République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 4
ARRÊT DU 06/07/2017
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N° de MINUTE :
N° RG : 15/03816
Jugement (N° 14-001062)
rendu le 03 Avril 2015
par le tribunal d'instance d'Arras
APPELANTE
Madame [N] [P]
née le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 1] - de nationalité française
demeurant : [Adresse 1]
Représentée par Me Isabelle Bion, avocat au barreau d'Arras
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 59178002/15/08795 du 29/09/2015 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai)
INTIMÉES
Madame [H] [T]
née le [Date naissance 2] 1922 à [Localité 1] décédée le [Date décès 1] 2015
Madame [Z] [A] épouse [D], venant en sa qualité d'héritière d'[H] [T], intervenant volontairement
née le [Date naissance 3] 1944 à [Localité 2] - de nationalité française
demeurant : [Adresse 2]
Représentée par Me Francis Deffrennes, avocat au barreau de Lille
Assistée de Me Anne-Sophie Gabriel, avocat au barreau d'Arras
DÉBATS à l'audience publique du 03 Novembre 2016 tenue par Hélène Billieres magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Martine Battais, président de chambre
Catherine Convain, conseiller
Hélène Billieres, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 Juillet 2017 après prorogation du délibéré du 26 janvier 2017 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Martine Battais, président et Maryline Burgeat, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 6 octobre 2016
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Suivant acte notarié du 16 juin 2011, Mme [H] [T] a donné à bail à Mme [N] [P] un logement situé à [Adresse 1], moyennant paiement d'un loyer mensuel de 500 euros, révisable.
Le 5 novembre 2013, Mme [T] a fait délivrer congé pour reprise à Mme [P].
Suivant acte d'huissier en date du 18 août 2014, Mme [P] a fait assigner Mme [T] devant le tribunal d'instance d'Arras pour voir déclarer le congé frauduleux.
Suivant acte d'huissier en date du 27 août 2014, Mme [T] a fait assigner Mme [P] afin d'obtenir la validation du congé et l'expulsion de Mme [P].
Les deux affaires ont été jointes.
Par jugement du 9 janvier 2015, le tribunal d'instance d'Arras a :
- validé le congé et constaté que Mme [P] était occupante sans droit ni titre à compter du 30 juin 2014,
- ordonné la libération des lieux à Mme [P] et à défaut autorisé son expulsion, avec le concours de la force publique si besoin est,
-condamné Mme [P] à payer une indemnité d'occupation égale au montant du loyer charges comprises, à compter du 30 juin 2014 et jusqu'à la libération effective des lieux.
Mme [P] a formé appel contre cette décision le 23 juin 2015.
[H] [T] est décédée le [Date décès 1] 2015, l'instance a été reprise par sa fille, Mme [Z] [A].
Dans ses dernières conclusions notifiées le 29 décembre 2015, Mme [P] demande à la cour d'infirmer le jugement et de :
- constater que le congé pour reprise délivré le 5 novembre 2013 est nul,
- condamner Mme [A] à effectuer les travaux nécessaires pour remédier aux désordres affectant les menuiseries intérieures, les vitres des fenêtres, l'isolation, le carrelage situé dans la cuisine au dessus de l'évier, le carrelage de la terrasse dans un délai de deux mois à compter de la signification du 'jugement' à intervenir,
-condamner Mme [A] au paiement de la somme de 150 euros par mois à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance jusqu'à la réalisation des travaux, et dire que cette somme se compensera avec les loyers,
- condamner Mme [A] aux dépens.
A l'appui de sa position, elle estime que le juge peut contrôler a priori le caractère frauduleux du congé, que Mme [T] était âgée, que les pièces principales du logement sont situées à l'étage et accessibles par un escalier escarpé, que Mme [T] n'aurait pu y monter, qu'elle dispose déjà d'un logement dans le même immeuble. Elle souligne que la fraude est manifeste, que Mme [A] n'aurait jamais pu résider dans ce logement, que le congé est désormais sans objet, et qu'il doit être annulé.
Elle fait valoir que le logement est affecté de nombreux désordres, et indique que suite au décès de Mme [T] elle ne savait pas à qui régler le loyer, ce qui a depuis été régularisé.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 15 avril 2016, Mme [A] demande à la cour de lui donner acte de son intervention volontaire, et conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de Mme [P] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Elle rappelle qu'en vertu des dispositions applicables à la date de délivrance du congé, le juge ne peut faire de contrôle a priori du motif du congé, que le seul âge et le fait que Mme [T] possédait d'autres appartements dans l'immeuble ne peut suffire à caractériser une fraude manifeste et que Mme [P] ne peut soutenir que le congé a été délivré pour éviter d'avoir à faire les travaux, dès lors qu'elle ne justifie pas avoir informé Mme [A] des difficultés qu'elle prétend rencontrer.
Elle ajoute que la demande de travaux est fondée sur des éléments parcellaires et que si l'immeuble est dans un tel état de vétusté, on ne comprend pas pourquoi Mme [P] s'obstine à y rester.
Elle indique que des sommes demeurent impayées par Mme [P].
SUR CE
Sur le congé
L'article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 dispose que lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être motivé par sa décision de reprendre ou vendre le logement et que le congé doit préciser les nom et adresse du bénéficiaire, qui ne peut être que le bailleur, son conjoint, son concubin, ses descendants ou ses ascendants.
Dans sa rédaction postérieure à la loi du 24 mars 2014, ce même article précise que le bailleur doit justifier du caractère légitime et sérieux de la reprise, et que le juge peut, même d'office, vérifier la réalité du motif du congé.
L'article 14 de la loi du 24 mars 2014 prévoit que les contrats de location en cours à la date d'entrée en vigueur de la présente loi demeurent soumis aux dispositions qui leur étaient applicables sous réserve d'un certain nombre de dispositions, parmi lesquelles ne figure pas l'article 15 précité.
Néanmoins, les dispositions relatives aux modalités selon lesquelles un congé peut être délivré relèvent des effets de la loi et non de la volonté des parties. Il s'ensuit qu'il y a lieu de faire application des dispositions nouvelles relatives à la délivrance des congés aux contrats en cours.
En l'espèce, le contrat a été signé et le congé délivré avant l'entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014 mais le congé a pris effet à une date postérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi.
En conséquence, le juge a le pouvoir de vérifier a priori le caractère légitime et sérieux de la reprise.
Mme [T] a délivré congé pour occuper personnellement le logement.
Il n'est pas discuté qu'elle disposait déjà d'un logement au rez de chaussée de l'immeuble dans lequel se situe l'appartement loué par Mme [P]. Par ailleurs, les attestations de Mme [X] [B] et de M. [U] [C] établissent que Mme [T] était âgée de près de 92 ans à la date de délivrance du congé, qu'elle avait des difficultés de déplacement et souffrait d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge et que l'appartement objet du litige est situé à l'étage, accessible uniquement par un escalier dépourvu de rampe.
Dans ces conditions, alors qu'elle bénéficiait déjà d'un logement dans l'immeuble dont aucun élément ne vient démontrer qu'il n'était pas conforme à ses besoins personnels, il n'apparaît pas sérieux de soutenir qu'elle entendait effectivement s'installer dans un appartement plus difficilement accessible eu égard à son état de santé et qu'elle avait mis en location moins de trois ans auparavant. Le congé a donc été délivré en fraude des droits de la locataire.
Il convient donc d'infirmer le jugement entrepris et d'annuler le congé délivré le 5 novembre 2013.
Sur la demande d'exécution de travaux et de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance
L'article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 fait obligation au bailleur de délivrer un logement décent.
Mme [P] verse aux débats cinq photos, dont il n'est pas possible de déterminer qu'elles concernent le logement en cause. La seule attestation de Mme [X] [B] qui décrit la succession des locataires de l'appartement et fait état de la vétusté des fenêtres, ne suffit pas à démontrer que le logement n'est pas conforme aux normes de la décences tels que définies par l'article 2 du décret n° 2002-120 du 31 décembre 2002.
L'existence du trouble de jouissance n'est pas démontrée, la demande de dommages et intérêts doit être rejetée.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [P] de sa demande de travaux et de dommages et intérêts.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Partie perdante, Mme [A] doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel. L'équité justifie de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile .
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement du tribunal d'instance du 9 janvier 2015 sauf en ce qu'il a rejeté la demande de travaux et de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance formée par Mme [N] [P] ;
Statuant à nouveau :
Annule le congé délivré le 5 novembre 2013 portant sur les locaux situés [Adresse 1] ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [Z] [A] aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière,Le président,
M. BurgeatM. Battais