République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 06/07/2017
***
N° de MINUTE :
N° RG : 16/01891
Jugement (N° 11/01313)
rendu le 12 janvier 2016 par le tribunal de grande instance de Lille
APPELANTE
La Mutuelle des Architectes Français, prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée et assistée par Me Véronique Ducloy, avocat au barreau de Lille, substituée à l'audience par Me Anaïs Bertincourt, avocat au barreau de Lille
INTIMÉE
SA Les Souscripteurs des Lloyd's de Londres représentée par la SA Lloyd's France agissant par ses représentant légaux,
ayant son siège social
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Eric Laforce, membre de la SELARL Eric Laforce, avocat au barreau de Douai
assistée de Me Laurent Karila, avocat au barreau de Paris, substitué à l'audience par Me Valentin Boullet, avocat au barreau de Paris
DÉBATS à l'audience publique du 22 mai 2017, tenue par Etienne Bech magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine Popek
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Etienne Bech, président de chambre
Christian Paul-Loubière, président de chambre
Isabelle Roques, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 juillet 2017 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par M. Etienne Bech, président et Claudine Popek, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 18 mai 2017
***
Vu le jugement rendu le 12 janvier 2016 par le tribunal de grande instance de Lille ;
Vu la déclaration d'appel de la société Mutuelle des Architectes Français, ci-après désignée MAF, reçue au greffe de la cour de ce siège le 25 mars 2016 ;
Vu les conclusions de la société MAF déposées le 5 avril 2017 ;
Vu les conclusions de la personne morale dénommée Les Souscripteurs des Lloyd's de Londres, ci-après désignée Les Lloyd's, déposées le 25 avril 2017 ;
Vu l'ordonnance de clôture prise le 18 mai 2017 ;
* * * * *
EXPOSE DU LITIGE
Dans le cadre de la construction d'un bâtiment devant abriter des courts de tennis, la commune de Toufflers a confié à M. [O] [O], assuré par la société MAF, une mission de maîtrise d'oeuvre acceptée par acte d'engagement du 31 juillet 1992 et à la société Vanacker & Cie, ci-après désignée Vanacker, assurée par Les Lloyd's, l'exécution des travaux dépendant du lot ' couverture bardage'.
La réception des travaux de couverture bardage est intervenue le 30 juin 1993.
Ayant constaté des infiltrations sur les murs du bâtiment et en différents points de la couverture, la commune de Toufflers a assigné M. [O] et Les Lloyd's devant le tribunal administratif de Lille qui, par jugement du 27 juin 2006, a condamné M. [O] à payer à la commune de Toufflers les sommes de 76 448,11 euros avec intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2001 au titre de la réparation des désordres, de 9 967,43 euros pour les frais d'expertise et de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles et a constaté son incompétence pour statuer sur les demandes de la commune contre Les Lloyd's. Le jugement a été confirmé par arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 5 juillet 2007.
Saisi par la société MAF de demandes dirigées contre Les Lloyd's, le tribunal de grande instance de Lille, par le jugement susvisé, les a déclarées irrecevables par l'effet de la prescription, et a condamné la société MAF à payer aux Lloyd's la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par ses conclusions susvisées, la société MAF demande à la cour de réformer le jugement du tribunal de grande instance de Lille, de condamner les Lloyd's à la garantir des condamnations prononcées contre elle par le tribunal administratif de Lille au titre des désordres n°2, 4 et 5, du trouble de jouissance et des dépens dont les frais d'expertise, à savoir la somme de 93 201,80 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2006, de condamner les Lloyd's au titre de la quote-part revenant à la société Vanacker que la société MAF a été amenée à régler à la commune de Toufflers en lieu et place de cette société et des Lloyd's, de débouter les Lloyd's de leurs demandes et de les condamner au paiement de la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par leurs conclusions susvisées, les Lloyd's demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il déclare prescrite l'action de la MAF à leur encontre, subsidiairement de la débouter de ses demandes, plus subsidiairement de juger que la quote-part de responsabilité de la société Vanacker et donc le recours de la société MAF à leur encontre ne peut excéder la somme de 21 994,20 euros pour les désordres matériels et la somme de 2 500 euros pour le préjudice de jouissance, et en toute hypothèse de juger que les intérêts légaux ne sont pas dus à la MAF à compter du 6 novembre 2006, de juger qu'ils n'ont pas vocation à rembourser les frais de justice et d'expertise et de condamner la société MAF à leur payer la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties, la cour renvoie expressément à leurs conclusions ci-dessus visées.
DISCUSSION
Ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, un constructeur ayant indemnisé le maître de l'ouvrage en vertu de son obligation de garantie n'est pas subrogé dans les droits de celui-ci lorsqu'il exerce une action récursoire contre les autres constructeurs et cette action ne peut s'inscrire que dans le cadre des relations de droit entre les différents constructeurs, à savoir en mettant en jeu la responsabilité quasi-délictuelle des co-obligés.
Il en est de même de l'action récursoire exercée par l'assureur d'un constructeur contre celui d'un autre intervenant aux opérations de construction, dès lors que l'assureur qui a payé l'indemnité au maître de l'ouvrage n'est pas subrogé dans les droits de celui-ci mais dans ceux de son assuré.
L'action de la société MAF contre les Lloyd's est en conséquence enfermée dans le délai fixé par l'article 2270-1 ancien du code civil qui dispose que les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.
Dans son rapport d'expertise déposé devant la juridiction administrative, M. [V] indique avoir constaté des pénétrations d'eau par les joints de la maçonnerie de certains pignons, des infiltrations ponctuelles par la toiture au-dessus des deux courts de tennis, des infiltrations d'eau par l'ensemble des chéneaux, des infiltrations d'eau par la toiture du hall et des annexes et un piquetage du revêtement en feuilles de zinc du hall et des annexes.
Or, dans une lettre du 20 décembre 1994, M. [O] se plaint à ' l'entreprise Ducrocq et Catoire', groupe auquel selon les indications non contestées des Lloyd's appartenait la société Vanacker, 'd'infiltrations importantes au droit d'un chéneau principal encaissé au-dessus du local rangement' et il ajoute que lors de ses visites, il a 'vu l'humidité importantes à des endroits pouvant mettre en doute la couverture que vous avez réalisée'.
Il ressort de cette lettre que M. [O] avait connaissance au 20 décembre 1994 des désordres qui feront l'objet de la procédure engagée par la commune de Toufflers devant les juridictions administratives. En effet, si M. [O] fait en premier lieu état d'infiltrations au niveau d'un chéneau principal au dessus du local de rangement, il évoque également la présence d'humidité à d'autres endroits qui l'amène à remettre en cause l'étanchéité de la couverture, rejoignant ainsi les constatations de M. [V] qui a relevé des infiltrations en plusieurs points de la toiture.
Si le dernier paragraphe de la lettre de M. [O] contient une invitation à la société Vanacker à assister à des vérifications sur la couverture, il s'agissait pour l'architecte de confirmer son appréciation quant à l'origine des désordres constatés et non de s'interroger sur la réalité de ceux-ci.
Par ailleurs, les termes employés par M. [O] manifestent qu'il mesurait la gravité des désordres dénoncés. M. [O] estime que les infiltrations au niveau du chéneau principal sont 'importantes' et il en est de même selon lui de l'humidité qui est apparue à plusieurs endroits.
Enfin, M. [O] fait savoir au destinataire de la lettre que ' le maître de l'ouvrage, soucieux d'en terminer avec ces phénomènes d'infiltration, menace les entreprises d'ester en justice pour obtenir réparations'.
Il apparaît ainsi que M. [O] connaissait à la date de la lettre l'existence et l'ampleur des désordres litigieux et qu'il en avait décelé l'origine. Le maître de l'ouvrage avait la même connaissance des désordres puisqu'il s'était ouvert à l'architecte de son intention d'agir en justice pour parvenir à une indemnisation. En particulier, l'architecte avait observé des infiltrations par la toiture et non pas seulement comme le soutient la société MAF au travers des murs.
Ainsi, le point de départ de la prescription édictée par l'article 2270-1 ancien du code civil, tant à l'égard de l'architecte que de son assureur subrogé dans ses droits, doit être fixée au 20 décembre 1994.
La société Maf affirme qu'une intervention de la société Vanacker dans le bâtiment construit pour la commune de Toufflers avait permis dans un premier temps de supprimer les infiltrations et que celles-ci sont réapparues postérieurement. Cependant, aucun élément n'est apporté pour étayer cette allégation, ou l'indication que les tests d'étanchéité de la toiture n'avaient révélé aucune infiltration.
Il est indifférent que par l'introduction de la procédure devant le tribunal administratif la commune de Toufflers ait interrompu le délai d'action en garantie décennale dès lors que, ainsi que rappelé plus haut, la société MAF n'est pas subrogée dans les droits du maître de l'ouvrage mais dans ceux de son assuré.
D'autre part, en ce qu'elle est subrogée dans les droits de son assuré maître d'oeuvre tenu dans le cadre de son action récursoire contre les autres constructeurs de se conformer aux modalités d'action aux fins de mise en oeuvre de la responsabilité délictuelle et notamment du délai de prescription établi spécifiquement par l'article 2270-1 ancien du code civil, la société MAF ne peut se prévaloir des règles générales gouvernant la subrogation.
La société MAF était donc tenue d'exercer son action contre les Lloyd's dans le délai de dix ans à compter du 20 décembre 1994. Ce délai était expiré lorsqu'elle a assigné les Lloyd's devant le tribunal de grande instance de Lille le 28 janvier 2011 de sorte que son action est prescrite et ses demandes dirigées contre les Lloyd's irrecevables.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé.
Il serait inéquitable de laisser aux Lloyd's les frais irrépétibles qu'ils ont exposés en cause d'appel. La société MAF sera condamnée à leur payer à ce titre, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris et lui ajoutant :
Condamne la société Mutuelle des Architectes Français à payer à la personne morale Les Souscripteurs des Lloyd's de Londres la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
Déboute la société Mutuelle des Architectes Français de sa demande formée en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Mutuelle des Architectes Français aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par Me Eric Laforce selon les modalités prévues par l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffierLe président,
Claudine PopekEtienne Bech