République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 1
ARRÊT DU 29/03/2018
***
N° de MINUTE :18/
N° RG : 16/04134
Jugement (N° 15/02300) rendu le 22 juin 2016 par le tribunal de commerce d'Arras
APPELANTES (appelantes dans le dossier RG: 16/4421- jonction)
SARL Et Demain Le Soleil agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domicilies es qualité au dit siège
ayant son siège social [Adresse 1]
[Adresse 2]
représentée par Me Roger Congos, avocat au barreau de Douai
assistée de Me Anne Voituriez, avocat au barreau de Lille
SARL Génération Voyages prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 3]
[Adresse 2]
représentée par Me Isabelle Carlier, avocat au barreau de Douai
assistée de Me René Despieghelaere, avocat au barreau de Lille
SARL Lens Voyages agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domicilies es qualité au dit siège
ayant son siège social [Adresse 4]
[Adresse 5]
représentée par Me Roger Congos, avocat au barreau de Douai
assistée de Me Anne Voituriez, avocat au barreau de Lille
INTIMÉE (intimée dans le dossier RG: 16/4421- jonction)
SARL Multi Cap prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social [Adresse 6]
[Adresse 7]
représentée par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai
assistée de Me Aurélie Nadiras, avocate au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Marie-Annick Prigent, président de chambre
Elisabeth Vercruysse, conseiller
Marie-Laure Aldigé, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Stéphanie Hurtrel
DÉBATS à l'audience publique du 18 janvier 2018 après rapport oral de l'affaire par Elisabeth Vercruysse
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 mars 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Marie-Annick Prigent, président et Stéphanie Hurtrel, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 9 janvier 2018
***
Par un jugement du 8 octobre 2014, le tribunal de commerce d'Arras a :
- jugé les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages coupables d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Multi cap,
- désigné M. [M] [H], expert judiciaire avec pour mission de :
'convoquer les parties, les entendre en leurs dires et explications,
'se faire remettre par les parties tous documents utiles,
'se rendre éventuellement au siège social de chacune des sociétés,
'rechercher les dossiers de voyages initiés et organisés par la société Multi cap détournés et réalisés par chaque société nommément désignée,
'relever le montant des factures émises par chaque société pour chaque dossier détourné et exploité,
'fixer le préjudice que la société Multi cap a supporté et le répartir entre les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages en fonction des avantages qu'elles ont retirés.
Le tribunal de commerce a ainsi retenu que deux salariées de la société Multi cap, Mme [Q] et Mme [N], suite à leur démission, ont été embauchées par les sociétés Et demain le soleil et Lens voyages qui exercent la même activité que celle de leur précédent employeur, et ont transmis à ces sociétés et à la société Génération voyages des renseignements qu'elles détenaient de leurs anciens employeurs. Ayant constaté que l'ensemble des faits, et en particulier le détournement de certains clients et l'appropriation d'informations exclusives avaient contribué à une désorganisation de la société Multicap, et estimant que les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages avaient chacune bénéficié de la transmission d'informations privilégiées, de relations nouvelles et d'un savoir-faire que les salariées démissionnaires avaient acquis dans le cadre de leur activité professionnelle exercées dans la société Multicap, le tribunal a reconnu que ces trois sociétés avaient commis des actes de concurrence déloyale.
Aucune des parties n'a interjeté appel contre cette décision, qui a été signifiée le 31 octobre 2014 aux sociétés Et demain le soleil et Génération voyages, le 24 octobre 2014 à la société Lens voyages.
L'expert a rendu son rapport le 23 juin 2015.
Suivant un jugement rendu le 22 juin 2016, le tribunal de commerce d'Arras a :
- dit et jugé que l'action introduite par la société Multi cap était recevable,
- dit et jugé que le rapport de l'expertise judiciaire en date du 23 juin 2015 établi par M. [H] était recevable, valable et opposable à toutes les parties à l'expertise,
En conséquence :
- condamné les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement à payer à la société Multi cap la somme de 229 528 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de marge au titre de l'année 2013, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- condamné les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement à payer à la société Multi cap la somme de 244 331 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de marge au titre de l'année 2014, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- condamné les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement à payer à la SARL Multi cap la somme de 732 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte du fonds de commerce de l'activité groupe de la société Multi cap majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- ordonné la capitalisation des intérêts échus par année entière conformément à l'article 1154 du code civil,
- ordonné l'exécution provisoire pour partie, à savoir pour un tiers des sommes à payer au titre :
- du préjudice subi de la perte de marge au titre de l'année 2013, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- du préjudice subi de la perte de marge au titre de l'année 2014, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- du préjudice subi du fait de la perte du fonds de commerce de l'activité groupe de la société Multi cap, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- ordonné la publication d'un extrait du jugement dans cinq journaux au choix de la société Multi cap aux frais des sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages, sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder la somme de 10 000 euros HT, TVA en sus au taux en vigueur,
- condamné les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement à payer à la SARL Multi cap la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, lesdits dépens taxés au titre des frais de greffe à la somme de 117 euros TTC auquel s'ajouteraient les frais et dépens relatifs aux procédures effectuées suite aux ordonnances délivrées par le président du tribunal de grande instance de Douai le 7 janvier 2013, par le président du tribunal de grande instance de Bobigny le 8 mars 2013, par le président du tribunal de commerce de Lille métropole, dont les frais d'huissier ainsi qu'aux frais d'expert judiciaire,
- débouté la demanderesse du surplus de ses demandes,
- débouté les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
Les sociétés Et demain le soleil et Lens voyages puis la société Génération voyages ont interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance en date du 22 septembre 2016, le premier président de la cour d'appel de Douai a :
- dit mal fondées les demandes formées par les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages de suspension de l'exécution provisoire prévue au jugement du tribunal de commerce d'Arras du 22 juin 2016,
- dit que cette exécution provisoire serait subordonnée à la production par la SARL Multicap d'une caution bancaire à hauteur des condamnations au paiement assorties de l'exécution provisoire au terme de ce jugement,
- dit irrecevable la demande formée par les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages de fixer par priorité la procédure devant la cour d'appel.
Par ordonnance du 19 janvier 2017, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la jonction des procédures 16/04421 et 16/04134 correspondant aux deux déclarations d'appel formées suite à cette décision.
Par ordonnance d'incident en date du 07 septembre 2017, le conseiller de la mise en état a :
- débouté la SARL Génération voyages, la SARL Et demain le soleil et la SARL Lens voyages de toutes leurs demandes de communication de pièces,
- condamné solidairement la SARL Génération voyages, la SARL Et demain le soleil et la SARL Lens voyages aux entiers dépens d'incident et à régler à la SARL Multi cap la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées le 18 décembre 2017, la SARL Et demain le soleil et la SARL Lens voyages demandent à la cour d'appel, au visa de l'article 273 du code de procédure civile et des articles 1382 et 1383 du code civil, de :
- réformer la décision des premiers juges,
Avant dire droit :
- déclarer nulles et de nul effet les opérations d'expertise diligentées par M. [M] [H],
- désigner un expert qui aura pour mission de répondre aux questions posées par le tribunal de commerce d'Arras dans sa décision du 08 octobre 2014,
- à titre infiniment subsidiaire, ordonner un complément d'expertise afin qu'il soit effectivement répondu aux questions posées par le jugement du 08 octobre 2014, et notamment reprendre les chiffres d'évaluation du fonds de commerce à partir des dossiers effectivement en portefeuille chez Multi cap,
- à titre infiniment subsidiaire, dire et juger que les trois sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages doivent être tenues solidairement ou à défaut in solidum,
- réserver les dépens,
- à titre plus subsidiaire encore, débouter la société Multi cap de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- à titre plus subsidiaire encore, condamner la société Multi cap au paiement de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens qui comprendront les frais d'expertise, dont distraction au profit de Me Roger Congos.
Au soutien de leurs prétentions, elles font principalement valoir :
- sur la nullité du rapport d'expertise :
- que l'expert n'a pas respecté le principe du contradictoire, n'organisant qu'une réunion et ne laissant pas aux sociétés appelantes de délai pour répondre au dire de la société Multi cap avant de déposer son rapport,
- que l'expert n'a en plus pas répondu aux questions précises et claires posées par le tribunal,
- que l'expert a témoigné de partialité à leur encontre,
- à titre subsidiaire, au fond :
- que la société Multi cap ne démontre pas avoir subi de préjudice du fait de l'action particulière des société Lens voyages et Et demain le soleil, qu'elle doit donc être déboutée de ses demandes.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 9 octobre 2017, la société Génération voyages demande à la cour d'appel, de :
- dire et juger le rapport de M. [H] insuffisant comme ne permettant pas une évaluation précise et motivée du préjudice,
- dire et juger que l'évaluation reprise tant par M. [H] que par les premiers juges ne tient pas compte du principe de répartition entre les trois sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages,
- constater que la société Génération voyages n'a établi aucun contrat ni aucune facture relatif aux clients détournés au préjudice de la Société Multi cap,
- débouter la Société Multi cap de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées contre la société Génération voyages,
Très subsidiairement, et en tout état de cause,
- voir nommer tel expert qu'il plaira à l'effet de compléter et d'amender le rapport de M. [H], eu égard aux observations justifiées de la société Génération voyages,
- condamner la société Multi cap à payer à la société Génération voyages la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens lesquels comprendront les frais d'expertise et ceux de première instance dont distraction au profit de Me Isabelle Carlier qui pourra les recouvrer par application de l'article 699 du code de procédure civile.
À l'appui de ses demandes, elle argue essentiellement :
- sur le rapport d'expertise :
- que l'expert n'a pas rempli sa mission, en ne prenant pas en compte la partie de clientèle « groupes » exploitée par la société Transports Rose, ce qui affecte nécessairement la perte de marge et la valeur du fonds de commerce, et en ne répartissant pas le préjudice entre les trois sociétés, en contradiction avec l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 8 octobre 2014,
- que l'expert n'a pas rempli sa mission telle qu'elle avait été précisément détaillée dans le jugement du 8 octobre 2014, qu'il n'a fait que reproduire les dires de la société Multi cap et les constats d'huissier qui n'ont aucune valeur comptable et rétrospective,
- subsidiairement, sur l'évaluation du préjudice de la société Multi cap :
- que le préjudice doit être démontré par le demandeur,
- que le préjudice qu'il convient de chiffrer est celui subi par une société, victime du débauchage de ses salariés, lequel doit être calculé en fonction de la marge bénéficiaire dégagée sur le chiffre d'affaires généré auprès des clients perdus sur lequel les salariés démissionnaires ont effectué des missions,
- que le dommage, pour être réparable, doit être certain et non pas simplement éventuel,
- que la réparation doit impérativement être répartie entre les trois sociétés appelantes,
- que les éléments d'évaluation fournis par la société Multi cap et retenus par l'expert sont formellement contestés.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 28 novembre 2017, la société Multi cap demande à la cour d'appel, sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Arras le 22 juin 2016 dans l'intégralité de ses dispositions, et :
- juger que le rapport d'expertise judiciaire en date du 23 juin 2015 établi par M. [H] est recevable, parfaitement valable, et opposable à toutes les parties à l'expertise ;
- condamner les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement ou, à défaut, in solidum, au paiement de la somme de 229 528 euros sauf à parfaire en réparation du préjudice subi du fait de la perte de marge au titre de l'année 2013, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation ;
- condamner les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement ou, à défaut, in solidum, au paiement de la somme de 244 331 euros sauf à parfaire en réparation du préjudice subi du fait de la perte de marge au titre de l'année 2013, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation ;
- condamner les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement ou, à défaut, in solidum, au paiement de la somme de 732 000 euros sauf à parfaire en réparation du préjudice subi du fait de la perte du fonds de commerce de l'activité groupe de la société Multi cap, majoré des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation ;
- condamner les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement ou, à défaut, in solidum, au paiement de la somme de 13 159,98 euros en réparation du préjudice subi du fait des frais de caution pris en charge par la société Multi cap ;
- ordonner la capitalisation des intérêts échus par année entière conformément à l'article 1154 du code civil ;
- ordonner la cessation des actes de concurrence déloyale sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- dire que la cour se réservera la liquidation de l'astreinte ;
- ordonner la publication d'un extrait du jugement à intervenir dans cinq journaux au choix de la société Multi cap, aux frais des sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages, sans que le coût de chaque publication puisse excéder la somme de 10 000 euros HT, TVA en sus au taux en vigueur ;
- condamner les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement ou, à défaut, in solidum, au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel auxquels s'ajouteront les frais et dépens relatifs aux procédures effectuées suite aux ordonnances délivrées par le président du tribunal de grande instance de Douai le 7 janvier 2013, par le président du tribunal de grande instance de Bobigny le 8 mars 2013 et par le président du tribunal de commerce de Lille métropole, dont les frais de constat d'huissier, ainsi qu'aux frais d'expertise.
Elle soutient ainsi en substance :
- sur la nullité du rapport d'expertise :
- qu'aucun moyen de nullité n'existe juridiquement,
- qu'il résulte de l'ensemble des pièces versées aux débats que l'expert désigné par le tribunal a parfaitement exécuté ses missions, dans le respect des règles applicables, et notamment du principe du contradictoire, ainsi qu'en toute impartialité,
- que les sociétés appelantes se sont abstenues de communiquer à l'expert tout élément pertinent, malgré ses demandes répétées, et n'ont pas non plus communiqué de dire à la suite du dépôt du pré-rapport,
- sur le fond :
- que les agissements déloyaux commis par les trois appelantes sont à l'origine du préjudice indivisible subi par la société Multi cap,
- qu'il existe, au-delà de la notion même de groupe, une communauté d'intérêt certaine entre les trois sociétés appelantes, de sorte que leur condamnation solidaire s'impose,
- qu'elle a toute raison de croire que les sociétés appelantes aient organisé leur propre insolvabilité,
- qu'en application de l'article 1149 du code civil, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé,
- que la cour de cassation a posé le principe de la réparation intégrale des préjudices de telle manière à replacer la victime ou le cocontractant dans la situation dans laquelle ils se seraient trouvés si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu,
- que la réparation intégrale du préjudice peut notamment comprendre les gains manqués, le préjudice moral, la perte de chance et les coûts induits par les agissements constitutifs de concurrence déloyale, et que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable,
- que l'expert a justement défini et évalué son préjudice,
- que seule une mesure de publication de la décision à intervenir est susceptible de réparer le préjudice né de l'atteinte grave à sa réputation, et de rétablir sa réputation tant personnelle que professionnelle.
La cour d'appel renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
À titre liminaire, il y a lieu de préciser qu'il sera fait application des dispositions du code civil dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l'obligation.
Sur le rejet des pièces 16, 17/1 à 17/4 et 18/1 à 18/2 communiquées par la SARL Génération voyages
Aux termes des dispositions de l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.
Aux termes des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Sur ce,
En l'espèce, la cour d'appel constate que la SARL Génération voyages lui a communiqué dans son dossier de plaidoirie, outre les 92 pièces visées à son bordereau, les pièces suivantes :
- une attestation du cabinet d'audit et de conseil STC datée du 19 janvier 2017, signée par M. [Q] [E], numérotée 16, alors que le contient déjà une pièce 16, à savoir les statuts de la société Jade & co, comme repris au bordereau,
- la balance générale de la SARL Génération voyages pour l'exercice du 1er octobre 2013 au 30 septembre 2014, numérotée 17/1, 17/2, 17/3 et 17/4, qui ne figure pas au bordereau,
- un récapitulatif du relevé Multi cap des dossiers estimés en détournement de clientèle, numéroté 18/1 et 18/2, alors que le dossier comprend déjà une pièce 18 (exercice clos le 30 septembre 2011), que le bordereau ne comporte pas de pièce 18/1 ou 18/2, et que cette pièce figure déjà dans le dossier sous les numéros 30/1 et 30/2, conformément au bordereau.
Ces pièces ont été communiquées à la cour d'appel en violation du principe du contradictoire, n'ayant pas été mentionnées sur le bordereau de communication de pièces adressé aux autres parties, et ne leur ayant pas été transmises.
Elles seront donc écartées des débats.
Sur la nullité de l'expertise
Le code de procédure civile ne prévoit pas de nullités spécifiques à l'expertise, mais opère en son article 175 à un renvoi aux dispositions prévues aux articles 112 à 125 du même code, régissant les nullités des actes de procédure.
Les irrégularités de l'expertise ne peuvent être sanctionnées, le cas échéant, que par sa nullité et non l'inopposabilité du rapport à une partie.
Le champ d'application de cette nullité est limité, d'une part, en ce que la nullité ne frappe que celles des opérations qu'affecte l'irrégularité (article 176) et, d'autre part, que les opérations peuvent être régularisées ou recommencées, même sur-le-champ, si le vice qui les entache peut être écarté (article 177).
Par ailleurs l'omission ou l'inexactitude d'une mention destinée à établir la régularité d'une opération ne peut entraîner la nullité de celle-ci, s'il est établi, par tout moyen, que les prescriptions légales ont été en fait observées (article178).
Les nullités qui intéressent l'ordre public sont absolues, elles peuvent être soulevées d'office et être proposées par tout intéressé, en tout état de cause et même pour la première fois, en appel, sous la réserve selon l'article 114, alinéa 2, du code de procédure civile, que celui qui l'invoque démontre le grief que lui cause l'irrégularité.
Les moyens tirés de l'inobservation d'une formalité substantielle, lorsqu'elle n'est pas d'ordre public, doivent être invoqués au fur et à mesure de leur accomplissement et simultanément, à peine d'irrecevabilité de ceux qui ne l'auraient pas été (articles 112 et 113). La nullité reste toutefois couverte dans le cas où celui qui l'invoque a, postérieurement à l'acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever cette nullité (article 112)
Il résulte par ailleurs de la combinaison des articles 175 et 114 du code de procédure civile, que la nullité des décisions et actes d'exécution relatifs aux mesures d'instruction ne peut en tout état de cause être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
Le moyen ne peut être soulevé que par la partie qui a souffert de l'irrégularité, il ne peut l'être d'office par le tribunal.
Sur ce,
En l'espèce, la SARL Et demain le soleil et la SARL Lens Voyages sollicitent avant-dire droit devant la cour d'appel, comme elles l'avaient fait devant le tribunal de commerce, la nullité du rapport d'expertise de M. [H] daté du 23 juin 2015.
Elles font ainsi valoir que les opérations d'expertise ont été incomplètes et précipitées, qu'ainsi elles n'ont pas bénéficié d'un délai suffisant pour communiquer les pièces sollicitées compte tenu du contexte de séparation des associés à cette période, qu'elles attendaient la seconde réunion qui n'a jamais eu lieu pour faire valoir leurs observations, que l'expert a commis un abus de langage en faisant état de l'obstruction dont elles se seraient rendues auteur, et que le principe du contradictoire n'a pas été respecté.
Il convient sur ces points de relever à titre liminaire que le protocole d'accord fixant les modalités de séparation des deux dirigeants des sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages a été ratifié le 9 juillet 2014, soit avant même le jugement du tribunal de commerce d'Arras ordonnant l'expertise, de sorte que lors des opérations d'expertise la séparation était consommée et organisée, et que la SARL Et demain le soleil et la SARL Lens Voyages sont particulièrement mal fondées à vouloir en tirer argument pour expliquer leur carence face aux demandes de l'expert.
Ce dernier a en effet sollicité des sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages la production de divers documents indispensables à la réalisation des opérations d'expertise, lors de la réunion d'expertise du 5 décembre 2014, puis par courriers en date des 6 décembre 2014 et 6 février 2015.
Il n'a obtenu de ces dernières qu'une réponse très parcellaire à sa demande.
Manquaient toujours notamment après le courrier de rappel de février 2015 : les comptes annuels de la SARL Lens Voyages, ceux de l'exercice clos le 31 décembre 2014 de la SARL Génération voyages, les comptes analytiques des voyages réalisés par les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages des années 2011, 2012, 2013 et 2014.
C'est ainsi que l'expert a sollicité le président du tribunal de commerce afin que soit ordonnée la production de ces pièces sous astreinte.
Le président du tribunal de commerce a en réponse requis de l'expert le dépôt du rapport d'expertise en l'état.
M. [H] a néanmoins rédigé un pré-rapport adressé aux parties le 28 mai 2015.
C'est donc pour déférer à cette ordonnance, et non en raison d'une précipitation suspecte, que M. [H] a fixé aux parties un délai bref pour lui faire parvenir leurs observations, et n'a pas organisé d'autre réunion d'expertise.
Les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages n'ont fait parvenir ni dire ni observation à la suite de ce pré-rapport comme d'ailleurs précédemment pendant les opérations d'expertise.
Ainsi aucune violation du principe du contradictoire ne saurait être reprochée à l'expert.
De la même façon, aucun manquement à son impartialité ne saurait résulter de la teneur du rapport, il est vrai défavorable aux sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages, mais dont il ressort que M. [H], loin de reprendre aveuglément les dires de la SARL Multi cap, a procédé à une analyse approfondie et argumentée des éléments en sa possession afin de déterminer si cette société avait subi un préjudice du fait des agissements de concurrence déloyale des sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages, puis d'en déterminer la nature et d'en chiffrer le montant.
Les arguments avancés par ces sociétés en cause d'appel, reposant en partie sur des documents qu'elles n'ont pas jugé utile de transmettre à l'expert ne peuvent sans mauvaise foi être utilisés pour mettre en doute l'impartialité, l'objectivité et la conscience de l'expert.
Il sera enfin souligné que les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages n'ont à aucun moment sollicité l'expert afin d'obtenir une seconde réunion d'expertise ou un délai supplémentaire pour répondre au pré-rapport ou au dire de la SARL Multi cap. Le courrier du nouveau conseil de la SARL Génération voyages en date du 11 juin 2015 se borne en effet à indiquer son intervention à l'expert afin d'être rendu destinataire de toute nouvelle correspondance.
Les opérations d'expertise menées par M. [H] sont donc exemptes de toute irrégularité et la SARL Et demain le soleil et la SARL Lens Voyages seront donc déboutées de leur demande tendant à voir prononcer la nullité du rapport de M. [H].
Sur le préjudice de la SARL Multi cap
Il résulte de la liberté du commerce et de l'industrie, principe constitutionnel issu des lois des 2 et 17 mars 1791, que les entreprises sont libres de rivaliser entre elles pour conquérir et retenir une clientèle.
Aux termes des dispositions de l'article 1382 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
L'article 1383 du code civil dispose que chacun est responsable du dommage qu'il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Par ailleurs selon les articles 6 et 9 du code de procédure civile, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à fonder leurs prétentions et il leur incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires à leur succès.
L'action en concurrence déloyale a pour fondement non une présomption de responsabilité reposant sur l'article 1384 du code civil, mais une faute engageant la responsabilité délictuelle de son auteur supposant l'accomplissement d'un acte positif dont la preuve incombe à celui qui se déclare victime.
Elle constitue fondamentalement une action en responsabilité civile, dont l'exercice est subordonné aux conditions classiques de cette responsabilité. Il appartient dès lors à celui qui s'en prévaut d'apporter la preuve d'une faute, d'un préjudice, et d'un lien de causalité.
Si la preuve d'une faute s'avère nécessaire pour le succès de l'action en concurrence déloyale, peu importe, en revanche, la nature de la faute, c'est-à-dire qu'elle soit intentionnelle ou non intentionnelle.
Le déplacement de clientèle qui résulte du jeu normal de la concurrence ne peut donner lieu à réparation. Il convient donc de distinguer, dans le préjudice allégué, la perte résultant des man'uvres déloyales et celle « relevant du jeu normal de la concurrence ».
Les dommages et intérêts alloués à la victime de la concurrence déloyale doivent comprendre la perte subie et le gain dont elle a été privée.
Par ailleurs en application de l'article 146 du code de procédure civile, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
Il sera enfin rappelé que le juge, aux termes de l'article 246 du code de procédure civile n'est pas lié par les constatations ou les conclusions de l'expert. Les parties peuvent donc discuter, critiquer ou justifier les rapports d'experts.
La liberté du juge est entière ; il peut apprécier l'avis donné par l'expert, puiser dans le rapport les renseignements qu'il estime utiles, voire des éléments qui n'ont pas paru déterminants pour l'expert mais qui le sont pour lui, adopter certaines conclusions et en rejeter d'autres. D'une façon générale, le juge n'est pas tenu de suivre les experts dans leurs conclusions, car il ne lui appartient que de rechercher dans le rapport d'expertise tous les éléments de preuve propres à établir leur conviction.
Sur ce,
Il convient à titre liminaire de rappeler que l'objet du litige au fond est d'apprécier l'existence et le montant du préjudice subi par la SARL Multicap du fait des agissements de concurrence déloyale commis par la SARL Génération voyages, la SARL Et demain le soleil et la SARL Lens voyages, et dont la responsabilité a été retenue par le jugement du tribunal de commerce d'Arras rendu le 8 octobre 2014, la dite décision ayant sur ce point acquis un caractère définitif. Ces agissements sont exclusivement afférents à l'activité « groupe » de l'intimée.
Une expertise judiciaire a été ordonnée dans ce but, l'expert a rendu son rapport.
Les quatre sociétés parties à la présente instance ont été invitées à prendre part aux opérations d'expertise.
Les développements abondants des sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages sur le contexte du litige et les agissements de concurrence déloyale qu'elles contestent toujours sont donc inopérants et il n'y sera pas d'avantage répondu.
Pour soutenir sa demande de réformation du jugement déféré, et de débouté de la SARL Multi cap de ses demandes de dommages et intérêts, la SARL Génération voyages adresse de nombreuses critiques envers l'expertise judiciaire rendue et ses conclusions, soutenant que la SARL Multi cap n'a pas subi de préjudice et qu'en tout état de cause le montant de son préjudice a été surévalué par l'expert. À titre subsidiaire, elle sollicite l'organisation d'une nouvelle expertise.
Les sociétés Et demain le soleil et Lens voyages pour leur part sollicitent d'abord l'organisation d'une contre-expertise ou d'un complément d'expertise et subsidiairement le débouté de la SARL Multi cap de ses demandes de dommages et intérêts.
Il convient donc d'étudier les demandes de dommages et intérêts formulées par la SARL Multi cap, afin de déterminer si cette dernière justifie du préjudice dont elle demande l'indemnisation. Ce ne sera que dans l'infirmative, et sans suppléer à la carence de cette partie dans l'administration de la preuve qui lui incombe, qu'une nouvelle mesure d'instruction pourra le cas échéant être ordonnée.
De prime abord la cour d'appel entend relever que c'est de manière infondée et sans apporter d'autre élément que leur affirmation que les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages critiquent la compétence de l'expert M. [H] en matière d'expertise d'activité voyages de groupe.
L'expert s'est d'ailleurs fondé pour établir son rapport sur tous les éléments dont il disposait, de fait principalement ceux communiqués par la SARL Multi cap, et pour cause au vu de la carence des trois autres sociétés à répondre à ses demandes, mais non sans les étudier, les exploiter et les vérifier.
C'est ainsi également de façon purement affirmative sans argumentation ou preuve y afférente que ces sociétés relèvent des incohérences générales et imprécises dans les chiffres avancés par la SARL Multi cap au soutien de ses demandes, chiffres qui ressortent des éléments comptables produits aux débats, dont aucun élément ne permet de remettre en cause l'exactitude et la conformité.
Il sera enfin rappelé que l'évaluation du préjudice de la SARL Multi cap n'est pas dépendante des bénéfices effectivement retirés par les sociétés condamnées des agissements déloyaux qu'elles ont commis. En vue de cette évaluation il n'est donc pas indispensable d'établir une liste précise des dossiers effectivement repris par les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages. Le préjudice doit être constitué de la perte subie et du gain manqué pour la SARL Multi cap des agissements commis par les sociétés auteurs, qui ne comprennent pas uniquement le détournement de dossiers mais également et de façon plus générale de la transmission d'informations privilégiées, de relations nouvelles et d'un savoir-faire que les salariées démissionnaires avaient acquis dans le cadre de leur activité professionnelle exercées dans la société Multicap.
Ces éléments étant rappelés, il convient d'examiner les conséquences des agissements des sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages sur l'activité de la SARL Multi cap, avant d'évaluer les différents postes de préjudice retenus.
Sur les conséquences des agissements déloyaux des sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages sur l'activité de la SARL Multi cap
Il ressort des comptes de résultat de la SARL Multi cap tels qu'analysés par l'expert que l'activité de la société a chuté brutalement en 2013, la marge sur sous-traitances ayant été réduite au sixième de ce qu'elle était en 2011, ce qui a occasionné en 2013 un résultat courant négatif de 181 185 euros.
En 2014, les ventes de voyages et la marge sur sous-traitances ont encore chuté de 28,32 %, et les commissions sur ventes de 72,34 % en suite de la cession du fonds de commerce de tourisme individuel intervenue le 22 août 2013. Le résultat net est un déficit de 174 329 euros.
Ces chiffres repris par l'expert sont exclusivement relatifs à l'activité voyages de groupe de la SARL Multi cap.
Il estime ainsi que cette baisse de chiffre d'affaires a deux origines :
- les détournements de clientèle des sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages,
- la cession du fonds de commerce de tourisme individuel à la SARL Atout Nord le 22 août 2013.
Pour parvenir à cette conclusion, il a pris en compte :
- la cession partielle du fonds de commerce de la SARL Multi cap intervenue en 2013 au profit de la SARL Atout Nord mais ne portant que sur l'activité de voyages individuels,
- les éléments ressortant des constats d'huissier produits aux débats,
- la baisse d'activité de la branche vente de voyages de groupe en 2011, baisse qui n'est pas en rapport avec les détournements, de sorte que dans tous ses calculs il a pris pour année de référence l'année 2012, non impactée par les détournements.
Les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages soutiennent que l'activité voyages de groupe de la SARL Multi cap n'a pas été impactée par leurs détournements mais a en réalité été transférée de façon dissimulée dans les sociétés Atout Nord et Jade & co, de même que chez la société Rose voyages.
S'agissant en premier lieu des sociétés Atout Nord et Jade & co, il sera relevé que cette affirmation, non démontrée, est démentie par les pièces produites par la SARL Multi cap dont il ressort qu'Atout Nord n'exerce pas d'activité de voyages de groupe, et que Jade & co n'exerce qu'une activité de société holding.
Quant à la société Rose voyages, en second lieu, la SARL Multi cap démontre qu'il s'agit d'une société exerçant une activité d'autocariste, différente de celle d'agence de voyages, à qui elle sous-traite depuis 2009 ses prestations en la matière, ayant elle-même cessé cette activité.
Le constat d'huissier réalisé dans les fichiers clients et les factures de cette société à la demande de la SARL Génération voyages fait ressortir la présence de clients et de factures au nom de clients également clients de Multi cap pour l'année 2013.
Ce constat ne démontre cependant absolument que Rose voyages ait réalisé des activités de voyages de groupe pour ces clients et est tout à fait cohérent avec les prestations de sous-traitance réalisées régulièrement par Rose voyages à la demande de la SARL Multi cap, ces clients étant d'ailleurs toujours clients de Multi cap en 2013.
C'est ainsi de façon tout à fait infondée que les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages affirment que l'activité voyages de groupe de la SARL Multi cap aurait été dissimulée dans ces sociétés pour aggraver les conséquences des détournements.
L'ensemble de ces éléments démontre donc que les agissements déloyaux commis par les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages sont à l'origine de la perte de chiffre d'affaires de la SARL Multi cap sur son activité de voyages de groupe.
Le préjudice de la société victime sera donc examiné, suivant les conclusions de l'expert, sur la perte de marge sur sous-traitances pour les années 2013 et 2014, outre la perte du fonds de commerce.
Sur la perte de marge
L'expert a calculé la perte de marge sur sous-traitances de la SARL Multi cap pour les années 2013 et 2014, en se basant sur les éléments comptables fournis par la société pour l'année 2012.
Ce calcul est précisément détaillé dans le rapport d'expertise, notamment quant au calcul de la marge moyenne de la société.
À cet égard tant la question des taux de marge moyens pratiqués dans la profession que celle de la différence entre marge brute et marge nette sont inopérantes, l'appréciation de la perte de marge subie par la SARL Multi cap devant être réalisée in concreto sur la base de la marge habituellement fixée par elle.
Il convient donc de retenir l'évaluation réalisée par l'expert aux termes d'un rapport complet et motivé sur ce point, et de confirmer en cela la décision déférée.
Sur la perte du fonds de commerce
Il est démontré par la SARL Multi cap qu'elle a cessé son activité d'agence de voyages au 31 décembre 2014, et a ainsi été radiée de l'association professionnelle de solidarité du tourisme et perdu la garantie financière fournie par cet organisme à compter du 7 janvier 2015.
Or les pièces produites aux débats et notamment le rapport d'expertise ont démontré le lien de causalité direct entre les agissements déloyaux des sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages et la perte considérable de chiffre d'affaires de l'activité voyages de groupe de la SARL Multi cap, entraînant la cession de l'activité voyages individuels, la cessation de l'activité voyages de groupe de la société, et la perte de valeur de son fonds de commerce.
Sur ce point il convient de souligner le caractère infondé de l'affirmation de la SARL Génération voyages selon laquelle si l'activité voyages de groupe de la SARL Multi cap a tant perdu en chiffres d'affaires c'est également en raison de l'absence d'efforts réalisés en vue de la relancer. Cette affirmation n'est étayée par aucune pièce, et est démentie par le rapport d'expertise.
L'expert a ainsi estimé, toujours en se basant sur l'année 2012, que la valeur du fonds de commerce perdu correspondait à une année de marge sur sous-traitances, soit 244 000 euros.
La SARL Multi cap soutient que son indemnisation doit correspondre à la durée de trois ans nécessaire selon elle à la reconstruction de ce fonds de commerce, soit 3 fois 244 000 euros, soit 732 000 euros.
Elle ne justifie cependant pas de cette durée de reconstruction sur la pertinence de laquelle l'expert ne s'est pas prononcé.
Il sera surtout relevé que l'indemnisation des agissements déloyaux a pour but de réparer la perte subie et le gain manqué mais pas de remettre la victime en l'état antérieur.
Son indemnisation doit donc être de la valeur du fonds perdu.
Les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages critiquent la méthode d'évaluation retenue par l'expert, inadaptée selon eux à l'activité exercée.
Cependant, contrairement à ce qu'ils soutiennent, les documents produits aux débats par la SARL Génération voyages ne démontrent pas que la méthode d'évaluation de l'expert n'est pas pertinente, ils démontrent au contraire qu'il existe une multitude de techniques d'évaluation, et qu'en matière de voyages de groupe spécifiquement il n'existe pas de barème fixe.
Force est de constater cependant que l'évaluation de l'expert est précise, motivée et argumentée en fonction des éléments de contexte spécifiques à ce fonds de commerce, et sera donc en tant que telle retenue.
La décision déférée sera infirmée sur ce point.
La cour d'appel disposant des éléments suffisants pour trancher le litige déboutera également les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages de leurs demandes respectives tendant à l'organisation d'une nouvelle mesure d'expertise.
Sur la condamnation des sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages à indemniser le préjudice subi par la SARL Multi cap
En matière délictuelle, chacun des coauteurs d'un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à la réparation de l'entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre les coauteurs, lequel n'affecte que les rapports réciproques de ces derniers, mais non le caractère et l'étendue de leurs obligations à l'égard de la victime du dommage.
Il y a d'abord obligation pour le tout envers la victime lorsque le dommage est causé par plusieurs fautes délictuelles ou quasi délictuelles semblables, commises par chacun des coauteurs, qui sont toutes à l'origine d'un seul et même dommage.
Sur ce,
Il ressort du jugement du 8 octobre 2014 du tribunal de commerce d'Arras que les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages ont toutes trois commis des faits de concurrence déloyale ayant contribué à la réalisation du préjudice de la SARL Multi cap.
Il n'y a donc pas lieu à prononcer contre elles des condamnations différenciées en fonction de leur niveau de responsabilité.
Elles seront au contraire toutes trois condamnées in solidum à régler à la SARL Multi cap :
- la somme de 229 528 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de marge au titre de l'année 2013, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- la somme de 244 331 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de marge au titre de l'année 2014, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- la somme de 244 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte du fonds de commerce de l'activité groupe de la société Multi cap majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation.
Sur la demande de dommages et intérêts de la SARL Multi cap au titre des frais de caution bancaire
La cour rappelle par ailleurs les dispositions de l'article 12 du code de procédure civile selon lesquelles le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat.
En application de ce texte il est constant que si, parmi les principes directeurs du procès, l'article 12 oblige le juge à donner ou à restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes.
Sur ce,
La SARL Multi cap sollicite l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 13 159,98 euros en remboursement des frais de caution bancaire qu'elle a dû engager, l'exécution provisoire du jugement de première instance étant subordonnée à la production d'une telle caution.
La demanderesse n'a pas fondé cette demande en droit.
Sur le fondement de l'article 12 du code de procédure civile, il convient donc de la qualifier en demande au titre des frais exposés par la partie au titre de la procédure et non compris dans les dépens.
La SARL Multi cap justifie avoir dû régler cette somme à l'établissement bancaire qui lui a fourni la caution.
Ces frais ont été engagés par elle afin de pouvoir obtenir l'exécution de la décision du tribunal de commerce et sont donc indubitablement en lien avec la présente instance.
Les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages seront donc condamnées in solidum à lui régler la somme de 13 159,98 euros.
Sur la capitalisation des intérêts échus
En vertu de l'article 1154 du Code civil, les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière.
Il sera fait application de cette disposition.
Sur la demande en cessation des agissements déloyaux
Aucun agissement déloyal contemporain à la présente décision n'étant reproché par la SARL Multi cap aux sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages, et les agissements retenus dans le jugement du 8 octobre 2014 ayant depuis lors cessé, la SARL Multi cap sera déboutée de cette demande.
Sur la publication de la décision
La décision déférée qui a ordonné la publication à titre d'indemnisation complémentaire sera confirmée, les agissements déloyaux retenus à l'encontre des sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages ayant indéniablement porté gravement atteinte à l'image commerciale de la SARL Multi cap.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l'équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l'autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Il y a lieu de confirmer la décision déférée du chef des dépens et des frais irrépétibles, sauf en ce qu'elle a condamné les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages solidairement.
Statuant à nouveau, les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages seront condamnées in solidum.
Par ailleurs, y ajoutant, les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages seront condamnées in solidum au paiement des entiers dépens de l'appel et à payer à la SARL Multi cap la somme de 15 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
- Écarte des débats les pièces suivantes communiquées par la SARL Génération voyages dans son dossier de plaidoirie en violation du principe du contradictoire :
- une attestation du cabinet d'audit et de conseil STC datée du 19 janvier 2017, signée par M. [Q] [E], numérotée 16,
- la balance générale de la SARL Génération voyages pour l'exercice du 1er octobre 2013 au 30 septembre 2014, numérotée 17/1, 17/2, 17/3 et 17/4, qui ne figure pas au bordereau,
- un récapitulatif du relevé Multi cap des dossiers estimés en détournement de clientèle, numérotée 18/1 et 18/2,
- Déboute la SARL Génération voyages, la SARL Et demain le soleil et la SARL Lens Voyages de leur demande tendant à voir prononcer la nullité du rapport d'expertise de M. [H],
- Confirme la décision déférée sauf en ce qu'elle a :
- condamné les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement à payer à la société Multi cap la somme de 229 528 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de marge au titre de l'année 2013, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- condamné les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement à payer à la société Multi cap la somme de 244 331 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de marge au titre de l'année 2014, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- condamné les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement à payer à la SARL Multi cap la somme de 732 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte du fonds de commerce de l'activité groupe de la société Multi cap majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- condamné les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages solidairement à payer à la SARL Multi cap la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, lesdits dépens taxés au titre des frais de greffe à la somme de 117 euros TTC auquel s'ajouteraient les frais et dépens relatifs aux procédures effectuées suite aux ordonnances délivrées par le président du tribunal de grande instance de Douai le 7 janvier 2013, par le président du tribunal de grande instance de Bobigny le 8 mars 2013, par le président du tribunal de commerce de Lille métropole, dont les frais d'huissier ainsi qu'aux frais d'expert judiciaire,
Statuant à nouveau :
- Condamne les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages in solidum à payer à la société Multi cap la somme de 229 528 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de marge au titre de l'année 2013, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- Condamne les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages in solidum à payer à la société Multi cap la somme de 244 331 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de marge au titre de l'année 2014, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- Condamne les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages in solidum à payer à la SARL Multi cap la somme de 244 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte du fonds de commerce de l'activité groupe de la société Multi cap majorée des intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation,
- Condamne les sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages in solidum à payer à la SARL Multi cap la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, lesdits dépens taxés au titre des frais de greffe à la somme de 117 euros TTC auquel s'ajouteront les frais et dépens relatifs aux procédures effectuées suite aux ordonnances délivrées par le président du tribunal de grande instance de Douai le 7 janvier 2013, par le président du tribunal de grande instance de Bobigny le 8 mars 2013, par le président du tribunal de commerce de Lille métropole, dont les frais d'huissier ainsi qu'aux frais d'expert judiciaire,
Y ajoutant :
- Déboute la SARL Multi cap de sa demande visant à voir ordonner la cessation des actes de concurrence déloyale sous astreinte,
- Condamne les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages in solidum à verser à la SARL Multi cap la somme de 13 159,98 euros, en sus de la somme de 15 000 euros reprise ci-dessous,
- Condamne les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages in solidum aux entiers dépens de la procédure d'appel,
- Condamne les sociétés Et demain le soleil, Lens voyages et Génération voyages in solidum à verser à la SARL Multi cap la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Ordonne la publication d'un extrait du jugement dans cinq journaux au choix de la société Multi cap aux frais des sociétés Génération voyages, Et demain le soleil et Lens voyages, sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder la somme de 10 000 euros HT, TVA en sus au taux en vigueur.
Le GreffierLe Président
S. HurtrelM.A.Prigent