application de l'article 171 de la loi du 29 décembre 2015 bénéficie aux consorts Y... dans la limite des sommes restant dues, après compensations, au titre de la non-déduction des prestations versées en réparation du même préjudice par l'organisme de sécurité sociale de sorte que les demandeurs doivent être déboutés de toutes leurs prétentions.

Pour le Fonds, seules les sommes demeurant dues au FIVA à la date d'entrée en vigueur de l'article 171 de la loi de finances du 29 décembre 2015 peuvent bénéficier de la remise légale de dette. En cela, les compensations opérées jusqu'au 31 décembre 2015 demeurent définitivement acquises au Fonds à concurrence de 8322,11 euros. L'analyse des demandeurs consiste à conférer à cet article un effet rétroactif. Or, l'article 171 sus-visé est muet sur un tel effet, silence qui conforte l'analyse du FIVA selon laquelle le législateur n'a entendu prendre en considération que les sommes indûment perçues non encore remboursées par les victimes à la date d'entrée en vigueur du texte. L'examen de l'exposé des motifs de cette loi de finances révèle que le législateur n'a pas voulu déroger au principe de l'application de la loi dans le temps.

Le Fonds conteste par ailleurs toute discrimination dans l'application de l'article 171 de la loi du 29 décembre 2015. En effet, la compensation est un mode ordinaire de paiement des obligations auquel les personnes publiques peuvent recourir. Sans remboursement spontané des ayants droit de M. Y..., il était loisible au Fonds de recourir à la compensation. L'atteinte alléguée aux principes de la Convention européenne des droits de l'homme n'est absolument pas démontrée, les consorts Y... n'étant pas les seuls dans cette situation de débiteurs envers le FIVA. La rupture d'égalité arguée par les demandeurs n'est que l'application dans le temps de régimes juridiques successifs.

Le principe de la réparation intégrale n'est pas ici en jeu, ce principe s'attachant à l'évaluation des préjudices et des indemnités arrêtées. Enfin, les dommages et intérêts sont des sommes saisissables, contrairement aux créances alimentaires.

* * * *

Motifs de la décision:

-Sur la demande de remboursement des consorts Y...:

Attendu que les consorts Y... demandent à la cour de condamner le FIVA à leur rembourser la somme de 8322,11 euros correspondant à trois compensations opérées à leur égard par le Fonds, compensations qui n'ont plus de base légale selon les demandeurs depuis l'entrée en vigueur de l'article 171 de la loi de finances du 29 décembre 2015;

Attendu qu'il n'est pas contesté par les parties que le FIVA a opéré courant 2014 et 2015 des compensations entre la dette de M. Y... envers le Fonds et des indemnités dues par ce dernier à ses ayants droit du chef de l'aggravation de son état de santé et de son décès, compensations opérés à concurrence d'une somme de 8 322,11 euros;

Qu'il n'est donc pas discutable que l'obligation des consorts Y... de payer la dette de leur auteur au FIVA s'est éteinte à due concurrence de cette somme et ce avant même que n'entre en vigueur l'article 171 de la loi de finances du 29 décembre 2015 ainsi libellé: «Les victimes et les ayants droit qui ont été reconnus débiteurs du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante par décision juridictionnelle rendue de manière irrévocable entre le 1er mars 2009 et le 1er mars 2014, à raison de la non-déduction des prestations versées par les organismes de sécurité sociale au titre de l'indemnisation d'un même préjudice ou de l'application, pour le calcul du montant d'indemnité d'incapacité fonctionnelle permanente, de la valeur du point d'incapacité prévue par un barème autre que celui du Fonds sont réputés avoir définitivement acquis les sommes dont il étaient redevables.»;

Qu'à ce titre, il n'est pas davantage contestable que c'est la décision du 10 février 2011 rendue par la Cour de cassation cassant et annulant l'arrêt de la cour de Douai du 5 mars 2009 dûment exécuté par le FIVA qui caractérise le fait par lequel M. Y... puis ses ayants-droit sont alors devenus débiteurs du fonds;

Que, pour autant, lorsque l'article 171 sus-rappelé entre en vigueur, la somme de 8322,11 euros remboursée par les consorts Y... au Fonds est définitivement acquise à ce dernier et les intéressés n'en sont plus redevables au FIVA;

Que l'article 171 de la loi du 29 décembre 2015 qui entre en vigueur au 1er janvier 2016 s'applique à la situation en cours des consorts Y... telle qu'existant à cette date et sans que cette disposition puisse produire un quelconque effet sur une partie de leur obligation par définition juridiquement éteinte;

Que statuer dans le sens de la demande des consorts Y... reviendrait à reconnaître à l'article 171 sus-visé un effet rétroactif que la loi du 29 décembre 2015 ne mentionne pas;

Qu'il ne peut dans ces conditions être fait droit à la demande en remboursement des consorts Y..., cette solution qui n'est que la conséquence directe de l'application de principes juridiques courants ne caractérisant aucune discrimination au sens de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme ou du Protocole additionnel n°12, la circonstance que les consorts Y... aient remboursé partiellement la dette de leur auteur au FIVA ne relevant pas «du sexe, de la race, de la couleur, de la langue, de la religion, des opinions politiques ou de toutes autres opinions, de l'origine nationale ou sociale, de l'appartenance à une minorité nationale, de la fortune, de la naissance ou de toute autre situation»;

Que les consorts Y... seront donc déboutés de leur demande de remboursement dirigée contre le FIVA;

-Sur les frais irrépétibles:

Attendu qu'aucune considération d'équité ne commande d'arrêter en faveur des consorts Y... une quelconque indemnité de procédure, ces derniers étant aussi déboutés de cette prétention annexe;

* * * *

Par ces motifs,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

-Déboute les consorts Y... de toutes leurs demandes;

-Laisse les entiers dépens à la charge du FIVA.

Le GreffierLe Conseiller faisant fonction de Président

F. DufosséB. Pety


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 17/03308
Date de la décision : 31/05/2018

Références :

Cour d'appel de Douai 03, arrêt n°17/03308 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-31;17.03308 ?
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