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24/05/2018 | FRANCE | N°17/02429

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 24 mai 2018, 17/02429


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 24/05/2018



***





N° de MINUTE : 18/204

N° RG : 17/02429



Jugement (N° 15/03072) rendu le 28 Février 2017

par le tribunal de grande instance de Lille





APPELANTE



SARL Nord Industrie agissant en la personne de son gérant domicilié [...]



Représentée par Me François X..., avocat au barreau de Douai

Assistée de

Me Xavier Y..., avocat au barreau de Bordeaux



INTIMÉES



Axa France Iard agissant poursuites et diligences de son Président directeur général

313 les terrasses de l'Arche

[...]



Intervenant volontaire
...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 24/05/2018

***

N° de MINUTE : 18/204

N° RG : 17/02429

Jugement (N° 15/03072) rendu le 28 Février 2017

par le tribunal de grande instance de Lille

APPELANTE

SARL Nord Industrie agissant en la personne de son gérant domicilié [...]

Représentée par Me François X..., avocat au barreau de Douai

Assistée de Me Xavier Y..., avocat au barreau de Bordeaux

INTIMÉES

Axa France Iard agissant poursuites et diligences de son Président directeur général

313 les terrasses de l'Arche

[...]

Intervenant volontaire

Représentée par Me Martin Z..., avocat au barreau de Lille

Assistée de Me Marcel A..., avocat au barreau de Paris

SA Allianz Iard

[...] la Défense

Représentée par Me Isabelle H..., avocat au barreau de Lille

Assistée de Me I..., avocat au barreau de Paris substituant Me B..., avocat au barreau de Paris

SAS Gras Savoye prise en la personne de son représentant légal

[...]

Représentée par Me Martin Z..., avocat au barreau de Lille

Assistée de Me Marcel A..., avocat au barreau de Paris

Triselec Lille agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés [...]

SMACL Assurances agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés [...]

[...]

Représentées et assistées par Me Bernard Rapp, avocat au barreau de Lille

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Benoît Mornet, président de chambre

Benoît Pety, conseiller

Claire Bertin, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l'audience publique du 29 Mars 2018 après rapport oral de l'affaire par Benoît Mornet

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 24 Mai 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Benoît Mornet, président, et Fabienne Dufossé greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 mars 2018

***

Exposé du litige

Le 22 octobre 2008, un incendie s'est déclaré dans l'usine de traitement des déchets Triselec, assurée par la société SMACL, au cours d'une intervention de maintenance réalisée par la société Netco, assurée par la société Allianz, sur un convoyeur utilisé pour le cheminement des produits collectés.

La société Netco a souscrit son assurance par l'intermédiaire d'un courtier, la société Gras Savoye, assuré pour sa responsabilité civile par la société AXA France IARD

Par ordonnance du 26 février 2009, le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille a ordonné une expertise technique confiée à M. C... ; les opération d'expertise ont été étendues à la société Gras Savoye par ordonnance du 23 février 2010.

L'expert a déposé son rapport le 27 mars 2014.

Par jugement rendu le 28 février 2017, le tribunal de grande instance de Lille a notamment :

- dit que la société Netco (aux droits de laquelle se trouve la société Nord Industrie) a commis des fautes à l'origine de l'incendie survenu sur le site de la société Triselec à Halluin le 22 octobre 2008 ;

- dit que la société Triselec a commis des manquements à ses obligations ayant concouru à la réalisation du dommage ;

- dit que la société Nord Industrie sera tenue de réparer les conséquences dommageables de cet incendie à hauteur de 85% ;

- condamné la société Nord industrie à verser à la société Triselec la somme de 2000000 euros à titre de provision à valoir sur les préjudices matériels subis et la somme de 1 500 000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages immatériels subis ;

- dit que la société Allianz Iard sera tenue, in solidum avec la société Nord Industrie, au paiement des provisions précitées dans la limite de 3 000 000 euros;

- débouté la société SMACL de ses demandes ;

- débouté la société Nord Industrie de son action en responsabilité contre la société de courtage d'assurance Gras Savoye ;

- condamné in solidum la société Nord industrie et la société Allianz Iard à verser à la société Triselec la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Nord Industrie à payer à la société Gras Savoye la somme de

8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- débouté la société Allianz Iard de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et avant dire droit :

- sursit à statuer sur la liquidation des dommages subis par la société Triselec, et ordonné deux expertises, l'une portant sur les dommages immatériels et l'autre portant sur les dommages matériels.

La société Nord Industrie a interjeté appel de ce jugement dans des conditions qui ne sont pas critiquées.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 3 novembre 2017, la société Nord Industrie demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter les sociétés Triselec, SMACL et Axa de leurs demandes et de condamner les sociétés Triselec et SMACL à lui payer une indemnité de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que la société SMACL ne justifie pas à quel titre elle serait fondée à demander la condamnation de la société Nord Industrie ; elle ajoute que société Triselec n'a pas intérêt ni qualité à agir au motif qu'elle ne serait pas propriétaire de l'immeuble et des machines.

Elle soutient qu'elle n'a commis aucune faute dans l'exécution de la mission qui lui a été confiée. Elle précise que le nettoyage du convoyeur et de la fosse déchets incombait à la société Triselec qui devait fournir un espace de travail sécurisé à ses ouvriers ; elle ajoute que ses ouvriers n'ont commis aucune faute de surveillance des lieux, et que la mise en place de dispositifs de lutte contre le feu au sein du bâtiment sinistré incombait à la société Triselec qui, en tant qu'exploitant, avait l'obligation de sécuriser ses locaux; elle ajoute encore qu'on ne peut lui reprocher de ne pas avoir préalablement arrosé la zone de travail puisque cette mesure ne figurait pas dans la liste des préconisations imposées par la société Triselec dans le cadre du permis de feu.

Subsidiairement, elle demande à la cour de faire un partage de responsabilité à hauteur de 30% pour elle et 70% pour la société Triselec, compte tenu des fautes commises par cette dernière ; elle précise que la société Triselec a commis des fautes en ne procédant pas au nettoyage de la fosse et du tapis avant l'intervention, en équipant les lieux d'un dispositif de lutte contre l'incendie insuffisant (notamment l'absence de sprinklers relevée par l'expert), en omettant de préconiser l'arrosage de la zone de travail dans le cadre du permis de feu ; elle ajoute que le responsable de la sécurité de la société Triselec a manqué de réactivité, et que 'l'effet venturi' relevé par l'expert est la conséquence d'une mauvaise configuration des lieux imputable à la société Triselec.

S'agissant du préjudice, la société Nord Industrie demande à la cour de renvoyer les parties devant le tribunal qui a ordonné avant dire droit une expertise afin de respecter le double degré de juridiction ; elle ajoute que la société Triselec n'est pas propriétaire du bâtiment de sorte qu'elle n'a ni qualité ni intérêt à agir, et que la SMACL qui intervient en qualité d'assureur de la société Triselec ne démontre pas être subrogée dans les droits de son assuré ni lui avoir versé une quelconque indemnité. Elle précise qu'aucun accord n'est intervenu sur le chiffrage du préjudice, la pièce produite par Triselec sur ce point ne lui étant pas opposable.

Elle soutient enfin que si la société Allianz est fondée se prévaloir du plafond de garantie de 3 000 000 euros, la société Gras Savoye, courtier en assurance, a manqué à son obligation d'information et de conseil en faisant souscrire à sa cliente un contrat d'assurance manifestement inadapté au risque et en ne lui conseillant pas d'augmenter le plafond de garantie, ce moyen étant opposé à la société Axa, assureur de la société Gras Savoye.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 1er décembre 2017, la société Triselec et son assureur, la SMACL, demandent à la cour, au visa des articles 1134, 1137, 1147 et 1789 (anciens) du code civil, d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a partagé les responsabilités du sinistre et en ce qu'il n'a pas liquidé les préjudices, de dire que la société Netco devenue Nord Industrie est intégralement responsable du sinistre et de la condamner en conséquence, solidairement avec Allianz, sous réserve pour celle-ci de son plafond de garantie, à payer à la société Triselec :

- 2 493 303 euros HT augmentée de la TVA et indéxé sur l'indice BT01 depuis mars 2014 jusqu'à la décision à intervenir au titre du préjudice immobilier ;

- 3 896 934 euros HT augmenté de la TVA et indexé sur l'indice INSEE depuis mars 2014 jusqu'à la décision à intervenir au titre du préjudice matériel ;

- 9 193 738 euros HT augmenté de la TVA et indexé sur l'indice INSEE depuis mars 2014 jusqu'à la décision à intervenir au titre du préjudice immatériel de la date du sinistre à fin 2010 ;

- 3 000 000 euros à titre de provision sur le préjudice immatériel subi en 2011 et 2012.

Elles sollicitent également leur condamnation solidaire à leur payer une indemnité de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient d'abord avoir intérêt à agir et qualité puisqu'elle a levé l'option du crédit-bail sur l'immeuble et les machine et qu'elle est désormais propriétaire de l'ensemble.

Elles soutiennent que l'entreprise Netco était gardienne de son chantier et n'a émis aucune réserve sur l'état de propreté de celui-ci ; elle ajoute que la responsabilité de l'entreprise utilisatrice réside dans le respect concret des préconisations énoncées par l'arrêté préfectoral, et que si la société Netco avait émis la moindre réserve quant à l'état du site sur lequel elle avait accepté d'intervenir, la société Triselec n'aurait pas accepté la mise en oeuvre du permis de feu avant un nettoyage amélioré. Elle soutient en conséquence qu'en l'absence de réserve, la société Triselec n'a commis aucune faute susceptible d'exonérer la société Netco de sa responsabilité.

S'agissant des préjudices, elles soutiennent que le préjudice matériel devra d'une part être indexé, et d'autre part apprécié valeur à neuf sur la base des chiffres figurant en annexe au rapport C..., et que les chiffres du préjudice immobilier devront être actualisés sur la base de l'évolution de l'indice BT01.

Elles ne contestent pas les mesures d'expertise ordonnées par les premiers juges et précisent que les demandes formulées au dispositif de leurs conclusions sont provisionnelles.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 4 septembre 2017, la société Allianz demande principalement de mettre hors de cause la société Nord Industrie et subsidiairement de partager les responsabilités à hauteur de 30% pour son assurée.

Elle demande par ailleurs de juger qu'elle ne sera tenue que dans les limites de sa garantie, soit 3 000 000 euros avant déduction de la franchise contractuelle.

Elle sollicite enfin la condamnation des sociétés demanderesses à lui payer une indemnité de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle s'associe aux moyens développés par la société Nord Industrie et précise que le contrat souscrit par son assurée prévoit un plafond de garantie à 3 000 000 euros.

Dans ses dernières conclusions, la société Axa France IARD, intervenante volontaire en qualité d'assureur de la société Gras Savoye, demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de débouter la société Nord Industrie de ses demandes, et de la condamner à lui payer une indemnité de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que la garantie souscrite par le courtier Gras Savoye est en adéquation avec les risques de responsabilité encourus, qu'il appartient à l'assuré professionnel de quantifier les risques encourus pas son entreprise ; elle ajoute que le montant des garanties apparaît clairement dans les conditions particulières et que le courtier a attiré l'attention de la société Nord industrie sur ce que les garanties lui apparaissaient insuffisantes, aucune suite n'ayant été données à la proposition du courtier de consulter le marché pour une augmentation des garanties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2018.

Motifs de la décision

I- Sur la qualité et l'intérêt à agir de la société Triselec et de la société SMACL

Il résulte des pièces produites aux débats, ce que ne conteste d'ailleurs pas la société Nord Industrie, que la société Triselec a levé l'option du crédit-bail et qu'elle est désormais propriétaire de l'immeuble et des machines sinistrées. Elle a donc qualité et intérêt à agir pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices.

La SMACL a qualité et intérêt à intervenir en qualité d'assureur de la société Triselec; contrairement à ce qu'écrit la société Nord Industrie dans ses conclusions, la SMACL ne formule aucune demande en paiement à l'encontre de la société Nord Industrie.

Les demandes de la société Triselec et de la SMACL sont donc recevables.

II- Sur les circonstances de l'incendie

Il résulte de l'expertise judiciaire réalisée par M. C... que l'intervention de la société Netco, spécialisée dans la fabrication et la maintenance en système de convoyage portait sur le système de bavettes destiné à empêcher les produits transportés sur le tapis du convoyeur n° 301 du site de la société Triselec de tomber dans la fosse technique située en dessous.

Plus précisément, la société Netco devait procéder au remplacement des bavettes existantes, devenues déficientes et d'une efficacité insuffisante, par des bavettes en caoutchouc de même nature que le tapis lui-même.

Compte tenu de la configuration des bavettes, dont les clames de fixation étaient usées, la société Netco décidait de procéder à leur dépose en soudant d'abord la tête de clame pour faciliter ensuite le dévissage des écrous accessibles en dessous de l'installation, depuis la fosse ; le tapis de ce convoyeur mesurait 85 mètres de longueur avec des clames positionnées tous les 25 centimètres.

Deux salariés de la société Netco étaient sur ce chantier ; l'alerte au feu était donnée alors que M. D..., attaché aux opérations de soudure avait traité environ 40 mètres de longueur, tandis que M. E..., préposé au dévissage des écrous n'avait procédé qu'au démontage de 6 mètres de linéaires, soit 36 écrous.

Les opérations d'expertise établissent que l'épicentre du foyer se situait au niveau d'un box n° 312 située à 11 mètres d'une passerelle de franchissement du convoyeur, aux abords duquel furent retrouvés, sur la plate-forme gauche de ce convoyeur, les baguettes de soudures utilisées par M. D... ainsi qu'un poste à souder de 130 ampères alimenté à partir d'une prise de courant située sur une cloison en béton séparant les box 312 et 310. L'expert précise qu'à cet endroit, les tôles de rives du convoyeur présentaient une déformation vers l'extérieur sur environ 3,50 mètres, signe possible d'un phénomène explosif, les lieux étant situés à cet endroit en face d'un box à aérosols, ou bien par inflammation des gaz brûlés en fosse ; il ajoute que les tôles de la plate-forme présentaient quant à elles une forte ondulation, des soulèvements ainsi que des déformations, que l'intensité du feu était également perceptible par les déformations présentées par les traverses du convoyeur devant les box 314, 312 et 310.

L'expert peut ainsi conclure que l'épicentre de ce foyer s'est situé à l'endroit où M.D..., préposé aux opérations de soudure, a interrompu son travail une fois l'alerte donnée par M. E....

L'expert note dans son rapport que le feu à très rapidement pris des proportions extrêmement importantes en raison d'un effet venturi (accélération des fluides par dépression) lié à la configuration des lieux, et de la présence de matériaux en abondance de type caoutchouc et nylon ainsi que de matières résiduelles comme des vestiges de bouteilles en plastic, de papier et d'aérosols

L'expert note également qu' aucun extincteur n'a été actionné, et que le feu avait pris trop d'avance lorsque les robinets d'incendie armés (RIA) répartis sur le linéaire du convoyeur ont été déployés et mis en oeuvre.

Quant aux services de secours contre l'incendie, alertés à 16h49, ils sont arrivés sur les lieux à 16h57 et leur action a seulement permis de contenir l'incendie tel qu'il avait déjà progressé à leur arrivée, avec l'objectif de préserver la halle des réceptions ainsi que la zone de compactage située en aval.

S'agissant des cause de départ de feu, l'expert judiciaire retient que ni le caoutchouc ni le nylon des bavettes n'ont pu s'enflammer par l'action du poste de soudure, de sorte que la seule hypothèse retenue une inflammation dans la zone d'altération thermique du métal chauffé par l'opération de soudure, la température au coeur du noyau de soudure pouvant atteindre 3 000 degrés ; ainsi, selon l'expert, un feu a pu se déclarer avec les produits inflammables prisonniers entre la tôle de la trémie et le tapis, des résidus enflammés étant tombés dans la fosse sur d'autres matières combustibles.

M. E..., salarié de la société Netco a pu dire à l'expert qu'il avait découvert, après l'alerte, un feu ayant pris sur un tas situé dans la fosse sous le convoyeur objet des travaux. de la société Netco.

III- Sur la responsabilité de la société Nord Industrie

Selon l'article 1787 du code civil, lorsqu'on charge quelqu'un de faire un ouvrage, on peut convenir qu'il fournira seulement son travail ou son industrie.

En l'espèces, la société Triselec a chargé la société Netco d'un ouvrage au titre duquel elle fournissait seulement son travail ou son industrie.

Il résulte ensuite de l'article 1789 du code civil que dans ce cas, si la chose vient à périr, l'ouvrier n'est tenu que de sa faute.

La société Triselec produit aux débats un document nommé 'permis feu' pour les travaux devant se dérouler le 22 octobre 2008 ; ce document signé par les sociétés Triselec et Netco a été établi 'dans un but de prévention des dangers d'incendie et d'explosion occasionnés par les travaux par points chauds (soudage, meulage, découpage)'.

Le permis feu précise que les personnes chargées du travail et de la sécurité étaient MM. E... et D..., salariés de la société Netco, M. E... étant particulièrement désigné comme 'veillant à la sécurité'.

Ce document comporte une rubrique 'Risques identifiés' mentionnant :

'présence de papiers et de plastiques : oui',

et une rubrique 'à proximité du lieu de travail' complétée positivement quant à la présence des moyens de premières interventions suivants : extincteurs et RIA.

Le permis feu prévoit ensuite que 'l'entreprise utilisatrice qui commande le travail doit veiller à ce que le maximum de précaution soient prises pour la mise en état du lieu où le travail doit être exécuté ainsi que des abords, surtout lorsque ceux-ci comportent des matériels et substances inflammables. Toutefois, il appartient à l'entreprise extérieure de prendre contact avec le chargé de sécurité de l'entreprise utilisatrice et d'établir en commun les mesures de sécurité.'

M. C... note dans son rapport que la technique mise en oeuvre par la société Netco nécessitait des précautions, compte tenu du risque de feu engendré par les opérations de soudure, de sorte que cette technique imposait à la société Netco une obligation de sécurité.

L'expert a pu établir, par le témoignage des deux salariés de la société Netco, que les deux salariés n'étaient pas à proximité l'un de l'autre, et que M. D... qui soudait et ne pouvait pas se rendre compte, de par la configuration des lieux, de ce qui se passait sous la tôle de la trémie, avait beaucoup d'avance sur M. E... qui, de par sa position éloignée, n'a pas vu le feu démarrer.

Il résulte de ces éléments que M. E..., désigné dans le permis feu comme la personne devant veiller à la sécurité, était positionné à un endroit duquel il ne pouvait pas contrôler les effets de la soudure mise en oeuvre par M. D..., ce qui caractérise un manquement fautif de sa part.

Il résulte encore du rapport d'expertise que le nettoyage du chantier avait été incomplet en ce sens que si la surface du tapis avait bien été nettoyée, tel n'était pas le cas des parties situées sur les côtés et en dessous. Les salariés de la société Netco ont témoigné de leur difficulté à progresser dans la fosse, M. D... ayant même précisé qu'il avait été confronté à la présence de chiquettes de papier et de plastique coincées entre la tôle du flanc de la trémie et le tapis.

L'expert ajoute que ni le caoutchouc, ni le nylon des bavettes ne pouvant s'enflammer, c'est bien la présence de matières combustibles à proximité du point chaud pouvant atteindre 3 000 degrés qui a provoqué une inflammation et la propagation de l'incendie dans l'espace confiné sous le convoyeur.

Si le permis feu identifie dans une rubrique dédiée le risque d'incendie en raison de la 'présence de papiers et de plastiques', et stipule qu'il 'appartient à l'entreprise extérieure de prendre contact avec le chargé de sécurité de l'entreprise utilisatrice et d'établir en commun les mesures de sécurité', la cour retient, comme l'expert dans son rapport, que la société Netco avait, préalablement aux travaux, exploré la fosse sans émettre une quelconque réserve quant à son nettoyage.

Les salariés de la société Netco ont donc eu un comportement fautif en ne refusant pas d'intervenir sur le chantier litigieux compte tenu de la mise en oeuvre d'un procédé générant une température pouvant atteindre 3 000 degrés à proximité immédiate de matières inflammables parfaitement identifiées.

L'expert relève enfin que c'est également de manière fautive que les salariés de la société Netco , contrairement à une règle élémentaire de sécurité incendie, n'ont pas placé, d'une part, un extincteur dans la fosse afin de pouvoir lutter immédiatement contre un feu naissant ni, d'autre part, un robinet d'incendie armé à proximité immédiate du poste de travail de soudure et devant suivre M. D... dans sa progression, et ce afin de pouvoir également intervenir rapidement et avec efficacité sur un incendie naissant.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Netco a commis des fautes caractérisant des manquements à son obligation de sécurité, de sorte que sa responsabilité est engagée au titre de l'incendie litigieux.

IV- Sur la faute de la société Triselec

Comme le notent l'expert et les premiers juges, le permis feu déjà évoqué prévoit que 'l'entreprise utilisatrice qui commande le travail doit veiller à ce que le maximum de précaution soient prises pour la mise en état du lieu où le travail doit être exécuté ainsi que des abords, surtout lorsque ceux-ci comportent des matériels et substances inflammables.'

Il est ainsi établi que les mesures de sécurité ont été édictées en commun et qu'elles ont été insuffisamment précises, notamment sur la question du nettoyage du chantier.

Si la société Netco a manqué à ses obligations pour les motifs sus énoncés, il apparaît que la société Triselec a également manqué à ses obligations en ne procédant pas à un nettoyage approfondi du tapis et de la fosse, alors même qu'il était convenu avec la société Netco qu'elle utiliserait un procédé de soudure engendrant des points chaud à très haute température.

En revanche, si la configuration des lieux est à l'origine de l'effet 'venturi', cette configuration des lieux ne saurait caractériser un manquement fautif de la société Triselec.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, les premiers juges ont fait une juste appréciation des éléments de la cause en laissant à la charge de la société Triselec une part de responsabilité de 15% dans la réalisation du dommage et en mettant à la charge de la société Netco, dont les manquement sont majeurs et plus nombreux, une part de responsabilité de 85%.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement de ces chefs.

V- Sur les expertises ordonnées par les premiers juges

Les parties s'accordent sur la pertinence de ces expertises et demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné les deux expertises, l'une sur le préjudice matériel, l'autre sur le préjudice immatériel.

VI- Sur les demandes de provisions

1- au titre du dommage causé au bâtiment

La société Triselec produit aux débats un état provisoire et prévisionnel sur dommage matériel établi par l'expert F..., un état détaillé d'arrêté des dommages bâtiment établi par le même expert F..., les actes d'engagement concernant le lot 1 (gros oeuvre), le lot 2 (chauffage ventilation plomberie), et le lot 3 (courants forts et faibles), une estimation bâtiment en valeur technique (valeur juillet 2005) et les deux derniers rapport de l'expert F... concernant le bâtiment.

Ces pièces, et notamment le rapport d'expertise amiable du cabinet F... mandaté par la SMACL, évaluent le dommage immobilier incluant les coûts de démolition, de reconstruction et de maîtrise d'oeuvre à hauteur de 2 493 343 euros.

Ces éléments permettent à la cour d'allouer à la société Triselec une provision de

1 500 000 euros à valoir sur le préjudice immobilier, dans l'attente des expertises en cours.

2- le dommage matériel

Il résulte du rapport d'expertise judiciaire qu'ont été détruits les tapis 301 et 101,

plusieurs dizaines de convoyeurs de tous types équipés de motoréducteurs, un séparateur lourd/léger, plusieurs trommels, plusieurs cribles de séparation, deux « overband », un système de tri par courant de Foucault, un système de tri optique,

des trémies sur pesons, deux systèmes de ventilation TRANE (28000 m3/h et 4500 m3/h) avec toutes les conduites et caissons, des compresseurs et sur-presseurs d'air et les systèmes d'aéraulique associés, plusieurs groupes hydrauliques, toutes les armoires électriques de distribution, le système d'automatisme et de supervision outillages, divers équipements divers dont Réseau Incendie Armé, extincteurs,

bennes à déblais divers.

L'expert propose une évaluation à hauteur de 5 500 000 euros sans avoir cependant vérifié la pertinence des estimations du cabinet F... dont les rapports sont produits par la société Triselec, raison pour laquelle une nouvelle expertise a été ordonnée par les premiers juges.

Pour autant, ces pièces justifient d'allouer à la société Triselec une provision de

2 500 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice matériel, dans l'attente des expertises en cours.

3- le dommage immatériel : les pertes d'exploitation

La société Triselec produit aux débats un rapport d'expertise établi par M. G... proposant une évaluation du préjudice immatériel à hauteur de 8 566 396 euros.

Elle produit également un courrier de Lille Métropole sur les redevances de revalorisation pour les années 2008, 2009 et 2010, les 'bilans matière' 2007 et 2008 pour justifier une perte de chiffre d'affaire qu'elle évalue à 1 265 825 euros; elle produit enfin les pesées 2009 et les pertes de valorisation engendrées par les plus faibles tonnages traités, et évalue ainsi sa perte de recettes à la somme de 2927111 euros.

Elle produit enfin de nombreuses pièces justifiant des coûts de traitement des refus de tri (432 689 euros), des frais de location justifiés par la recherche de solutions de substitution immédiates (256 167 euros), des frais liés à un accord avec la SER de Petite Synthe à Dunkerque (566 604 euros) et de nombreux autre frais.

Comme le notent les premiers juges, la cour ne dispose pas de compétences comptables pour procéder à une analyse rigoureuse de l'ensemble des pièces produites par la société Triselec, raison pour laquelle une expertise comptable est en cours.

La cour note cependant qu'alors que les premiers juges ont relevé l'absence de production des bilans de la société Triselec dans les années ayant précédé l'incendie litigieux, et dans les années suivantes, lesdits bilans étant de nature à éclairer les juges sur l'évolution du chiffre d'affaire, la société Triselec ne les produit toujours pas devant la cour.

Compte tenu de ces éléments, la cour confirmera la provision de 1 500 000 euros allouée au titre du préjudice immatériel par le tribunal.

VII- Sur la garantie de la compagnie Allianz

La compagnie Allianz est appelée en garantie par la société Nord Industrie en sa qualité d'assureur responsabilité civile de ladite société.

Il résulte de la police d'assurance produite aux débats que celle-ci comporte un plafond de garantie limité à la somme de 3 000 000 euros.

Ce plafond de garantie n'est d'ailleurs contesté par aucune partie.

Quant à l'existence d'une franchise contractuelle, celle-ci n'est pas opposable à la société Triselec mais seulement à la société Nord Industrie, son assurée.

Le jugement sera en conséquence confirmé sur la garantie de la société Allianz dans la limite de 3 000 000 euros.

VIII- Sur la demande de la société Nord Industrie à l'encontre de la société Gras Savoye

La cour note d'abord que l'intervention volontaire de la société AXA devant la cour en sa qualité d'assureur responsabilité civile de la société Gras Savoye est régulière et bien fondée, compte tenu de la demande dirigée contre son assurée. La recevabilité de son intervention n'est d'ailleurs plus contestée.

Le courtier en assurances est tenu envers le souscripteur d'assurances d'une obligation d'information et de conseil dans le cadre de laquelle il doit présenter à son mandant une police adaptée aux risques à couvrir.

En l'espèce, la société Nord Industrie invoque une faute de la société Gras Savoye à l'égard d'une holding Equindus ; le tiers bénéficiaire de cette convention d'assurances peut agir sur le fondement de l'article 1382 du code civil contre le cocontractant ayant manqué à ses obligations lorsque par cette faute, ce tiers a subi un préjudice.

La société Axa produit d'abord une note rédigée par la société Gras Savoye au profit de la société Equindus, société à la tête d'un groupe incluant huit sociétés à assurer dont la société Netco ; il s'agit d'une note de présentation au titre d'une garantie responsabilité civile incluant notamment l'activité particulière de maintenance et de dépannage sur sites de bandes transporteuses, tapis et transporteurs mécaniques.

Il résulte de cette note que le souscripteur souhaitait bénéficier d'une garantie moyennant un prime annuelle de 19 500 € HT.

La société Axa produit ensuite un document intitulé 'projet d'assurance responsabilité civile' qui démontre que la société Gras Savoye, après consultation de six sociétés d'assurances incluant la prévision d'un plafond de garantie par sinistre de 7 500 000 euros, a informé la société Equindus que la compagnie AGF lui avait adressé la meilleure offre moyennant une prime annuelle de 21 255 euros.

En page 7 de ce 'projet d'assurance responsabilité civile', la société Gras Savoye reprend le montant de la prime, la territorialité, et attire l'attention sur le fait que la garantie responsabilité civile ne portait pas sur les sites classés ; elle ajoute ensuite que les montants de garantie lui apparaissent faibles et qu'elle restait donc à disposition de son mandant pour proposer des montants de garantie plus élevés.

La société Axa produit encore la consultation d'avocats par la société Equindus pour analyser les propositions d'assurances reçues ; il apparaît que l'attention de la société Equindus a été attirée sur le fait que pour les polices AGF etGerling étudiées, le montant plus élevé de la prime pour cette dernière société, soit 26 000 euros HT s'expliquait, à garanties équivalentes, par une couverture plus importante.

En définitive, la société Equindus a fait le choix de contracter la police d'assurances proposée par la société Gerling, selon des modalités que la société Nord Industrie ne produit pas aux débats.

Néanmoins, il résulte de la télécopie du 12 janvier 2006 qu'en raison des mauvais résultats en terme de sinistres de la société Equindus, et particulièrement du fait de la société Netco, la société Gerling alerta la société Gras Savoye qu'au renouvellement à venir de la police, la prime annuelle serait portée, au minimum, à 65 000 euros.

Dès lors, la société Netco a finalement souscrit, le 1er avril 2007, toujours par l'intermédiaire de la société Gras Savoye, une nouvelle police d'assurances auprès de la compagnie AGF, aux droits de laquelle se trouve Allianz, moyennant une prime annuelle de 27 000 euros et un plafond de garantie dommages matériels et immatériels de 3 000 000 euros, prime ensuite portée à 28 800 euros HT hors taxes le 28 janvier 2008.

Ainsi, il résulte de cet enchaînement de faits que, après avoir reçu en 2004 l'information de la société Gras Savoye qu'une police stipulant un plafond de garantie de 7 500 000 euros restait cependant, selon cet intermédiaire, insuffisant pour couvrir les risques générés par son activité industrielle, la société Equindus a décidé ensuite, en toute connaissance de cause, de ne contracter des polices d'assurances qu'aux conditions de primes les moins onéreuses pour sa part, avec pour corrélatif, une moindre couverture au titre des plafonds de garantie successivement souscrits.

Comme le note à juste titre la société Axa dans ses conclusions, la garantie souscrite était adaptée aux risques encourus ; en revanche, c'est la quantification du risque, que l'assuré, professionnel averti, est en mesure de mieux apprécier, et sur laquelle le courtier a attiré l'attention de la société Equindus lors de la consultation, qui n'était pas adaptée.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Nord Industrie de ses demandes à l'encontre de la société Gras Savoye, assuré auprès de la société Axa.

IX- Sur les dépens et les demandes d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé sur les dépens et les dispositions au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Nord Industrie et la société Allianz succombant en appel, elles en supporteront in solidum les dépens d'appel et seront condamnés in solidum à payer à la société Triselec une indemnité complémentaire de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; il convient également de condamner la société Nord Industrie à payer à la société Axa France Iard une indemnité de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs,

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort :

Déclare recevables les demandes de la société Triselec ;

Déclare recevable l'intervention de la société AXA;

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 février 2017 par le tribunal de grande instance de Lille ;

Y ajoutant :

Condamne in solidum la société Nord Industrie et la société Allianz aux dépens d'appel et à payer à la société Triselec une indemnité complémentaire de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Nord Industrie à payer à la société Axa France Iard une indemnité de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs autres demandes.

Le GreffierLe Président

F. DufosséB. Mornet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 17/02429
Date de la décision : 24/05/2018

Références :

Cour d'appel de Douai 03, arrêt n°17/02429 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-24;17.02429 ?
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