République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 06/04/2017
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N° de MINUTE :
N° RG : 16/06604
Ordonnance (N° 15/00309)
rendue le 20 octobre 2016 par le tribunal de grande instance de Béthune
APPELANTE
Société TER'A Architecture
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 17]
[Adresse 14]
INTERVENANTE VOLONTAIRE
Mutuelle des Architectes Français (MAF)
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 22]
[Adresse 20]
représentées et assistées de Me Véronique Ducloy, membre du cabinet Ducloy Croquelois Bertincourt, avocat au barreau de Lille
INTIMÉES
SA Maisons & Cités anciennement dénommée Maisons & Cités SOGINORPA
prise en la personne de ses représentant légal
ayant son siège social [Adresse 5]
[Adresse 11]
représentée par Me Nadia Canonne, membre de la SELARL Nadia Canonne Avocats, avocat au barreau de Lille
assistée de Me Loïc Jarsaillon, membre de la SELARL Nadia Canonne Avocats, avocat au barreau de Lille
SA Bureau Véritas
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 3]
[Adresse 16]
assignée le 29 novembre 2016 à personne habilitée - n'ayant pas constitué avocat
Société QBE Insurance Europe Limited
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 1]
[Adresse 26]
[Adresse 23]
assignée le 29 novembre 2016 à personne habilitée - n'ayant pas constitué avocat
SA Ramery Bâtiment
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 19]
[Adresse 10]
SMA venant aux droits de la SMABTP
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 2]
[Adresse 21]
représentées et assistées de Me Guy Dragon, membre de la SCP Dragon & Biernacki, avocat au barreau de Douai, substitué à l'audience par Me Biernacki, avocat
SAS Menuiseries d'Artois
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 6]
[Adresse 13]
assignée le 29 novembre 2016 à personne habilitée - n'ayant pas constitué avocat
SARL Maniez Père et Fils
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 27]
[Adresse 15]
SA AXA France IARD
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 8]
[Adresse 24]
représentées par Me Loïc Le Roy, membre de la SELARL Lexavoue Amiens Douai, avocat au barreau de Douai
assistées de Me Christian Delevacque, avocat au barreau d'Arras, substitué à l'audience par Me Océane Houlmann, avocat au barreau d'Arras
Mutuelle du Mans assurances IARD (MMA IARD) et MMA IARD assurances mutuelles venant aux droits de Covea Risks
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 4]
[Adresse 18]
assignées le 1 décembre 2016 à personne habilitée - n'ayant pas constitué avocat
SAS Entreprise Cannata
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 7]
[Adresse 25]
[Adresse 12]
assignée le 5 décembre 2016 à personne habilitée - n'ayant pas constitué avocat
SAS Chauff Artois
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 9]
[Adresse 28]
[Adresse 16]
assignée le 5 décembre 2016 à domicile - n'ayant pas constitué avocat
DÉBATS à l'audience publique du 07 mars 2017 tenue par Etienne Bech magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine Popek
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Etienne Bech, président de chambre
Isabelle Roques, conseiller
Caroline Pachter-Wald, conseiller
ARRÊT RENDU PAR DÉFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 avril 2017 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Etienne Bech, président et Claudine Popek, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 28 février 2017
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Vu l'ordonnance rendue le 20 octobre 2016 par le juge chargé du contrôle des expertises du tribunal de grande instance de Béthune ;
Vu la déclaration d'appel de la société TER'A Architecture reçue au greffe de la cour d'appel le 2 novembre 2016 ;
Vu les conclusions de la société Ramery Bâtiment et la Société d'Assurances Mutuelles déposées le 6 février 2017 ;
Vu les conclusions des sociétés Axa France Iard et Maniez Père et Fils déposées le 10 février 2017 ;
Vu les conclusions de la société TER'A Architecture, ci-après désignée TER'A, et de la société Mutuelle des Architectes Français, ci-après désignée MAF, déposées le 24 février 2017 ;
Vu les conclusions de la société Maisons et Cités déposées le 28 février 2017 ;
Vu les observations écrites de M. [X] [P] ;
Vu l'ordonnance de clôture prise le 28 février 2017 ;
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EXPOSE DU LITIGE
Par ordonnance de référé du 2 décembre 2015, M. [P] a été chargé d'une expertise judiciaire dans le cadre d'un litige opposant la société Maisons et Cités à différents participants à une opération de construction et leurs assureurs, en particulier à la société TER'A intervenue à la suite du décès de l'architecte chargé de la maîtrise d'oeuvre de l'opération.
Par lettre reçue au greffe du tribunal de grande instance de Béthune le 9 septembre 2016, la société TER'A a demandé la récusation de l'expert.
Par l'ordonnance susvisée, le juge chargé du contrôle des expertises a déclaré la demande irrecevable.
Par leurs conclusions susvisées, les sociétés TER'A et MAF, cette dernière indiquant intervenir volontairement à l'instance d'appel, demandent à la cour de réformer l'ordonnance du 20 octobre 2016, de prononcer la récusation de M. [P] et de nommer un autre expert pour le remplacer.
Par ses conclusions susvisées, la société Maisons et Cités sollicite la confirmation de l'ordonnance entreprise, subsidiairement demande à la cour de déclarer irrecevable la demande de la société TER'A, plus subsidiairement de la débouter de cette demande et en tout hypothèse de la condamner au paiement de la somme de 1000€ au titre des frais irrépétibles.
Par leurs conclusions susvisées, les sociétés Ramery Bâtment et Société d'Assurances Mutuelles indiquent qu'elles s'en rapportent à la décision de la cour.
Par leurs conclusions susvisées, les sociétés Axa France Iard et Maniez Père et Fils s'en rapportent également à la décision de la cour tant sur la recevabilité de la demande de récusation qu'en ce qui concerne sa pertinence.
Pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties, la cour renvoie expressément à leurs conclusions ci-dessus visées.
Les autres parties aux opérations d'expertise n'ont pas conclu.
DISCUSSION
sur les fins de non-recevoir soulevées par la société Maisons et Cités
La société Maisons et Cités estime en premier lieu que la société TER'A est dépourvue d'intérêt à agir pour obtenir la récusation de M. [P] dès lors qu'est invoquée l'inimitié dont ferait preuve l'expert envers M [W], dirigeant de la société TER'A mais que l'expert mettrait en cause à titre personnel.
Mais il peut être observé à la lecture de la requête en récusation présentée devant le juge chargé du contrôle des expertises ainsi que des conclusions déposées devant la cour que la mise en cause jugée déplacée de M. [W] n'est pas le seul grief formulé par la société TER'A qui reproche également à M. [P] de prendre position avant même toute investigation sur les responsabilités des intervenants aux opérations de construction et notamment de la société TER'A.
Ainsi, la société TER'A peut se prévaloir d'un intérêt à solliciter la récusation de M. [P] qui lui semble porter des avis non fondés à son désavantage.
Par ailleurs, la société Maisons et Cités soutient que la requête de la société TER'A est tardive.
L'article 234 du code de procédure civile dispose que la partie qui entend récuser un technicien doit le faire avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de récusation.
En l'espèce, dans une observation adressée le 21 mai 2016 à M. [P], la société TER'A fait état du caractère qu'elle juge prématuré des appréciations de l'expert sur les responsabilités, de la mise en cause intempestive de M. [W] à titre personnel et de l'inobservation par l'expert de la contradiction. La société TER'A réitérera ce dernier reproche dans deux observations à l'expert des 21 et 23 juin 2016, après avoir appris que l'expert avait pris contact avec les conseils de certaines parties et entendait utiliser des éléments recueillis avant que ne se tienne la première réunion d'expertise. La société TER'A renouvellera dans la seconde observation son opposition à la mise en cause de M. [W] à titre personnel.
Si la société TER'A a pu suspecter une attitude de l'expert qu'elle juge contraire à ses obligations dès le 21 mai 2016, elle fait également état d'éléments tirés des échanges postérieurs entre les parties et l'expert, comme la confirmation par un conseil d'une autre partie d'une intervention de l'expert auprès de lui et une réponse de l'expert du 16 juin 2016 précisant qu'il compter intégrer dans sa réflexion des données non débattues lors de la première réunion d'expertise du 8 avril 2016, ce qui a donné lieu à la seconde observation de la société TER'A.
Par ailleurs, la requête de la société TER'A a été présentée après la première réunion d'expertise et la première note de l'expert qui a mis en lumière les démarches jugées inadaptées par la société TER'A et avant qu'il ne soit procédé à d'autres opérations dans le cadre de l'expertise et dès que le magistrat chargé du contrôle de l'expertise a interrogé les parties sur des demandes de l'expert en prolongation du délai d'exécution de l'expertise et de consignation d'une provision complémentaire.
Il apparaît ainsi que la requête en récusation a été formée dans le respect de la condition de diligence imposée par le texte précité.
Les fins de non-recevoir doivent en conséquence être rejetées.
au fond
Il y a lieu à titre liminaire de donner acte à la société Mutuelle des Architectes Français de son intervention à l'instance en récusation.
L'article 237 du code de procédure civile dispose que le technicien commis pour exécuter une mesure d'instruction doit accomplir sa mssion avec conscience, objectivité et impartialité.
La société TER'A reproche d'abord à M. [P] d'avoir procédé à l'analyse de documents fournis par la société Maisons et Cités sans en avoir préalablement conféré avec les avocats des parties et alors que la réunion d'expertise du 8 avril 2016 qui avait précédé cet examen n'avait donné lieu à aucune opération technique et avait seulement pour objet de définir le contexte de l'expertise. Mais cette manière de procéder dénoncée par la société TER'A ne révèle pas un défaut d'impartialité de la part de l'expert dans la mesure où toutes les autres parties à l'expertise pourraient s'en plaindre, certains conseils ayant d'ailleurs fait part à M. [P] de leur désaccord sur l'exposé par lui des premiers résultats de son analyse dans un compte rendu de la réunion daté du 15 mai 2016 et diffusé le 17 mai suivant par voie électronique. Il en est de même de la constatation par la société TER'A que M. [P] évoque dans son compte rendu des données recueillies au cours d'une expertise concernant une autre opération de construction menée par la société Maisons et Cités.
La société TER'A expose ensuite que M. [P] a pris contact directement avec les conseils de certaines des parties lui ayant adressé des observations sur le compte rendu de la réunion du 8 avirl 2016. Mais ce comportement de l'expert ne s'est pas limité à ses relations avec le conseil de la société TER'A et ne révèle pas un sort particulier réservé à la société ou son conseil.
La société TER'A fait d'autre part état d'une inimitié notoire manifestée par M. [P] envers M. [N] [W]. Mais seul M. [W] pourrait déplorer une antipathie de M. [P] à son égard, la société TER'A n'étant pas quant à elle en position de s'en prévaloir au soutien de la demande en récusation formée par elle.
En revanche, dans le rapport précité du 15 mai 2016, M. [P] estime que la présence de M. [W] comme 'représentant' de la société TER'A lors de la réunion du 8 avril 2016 n'était pas pleinement utile et qu'il ne peut se 'ranger au seul avis de la Société TER'A Architecture, assurée MAF en tant qu'entité impersonnelle où les actionnaires ne sont pas responsables, représentée par Me Ducloy prenant avis auprès de M. [W], lui-même assuré à la société MAF'. L'expert précise en outre avoir pris contact avec le conseil de l'ordre des architectes le 21 janvier 2016 au sujet de M. [W].
M [P] indique également dans le même rapport qu'il 'entrevoit des responsabilités distinctes entre l'action de la Société TER' Arcrhitecture lors de l'élévation des logements et le conseil de M . [W] en tant qu'architecte', il note que la place normale du tableau général basse tension dans une maison individuelle avec garage 'n'est pas vérifiée à la lecture des plans et dispositions électriques soumises à la Société Maniez ou imposées par la maîtrise d'oeuvre de conception' et que 'les dossiers des ouvrages exécutés (DOE) imputés à la maîtrise d'oeuvre' ne font pas mention de certains documents techniques.
Par ailleurs, M. [P] formulait dans le compte rendu du 15 mai 2016 une demande de communication de pièces à la société TER'A et il précisait en fin de document que les diligences attendues des parties devraient être effectuées dans un délai de trois semaines à compter de la réception par elles du compte rendu. Or, par lettre datée du 19 mai 2016 et adressée au juge chargé du contrôle des expertises, M. [P] évoque 'la défaillance des Sociétés TER'A Architecture et Véritas, par l'absence de pièces au dossier et d'éléments attestant leur rôle auprès de la Société SOGINORPA'.
Il ressort de ces éléments que M. [P] a effectué une démarche auprès de l'ordre des architectes au sujet de M. [W] sans que le conseil de la société TER'A ait été prévenu de cette diligence qui, même si elle était réalisée dans la perspective de la mise en cause de M. [W] à titre personnel visait ainsi un responsable de la société TER'A, que l'expert a mentionné dans le compte rendu d'une première réunion d'expertise des constatations mettant en cause la société TER'A et a clairement évoqué la responsabilité de cette dernière quant aux désordres faisant l'objet de l'expertise alors qu'il n'est pas contesté qu'aucune investigation n'avait été entreprise lors de la réunion du 8 avril 2016 et que notamment, ainsi que le feront remarquer les conseils de certaines parties, la réalité des désordres n'avait pas été constatée, et que M. [P] a dénoncé au magistrat chargé du contrôle de l'expertise une carence de la société TER'A dans la production de documents avant même l'expiration du délai qu'il avait laissé à cette partie pour s'exécuter. Ces interventions et appréciations de M. [P] sont de nature à faire naître chez la société TER'A la crainte légitime d'un parti pris de l'expert qui pourrait fausser son avis sur les questions incluses dans la mission d'expertise et qui quoi qu'il en soit est incompatible avec l'assurance d'impartialité qu'elle peut attendre de l'expert.
Il convient en conséquence, par application de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 234 du code de procédure civile, de prononcer la récusation de M. [P].
En revanche, il n'appartient pas à la cour de procéder au remplacement de M. [P].
PAR CES MOTIFS
Donne acte à la société Mutuelle des Architectes Français de son intervention à l'instance en récusation.
Infirme l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau :
Rejette les fins de non-recevoir soulevées par la société Maisons et Cités.
Prononce la récusation de M. [X] [P].
Dit qu'il devra être remplacé par un autre expert pour qu'il soit procédé aux opérations d'expertise prescrites par l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Béthune du 2 décembre 2015.
Déboute la société Maisons et Cités de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Dit n'y avoir lieu à dépens ni en première instance ni en cause d'appel.
Le greffier,Le président,
Claudine Popek.Etienne Bech.