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23/11/2017 | FRANCE | N°16/07372

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 1, 23 novembre 2017, 16/07372


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 1



ARRÊT DU 23/11/2017



***



N° de MINUTE :17/

N° RG : 16/07372



Jugement (N° 15/07153)

rendu le 20 septembre 2016 par le tribunal de commerce de Lille Métropole



APPELANTE



SAS Philippe Travaux Publics prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

reprÃ

©sentée par Me Isabelle Carlier, avocat au barreau de Douai

assistée de Me Philippe Lefevre, avocat au barreau de Lille



INTIMÉ



Me [N] [C] ès qualités de liquidateur judiciaire à la liquid...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 23/11/2017

***

N° de MINUTE :17/

N° RG : 16/07372

Jugement (N° 15/07153)

rendu le 20 septembre 2016 par le tribunal de commerce de Lille Métropole

APPELANTE

SAS Philippe Travaux Publics prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Isabelle Carlier, avocat au barreau de Douai

assistée de Me Philippe Lefevre, avocat au barreau de Lille

INTIMÉ

Me [N] [C] ès qualités de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de la SAS BMC

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Catherine Trognon-Lernon, avocat au barreau de Lille

assisté de Me Christian Lequint, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l'audience publique du 04 octobre 2017 tenue par Marie-Laure Aldigé magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Carmela Cocilovo

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie-Annick Prigent, président de chambre

Elisabeth Vercruysse, conseiller

Marie-Laure Aldigé, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2017 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Marie- Annick Prigent, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 7 septembre 2017

***

Le 12 décembre 2012, la SAS Philippe Travaux Publics a donné à bail, pour une durée de 32 mois moyennant le versement d'un loyer mensuel de 2 395,80 euros à la société BMC une pelle hydraulique sur chenille JCB type JS210LC n°1701644.

Par jugement en date du 25 février 2014 publié au BODDAC le 25 mars 2014, le tribunal de commerce de Lille Métropole a mis en redressement judiciaire la société BMC et désigné en qualité de mandataire judiciaire, Me [N] [C].

Le 8 avril 2014, la société Philippe Travaux Publics a déclaré sa créance au titre des loyers impayés antérieurs au redressement judiciaire.

Le 10 avril 2014, la SAS BMC a informé son assureur que la pelle hydraulique avait subi un sinistre, le matériel s'étant retrouvé immergé dans un étang situé à Sainghin-en-Weppe.

Par jugement en date du 7 octobre 2014, le tribunal de commerce de Lille Métropole a prononcé la liquidation judiciaire de la société BMC et a nommé en qualité de liquidateur judiciaire Me [N] [C].

Le 21 novembre 2014, la société Philippe Travaux Publics a fait procéder à l'enlèvement de la pelle hydraulique dans l'étang et en a repris possession. Le 18 décembre 2014, par lettre recommandée avec accusé de réception, le mandataire judiciaire a mis en demeure la société Philippe Travaux Publics de procéder à sa restitution entre les mains du commissaire-priseur en vue de son adjudication, demande à laquelle la bailleresse a opposé un refus par lettre recommandée en date du 6 janvier 2015.

Par assignation en date du 13 avril 2015, Me [N] [C] ès qualités a assigné la société Philippe Travaux Publics aux fins d'obtenir la restitution forcée de la pelle hydraulique. Estimant essentiellement que faute d'avoir revendiqué son bien dans les formes et délais légaux prévus à l'article L624'9 du code de commerce, le droit de propriété de la société Philippe Travaux Publics était inopposable à la procédure collective, le tribunal de commerce a:

- dit recevable mais mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Philippe Travaux Publics et l'en a déboutée,

- condamné la société Philippe Travaux Publics à restituer à Me [N] [C], ès qualités de liquidateur de la société BMC, la pelle hydraulique à chenilles JS210LC n° de série 1701644, et ce, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard, au-delà du délai d'un mois dans le cas d'un défaut de restitution dans ledit délai ; le tribunal de céans se réservant de liquider ladite astreinte ;

- condamné la société Philippe Travaux Publics en cas de non restitution de la pelle hydraulique dans les trois mois de la signi'cation du présent jugement, à payer à Me [N] [C], en sa qualité de liquidateur, la somme de 31 320 euros à titre de dommages et intérêts.

- condamné la société Philippe Travaux Publics à payer à Me [N] [C] en sa qualité de liquidateur de la SAS BMC, la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la société Philippe Travaux Publics aux entiers frais et dépens taxés et liquidés à la somme de 127,73 euros.

La société Philippe Travaux Publics a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 1er août 2017, l'appelante demande à la cour d'appel, au visa des articles 545, 1147, 1184, 1147 et 1732 du code civil et de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de, in limine litis, réformer le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré compétent pour connaître du présent litige et au fond de le réformer en l'ensemble de ses dispositions, et, statuant à nouveau, de :

- juger qu'elle n'avait pas à exercer son droit de revendication ;

- surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure sur la question prioritaire de constitutionnalité et l'avis éventuellement à intervenir du Conseil Constitutionnel ;

- juger qu'une atteinte illégitime et disproportionnée est portée à son droit de propriété et que le jugement déféré constitue une violation manifeste de l'article 545 du code civil et de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- débouter Me [N] [C], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BMC de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Me [N] [C], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BMC à payer la somme de 22 999,68 euros ;

- juger que cette somme se compensera avec les créances éventuelles que Me [N] [C] , es qualité de liquidateur judiciaire de la société BMC détiendrait à son encontre ;

- au vu des manquements commis par Me [N] [C], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BMC, prononcer la résiliation du contrat de location et condamner Me [N] [C] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BMC à payer la somme de 18 326,60 euros ;

- juger que cette somme se compensera avec les créances éventuelles que Me [N] [C] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BMC détiendrait à son encontre ;

- en tout état de cause condamner Me [N] [C] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BMC au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 code procédure civile.

Par dernières écritures en date du 4 septembre 2017, Me [N] [C], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BMC demande à la cour d'appel, au visa des articles 126-5 du code procédure civile, R662-3, R624-9, L624-16, L622-17, L622-24 du code de commerce, de :

- rejeter la demande de sursis à statuer ;

- débouter l'appelante de toutes ses demandes ;

- confirmer le jugement du tribunal de commerce en toutes ses dispositions ;

- y ajoutant, condamner l'appelante à lui payer, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile ainsi que les entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des moyens, il est renvoyé aux dernières écritures des parties.

Pour la clarté des débats, il sera seulement indiqué que l'appelante fait essentiellement valoir que :

- le contrat de location s'est poursuivi pendant la phase de redressement judiciaire et la clause compromissoire doit s'appliquer au litige opposant les deux parties ;

- le sursis à statuer s'impose dans l'attente de l'issue de la procédure sur la question prioritaire de constitutionnalité dans une affaire similaire et l'avis éventuellement à intervenir par le Conseil Constitutionnel ;

- elle était dans l'impossibilité d'exercer un droit de revendication dans la mesure où la preuve que la pelle hydraulique était dans le patrimoine de la société BMC après l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire n'est pas rapportée alors que l'action en revendication suppose que les biens se retrouvent en nature dans le patrimoine du débiteur et que le droit de revendication ne peut être exercé si les biens ont disparu avant l'ouverture de la procédure collective. ;

- le droit de propriété a été reconnu dès lors que le contrat de location a été poursuivi après l'ouverture de la procédure collective, de sorte qu'il échappe au domaine de l'action en revendication et elle n'a fait qu'exercer son droit de propriété en reprenant possession de la pelle hydraulique abandonnée dans un étang par la société BMC ;

- le jugement déféré porte une atteinte disproportionnée à son droit de propriété tel que protégé par l'article 545 du code civil et de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où elle n'a fait qu'exercer son droit de propriété en reprenant son bien qui avait été abandonné dans un étang aux fins d'éviter sa destruction face à l'inaction du locataire et dans la mesure où la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l'inopposabilité du droit de propriété d'un propriétaire à la procédure collective ne porterait pas atteinte à son droit de propriété est artificielle puisqu'il est en réalité dépossédé de manière définitive non seulement de son bien mais aussi de sa valeur ;

- la société BMC n'a pas réglé les loyers de mars à novembre dans le cadre de la poursuite du contrat, créance postérieure à l'ouverture de la procédure collective qui n'avait pas être déclarée ;

- Me [N] [C], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BMC a violé l'article 5 du contrat de location et l'article 1732 du code civil lui causant un préjudice qu'il convient de réparer ;

- en raison des manquements contractuels de Me [N] [C], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BMC la résiliation judiciaire du contrat doit être ordonnée et cette créance indemnitaire devra être déclarée selon les dispositions de l'article R. 622-21 du code de commerce.

Pour sa part, l'intimé soutient essentiellement que :

- le tribunal de commerce de Lille Métropole a une compétence exclusive pour statuer sur son action en restitution par application des dispositions de l'article R 662'3 du code de commerce ;

- les dispositions de l'article L. 624-9 du code de commerce ont pleinement vocation à s'appliquer dans la mesure où, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l'atteinte portée aux droits de propriété répond un motif d'intérêt général et n'a pas pour effet d'entraîner la privation du droit de propriété ou d'en dénaturer sa portée;

- faute d'avoir revendiqué son bien dans le délai de 3 mois après la publication au BODACC du jugement d'ouverture de la procédure collective, le droit de propriété de la société Philippe Travaux Publics est inopposable à la procédure collective;

- la société Philippe Travaux Publics a commis une voie de fait en prenant possession de son bien devenu le gage commun des créanciers et elle doit le restituer;

- faute de toute déclaration de créance, les demandes en paiement formées par la société Philippe Travaux Publics sont irrecevables.

MOTIVATION

Sur la compétence du tribunal de commerce de Lille

En l'espèce c'est par des motifs parfaitement justifiés que la cour d'appel adopte que les premiers juges ont estimé que la clause compromissoire n'avait pas vocation à s'appliquer à l'action en revendication du liquidateur judiciaire agissant dans l'intérêt collectif des créanciers.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de sursis à statuer

Selon l'article 378 du code de procédure civile ; la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.

Hors les cas où le sursis est imposé par la loi, le juge apprécie souverainement l'opportunité d'un sursis à statuer dans l'attente d'une décision au regard notamment des objectifs de bonne administration de la justice et de l'incidence que la décision attendue est susceptible d'avoir sur la solution du litige.

En l'espèce, la société Philippe Travaux Publics sollicite un sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de cassation saisi le 8 décembre 2016 de la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « Les articles L. 624-9 et L. 624-10-1 du code de commerce, en ce qu'ils ont pour effet de rendre inopposable à la procédure collective le droit du propriétaire sur les biens remis au débiteur dès lors qu'il ne les a pas revendiqués dans les trois mois du jugement d'ouverture, y compris lorsque les organes de la procédure ont demandé la continuation du contrat en vertu duquel les biens ont été remis, et sans que soit prévue une procédure de relevé de forclusion, portent-ils une atteinte disproportionnée au droit de propriété, tel qu'il est garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ' »

Or, cette décision a été rendue le 7 mars 2017 par la chambre commerciale qui a considéré qu'il n 'y avait pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel après avoir motivé que l'article L. 624-10-1 qui « soumet le propriétaire d'un bien, lorsque le contrat portant sur ce bien n'a pas fait l'objet d'une publicité, ce contrat fût-il continué à la demande des organes de la procédure collective, à l'obligation d'agir en revendication dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure collective du détenteur de ce bien, sous peine, selon l'interprétation qu'en donne la jurisprudence constante de la Cour de cassation, de rendre son droit inopposable aux organes de la procédure collective et aux créanciers du débiteur, n'a ni pour objet, ni pour effet d'entraîner la privation de ce droit ; que l'inopposabilité du droit de propriété sur le bien qui n'a pas été revendiqué dans le délai prévu par la disposition critiquée sanctionne la défaillance du propriétaire à se soumettre à la discipline collective instaurée en vue de la connaissance rapide du contenu du patrimoine du débiteur et du gage des créanciers, laquelle répond à un objectif d'intérêt général, sans porter une atteinte disproportionnée aux conditions d'exercice de ce droit au regard de l'objectif poursuivi, dès lors, en outre, que le délai ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité absolue d'agir ; que la question posée ne présente donc pas de caractère sérieux au regard des exigences qui s'attachent aux principes de valeur constitutionnelle invoqués ».

Dans ces conditions , il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de cassation déjà intervenue, ni dans l'attente de celle du Conseil Constitutionnel puisque la question prioritaire de constitutionnalité ne lui a pas été transmise.

La demande de sursis à statuer sera donc rejetée

Sur le moyen tiré de l'existence d'une atteinte disproportionnée et illégitime au droit de propriété consacré par les articles 544 et 2227 du code procédure civile et par l'article 1er du protocole additionnel n°1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sur la demande de restitution du matériel formulée par le liquidateur judiciaire

Le deuxième alinéa de l'article L. 624-9 du code de commerce qui disposait que «pour les biens faisant l'objet d'un contrat en cours - au jour de l'ouverture, le délai court à partir de la résiliation du contrat» a été abrogé par l'article 41 de l'ordonnance 2008-1345 du 18 décembre 2008 de sorte que le seul texte applicable aux faits de la cause (applicable aux procédures ouvertes après le 15 février 2009) est l'article L. 624-9 du code de commerce dans sa version actuelle lequel dispose que «la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure». Ce délai de trois mois s'applique donc à toute revendication d'un bien, fut-il l'objet d'un contrat en cours au jour de l'ouverture de la procédure.

L 'appelante se contente d'alléguer d'une contrariété entre les dispositions de L. 624-9 précitées du code de commerce et celles des articles 545 et 2227 du code civil qui consacrent le droit de propriété et son caractère imprescriptible sans préciser à quel titre le juge judiciaire, qui n'est pas juge de la constitutionnalité de la loi, pourrait écarter une disposition légale interne au regard d'une autre disposition légale interne. En tout état de cause, la loi prévoit de multiples exceptions au caractère absolu du droit de propriété consacré par l'article 545 du code procédure civile, et il n'appartient qu'au conseil constitutionnel statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité de les déclarer le cas échéant inconstitutionnelles au regard de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

En revanche, il résulte de l'article 55 de la Constitution que les traités et accords internationaux, régulièrement ratifiés ou approuvés et publiés, ont, sous réserve de leur application réciproque par l'autre partie, une autorité supérieure aux lois et règlements. En conséquence, dès lors que la juridiction judiciaire est saisie d'un moyen tiré de la méconnaissance du droit de l'Union européenne, il lui appartient de se prononcer quant à la compatibilité entre les dispositions internes et les dispositions du droit européen en exerçant ainsi un contrôle de la conventionnalité de la loi interne. La question se pose de déterminer si les dispositions L. 624-9 du code de commerce portent atteinte aux droits et libertés garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et plus précisément à l'article 1er al. 1 de son protocole additionnel n°1 qui dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. »

Les restrictions à l'exercice du droit de propriété par le législateur sont admises par l'article précité à condition qu'elles soient justifiées par une cause d'utilité publique et proportionnées au but recherché.

Par ailleurs, la compatibilité d'une loi avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l'application des dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention. Il appartient par conséquent au juge d'apprécier concrètement si, au regard des finalités des dispositions législatives en cause, l'atteinte aux droits et libertés protégés par la convention qui résulte de la mise en oeuvre de dispositions, par elles-mêmes compatibles avec celle-ci, n'est pas excessive, et le cas échéant de ne pas appliquer au cas d'espèce la loi interne dont l'application constituerait une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention.

Sur ce

De manière générale, la restriction apportée au droit de propriété que constitue l'inopposabilité du droit de propriété aux organes de la procédure collective et aux créanciers du débiteur au propriétaire qui n'a pas agi dans le délai de trois mois à compter de la publication de la décision d'ouverture d'une procédure collective est justifiée par l'objectif d'intérêt général d'instauration d'une discipline collective en vue de la connaissance rapide du contenu du patrimoine du débiteur et du gage des créancier pour permettre la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi, ainsi que l'apurement du passif et ne porte pas une atteinte disproportionnée aux conditions d'exercice de ce droit au regard de l'objectif poursuivi dès lors que le délai ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité absolue d'agir.

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 624-9 du code de commerce ne sont pas en elles-mêmes incompatibles avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et qu'il n'y a pas lieu de les déclarer inconventionnelles. En revanche, il incombe à la cour d'appel au cas d'espèce de vérifier que l'application de ces dispositions ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans le droit de propriété garanti par l'article 1er al. 1 de son protocole additionnel n°1de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En dépit de l'interprétation que donne la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle l'inopposabilité de son droit de propriété aux organes de la procédure collective et aux créanciers du débiteur n'a ni pour objet, ni pour effet d'entraîner la privation de ce droit, le bien devenant le gage commun des créanciers sans transfert de sa propriété au débiteur, force est de constater qu'au cas d'espèce l'inopposabilité du droit de propriété aux organes de la procédure collective porte effectivement atteinte au droit de propriété du bailleur puisque celui-ci se retrouve définitivement privé du droit de jouir et de disposer de sa chose par la réalisation des actifs au stade de la liquidation.

Par ailleurs, au cas concret, il est établi qu'en avril 2014, la grue louée s'est retrouvée immergée dans un étang ce qui a dégradé le moteur. Si le 10 avril 2014, la société BMC a déclaré le sinistre à son assureur, le mandataire judiciaire ne justifie d'aucune démarche faite pour extraire le bien loué de l'étang et pour le réparer. C'est dans ce contexte, et alors que la liquidation judiciaire avait été prononcée le 7 octobre 2014, que la société Philippe Travaux Publics a repris possession de son bien le 21 novembre 2014.

Dès lors, force est de constater que les objectifs de permettre la sauvegarde de l'entreprise et le maintien de l'activité et de l'emploi ne sauraient justifier l'atteinte au droit de propriété du bailleur au cas d'espèce. Or, le seul objectif de permettre l'apurement du passif ne saurait constituer une cause d'utilité publique au sens de l'article 1er alinéa 1 du son protocole additionnel n°1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors même qu'il est par ailleurs constant que le bien litigieux n'avait pas été mentionné par le débiteur à l'inventaire prévu à l'article L. 622-6 et R. 622-4 du code de commerce.

Au de ces circonstances particulières, l'application des dispositions de l'article L. 624-9 du code de commerce au contrat de location litigieux constitue une ingérence disproportionnée dans le droit de propriété de la société Philippe Travaux Publics consacré par l'article 1er alinéa 1 du son protocole additionnel n°1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a donc lieu au cas d'espèce de les écarter.

En conséquence, le propriétaire a pu valablement reprendre possession de son bien et la demande de restitution formulée par le liquidateur judiciaire étant exclusivement fondée sur ces dispositions, il n'y a pas lieu d'y faire droit. Il s'ensuit que le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de paiement des loyers échus après le redressement judiciaire

Il est constant que la société Philippe Travaux Publics n'a déclaré aucune créance de loyer pour la période postérieure à l'ouverture du redressement judiciaire.

Pour autant, la dispense de créance et le privilège de paiement prévus aux article L 622-17 et L 641-13 I du code de commerce selon lesquels sont dispensées de déclaration de créance les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, bénéficient aux créances nées pendant la période d'observation relatives à des contrats en cours au jour du jugement pour lesquels le mandataire judiciaire n'a pas exercé son option, peut important l'absence de poursuite de l'activité ou l'absence de délivrance au mandataire judiciaire d'une mise en demeure d'opter sur la continuation du contrat.

Au cas d'espèce, le liquidateur judiciaire ne peut sérieusement arguer de l'absence de prestation fournie au débiteur alors même que le matériel loué était resté en la possession du débiteur jusqu'au mois de novembre 2014, et que l'obligation de payer un loyer est la contrepartie de la mise à disposition du bien au locataire.

Le redressement judiciaire ayant été converti en liquidation judiciaire le 7 octobre 2014, il y a lieu de fixer la créance de la société Philippe Travaux Publics à la liquidation judiciaire de la société Philippe Travaux Publics à la somme de 22 999,68 euros au titre des loyers impayés postérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire.

Il n'y a pas lieu d'ordonner la compensation avec des créances hypothétiques et l'appelante sera déboutée de sa demande formée à ce titre.

Sur la demande résiliation judiciaire et de dommages et intérêts

Aux termes de ses conclusions, la société Philippe Travaux Publics sollicite le prononcé de la résiliation judiciaire aux torts de la société BMC aux fins de bénéficier des dispositions de l'article R 622-21 du code de commerce. Or, cet article n'a vocation à s'appliquer qu'à la résiliation judiciaire sollicitée par le mandataire judiciaire dans le cadre des dispositions de l'article L 622-13 ou L.641-11-1 du code de commerce, et non pas à la demande formulée par le cocontractant.

Par ailleurs, l'appelante demande à la cour d'appel de dire que Me [N] [C] en sa qualité de liquidateur judiciaire a commis des manquements contractuels alors même le manquements qu'elle invoque, à savoir le sinistre survenu en avril 2010, a été commis pendant la période de redressement judiciaire, et ne peut être reproché qu'à la société débitrice et non pas au liquidateur judiciaire ès qualités qui n'était pas encore nommé comme liquidateur judiciaire. Quand au vol allégué, elle n'établit pas plus qu'il serait intervenu après le prononcé de la liquidation judiciaire.

Dans ces conditions, elle ne peut qu'être déboutée de ses demandes de résiliation judiciaire et de dommages et intérêts formulées au motif de manquements commis par le liquidateur judiciaire ès qualités.

A titre superfétatoire, il sera observé qu'en tout état de cause l'appelante échoue à établir le préjudice dont elle réclame l'indemnisation. En effet, si le matériel loué a subi des dégradations par suite du sinistre la société Philippe Travaux Publics a été indemnisée par l'assureur le GAN à hauteur de 31 320 euros. L'appelante ne réclame d'ailleurs pas de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice mais exclusivement en réparation du « préjudice complémentaire » né du vol de pièces pour lequel elle a déposé plainte le 24 novembre 2014. Or, alors que l'expert en assurance avait estimé que l'engin était économiquement irréparable, la société Philippe Travaux Publics ne justifie pas avoir procédé aux réparations alléguées comme étant liées au vol pour lesquelles elle produit seulement un devis en date du 2 février 2015 et les autres factures produites ne concernent pas le préjudice allégué suite au vol mais suite au sinistre pour lequel elle a été indemnisée par son assureur.

Au vu de ces éléments, il y a lieu de débouter l'appelante de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l'équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l'autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Il y a lieu de réformer a décision déférée du chef des dépens et des frais irrépétibles. L'équité et la situation économique des parties justifient qu'elles conservent la charge de leurs dépens et de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a retenu sa compétence ;

Statuant à nouveau :

Déboute l'appelante de sa demande de sursis à statuer ;

Dit qu'au vu des circonstances particulières de l'espèce l'application des dispositions de l'article L. 624-9 du code de commerce au contrat de location litigieux constitue une ingérence disproportionnée dans le droit de propriété de la société Philippe Travaux Publics consacré par l'article 1er alinéa 1 du protocole additionnel n°1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et écarte l'application de ces dispositions pour le présent litige ;

Déboute Me [N] [C] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société BMC de sa demande de restitution de la pelle hydraulique à chenilles JS210LC n° de série 1701644,

Déboute la société Philippe Travaux Publics de sa demande de dommages et intérêts ;

Fixe la créance de la société Philippe Travaux Publics à la liquidation judiciaire de la société BMC la somme de 22 999,68 euros au titre des loyers impayés postérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire ;

Déboute la société Philippe Travaux Publics de sa demande de compensation ;

Déboute la société Philippe Travaux Publics du surplus de ses demandes ;

Dit que les parties conservent la charge de leurs dépens et frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Le GreffierLe Président

V. RoelofsM.A.Prigent


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 1
Numéro d'arrêt : 16/07372
Date de la décision : 23/11/2017

Références :

Cour d'appel de Douai 21, arrêt n°16/07372 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-11-23;16.07372 ?
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