République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 3
ARRÊT DU 17/05/2018
N° de MINUTE :
N° RG : 16/00367
Jugement (N° 14/01315)
rendu le 15 Décembre 2015
par le tribunal de grande instance de Lille
APPELANTE
Caisse Regionale de Credit Agricole Mutuel Nord de France société coopérative à capital et personnel variables, prise en la personne de Monsieur [E] [Z], chef du service affaires juridiques et contentieux, spécialement habilité par délégation de pouvoir du conseil d'administration du 9 janvier 2006
ayant son siège social : [Adresse 1]
Représentée par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai
Assistée de Me Mattout avocat au barreau de Paris
INTIMÉ
Monsieur [F] [Q]
né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 1] - de nationalité française
demeurant : [Adresse 2]
Représenté par Me Réza-Jean Nassiri, avocat au barreau de Lille
Assistée de Me Corinne Chene-Havas avocat au barreau de Paris
DÉBATS à l'audience publique du 19 Janvier 2017 tenue par Catherine Convain magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Elisabeth Paramassivane-Delsaut
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Catherine Convain, conseiller faisant fonction de président de chambre
Emilie Pecqueur, conseiller
Caroline Pachter-Wald, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 Mai 2018 après prorogation du délibéré du 27 avril 2017 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Catherine Convain, président et Elisabeth Paramassivane-Delsaut, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 7 juillet 2016
Par acte authentique en date du 1er octobre 2002, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France a consenti à M. [F] [Q] un prêt immobilier d'un montant de 65 775 euros destiné à financer l'acquisition d'un appartement à visée d'investissement locatif
Au cours de l'année 2007, à la suite de la défaillance dans la gestion de la résidence dans laquelle se trouvait ledit bien, M. [Q] ne percevait plus les revenus locatifs escomptés et ne pouvait plus honorer des échéances du prêt contracté
La Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France faisait alors pratiquer les 30 septembre et 5 octobre 2010 des saisies attribution sur les comptes bancaires de M. [Q] et recourait à plusieurs reprises à d'autres voies d'exécution forcée
Par acte d'huissier en date du 24 janvier 2014, M. [Q] a fait assigner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins de faire constater la prescription de la créance du prêteur
Par jugement en date du 15 décembre 2015, le tribunal de grande instance de
Lille :
« -rejette les fins de non recevoir soulevées par la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de France
-constate que l'action en paiement de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel Nord de France, afférant au prêt litigieux, est prescrite, le prêteur ne pouvant dès lors réclamer aucune somme à l'emprunteur à ce titre
-condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France à payer à M. [Q] la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles
-condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de l'avocat de M. [Q]
-ordonne l'exécution provisoire de la présente décision
-rejette le surplus des demandes. »
La Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France a relevé appel de ce jugement le 20 janvier 2016.
Par mention au dossier en date du 10 novembre 2016, la réouverture des débats a été ordonnée à l'audience du 19 janvier 2017 pour modification de la composition de la cour.
Par conclusions transmises par voie électronique le 8 avril 2016, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France demande à la cour, au visa de l'article L 137-2 du code de la consommation et des articles 1134, 2231, 2240 et suivants du Code civil, de réformer le jugement du tribunal de grande instance de Lille en date du 15 décembre 2015 en ce qu'il a considéré que la créance de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France envers M. [Q] était prescrite, de débouter M. [Q] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui verser la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions transmises par voie électronique le 7 juin 2016, M. [Q] demande à la cour, au visa des articles 1134, 1147 et 1184 du Code civil, des articles 122 et suivants du code de procédure civile, de l'article L 137-2 du code de la consommation et des articles 2224, 2233, 2240 à 2244, 2249, 2251 du Code civil, de déclarer la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France recevable en son appel mais de l'y dire mal fondée et de la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions, de fixer la déchéance du terme au 3 août 2008, de confirmer en conséquence par substitution de motifs le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lille ayant constaté la prescription de l'action de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France pour agir en recouvrement du prêt 87807370100 consenti au concluant, de condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France à lui régler la somme de 4863,45 au titre de la répétition de l'indu et de condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France à lui régler la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Bianchi et Nassiri en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Selon ce qu'autorise l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé du surplus de leurs moyens.
Sur ce,
Attendu qu'aux termes de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, « les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » ;
Attendu qu'en cause d'appel la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France ne critique pas le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les fins de non recevoir qu'elle a soulevées ; que le jugement sera confirmé de ce chef
Sur la prescription
Attendu qu'aux termes de l'article L 137-2 du code de la consommation (devenu l'article L 218-2 du code de la consommation), 'l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans' ;
Que le point de départ du délai de prescription biennale, en cas de défaillance l'emprunteur, se situe, pour les crédits immobiliers, en ce qui concerne les échéances échues impayées, au jour de l'échéance de chaque mensualité, et pour le capital restant dû, au jour de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité ;
Attendu que suivant offre préalable acceptée le 29 juillet 2002 et réitérée le 1er octobre 2002 par acte authentique revêtu de la formule exécutoire, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France a consenti à M. [Q] un prêt immobilier d'un montant de 65 775 euros au taux d'intérêt initial révisable de 5,05 % l'an, d'une durée de 240 mois ;
Attendu que les conditions générales de l'offre de prêt immobilier comportent une clause intitulée 'déchéance du terme' 'exigibilité du présent prêt' qui stipule que 'le prêt deviendra de plein droit exigible en capital, intérêts et accessoires par la seule survenance de l'un quelconque des événements énoncés ci-dessous et dans les huit jours de la réception d'une lettre recommandée avec avis de réception adressée à l'emprunteur par le prêteur : - si une échéance n'est pas réglée à son terme. [...].' ;
Attendu que par lettre recommandée en date du 21 juillet 2008 dont M. [Q] a signé l'avis de réception le 26 juillet 2008, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France a mis en demeure ce dernier de régler la somme de 3880,19 euros au titre des échéances impayées, outre la somme de 55,06 euros au titre du solde débiteur du compte, dans un délai de 15 jours, en indiquant que le montant du capital restant dû après paiement des échéances en retard était de 55 865,42 euros ;
Qu'il est constant que M. [Q] n'a pas régularisé l'arriéré dans les quinze jours de cette mise en demeure ni a fortiori dans le délai de huit jours ;
Qu'en exécution des dispositions contractuelles qui font la loi des parties en vertu de l'article 1134 du Code civil (devenu l'article 1103 du code civil) et qui s'imposent à elles, faute pour M. [Q] d'avoir régularisé l'arriéré dans le délai de huit jours de la réception de la mise en demeure, la déchéance du terme s'est trouvée acquise de plein droit le 3 août 2008, sans qu'il y ait lieu à son prononcé non prévu contractuellement ;
Qu'il s'ensuit que le délai de prescription de deux ans a commencé à courir, en ce qui concerne les échéances échues impayées de novembre 2007 à juillet 2008, à la date de chacune de ces échéances, et, en ce qui concerne le capital restant dû, à compter du 3 août 2008, date de la déchéance du terme que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France a provoqué en faisant le choix d'envoyer à M. [Q] une lettre recommandé avec demande d'avis de réception de mise en demeure de régler l'arriéré, mise en demeure demeurée infructueuse qui a rendu le prêt de plein droit exigible huit jours après sa réception, conformément aux stipulations contractuelles ;
***
Attendu qu'en vertu de l'article 2231 du Code civil, l'interruption de la prescription efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien ;
Qu'aux termes de l'article 2240 du Code civil, « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription » ;
Qu'aucune forme n'est imposée pour que la reconnaissance puisse produire son effet interruptif, la reconnaissance qui peut être prouvée par tous moyens, pouvant résulter de tout fait qui implique sans équivoque l'aveu de l'existence du droit du créancier ;
Que par ailleurs, la reconnaissance, même partielle, que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrit, entraîne pour la totalité de la créance un effet interruptif de prescription qui ne peut se fractionner ;
Attendu qu'il ressort de l'historique du compte que plusieurs règlements sont intervenus postérieurement au 3 août 2008, notamment :
-le 18 octobre 2008, un règlement de 492,71 euros
-le 13 janvier 2009, un règlement de 831,21 euros
-le 17 avril 2009, un règlement de 915,42 euros
-le 3 novembre 2009, un règlement de 358,01 euros
-le 15 janvier 2010, un règlement de 979,06 euros
-le 20 avril 2010, un règlement de 875,13 euros
-le 6 juillet 2010, un règlement de 605,59 euros
-le 5 octobre 2010, un règlement de 1005,42 euros
-le 5 avril 2011, un règlement de 1036,92 euros
-le 5 juillet 2011, un règlement de 1124,96 euros
-le 29 septembre 2011, un règlement de 1059,23 euros
-le 12 décembre 2011, un règlement de 1037,87 euros
-le 29 décembre 2011, un règlement de 1037,87 euros
-le 29 mars 2012, un règlement de 1092,66 euros
-le 25 juin 2012, un règlement de 1104,44 euros
-le 25 septembre 2012, un règlement de 1239,12 euros
-le 28 février 2013, un règlement de 2245,70 euros
-le 4 avril 2013, un règlement de 1157,39 euros
Attendu que les clauses intitulées 'autorisation de prélèvement et compensation' et 'contrepassation' figurant en page 5/9 et 6/9, paraphées par M. [Q], des conditions générales de l'offre de prêt immobilier annexée à l'acte notarié du 1er octobre 2002, pages 5/9 et 6/9 correspondant respectivement aux pages 33 et 34 de cet acte notarié revêtu de la formule exécutoire en page 48, prévoient expressément que :
'AUTORISATION DE PRELEVEMENT ET COMPENSATION
Le remboursement du prêt s'effectuera par prélèvement sur le compte ouvert au nom de l'emprunteur en les livres du prêteur et dont le numéro figure dans la présente offre de prêt, sauf convention contraire.
Cependant, l'emprunteur autorise le prêteur à débiter, de façon permanente, tout compte dont il peut ou pourra être titulaire ou cotitulaire, du montant de toutes sommes exigibles en vertu du prêt.
Tous les versements auront lieu au siège du prêteur, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une de ses agences. L'emprunteur autorise également le prêteur à compenser de plein droit et sans son intervention toutes sommes échues en capital et intérêts sur le présent prêt ainsi que toutes indemnités avec les sommes que celui-ci pourrait éventuellement lui devoir à un titre quelconque.
La validité de l'autorisation de prélèvement et sa prise d'effet sont subordonnées à celle du contrat de crédit."
" CONTREPASSATION
Dans la mesure où l'opération de prélèvement autorisée par l'emprunteur à la clause ''autorisation de prélèvement et compensation' aurait pour effet de faire apparaître un débit au solde du compte de l'emprunteur, ce dernier autorise le prêteur à contrepasser l'écriture de débit à l'expiration d'un délai de 15 jours à compter de l'opération de prélèvement sans que cette opération emporte novation de la créance constatée au contrat de prêt.' ;
Que M. [Q] n'est pas fondé à soutenir que les règlements intervenus entre le 18 octobre 2008 et le 4 avril 2013 par prélèvements effectués par la banque sur son compte ouvert en ses livres et ayant pour effet de laisser son compte systématiquement débiteur ne sauraient avoir un effet interruptif de prescription au motif qu'ils n'émaneraient pas de lui, alors que ces règlements ont été effectués conformément aux stipulations contractuelles acceptées par M. [Q] et que de surcroît, ce dernier ne justifie pas avoir contesté auprès de la banque ces règlements ni leur imputation sur la créance de cette dernière au titre du prêt notarié du 1er octobre 2002, de sorte que tous ces règlements valent paiement volontaire de par l'autorisation de prélèvement donnée par M. [Q] et, partant, reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit, au sens de l'article 2240 du Code civil ;
Qu'il s'ensuit que les règlements effectués entre le 18 octobre 2008 le 4 avril 2013 ont chacun eu un effet interruptif de prescription tant en ce qui concerne les échéances échues impayées de novembre 2007 à juillet 2008 qu'en ce qui concerne le capital restant dû à la date de déchéance du terme du 3 août 2008, de sorte que la prescription biennale n'était pas acquise à la date du commandement aux fins de saisie immobilière du 15 juillet 2014 et a fortiori à la date de l'assignation délivrée le 24 janvier 2014 par M. [Q] à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France aux fins de faire constater la prescription de la créance du prêteur ;
Que le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a considéré que la créance de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France envers M. [Q] au titre du prêt notarié du 1er octobre 2002 était prescrite ;
Sur la demande en répétition de l'indu
Attendu que M. [Q] sollicite la condamnation de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France au paiement de la somme de 4863,35 euros à titre de la répétition de l'indu, exposant qu'il 'cantonne sa demande aux sommes prélevées par la banque ayant mis le compte bancaire en débit et ayant à ce titre généré des frais et intérêts, ainsi que les frais générés par le rejet abusif des autres prélèvements, notamment fiscaux sur ledit compte', et faisant valoir que la clause 'autorisation de prélèvement et compensation' n'a jamais autorisé la banque 'à gérer le compte bancaire du client' et 'à imposer à son client quelque découvert récurrent de surcroît tarifé au prix fort' ;
Mais attendu qu'au vu du tableau récapitulatif et des relevés de compte bancaire versés au dossier par M. [Q], c'est pertinemment que le premier juge a considéré qu'il ne pouvait être fait un lien direct et exclusif entre les sommes alléguées et le prêt litigieux puisque les relevés de compte font apparaître des prélèvements au profit du trésor public et des prélèvements au titre d'une assurance 'prêts habitats', et a considéré que la demande en répétition de l'indu qui était insuffisamment justifiée, devait en conséquence être rejetée ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Attendu que M. [Q], partie succombante, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel par application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile et à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les fins de non recevoir soulevées par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France et en ce qu'il a rejeté la demande de M. [F] [Q] au titre de la répétition de l'indu ;
Infirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau ;
Déboute M. [F] [Q] de sa demande tendant à faire constater la prescription de la créance de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France au titre de l'acte notarié de prêt du 1er octobre 2002 ;
Condamne M. [F] [Q] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Condamne M. [F] [Q] aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier,Le président,
E. Paramassivane-DelsautC. Convain