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16/03/2017 | FRANCE | N°15/06863

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 2, 16 mars 2017, 15/06863


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 2



ARRÊT DU 16/03/2017



***





N° de MINUTE :

N° RG : 15/06863



Jugement (N° 2013000115)

rendu le 05 Novembre 2015 par le tribunal de commerce de Lille Métropole







APPELANTE



SNC Victoria lofts 2 prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social

[Adresse 1]

[Localité 1]



représ

entée par Me Gwendoline Muselet, membre de la SELARL Espace juridique avocats, avocat au barreau de Lille

assistée de Me Gilles Grardel, avocat au barreau de Lille, substitué à l'audience par Me Stanislas Leroux, avocat au barr...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 2

ARRÊT DU 16/03/2017

***

N° de MINUTE :

N° RG : 15/06863

Jugement (N° 2013000115)

rendu le 05 Novembre 2015 par le tribunal de commerce de Lille Métropole

APPELANTE

SNC Victoria lofts 2 prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Gwendoline Muselet, membre de la SELARL Espace juridique avocats, avocat au barreau de Lille

assistée de Me Gilles Grardel, avocat au barreau de Lille, substitué à l'audience par Me Stanislas Leroux, avocat au barreau de Lille

INTIMÉE

SAS Scarna Construction, prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée et assistée par Me Stéphane Dhonte, membre de la SELARL Dhonte & associés, avocat au barreau de Lille

INTERVANTES FORCÉES

SARL [J], prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social

[Adresse 3]

[Localité 3]

assignée le 15 juin 2016 à personne habilitée, n'ayant pas constitué avocat

SELAS [F] [H] et [G] [K], prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social

[Adresse 4]

[Localité 4]

représentée et assistée par Me Véronique Ducloy, avocat au barreau de Lille, substituée à l'audience par Me Marine Croquelois, avocat au barreau de Lille

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Christian Paul-Loubière, président de chambre

Isabelle Roques, conseiller

Caroline Pachter-Wald, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Claudine Popek

DÉBATS à l'audience publique du 24 janvier 2017

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 mars 2017 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par M. Christian Paul-Loubière, président, et Claudine Popek, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 20 janvier 2017

***

FAITS ET PRÉTENTIONS

Dans le cadre d'un projet de réhabilitation de la friche industrielle de la ZAC du parc de la filature située à [Localité 5], divers lots ont été cédés à des promoteurs immobiliers, parmi lesquels la société Victoria Lofts 2.

La société AMO Développement a été désignée comme assistante du maître de l'ouvrage.

Afin de réaliser son projet immobilier, la société Victoria Lofts 2 en a confié la maîtrise d'oeuvre à la société [F] [H] et [G] [K], architectes associés.

La société Scarna Construction a été désignée entreprise générale tous corps d'état, à l'exception de certains lots.

Le marché a été régularisé en décembre 2010 et, après avenant, s'élevait à 5 375 000 euros HT.

Les travaux devaient être achevés dans un délai de 18 mois hors intempéries.

Arguant de retards dans l'exécution des travaux, la société Victoria Lofts 2 a fait application de stipulations contractuelles relatives à ces retards et procédait à une retenue de 60 000 euros par mois, pour les mois de décembre 2012, janvier et mars 2013.

La réception des travaux, initialement prévue le 6 mai 2013, n'a pas eu lieu, malgré la fixation de rendez-vous ultérieurs pour y procéder.

Par acte en date du 31 mai 2013, la société Scarna Construction a fait assigner la société Victoria Lofts 2 devant le tribunal de commerce de Lille aux fins de constat du refus de cette dernière de lui fournir une garantie de paiement et de condamnation de celle-ci à lui verser 350 069,39 euros HT au titre de ses factures impayées et 80 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par acte en date du 18 juin 2013, la société Victoria Lofts 2 a fait assigner la société Scarna Construction devant le juge des référés du tribunal de commerce de Lille aux fins d'expertise judiciaire.

Dans une décision rendue le 24 juillet 2013, le juge des référés a ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [G] avec pour mission de déterminer si les ouvrages étaient réceptionnables et, dans le cas contraire, de déterminer quels travaux restaient à accomplir.

Dans un arrêt rendu le 21 février 2014, la cour d'appel de Douai a complété la mission de l'expert en lui demandant notamment de procéder aux comptes entre les parties.

L'expert a déposé son rapport le 5 novembre 2014.

Dans un jugement rendu le 5 novembre 2015, le tribunal de commerce de Lille, statuant sur les demandes au fond présentées par la société Scarna Construction, a :

- prononcé la réception de l'ouvrage confié par la société Victoria Lofts 2 à la société Scarna Construction à la date du 6 mai 2013,

- constaté le défaut de délivrance de la garantie de paiement par la société Victoria Lofts 2 au bénéfice de la société Scarna Construction,

- condamné la société Victoria Lofts 2 à payer à la société Scarna Construction :

- 224 404,17 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2013,

- la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société Victoria Lofts 2 aux dépens,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration au greffe en date du 24 novembre 2015, la société Victoria Lofts 2 a interjeté appel de cette décision.

Par actes en date du 15 juin 2016, la société Victoria Lofts 2 a fait assigner en intervention forcée les sociétés [F] [H] et [G] [K] et [J].

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 janvier 2017, l'affaire étant plaidée le 30 janvier puis mise en délibéré.

A l'audience de plaidoiries, les sociétés Scarna Construction et [F] [H] et [G] [K] ont sollicité le rejet des conclusions régularisées par la société Victoria Lofts 2 le 20 janvier 2017 ainsi que le rejet de la nouvelle pièce communiquée à cette même date.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu les conclusions en date du 19 janvier 2017, dont les demandes sont strictement identiques à celles figurant dans les conclusions du 20 janvier 2017, par lesquelles la société Victoria Lofts 2 demande à la cour que :

- elle constate que la société Scarna Construction n'a pas valablement mis en oeuvre 'le dispositif découlant des dispositions de l'article 1799-1 du code civil' ou qu'elle y a renoncé en poursuivant les travaux,

- elle constate que la société Scarna Construction n'a pas 'correctement mis en oeuvre la procédure de résiliation du marché',

- elle dise que les travaux ne sont toujours pas réceptionnables,

- elle condamne la société Scarna Construction à 'assurer l'achèvement des travaux, en exécutant l'ensemble des prestations listées par l'expert judiciaire' à savoir les 'travaux d'achèvement de l'ouvrage', la 'reprise du chantier', les 'travaux supplémentaires', les 'travaux de reprise suite aux désordres qui se sont manifestés en juin 2013" et les 'essais et mise en route des installations',

- elle déboute la société Scarna Construction de ses demandes,

- elle condamne la société Scarna Construction à lui régler une somme de 905 138,75 euros TTC au titre des 'travaux de finition, de reprise, du coût des essais de mise en route des installations, une maîtrise d'oeuvre complète et des pénalités de retard',

- elle lui donne acte qu'elle 'se réserve la faculté de solliciter la garantie de la société Scarna dans l'hypothèse où la société Domivalor 4 agirait au judiciaire pour l'organisation de ses retards de livraison',

- elle déboute la société Scarna Construction de son appel incident,

- elle dise que la décision à intervenir sera 'commune et opposable' aux sociétés [F] [H] et [G] [K] et [J],

- elle déboute la société [F] [H] et [G] [K] de leurs demandes,

- elle condamne la société Scarna Construction aux dépens, qui comprendront le coût des frais d'expertise, ainsi qu'à lui verser une somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les conclusions en date du 19 janvier 2017 dans lesquelles la société Scarna Construction sollicite que :

- le jugement entrepris soit confirmé, sauf en ce qu'il a rejeté sa demande de constat de la résiliation du marché aux torts de la société Victoria Lofts 2, en ce qu'il n'a pas dit qu'elle pouvait 'légitimement quitter le chantier' et en ce qu'il n'a pas jugé 'qu'aucune pénalité de retard ne pouvait lui être appliquée',

- le jugement entrepris soit donc réformé et qu'il soit constaté la résiliation du marché aux torts de la société Victoria Lofts 2, il soit dit qu'elle pouvait quitter le chantier et qu'aucune pénalité de retard ne peut être mise à sa charge,

- la société Victoria Lofts 2 soit condamnée à lui verser les sommes suivantes :

- 273 904,17 euros au titre du solde des travaux réalisés,

- 54 946,91 euros au titre 'des frais financiers supportés et perte de marge',

- 70 000 euros 'au titre de l'atteinte à son image et de son préjudice moral',

- 50 000 euros au titre de la 'perte de productivité',

- 30 000 euros au titre de ses frais irrépétibles,

- la société Victoria Lofts 2 soit condamnée, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, à 'restituer les cautions bancaires' qui avaient été remises 'en application de la loi de 1971",

- la société Victoria Lofts 2 soit condamnée aux dépens de l'instance.

Vu les conclusions datées du 18 janvier 2017 dans lesquelles la société [F] [H] et [G] [K] demandent que :

- la société Victoria Lofts 2 soit déclarée irrecevable en son intervention forcée en application des dispositions de l'article 555 du code de procédure civile,

- elle soit déclarée irrecevable 'à défaut de justifier de la capacité et du pouvoir de ses représentants légaux pour ester en justice en son nom',

- la société Victoria Lofts 2 soit condamnée aux dépens ainsi qu'à lui verser une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Bien que régulièrement assignée en intervention forcée, la société [J] n'a pas constitué avocat. Les actes de la procédure lui ont été signifiés par assignation sur et aux fins.

SUR CE,

Sur les demandes tendant à voir écarter des débats les conclusions de la société Victoria Lofts 2 régularisées le 20 janvier 2017 ainsi que les pièces n°22 et 23 communiquées concomitamment

Tant la société Scarna Construction que la société [F] [H] et [G] [K] demandent que les conclusions que la société Victoria Lofts 2 a régularisées le 20 janvier 2017, jour de la clôture de l'instruction, ainsi que les deux pièces communiquées en même temps, soient écartées des débats.

La société Victoria Lofts 2 s'oppose à ces demandes.

L'article 15 du code de procédure civile dispose que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

Aux termes de l'article 16 de ce même code, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

Les dernières écritures qui avaient été déposées et signifiées la veille de l'ordonnance de clôture peuvent être considérées comme tardives dès lors qu'elles contiennent des moyens nouveaux ou des demandes nouvelles.

En l'espèce, il doit être relevé que les conclusions que la société Victoria Lofts 2 a régularisées le 20 janvier 2017 à 16h44 comportent 52 pages lorsque les précédentes écritures en comportaient une de moins.

Les ajouts faits ne sont pas matérialisés de sorte qu'il était nécessaire pour les parties adverses de les comparer avec les précédentes écritures pour identifier ce qui a été modifié.

A la lecture comparative des deux jeux d'écritures, il apparaît que ces ajouts figurent en pages 29 et 30 et portent sur des développements découlant de la production de 2 nouvelles pièces numérotées 22 et 23.

La pièce n°22 est un 'compte-rendu de la réunion technique du mercredi 20 janvier 2016 à 14h00" qui comporte 3 pages, dont une de signature des parties présentes à la réunion.

La seconde pièce est une 'attestation de vérification de l'accessibilité aux personnes handicapées' qui est datée du 20 septembre 2016 et comporte 9 feuilles.

Il résulte de ces constatations que la société Victoria Lofts 2 était en possession de ces deux documents depuis de nombreux mois.

La discussion relative au caractère réceptionnables ou non des travaux avait déjà été portée devant les premiers juges et se poursuit devant la cour.

De ce fait, la société Victoria Lofts 2 était en mesure et se devait de produire ces pièces au soutien de ses prétentions avant le 20 janvier 2017.

En ne le faisant que le jour de la clôture de l'instruction, elle a privé les parties adverses de la possibilité de connaître l'ensemble de ses moyens mais aussi d'être à même d'y répondre pour leur défense.

Il ne peut donc qu'être constaté que tant ses conclusions, contenant des moyens nouveaux, que les deux nouvelles pièces produites le 20 janvier 2017 l'ont été tardivement.

En conséquence, les conclusions régularisées par la société Victoria Lofts 2 le 20 janvier 2017 ainsi que les pièces numérotées 22 et 23 produites le même jour doivent être écartées des débats car contrevenant au principe de la contradiction.

Sur la recevabilité de l'intervention forcée dirigée contre la société [F] [H] et [G] [K]

La société [F] [H] et [G] [K] soutient que l'intervention forcée intentée par la société Victoria Lofts 2 à son encontre n'est pas recevable au visa des dispositions de l'article 555 du code de procédure civile.

Aux termes des articles 554 et 555 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

Ces mêmes personnes peuvent être appelées devant la cour, même aux fins de condamnation, quand l'évolution du litige implique leur mise en cause.

Au sens de l'article 555 précité, l'évolution du litige impliquant la mise en cause d'un tiers devant la cour d'appel n'est caractérisée que par la révélation d'une circonstance de fait ou de droit née du jugement ou postérieurement à celui-ci et modifiant les données juridiques du litige.

En l'espèce, il doit être constaté que la société Victoria Lofts 2 ne formule aucune demande à l'encontre de la société [F] [H] et [G] [K], autres que celle que l'arrêt lui soit déclaré commun et opposable.

En effet, le litige ne l'oppose qu'à la société Scarna Construction.

Toutefois, elle introduit dans ses écritures des moyens relatifs à une prétendue faute du maître d'oeuvre chargé de l'exécution du chantier, à savoir la société [F] [H] et [G] [K].

Cependant, il ne peut qu'être constaté que ce débat est étranger au présent litige qui n'est relatif qu'à la question de la bonne ou mauvaise exécution par les sociétés Victoria Lofts 2 et Scarna Construction de leurs obligations contractuelles.

De même, cette dernière, qui n'était pas partie aux opérations d'expertise judiciaire, n'a pas intérêt à être partie à la présente procédure qui ne tranchera en rien la question de son éventuelle responsabilité civile.

Enfin, le rapport établi par la société Moduo en décembre 2005, soit postérieurement à la date du jugement querellé, peut expliquer que la société Victoria Lofts 2 souhaite agir en responsabilité contre la société [F] [H] et [G] [K].

Toutefois, cette pièce ne saurait justifier que la société Victoria Lofts 2 sollicite l'intervention forcée du maître d'oeuvre chargé de l'exécution du chantier dans un litige dans lequel la responsabilité de ce dernier ne sera pas examinée.

En outre, la société Victoria Lofts 2 invoque également le rapport de l'expert judiciaire.

Or celui-ci est antérieur d'un an à la décision rendue par le tribunal de commerce de Lille dont la cour a à connaître.

Elle ne peut donc justifier d'une évolution du litige, au sens de l'article 555 précité.

Il résulte de tout ceci qu'il convient de déclarer irrecevable la société Victoria Lofts 2 en son action en intervention forcée formée à l'encontre de la société [F] [H] et [G] [K].

Sur la demande de la société Victoria Lofts 2 tendant à ce que la décision à intervenir soit déclarée commune à la société [J]

La société Victoria Lofts 2 se borne à évoquer la 'maîtrise d'oeuvre' pour justifier de son assignation en intervention forcée de la société [J].

Toutefois, force est de constater qu'elle ne produit aucun document sur lequel figure le nom de cette société et attestant de ce qu'elle est intervenue dans le chantier litigieux.

Au contraire, les documents contractuels produits n'évoquent que les sociétés AMO Développement et [F] [H] et [G] [K].

Ainsi, elle ne justifie pas de l'intérêt qu'elle aurait à faire rendre la présente décision commune à la société [J], comme l'exige l'article 331 du code de procédure civile.

La société Victoria Lofts 2 doit donc être déboutée de sa demande.

Sur la demande de réception judiciaire des ouvrages

La société Scarna Construction sollicite la confirmation du jugement de première instance en ce qu'il a prononcé la réception judiciaire des ouvrages qu'elle a construit à la date du 6 mai 2013.

De son côté, la société Victoria Lofts 2 demande l'infirmation du jugement sur ce point, soutenant que les ouvrages ne sont toujours pas réceptionnables à ce jour.

L'article 1792-6 alinéa 1 du code civil dispose que la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

L'article 1792-6 précité ne prévoit pas que la construction de l'immeuble doit être achevée pour que la réception puisse intervenir.

Il convient de rechercher si l'ouvrage était en état d'être reçu, c'est-à-dire habitable, s'agissant d'une immeuble à usage d'habitation.

Enfin, il est possible prononcer la réception judiciaire de l'ouvrage avec réserves.

En l'espèce, il doit être rappelé que l'expert judiciaire a rédigé son rapport aux termes de plusieurs réunions sur le chantier, après examen des documents contractuels mais aussi des différents procès-verbaux de constat dressés à la demande de l'une ou l'autre des parties.

Par ailleurs, il a tenu sa première réunion le 12 septembre 2013, soit après la survenance d'un important dégâts des eaux dans les ouvrages.

L'expert a procédé à la visite des 3 bâtiments ainsi que des appartements s'y trouvant.

S'il a relevé des inachèvements ainsi que des malfaçons ou des défaut de conformité, il indique expressément dans ses conclusions que :

- la réception des travaux était prévue en plusieurs temps, essentiellement au cours du mois de mai 2013, pour les bâtiments mais aussi pour les ouvrages intérieurs et les façades,

- lors de la réunion du 6 mai 2013, l'huissier sollicité par la société Victoria Lofts 2 a certes relevé des inachèvements des travaux à l'intérieur des bâtiments mais il s'est surtout attardé sur les façades des 3 bâtiments et la présence de matériel et matériaux de chantier puisque, comme le relève l'huissier présent à la demande de la société Scarna Construction, M. [P], représentant la société Victoria Lofts 2 ce jour-là, 'refuse d'effectuer la réception des logements et de l'étanchéité des parkings' 'dans la mesure où les façades ne sont pas terminées' alors même que la réunion en vue de la réception desdites façades avait été fixée au 17 mai 2013 par le maître d'oeuvre.

L'expert indique que, si des réserves pouvaient être émises pour certains travaux, les bâtiments étaient réceptionnables à la date du 6 mai 2013.

Il ajoute que ces réserves auraient pu être levées dans un délai de 2 mois à compter de cette date et précise que, si les travaux n'ont pas été achevés et ne l'étaient pas tous à la date du dépôt de son rapport, c'est à raison du refus par la société Victoria Lofts 2 de fournir à la société Scarna Construction la garantie de paiement que celle-ci lui avait demandée et par voie de conséquence de l'arrêt du chantier par cette dernière.

Il résulte de ces constatations que les inachèvements pointés par l'huissier diligentés par la société Victoria Lofts 2, dans ses procès-verbaux des 6 mai et 7 juin 2013, n'empêchaient pas la réception des travaux mais justifiaient l'émission de réserves qui pouvaient être levées à bref délai, selon l'expert.

Les documents produits par la société Victoria Lofts 2, et notamment le rapport établi par la société Moduo en décembre 2005, ne sauraient remettre en cause ces conclusions puisque le rapport était établi plus de 3 ans après l'arrêt du chantier et alors qu'il n'est pas contesté que les ouvrages ont subi un important dégât des eaux en juin 2013 et ont été soumis aux intempéries pendant tout ce temps.

Ainsi, il apparaît que le refus de la société Victoria Lofts 2 de réceptionner les ouvrages à la date du 6 mai 2013 était abusif.

En conséquence, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a fixé la date de réception judiciaire des ouvrages au 6 mai 2013.

Sur la demande relative à la garantie de paiement

La société Scarna Construction estime qu'elle était en droit d'arrêter le chantier et de demander en justice la résiliation du marché aux torts de la société Victoria Lofts 2 dès lors que cette dernière lui a refusé toute garantie de paiement puis ne lui en a offert une que pour un montant ne couvrant pas l'ensemble des sommes qui lui étaient dues mais également pour une durée limitée.

De son côté, la société Victoria Lofts 2 soutient que la société Scarna Construction ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1799-1 du code civil car cette dernière ne l'a véritablement mise en demeure de lui fournir une garantie de paiement que le 6 mai 2013, qu'elle a déféré à sa demande, que la société Scarna Construction a renoncé à cette garantie en poursuivant le chantier au delà du délai de 15 jours prévu par ce texte et qu'en tout état de cause, la société Scarna Construction n'était pas créancière d'une quelconque somme, à raison du retard dans l'exécution des travaux et des pénalités de retard dont elle était redevable.

L'article 1799-1 du code civil dispose que le maître de l'ouvrage qui conclut un marché de travaux privé visé au 3o de l'article 1779 doit garantir à l'entrepreneur le paiement des sommes dues lorsque celles-ci dépassent un seuil fixé par décret en Conseil d'État.

Lorsque le maître de l'ouvrage recourt à un crédit spécifique pour financer les travaux, l'établissement de crédit ne peut verser le montant du prêt à une personne autre que celles mentionnées au 3o de l'article 1779 tant que celles-ci n'ont pas reçu le paiement de l'intégralité de la créance née du marché correspondant au prêt. Les versements se font sur l'ordre écrit et sous la responsabilité exclusive du maître de l'ouvrage entre les mains de la personne ou d'un mandataire désigné à cet effet.

Lorsque le maître de l'ouvrage ne recourt pas à un crédit spécifique ou lorsqu'il y recourt partiellement, et à défaut de garantie résultant d'une stipulation particulière, le paiement est garanti par un cautionnement solidaire consenti par un établissement de crédit, une société de financement une entreprise d'assurance ou un organisme de garantie collective, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État. Tant qu'aucune garantie n'a été fournie et que l'entrepreneur demeure impayé des travaux exécutés, celui-ci peut surseoir à l'exécution du contrat après mise en demeure restée sans effet à l'issue d'un délai de quinze jours.

L'article 1er du décret du 30 juillet 1999 dispose que le seuil prévu au premier alinéa de l'article 1799-1 du code civil est fixé, hors taxes, à 79 000 F et, à compter du 1er janvier 2002, à 12 000 €. Les sommes dues s'entendent du prix convenu au titre du marché, déduction faite des arrhes et acomptes versés lors de la conclusion de celui-ci.

Pour l'application du deuxième alinéa de l'article 1799-1 précité, le crédit auquel recourt le maître de l'ouvrage doit être destiné exclusivement et en totalité au paiement de travaux exécutés par l'entrepreneur.

Le cautionnement solidaire prévu au troisième alinéa de l'article 1799-1 du code civil doit être donné par un établissement de crédit, une société de financement», une entreprise d'assurance ou un organisme de garantie collective ayant son siège ou une succursale sur le territoire d'un État membre de la Communauté européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen. La caution est tenue sur les seules justifications présentées par l'entrepreneur que la créance est certaine, liquide et exigible et que le maître de l'ouvrage est défaillant. La mise en demeure visée au troisième alinéa de l'article 1799-1 du code civil est faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

L'article 1799-1 étant d'ordre public, les parties ne peuvent y déroger par des conventions particulières.

Le maître de l'ouvrage est débiteur de l'obligation de garantie dès la signature du marché.

La possibilité d'une compensation future avec une créance du maître de l'ouvrage, même certaine en son principe, ne dispense pas celui-ci de l'obligation légale de fournir la garantie de paiement du solde dû sur le marché.

Les sommes dues, au sens de l'article 1799-1, alinéa 1er, s'entendent du prix convenu au titre du marché initial ou d'un nouveau montant qui doit résulter d'un accord des parties.

Dès lors que l'entreprise n'use pas de la faculté qui lui est offerte par l'article 1799-1, alinéa 3, de suspendre l'exécution du marché, elle est tenue d'exécuter les travaux en vertu du contrat.

En l'espèce, il convient tout d'abord de relever que la société Victoria Lofts 2 ne conteste pas avoir procédé à des retenues à hauteur de 60 000 euros par mois sur les versements qu'elle a faits au profit de la société Scarna Construction pour les mois de décembre 2012, janvier et mars 2013, à raison du retard dans l'exécution des travaux.

Aux termes du CCAP, les 'pénalités pour retard dans l'exécution' 'seront appliquées en cours de chantier et seront annulées ou confirmées en tout ou partie en fin de travaux ou fin de tranche selon que l'entrepreneur aura ou non résorbé son retard et sous réserve que ce retard n'ait eu aucune incidence sur le déroulement des travaux menés par d'autres intervenants' (cf. Article 2.19.1 du CCAP).

Il résulte de ces stipulations que la retenue ainsi pratiquée n'est pas définitivement acquise au maître de l'ouvrage dont la créance ne sera fixée qu'au terme des travaux ou d'une tranche de ces travaux.

Ainsi, il s'agit bien d'une créance future dont le maître d'ouvrage ne peut donc se prévaloir pour refuser de fournir une garantie de paiement à l'entrepreneur qui la lui aura demandée.

S'agissant de la date à laquelle la société Scarna Construction a adressé à la société Victoria Lofts 2 une mise en demeure, il convient de relever que, dans un courrier en date du 4 février 2013, adressé par lettre recommandée avec avis de réception à 'Victoria Lofts 1, M. [V] [O] et M. [O] [P]', le conseil de la société Scarna Construction évoquait tant la situation du chantier concernant la société Victoria Lofts 1 que celui concernant la société Victoria Lofts 2 (faisant mention des 'plots 17, 18 et 19 à deux reprises) et mettaient en demeure les destinataires du courrier pour les deux marchés de lui fournir une garantie de paiement.

Si ce courrier fait mention de la société Victoria Lofts 1, il est constant que MM. [P] et [O] sont respectivement le représentant de la société AMO Développement qui a représenté la société Victoria Lofts 2 dans toutes les étapes du chantier (et notamment lors des réunions en vue de la réception des travaux) et le fondateur des sociétés Victoria Lofts 1, 2 et 3.

Ainsi, ce courrier doit s'analyser en une mise en demeure adressée tant à la société Victoria Lofts 1 qu'à la société Victoria Lofts 2 de fournir à la société Scarna une garantie de paiement, et ce d'autant plus que, dans un courrier en réponse en date du 1er mars 2013, le conseil de l'époque des sociétés Victoria Lofts évoque expressément la mise en demeure adressée à la société Victoria Lofts 2 et soutient que les conditions de demande de fourniture d'une telle garantie ne sont pas remplies.

Ce second courrier établi par là même que la société Victoria Lofts 2 a refusé la fourniture d'une garantie de paiement, dans un premier temps.

Le 6 mars 2013, le conseil de la société Scarna Construction a informé son confrère qu'il n'avait pas la même position que lui quant à l'application de l'article 1799-1 du code civil et que sa cliente cesserait les travaux sur les 'plot 17, 18 et 19".

Par la suite, dans le courant du mois d'avril 2013, les parties sont parvenues à un accord portant sur les plot 8 et 9 aux termes duquel la société Scarna Construction renonçait à se prévaloir des dispositions de l'article 1799-1 précité dès lors qu'elle était réglée immédiatement des sommes qu'elle réclamait.

Aucun accord de la sorte n'a été conclu pour les plots 17, 18 et 19.

Toutefois, il résulte des compte-rendu des réunions de chantier en date des 15 avril 2013 (pièce n°25/1 du dossier de la société Scarna Construction) et 6 mai 2013 (cf. Pièce n°4 du dossier de la société Victoria Lofts 2) que la société Scarna Construction n'a pas suspendu l'exécution des travaux puisqu'elle s'est engagée au cours de ces réunions à réaliser certains travaux, notamment sur les façades des bâtiments.

Ainsi, elle n'a pas usé de la faculté que lui offrait l'article 1799-1 précité et ne peut donc valablement se prévaloir de cette première mise en demeure.

En revanche, il résulte d'un courrier de la société Victoria Lofts 2 en date du 16 mai 2013 que, par courrier du 7 mai 2013, la société Scarna Construction a dénoncé leurs accords.

Et, en réponse à ceci, la société Victoria Lofts 2 informait cette dernière qu'elle avait sollicité sa banque pour obtenir une garantie de paiement.

Il doit donc être considéré que la société Scarna Construction a, de nouveau, mis en demeure la société Victoria Lofts 2 de lui fournir une telle garantie.

Or, celle-ci a justifié avoir obtenu le 23 mai 2013 de la société CIC Nord Ouest une caution garantissant le paiement d'une somme de 150 000 euros.

Cependant, force est de constater que cette somme était inférieure aux sommes dues à la société Scarna Construction qui s'élevaient au 30 avril 2013 à 350 069 euros (cf. Pièce n°13 produite par cette société).

En outre, il n'est pas établi que la société Scarna Construction a poursuivi les travaux après l'expiration du délai de 15 jours à compter de cette seconde mise en demeure.

En effet, le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 7 juin 2013 démontre que le chantier était arrêté, la présence d'une personne dont on ignore dans quel cadre elle intervenait ne pouvant prouver que la société Scarna Construction poursuivait les travaux.

Par ailleurs, si le procès-verbal de constat dressé le 10 juin 2013 (pièce n°16 produite par la société Victoria Lofts 2) fait mentions de 'la présence de différents corps de métiers en nombre sur site', de la présence de 'finisseurs, électriciens, peintres', force est de constater que les clichés photographiques ne montrent aucune de ces personnes, soit à l'arrêt, soit en train de travailler, alors que des photographies ont été prises tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des bâtiments.

Une photographie (cf. Page 11 du constat) montre deux personnes présentes dans des parties communes mais il n'est pas précisé dans quel cadre elles interviennent, ni pour le compte de qui.

Il est seulement fait mention du dégât des eaux subis par le bâtiment et il apparaît sur ce cliché que ces personnes sont en train de d'évacuer l'eau qui s'est déversée dans les parties communes.

Ainsi, ces deux pièces ne sauraient établir que la société Scarna Construction a poursuivi le chantier, malgré la mise en demeure qu'elle avait faite à la société Victoria Lofts 2 de lui fournir une garantie de paiement, et qu'elle aurait ainsi renoncé au bénéfice de cette garantie.

C'est pourquoi, il doit être constaté que non seulement la société Scarna Construction était en droit de solliciter une garantie de paiement et qu'elle l'a effectivement fait.

En l'absence d'obtention d'une garantie couvrant l'ensemble des sommes qui lui étaient dues, elle était également en droit de suspendre le chantier ce qu'elle a fait en juin 2013.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur la demande de la société Scarna Construction tendant au constat de la résiliation du marché de travaux

Arguant de l'absence de fourniture de garantie de paiement ainsi que du non-paiement de l'ensemble des sommes qui lui sont dues, la société Scarna Construction estime qu'elle était en droit de résilier le contrat conclu avec la société Victoria Lofts 2.

Elle ajoute l'avoir fait par courrier en date du 10 février 2014.

De ce fait, elle sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a estimé sa demande tendant au constat de cette résiliation sans objet à raison du prononcé de la réception judiciaire des travaux.

En réplique, la société Victoria Lofts 2 estime que la société Scarna Construction n'a pas respecté la procédure prévue par le CCAP en vue d'obtenir la résiliation du contrat et donc qu'elle doit être déboutée de sa demande.

L'article 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure dispose que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Aux termes de l'article 4.3 du CCAP, 'entraîneront la résiliation de plein droit :

a) aux torts de la partie défaillante

- l'incapacité juridique, totale ou partielle, définitive ou temporaire,

- la mise en suspension de paiement,

- le règlement judiciaire ou la liquidation judiciaire de biens ainsi que la liquidation amiable ou la cessation d'activités,

- l'inexécution de l'une des obligations essentielles ou la faute de l'une des parties.

La résiliation sera prononcée par l'autre partie après mise en demeure préalable.

B) aux torts du maître d'ouvrage

- l'interruption de son fait du chantier pendant une période supérieure à deux semaines.

La résiliation sera prononcée par l'autre partie après mise en demeure préalable.'

Il résulte de tout ce qui a été développé précédemment qu'en l'espèce, la société Victoria Lofts 2 a, à tort, refusé de réceptionné les ouvrages en mai 2013.

En outre, elle n'a pas fourni à la société Scarna Construction une garantie de paiement couvrant l'ensemble des sommes qui était dues à cette dernière, garantie qui lui avait été demandée par mise en demeure du 7 mai 2013.

En conséquence, la société Victoria Lofts 2 a manqué à ses obligations contractuelles essentielles et la société Scarna Construction était en droit de solliciter la résiliation du contrat, ce qu'elle a fait par courrier en date du 10 février 2014.

Les premiers juges ont relevé que la réception judiciaire a été prononcée au 6 mai 2013 et ont estimé que cela avait mis fin au contrat entre les parties, de sorte que la demande tendant au constat de la résiliation du contrat était sans objet.

Toutefois, il existait des réserves sur les travaux qui n'ont pu être levées du fait de l'attitude de la société Victoria Lofts 2 et cette réception judiciaire n'a donc pas mis fin au contrat entre les parties.

Ainsi, au vu de ce qui vient d'être exposé, il convient de constater la résiliation judiciaire du marché de travaux conclu entre les sociétés Scarna Construction et Victoria Lofts 2 à la date du 10 février 2014 et aux torts de cette seconde société.

De ce fait, la demande de la société Victoria Lofts 2 tendant à la condamnation de la société Scarna Construction à achever les travaux doit être rejetée.

De même, la demande de donné acte présentée par la société Victoria Lofts 2 ne constitue pas une demande en justice tendant à ce que soit tranché un point litigieux.

Sur les comptes entre les parties

Chaque partie réclame la condamnation de l'autre à lui verser diverses sommes au titre du marché de travaux mais aussi des conséquences de sa résiliation ou de son inexécution.

La société Scarna Construction sollicite les sommes suivantes :

- 273 904,17 euros au titre du solde des travaux réalisés,

- 54 946,91 euros au titre 'des frais financiers supportés et perte de marge',

- 70 000 euros 'au titre de l'atteinte à son image et de son préjudice moral',

- 50 000 euros au titre de la 'perte de productivité'.

Elle estime, par ailleurs, n'être tenue à aucune pénalité de retard puisque le marché a été résilié aux torts de la société Victoria Lofts 2 qui a refusé notamment de lui fournir une garantie de paiement.

Elle soutient enfin que les éventuels retards sont imputables soit à la société Victoria Lofts 2, qui a tardé à lui mettre à disposition les terrains, soit aux intempéries.

De son côté, la société Victoria Lofts 2 réclame à la société Scarna Construction une somme de 950 138,75 euros TTC au titre des travaux de finition, de reprise, de maîtrise d'oeuvre, de mise en oeuvre des installations et des pénalités de retard.

Il convient de relever que, si la société Scarna Construction ne peut être tenue à aucune pénalité de retard à raison de la suspension par elle de l'exécution du marché consécutive à la non fourniture par la société Victoria Lofts 2 d'une garantie de paiement, elle est en revanche redevable des pénalités de retard qui pourraient être dues avant qu'elle ne suspende l'exécution du marché.

En outre, si la réception judiciaire a été fixée à la date du 6 mai 2013, des réserves existaient, comme l'expert l'indique dans son rapport, et la société Scarna Construction n'a mis en oeuvre la procédure de résiliation du contrat qu'en février 2014.

Ainsi, elle reste redevable des travaux de finition qui devaient être réalisés par elle et qui auraient été exécutés avant qu'elle se prévale de son droit de suspendre l'exécution du marché.

En revanche, s'agissant des désordres survenus après cette réception, ils relèvent des régimes des garanties légales et ne peuvent faire l'objet d'une simple demande en paiement, et ce d'autant moins que l'expert ne s'est expressément prononcé ni sur leur nature, ni sur leur imputabilité.

Au vu de tout ceci mais également au regard des conclusions de l'expert judiciaire, il convient de prévoir ce qui suit :

- les travaux de finition qui incombait à la société Scarna Construction peuvent être évalués à 256 993,44 euros HT, selon les devis fourni par cette dernière à l'expert,

- le coût des essais et de mise en route des installations, évalué à 23 958,40 euros HT, doit également être supporté par la société Scarna Construction,

- le coût de la reprise du chantier ainsi que celui des travaux supplémentaires n'ont pas à être assumés par la société Scarna Construction dès lors que l'interruption du chantier est imputable à la société Victoria Lofts 2 et que les travaux supplémentaires, non prévus au marché initial, impliquaient la poursuite des relations contractuelles, ce qui n'est plus le cas,

- les travaux de reprise des désordres, consécutifs aux dégâts des eaux survenus fin mai 2013 et aux dégradations ultérieures, ne peuvent être mis à la charge de la société Scarna Construction dans le cadre de la présente instance.

S'agissant des pénalités de retard, il doit être rappelé que le chantier devait débuter le 3 janvier 2011 et duré 18 mois.

La norme AFNOR P 03-001, dont se prévaut la société Scarna Construction, prévoit dans son article 9.5 intitulé 'Primes pour avance et pénalités pour retard' que 'le cahier des clauses administratives particulières peut prévoir des primes pour avance d'achèvement des travaux, des pénalités pour retard, ou les deux. L'avance et le retard sont déterminés en considération des délais définis à l'article 10 .

Sauf stipulation différente, il est appliqué, après une mise en demeure, une pénalité journalière de 1/1 000 du montant du marché.

Le montant des pénalités est plafonné à 5 % du montant du marché.'

En l'espèce, si le CCAP indique dans son article 1.7 que cette norme AFNOR a valeur de document contractuel, son article 2.19.1 relatif aux 'pénalités pour retard dans l'exécution' stipule : 'dans le cas où les travaux ne seraient pas terminés dans le délai prévu au calendrier général et sans qu'il y ait besoin d'une mise en demeure préalable et sur proposition du maître de l'ouvrage ou son Assistant, Délégué ou, le cas échéant, du maître d'oeuvre, il sera fait sur le total des sommes dues par l'Entrepreneur une retenue s'élevant à 1 500 euros HT par jour calendaire de retard.'

Ainsi, le CCAP a clairement prévu de déroger à la norme AFNOR précitée, de sorte que la société Scarna Construction ne peut valablement se prévaloir de l'absence de toute mise en demeure qui lui a été adressée au sujet d'éventuels retards lui incombant.

S'agissant des retards qui ne sont pas imputables à la société Scarna Construction, l'expert a relevé que la mise à disposition des terrains avait été retardée de 2,5 mois et qu'il y avait également eu des retards dans la validation et transmission des plans représentant une durée totale d'1,5 mois.

Ces constatations n'étant contredites par aucune pièce versée aux débats, il convient de retenir que la fin du chantier devait être repoussée de 4 mois, soit une fin prévisible au 3 novembre 2012.

La société Scarna Construction invoque également les intempéries qui ont, selon elle, considérablement retardé l'exécution des travaux et expliquent tout le retard pris par elle.

L'expert retient un nombre de 109 jours, tout en précisant que le CCAP fixe 'des limites quant au gel, à la pluie, à la neige et au vent'.

La société Victoria Lofts 2 conteste ce calcul et estime à 9 jours les retards dus aux intempéries.

L'article 9 du code de procédure civile dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Le CCAP prévoit au paragraphe 2.18 intitulé 'Point de départ et prolongation des travaux' qu'une 'journée sera déclarée journée d'intempérie lorsque l'un au moins des phénomènes naturels ci-après dépassera les intensités suivantes :

- pluie 20 mm entre 6H et 18H,

- gel -2° sous abri à 12H,

- neige 5 cm en une nuit ou un jour,

- vent 80 km/h et que l'exécution des travaux se trouvera entravée.'

Il doit être rappelé que le CCAP définit les obligations incombant à chaque partie et peut déroger à la norme AFNOR P 036001.

En outre, si le CCAP fait référence aux normes DTU, il a été négocié par les parties et celles-ci ne sauraient donc s'en affranchir.

La société Scarna Construction, professionnel de la construction, qui y a librement consenti, ne peut donc solliciter l'application d'autres normes que celles y figurant au sujet des intempéries.

Ainsi, les conclusions de l'expert ne peuvent être retenues et il convient de se référer aux stipulations du CCAP précitées.

Au vu des pièces et conclusions produites de part et d'autre, et notamment du 'relevé d'intempéries' produit par la société Scarna Construction, qui ne permet pas de connaître la température sous abri à 12H, il convient de retenir un nombre de jours de retard dus aux vents fort ou à la pluie, dans les limites précédemment relevées, à 15 jours.

Ainsi, le chantier devait s'achever à la date du 18 novembre 2012.

Or, la réception judiciaire a été fixée à la date du 6 mai 2013, de sorte qu'il est établi qu'il y a eu des retards dans l'exécution du marché.

La société Scarna Construction se prévaut d'un mail daté du 30 avril 2013 aux termes duquel un représentant de la société Victoria Lofts 2 confirmait l'accord de cette dernière pour octroyer à la société Scarna Construction un délai supplémentaire de 25 jours pour réaliser des travaux supplémentaires.

Puisque cet accord avait été donné à la société Scarna Construction dès le 25 février 2013, aux termes de ce mail, ce délai supplémentaire peut être déduit du nombre de jours de retard qui lui est imputable.

Ce nombre s'élève à 163 jours (du 19 novembre 2012 au 5 mai 2013) auxquels il convient de retrancher 25 jours de délai supplémentaire.

Ainsi, la société Scarna Construction doit répondre de 143 jours de retard à raison de 1 500 euros par jour, soit un montant total de pénalités de retard de 214 500 euros HT.

La simple constatation de ces retards ouvre droit pour la société Victoria Lofts 2 aux pénalités prévues par le CCAP, étant précisé qu'en l'espèce, les immeubles ont été vendus en l'état futur d'achèvement et que, même si d'autres difficultés sont survenues par la suite, les retards imputables à la société Scarna Construction ont nécessairement eu une incidence sur la date de livraison des ouvrages.

En conséquence, la société Scarna Construction reste redevable envers la société Victoria Lofts 2 des sommes suivantes :

- 280 951,84 euros HT au titre des travaux d'achèvement du chantier,

- 214 500 euros HT au titre des pénalités de retard.

S'agissant des sommes réclamées par la société Scarna Construction à la société Victoria Lofts 2, il résulte du rapport d'expertise que la société Scarna Construction sollicitait le règlement des sommes lui étant dues au 30 avril 2013, pour un montant total de 273 904,17 euros TTC soit 229 016,86 euros HT.

La société Victoria Lofts 2 ne conteste pas ne pas avoir réglé ce solde.

Puisque celle-ci correspond aux travaux réalisés avant la suspension du chantier à l'initiative de la société Scarna Construction, ces travaux devaient être réglés.

Toutefois, la somme de 229 016,86 euros inclut les sommes retenues par la société Victoria Lofts 2 au titre des pénalités de retard, dont il n'est pas contesté qu'elles s'élèvent à un montant total de 180 000 euros HT.

Ainsi, la somme de 180 000 euros vient nécessairement en déduction de la somme fixée précédemment au titre des pénalités de retard dues par la société Scarna Construction mais elle ne peut plus non plus être réclamée par cette dernière au titre de sommes indûment prélevées sur les règlements de ses factures.

En conséquence de quoi, la société Victoria Lofts 2 est créancière de la société Scarna Construction à hauteur des sommes suivantes :

- 280 951,84 euros HT au titre des travaux d'achèvement du chantier,

- 34 500 euros HT au titre des pénalités de retard.

La société Scarna Construction est, quant à elle, créancière de la société Victoria Lofts 2 à hauteur de 49 016,86 euros HT au titre de ses factures impayées.

La société Scarna Construction sollicite également :

- 54 946,91 euros au titre 'des frais financiers supportés et perte de marge',

- 70 000 euros 'au titre de l'atteinte à son image et de son préjudice moral',

- 50 000 euros au titre de la 'perte de productivité'.

Il doit être rappelé que les conclusions de l'expert ne lient pas les juges du fond.

En l'espèce, l'expert s'est prononcé en se fondant sur un dire du conseil de la société Scarna Construction qui comporte des évaluations des préjudices subis par cette dernière.

Toutefois, ce dire ne saurait suffire et doit être étayé par des pièces objectives.

Aux termes de l'article 1794 du code civil, le maître de l'ouvrage peut résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait, quoique l'ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l'entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu'il aurait pu gagner dans cette entreprise.

A l'appui de sa demande au titre des frais financiers, la société Scarna Construction produit une pièce numérotée 43, dont l'origine n'est pas précisée et qui comporte diverses sommes dont aucune ne correspond à la somme réclamée.

Ainsi, cette pièce ne saurait être probante et il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Scarna Construction de sa demande à ce titre.

Quant à l'atteinte à l'image et au préjudice moral évoqué, force est de constater qu'hormis les allégations de la société Scarna Construction sur ce point, aucune pièce ne vient les établir.

Bien plus, il résulte de certains courriers produits que la société Scarna Construction s'est adressée directement à la société Domivalor, acquéreur des immeubles litigieux, pour se plaindre du comportement de la société Victoria Lofts 2, preuve qu'elle a pris des mesures pour préserver son image tout au long de l'exécution du marché.

De même, le courrier du maire d'Hellemmes, daté du 3 septembre 2015, n'est en rien probant car, si le maire fait mention d'une atteinte à l'image de marque de la société Scarna Construction, sans qu'il précise auprès de qui cette image serait ternie, il ajoute immédiatement après qu'il a conscience que la société Scarna Construction n'est pour rien dans le retard dans les travaux et qu'elle subit un 'impayé considérable'.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Scarna Construction de sa demande de ce chef.

S'agissant enfin de la perte de productivité, elle n'est pas non plus établie par les pièces versées aux débats.

En conséquence, le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a débouté la société Scarna Construction de sa demande à ce titre.

Il résulte de tout ceci que :

- la société Victoria Lofts 2 est créancière envers la société Scarna Construction d'une somme de 280 951,84 euros HT au titre des travaux d'achèvement du chantier et d'une somme de 34 500 euros HT au titre du solde des pénalités de retard dues,

- la société Scarna Construction est créancière envers la société Victoria Lofts 2 d'une somme de 49 016,86 euros HT.

Sur la demande de la société Scarna Construction tendant à la restitution des cautions bancaires fournies

La société Scarna Construction demande la condamnation sous astreinte de la société Victoria Lofts 2 à lui restituer les cautions bancaires qu'elle a dû lui remettre.

Il convient de relever que la société Scarna Construction ne justifie pas avoir réclamé à la société Victoria Lofts 2 la restitution de ces cautions, demande qui n'aurait pas été accueillie.

Par ailleurs, comme l'ont souligné les premiers juges, la réception judiciaire des ouvrages est prononcée par la présente décision ainsi que le constat de la résiliation du marché de travaux.

Néanmoins, la société Scarna Construction reste redevable de certaines sommes envers la société Victoria Lofts 2.

Pour toutes ces raisons, il n'y a pas lieu d'accéder à la demande de la société Scarna Construction.

Elle en sera donc déboutée.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le sens du présent arrêt et les demandes présentées par les parties conduisent à confirmer le jugement entrepris sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Chaque partie succombant partiellement en cause d'appel, il doit être prévu que chacune conservera la charge des dépens et des frais irrépétibles qu'elle a engagés dans le cadre de la procédure d'appel.

Ainsi, les demandes présentées de part et d'autre au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile doivent être rejetées.

En revanche, la société Victoria Lofts 2 étant déclarée irrecevable en son intervention forcée à l'encontre de la société [F] [H] et [G] [K], elle sera condamnée à verser à cette dernière une somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Ecarte des débats les conclusions de la société Victoria Lofts 2 en date du 20 janvier 2017 ainsi que les deux pièces, numérotées 22 et 23 communiquées le même jour ;

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société Victoria Lofts 2 à régler à la société Scarna Construction une somme de 224 404,17 euros TTC ;

Et statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

Déclare irrecevable la société Victoria Lofts 2 en son intervention forcée à l'encontre de la société [F] [H] et [G] [K] ;

Déboute la société Victoria Lofts 2 de sa demande tendant à voir déclaré commun à la société [Q] le présent arrêt ;

Constate la résiliation du marché de travaux conclu entre la société Victoria Lofts 2 et la société Scarna Construction à la date du 10 février 2014, aux torts de la société Victoria Lofts 2 ;

Condamne la société Victoria Lofts 2 à régler à la société Scarna Construction la somme de 49 016,86 euros HT, outre la TVA applicable au jour de la présente décision ;

Condamne la Scarna Construction à verser à la société Victoria Lofts 2 les sommes suivantes :

- 280 951,84 euros HT au titre des travaux d'achèvement du chantier,

- 34 500 euros HT au titre des pénalités de retard.

outre la TVA applicable au jour du présent arrêt ;

Déboute la société Scarna Construction du surplus de ses demandes ;

Déboute la société Victoria Lofts 2 du surplus de ses demandes ;

Condamne la société Victoria Lofts 2 à verser à la société [F] [H] et [G] [K] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Déboute les sociétés Victoria Lofts 2 et Scarna Construction de leurs demandes au titre de leurs frais irrépétibles ;

Dit que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle a engagés en cause d'appel.

Le greffierLe président,

Claudine PopekChristian Paul-Loubière


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 2
Numéro d'arrêt : 15/06863
Date de la décision : 16/03/2017

Références :

Cour d'appel de Douai 1B, arrêt n°15/06863 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-03-16;15.06863 ?
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